Lettre de M. H. A. L. Fischer,

VICE-CHANCELIER DE L'UNIVERSITé DE SHEFFIELD,
AU VICOMTE BRYCE

L'Université,
Sheffield.

2 août 1916 .

Mon cher Lord BRYCE,

Les témoignages recueillis ici relatifs aux souffrances des sujets arméniens de l'Empire Ottoman, au cours de la guerre actuelle, convaincront partout et toujours tout enquêteur honnête qui en fera l'étude. Ils portent en eux-mêmes toutes les marques de véracité. En premier lieu, les événements ont été rapportés peu après qu'ils s'étaient produits tandis qu'ils étaient encore frais dans la mémoire et que l'impression en était poignante. La plus grande partie de l'histoire repose donc sur la parole de témoins oculaires et le reste sur le témoignage de personnes qui étaient particulièrement à même d'être exactement renseignées. Il est vrai que quelques-uns des témoins sont des Arméniens, dont les témoignages, s'ils n'étaient pas confirmés de quelque autre source, pourraient être considérés comme étant exagérés ou dénaturés ; mais les témoignages arméniens ne sont pas les seuls. Ils sont corroborés par des rapports reçus d'Américains, de Danois, de Suisses, d'Allemands, d'Italiens et d'autres étrangers. De plus, ces témoignages d'étrangers viennent, pour la plupart, d'hommes et de femmes dont la situation leur donne droit d'être écoutés avec respect, c'est-à-dire de témoins qu'on peut considérer comme étant au-dessus du niveau moyen au point de vue de la réputation et de l'intelligence, et comme étant en situation de voir les événements qu'ils décrivent, avec tout le détachement que permet la sensibilité humaine. Les témoins étrangers qui se trouvèrent assister aux déportations, aux dispersions et aux massacres de la nation arménienne, ne m'apparaissent nullement, en vérité et en aucun cas, comme ayant été aveugles, ou comme ayant une haine aveugle contre le Turc. Ils s'empressèrent de faire connaître les faits qui sont à l'honneur de quelques membres isolés de la Communauté Musulmane.

Je suis aussi impressionné par l'effet cumulatif des témoignages. C'est toujours la même histoire, quel que soit celui qui la raconte et de quelque partie qu'elle provienne de la vaste étendue de la région à laquelle tous ces rapports se réfèrent. Il n'y a pas de différence ou de contradictions importantes, mais, tout au contraire, des pièces éparses sans nombre, qui se corroborent mutuellement. Il n'existe pas de contradiction sur ce fait principal que c'est à la suite d'ordres généraux envoyés de Constantinople, que la population arménienne a été déracinée de ses foyers, dispersée et exterminée pour une grande part, quoiqu'il ne soit pas possible d'en déterminer l'exacte proportion. Il est clair qu'une catastrophe conçue sur une vaste échelle, sans précédent dans l'histoire moderne, a été combinée pour les habitants arméniens de l'Empire ottoman. On constate que la responsabilité première incombe au Gouvernement Ottoman de Constantinople, dont la politique a été activement appuyée, dans les provinces, par les membres du Comité Union et Progrès. Et le fait que les représentations adressées à la Porte par l'Ambassadeur d'Autriche ont réussi à obtenir une mesure d'exemption partielle en faveur des Arméniens catholiques, nous amène à supposer que les horreurs sans nom décrites dans ce volume, auraient pu être sinon arrêtées, du moins atténuées si les deux Puissances qui avaient acquis une influence prédominante à Constantinople, avaient fait des remontrances actives et énergiques dès le premier jour. Les témoignages tendent au contraire à suggérer l'idée que ces deux puissances étaient en général favorables à la politique de déportation.

Sincèrement vôtre

Herbert FISHER.


Lettre du Professeur Gilbert Murray

REGIUS PROFESSOR DE GREC A L'UNIVERSITé D'OXFORD
AU VICOMTE BRYCE

82, Woodstock Road ,

Oxford.

