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GROUPE XV
CILICIE (VILAYET D'ADANA ET SANDJAK DE MARACH)

La Cilicie occupe le coin sud-est de l'Anatolie, dominant le golfe d'Iskendéroun (Alexandrette) et se divise en deux régions qui présentent entre elles un grand contraste, — la région fertile, fiévreuse de la plaine du littoral d'Adana, traversée par une section du chemin de fer de Bagdad, et la contrée montagneuse de l'intérieur dans la direction nord-Est, à la chaîne du Taurus, qui est coupée par le cours supérieur du Sarus et du Pyramus (Seyhoun et Djihan) et s'étend en éventail dans un dédale de hautes vallées et de montagnes.

Jusqu'au printemps de 1915, la Cilicie était un des principaux centres de la race arménienne en Turquie et il n'y avait pas de région, à l'exception peut-être de Van, où les Arméniens avaient mieux réussi à s'implanter et à dominer. La dispersion des Arméniens au Nord-Est de l'Anatolie et dans les districts suburbains de la côte de Marmara, quelque nombreuse, riche et influente qu'elle fût, ne constituait cependant qu'une classe urbaine et elle était même d'ordinaire en minorité dans certaines villes. Tandis que les hauts plateaux étaient peuplés de nombreuses communautés de paysans ; et il y avait sur les hauteurs des petites villes et des villages prospères, dont les plus importants étaient Hadjine et Zeïtoun, au Nord, mais qui s'étendaient en une chaîne ininterrompue depuis le Taurus jusqu'aux éperons Sud de l'Amanus, et jusqu'à Deurt-Yol, où elle atteignait le coin Nord-Est de la Méditerranée.

Les Arméniens de Cilicie étaient principalement des pasteurs et des laboureurs, mais ils étaient en même temps une des branches les plus civilisées et les plus portées au progrès de la race arménienne. Des écoles arméniennes et américaines avaient été établies dans les montagnes, et les montagnards étaient en rapports constants avec Adana, Tarsous, Mersine et les autres régions et villes de la plaine d'Adana, où le commerce et l'industrie étaient presque entièrement dans les mains des Arméniens, constamment renforcés par le réservoir de population arménienne des montagnes.

Les Arméniens de Cilicie semblaient destinés à jouer un rôle important dans le développement futur de l'Empire Ottoman. Leur pays avait une importance particulière au point de vue stratégique et commercial, car il devait être traversé par l'artère principale de l'Empire, le chemin de fer de Bagdad, dans la section la plus vitale de son parcours où, à travers deux barrières de montagnes, elle passait par le point le plus rapproché du rivage méditerranéen. En outre, la population arménienne y augmentait constamment, tandis que dans toutes les autres parties de la Turquie, cette population diminuait sous les répressions auxquelles elle était soumise depuis 1878. Cette augmentation était d'autant plus remarquable que la Cilicie avait eu particulièrement à souffrir du dernier massacre de 1909.

Tout ceci cependant mettait les Arméniens en évidence et ne contribuait que davantage à porter ombrage au Gouvernement Ottoman et la guerre lui donna le prétexte qu'il attendait pour les en extirper. Il se peut que le Gouvernement ait ou non conçu le projet de déporter tous les Arméniens de l'Empire avant les combats entre Turcs et Arméniens de la mi-avril 1915 à Van ; mais, en ce qui concerne la Cilicie, il ne peut y avoir aucun doute que le projet avait été conçu et mis à exécution avant que rien ne se fut passé à Van. On commença à se battre à Van le 20 avril, alors que les premières déportations d'Arméniens de Zeïtoun avaient été faites le 8 avril, douze jours avant, et qu'au 19 avril, un convoi de déportés de Zeïtoun était déjà arrivé en Syrie (Doc. 64). En tous cas, les déportations de Cilicie doivent donc avoir été combinées dès le mois de mars et probablement même plus tôt.

