Informations concernant les événements d’Arménie publiées dans le « Sonnenaufgang » (organe de la « Ligue allemande pour le développement de Travaux charitables chrétiens en orient »), octobre 1915, et dans l’ « Allgemeine Missions Zeitschrift », novembre 1915.

 

Ce témoignage est particulièrement significatif, parce qu'il vient dune source allemande et que le censeur allemand fit un effort énergique pour le supprimer.

Le même numéro du «  Sonnenaufgang  » contient la note éditoriale suivante :

« Dans notre précédent numéro, nous publiâmes un récit d'une de nos sœurs (Schwester Möhrin), sur ses constatations pendant un voyage ; mais nous devons nous abstenir de donner au public les nouveaux détails qui nous parviennent en abondance. « Il nous en coûte d'agir ainsi, comme le comprendront nos amis, mais la situation politique de notre pays l'exige. »

Dans le cas de l' «  Allgemeine Missions-Zeitschrift » le censeur ne s'est pas contenté de faire pression sur L’éditeur. Le 10 novembre, il interdit la publication du présent article dans la presse allemande et fit de son mieux pour supprimer tous les numéros du Magazine. Toutefois quelques copies des deux publications parvinrent à passer à travers la frontière.

Les deux articles compromettants proviennent d'une même source, mais les extraits qu'ils en tirent ne sont pas tout à fait identiques, de sorte qu'en les joignant ensemble, une version plus complète peut être obtenue.

Dans le texte ci-après, les paragraphes entre parenthèses sont ceux qui se trouvent en même temps dans le « Sonnenaufgang » et dans l’ « Allgemeine Missions-Zeitschrift, » tandis que les paragraphes compris dans un signe angulaire < >, se trouvent seulement dans le «  Sonnenaufgang » et ceux compris dans les crochets ci-indiqué [] se trouvent seulement dans l’ «  Allgemeine Missions- Zeitschrift ».

Entre le 10 et le 30 mai, 1.200 notables arméniens et autres chrétiens, sans distinction de confessions, furent arrêtés dans le vilayet de Diarbékir et Mamouret-ul-Aziz.

< On prétend qu'ils devaient être emmenés à Mossoul, mais on n'a plus entendu parler d'eux. >

[Le 30 mai, 674 d'entr'eux furent embarqués dans treize barques, sur le Tigre, sous prétexte qu'ils devaient être emmenés à Mossoul. L’aide de camp du vali, aidé de 50 gendarmes, fut chargé du convoi. La moitié des gendarmes monta sur des barques, cependant quel l’autre moitié suivait sur des montures le long de la rive.

Peu de temps après le départ, les prisonniers furent dépouillés de tout leur argent (environ 6.000 livres turques), puis de leurs vêtements. Après quoi ils furent jetés dans le fleuve. Les gendarmes, sur les rives, avaient reçu l'ordre de n'en pas laisser échapper un seul. Les vêtements de ces victimes furent vendus au marché de Diarbékir.]

< A peu près à cette même époque, 700 jeunes Arméniens furent enrôlés, puis employés à construire la route de Kara-Baghtché-Habachi. On est également sans nouvelles de ces 700 hommes.

On dit qu'un jour à Diarbékir, cinq ou six prêtres furent complètement dépouillés de leurs vêtements et leurs corps enduits de goudron, ils furent traînés à travers les rues. >

Dans le villayet d'Alep, furent expulsés les habitants de Hadjine, Char, Elbistan, Gueuksou, Tacholouk, Zeïtoun, de tous les villages de Alabach, Guében, Chivildji, Fournouz et des villages avoisinants, Foundadjik, Hassan-Beyli, Harni, Lappachli, Deurt-Yol et autres.

[Ils furent mis en marche en divers convois, à travers le désert, sous prétexte de les y installer. Dans le village de Tel Ermen (le long du chemin de fer de Bagdad, près de Mossoul) et dans les villages avoisinants, environ 5.000 personnes furent massacrées, ne laissant que quelques femmes et enfants.

Les victimes étaient jetées vivantes dans des puits, ou dans le feu. Ils prétendent que les Arméniens doivent être employés à coloniser des terres situées à une distance variant de 34 à 30 kilomètres du chemin de fer de Bagdad. Mais comme ce ne sont que les femmes et les enfants qui sont emmenés en exil, puisque tous les hommes, à l'exception de ceux qui sont très âgés, sont à la guerre, cela ne revient à rien moins qu'à une tuerie en bloc de familles, puisqu'elles n'ont ni les instruments, ni le capital nécessaires pour défricher la contrée].