27 Juin 1916 .

 

Cher Lord BRYCE,

J'ai consacré quelque temps à l'étude des documents que vous allez publier, relatifs aux déportations et massacres des Arméniens dans l'Empire Turc, pendant le printemps et l'été 1915. Je sais naturellement avec quel soin un historien doit scruter les témoignages se référant à des événements d'une nature si étonnante, qui se sont passés dans des régions si loin des regards de l'Europe civilisée. Je conçois qu'en des temps de persécution les passions soient exacerbées, que les races orientales ont une tendance à se servir d'un langage hyperbolique et qu'on ne peut pas s'attendre à ce que les victimes des oppressions parlent de leurs oppresseurs avec une stricte impartialité. Mais les preuves de ces lettres et de ces rapports peuvent affronter toute investigation et vaincre tout scepticisme. Leur véracité éclate et ne peut être mise en question, bien que vous ayez évidemment raison de ne pas publier quelques-uns des noms de personnes et de lieux. Les déclarations des réfugiés arméniens eux-mêmes sont entièrement confirmées par des résidents de nationalité américaine, scandinave et même allemande ; et l'accord non combiné entre un si grand nombre de témoins dignes de foi, venant de régions aussi éloignées les unes des autres, place les points capitaux de cette histoire au-dessus de tout doute possible.

Je suis,

Sincèrement vôtre

Gilbert MURRAY.

 


 

Lettre De Mr Moorfield Storey

EX-PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION DU BARREAU AMÉRICAIN
AU VICOMTE BRYCE

735, Exchange Building.
Boston U. S.

7 Août 1916.

 Cher Monsieur,

J'ai examiné des parties considérables du volume qui contient les récits concernant le traitement infligé aux Arméniens par les Turcs, afin de déterminer la valeur de ces récits en tant que preuves.

Je ne doute pas, bien qu'il puisse y avoir des inexactitudes de détails, que ces relations mettent hors de question les faits essentiels. On doit avoir présent à l'esprit que dans des cas pareils, des dépositions de témoins oculaires ne sont pas faciles à obtenir ; les victimes, à peu d'exception près, sont mortes ; les coupables n'avouent pas ; on ne peut pas atteindre les témoins occasionnels, et d'ailleurs dans la plupart des cas, ils ont peur de parler, ou ils ont des sympathies pour ce qui a été fait. Il n'existe pas de tribunaux devant lesquels les témoins peuvent être appelés pour les obliger à faire leur déposition ; une censure rigide, exercée par les autorités responsables des crimes, empêche la vérité de se faire librement jour ; et aucune investigation par des personnes impartiales n'est permise.

Les relations que vous imprimez sont les meilleures preuves qu'on puisse obtenir dans ces circonstances, elles proviennent de personnes dont la situation donne du poids à leurs paroles, ou d'autres qui ne peuvent avoir aucune raison de déguiser la vérité, et il serait impossible qu'un tel faisceau de témoignages concordants eût été fabriqué. De plus, ils sont confirmés par d'autres témoignages de source allemande, qui ont avec difficulté échappé à la censure rigide exercée par les autorités allemandes, une censure qui par elle-même est un aveu ; car les autorités allemandes n'auraient aucune raison de ne pas laisser librement passer de pareils témoignages, si elles ne se sentaient pas en quelque sorte responsables des faits qu'ils dévoilent.

Dans mon opinion, les témoignages que vous imprimez sont aussi dignes de confiance que ceux sur lesquels reposent notre foi en un grand nombre de faits historiques universellement admis, et je crois qu'ils établissent, sans laisser raisonnablement le moindre doute, le dessein délibérément arrêté par les autorités turques d'exterminer les Arméniens, ainsi que leurs responsabilités dans les hideuses atrocités qui ont été infligées à ce malheureux peuple.

Sincèrement vôtre,

Moorfield STOREY.

 

 

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