Il y a un trait spécial relatif à l'exécution du plan en Cilicie, qui montre à l'évidence que ce plan a été délibérément exécuté et conçu longtemps à l'avance. Aussitôt que les Arméniens étaient emmenés hors de leurs villages, leurs maisons étaient immédiatement consignées aux immigrants musulmans. Nous possédons des témoignages d'après lesquels le même procédé fut appliqué au mois de juin dans les vilayets d'Erzeroum et de Trébizonde, mais dans ces derniers cas les usurpateurs musulmans, dont nous pouvons retrouver l'origine, étaient généralement des Turcs ou des Kurdes des districts voisins de l'Est, qui eux-mêmes avaient dû abandonner leurs foyers à la suite de la première occupation de Van par les Russes. Leur prise de possession des maisons arméniennes pouvait paraître due aux circonstances et seulement provisoire, tandis que les « Mohadjirs », amenés par le Gouvernement Ottoman à Zeïtoun, Hadjine et dans les autres villes et villages des montagnes ciliciennes, étaient tous des réfugiés musulmans d'Europe, venant des vilayets de Roumélie, cédés par les Turcs, en 1913, après la guerre des Balkans. Us avaient été à la charge du Gouvernement depuis deux ans et, pendant tout ce temps, ils avaient campé en Thrace ou le long du littoral de la Mer Egée. Mais maintenant ils avaient été transportés de ces frontières occidentales de l'Empire à l'autre extrémité du chemin de fer d'Anatolie et, le 8 avril 1915, ils se trouvaient tout préparés à occuper les foyers des Arméniens de Cilicie, aussitôt que leurs propriétaires seraient mis sur la route d'exil. C'est là une preuve évidente qu'en tous cas, en Cilicie, la déportation n'a pas été seulement systématiquement élaborée, mais projetée longtemps d'avance.

Sa mise à exécution commença à Zeïtoun en avril, et elle fut étendue à tous les villages des montagnes, dans le courant de mois de mai et de juin. D'autre part, les déportations dans les villes de la plaine et du littoral n'atteignirent toute leur rigueur que dans la première semaine de septembre, ce qui équivaut à un aveu tacite que les griefs officiels de perfidie des Arméniens ou de nécessités stratégiques, n'étaient que des prétextes qui n'étaient pas même pris au sérieux par ceux qui les avançaient.

Les Zeïtounlis furent déportés dans deux directions, une moitié vers Sultanieh, dans le désert d'Anatolie (Voir doc. 54 et 55), et l'autre au Sandjak Mésopotamien de Deïr-el-Zor (Voir doc. 70). Les déportés de Sultanieh furent, dans la suite, déplacés à Deïr-el-Zor, pour y rejoindre les autres, et les derniers convois paraissent avoir pris la route du Sud-Ouest. La déportation fut conduite par la gendarmerie avec la même brutalité qu'ailleurs, mais la contrée cilicienne est exempte de nomades kurdes, de sorte qu'il y eut ici moins de massacres généraux en cours de route. Dans la dernière étape de leur voyage à Zor, les déportés furent harcelés par les nomades arabes de la Steppe, mais ceux-ci sont d'une race moins dure que leurs voisins kurdes. La raison principale des rigueurs moindres subies par la Cilicie est dans sa situation géographique. La distance que les déportés avaient à parcourir était relativement courte, et ils ne commencèrent à mourir en grand nombre qu'après avoir atteint leur destination.

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DOCUMENT 50

Cilicie. Lettre (avec annexe) datée du 3 juillet 1915, de la colonie arménienne d'Egypte, adressée à son Excellence le lieutenant général Sir J. G. Maxwell, commandant en chef de l'armée de sa Majesté britannique en Egypte.

DOCUMENT 51

Cilicie. - Lettre datée du 20 juin 1915 du Dr. L. {Shepard} résident étranger en Turquie. Communiquée par le Comité Américain de Secours aux Arméniens et aux Syriens.

DOCUMENT 52

BM. {Marach} - Lettre d'un témoin oculaire étranger, datée du 6 juillet 1915, à bord d'un paquebot, communiqué par le Comité Américain de Secours aux Arméniens et aux Syriens.

DOCUMENT 53

Zeïtoun. - Les antécédents des déportations rapportés par le révérend Stephen Trowbridge, secrétaire du Comité du Caire de la Croix-Rouge américaine, d'après un témoignage oral du révérend Dikran Andréassian, pasteur de l'église protestante arménienne de Zeïtoun.

DOCUMENT 54

Exilés de Zéïtoun; journal d'un résident étranger de la ville de B. {Tarsous} dans la plaine de la Cilicie. Communiqué par un Suisse de Genève.

DOCUMENT 55

Les exilés de Zeïtoun. - Lettre datée de Koniah 17 juillet 1915. D'un résident étranger de Koniah à Mr. N. {Peet} à Constantinople, communiqué par le Comité Américain de Secours aux Arméniens et aux Syriens.

DOCUMENT 56

AF. {Hadjine} récit daté du 16 décembre 1915 d'un résident étranger de AF. {Hadjine} communiqué par le Comité Américain de Secours aux Arméniens et aux Syriens.

DOCUMENT 57

Adana. - Rapport daté du 3 décembre 1915 d'un résident étranger D'adana. Communiqué par le Comité Américain de Secours aux Arméniens et aux Syriens.

DOCUMENT 58

Adana. - Récit daté du 9 mai 1916, de Miss Y. {H. E. Wallis}, une étrangère qui habitait à Adana, relatif à ses observations de septembre 1914 à septembre 1915.