Un allemand rencontra un soldat chrétien de sa connaissance, qui avait obtenu un congé de Jérusalem. L'homme courait le long des rives de l'Euphrate, cherchant sa femme et ses enfants, qu'on supposait avoir été transférés dans ces parages. On rencontre souvent de tels malheureux à Alep, parce qu'ils espèrent apprendre quelque chose de plus précis sur les lieux où se trouvent leurs parents. Lorsqu'un membre d'une famille a été absent quelque temps, il arrive souvent qu'il trouve, à son retour, toute sa famille disparue, chassée de sa demeure.

[Pendant tout un mois, on vit des corps charriés par l'Euphrate presque tous les jours, et souvent a à 6 corps liés ensemble. Souvent les corps des hommes sont hideusement mutilés (les organes sexuels coupés, ou d'autres mutilations de ce genre). Les corps des femmes sont éventrés. L'autorité militaire turque, chargée de la surveillance de l'Euphrate, le Kaïmakam de Djéraboulos refuse d'enterrer ces corps, sous prétexte qu'il est impossible d'établir s'ils appartiennent à des Musulmans ou à des chrétiens. Il ajoute que personne ne lui a donné des ordres à ce sujet. Les corps échoués sur les rives sont dévorés par les chiens et les vautours. Il y a beaucoup d'allemands qui ont été témoins oculaires de ces faits. Un employé du chemin de Bagdad a rapporté que les prisons de Birédjik sont remplies régulièrement tous les jours, puis vidées chaque nuit dans l'Euphrate. Un capitaine de cavalerie allemand, vit d'innombrables corps gisant le long de la route entre Diarbékir et Ourfa].

< Le télégramme suivant fut envoyé d'Arabkir à Alep : « Nous avons accepté la vraie religion. Maintenant nous sommes en règle ».

Les habitants d'un village près d'Andérin se convertirent à l'islamisme,

et furent forcés de persister dans leur conversion.

A Hadjine, six familles demandaient à devenir musulmanes. Elles reçurent la réponse suivante : « Nous n'acceptons aucune conversion à moins d'un minimum de cent familles. »

Alep et Ourfa sont les lieux de concentration des convois d'exilés.

Il y en avait environ 5.000 à Alep en juin et juillet ; et pendant toute la période d'avril à juillet bien plus de 50.000 doivent avoir passé à travers la ville. Presque toutes les jeunes filles sans exception étaient enlevées par les soldats et les rôdeurs arabes qui suivaient. Un père, au paroxysme du désespoir, me supplia d'emmener au moins avec moi sa fille, âgée de quinze ans, car il ne pouvait plus parvenir à la protéger contre les persécutions qu'on lui infligeait. Les enfants que les Arméniens ont dû abandonner en route ne se comptent plus.

Les femmes prises des douleurs d'accouchements étaient obligées de poursuivre leur chemin sans répit. Une femme accoucha de deux jumeaux dans le voisinage d'Aïntab ; mais le matin suivant elle fut obligée de poursuivre son chemin. Elle dut bientôt abandonner ses enfants sous un buisson, et peu après elle s'affaissa elle-même. Une autre qui fut prise de douleurs en route, fut obligée de se remettre en marche aussitôt et tomba morte presque immédiatement après. Il y eut plusieurs incidents semblables entre Marach et Alep1.

Les villageois de Char furent autorisés à emporter avec eux leurs articles de ménage. Soudain!, en route, on leur dit : «  Un ordre nous est venu d'abandonner la grande route, et de passer à travers les montagnes ». On dut abandonner en chemin chariots, boeufs et tons les bagages, puis ils poursuivirent leur route à pied, à travers les montagnes. La chaleur cette année a été extrêmement forte et un grand nombre de femmes et d'enfants ont succombé, même dès les premières étapes de leur voyage.

Il y a environ. 30.000 exilés, dont nous n'avons aucune nouvelle, car ils ne sont parvenus ni à Alep, ni à Ourfa. >

suite

1) « Nous venons de recueillir 15 nouveaux-nés, 3 sont déjà morts. Ils étaient terriblement maigres et souffreteux lorsque nous les trouvâmes. Ah ! si nous pouvions seulement écrire tout ce que nous voyons ! » (Extrait d'une lettre datée de Marach le 4 juin 1915 et publier dans 1e « Sonnenaufgang » septembre 1915).