AE. {Mersine} ville située sur la ligne du chemin de fer : série de rapports d'un résident étranger {Consul américain Edward i. Nathan} à AE. {Mersine} communiquée par un Comité Américain de Secours aux Arméniens et aux Syriens.

(a)Sans date.

Il y a deux jours, on reçut l'ordre ici de déporter toute la population arménienne de {Mersine}, s'élevant à 1.800 âmes. Hier près de 300 personnes furent envoyées à... et aujourd'hui l'ordre fut donné à beaucoup d'autres de se tenir prêtes à partir. En prévision de la déportation, les Arméniens vendent tous leurs biens qui ne peuvent être transportés, pour un morceau de pain. Des machines à coudre sont vendues pour un medjidié et demi, des lits en fer pour quelques piastres et ainsi de suite. Le gouvernement n'autorise chaque personne à emporter avec elle que quelques pièces d'argent pour les vivres et à ne transporter que peu de bagages. La destination actuelle des déportés est.... En dehors de leur détresse et de leur misère la terreur de ces déportés est indescriptible. Les nouvelles du massacre de milliers d'Arméniens à l'intérieur nous parviennent maintenant ici. Quelques-unes paraissent bien fondées, mais je suppose que vous avez été complètement informé par les nouvelles qui sont parvenues des régions de ....

(b) Rapport du 11 septembre 1915.

Des milliers d'Arméniens venant du nord, sont encore arrivés ici et ont été transportés dans la région d'Alep ; 6.000 ont été déportés de la ville d'Adana, sans en excepter les catholiques et les protestants pour lesquels on avait soi-disant fait exception. L'encombrement des déportés aux différentes stations en route leur causa de terribles souffrances. Les autorités ne semblent plus disposées à accorder des exemptions en faveur des professeurs et des élèves des Ecoles Américaines, et en dépit de toutes les interventions, le collège de St. Paul à Tarsous a eu à en souffrir.

(c) Rapport daté du 22 septembre 1915

Ce rapport commence par mentionner la crainte qui règne parmi les Autorités Ottomanes à {Mersine}, d'un débarquement que les alliés étaient sur le point d’y faire. Puis le rapport continue comme suit :

Un des premiers résultats de cette crainte fut naturellement une hâte fébrile pour achever la déportation des Arméniens d'Adana.

Le nombre des Arméniens expulsés de cette ville s'élève à présent à environ 25.000, et ceci en plus des milliers venus du nord qui traversent cette ville. La misère, les souffrances et les privations endurées par les déportés est indescriptible. Les morts sont innombrables. Des centaines d'enfants sont continuellement abandonnés par leurs parents qui ne peuvent supporter de les voir souffrir et n'ont pas la force de veiller sur eux. Beaucoup sont abandonnés sur le bord des routes et l'on cite des cas où ils ont été jetés par les fenêtres des wagons. Les mesquines cruautés de la police et des fonctionnaires augmentent encore la détresse de ces déportés. La situation des déportés dans ce voisinage serait passable en comparaison de la situation de ceux entre Osmanié et Alep, où l'encombrement des déportés et le manque de communications rendent impossible la tâche du ravitaillement et du transport. Les Arméniens protestants et catholiques continuent à être déportés et on applique les mêmes mesures aux villes, comme à Hadjine, par exemple.

(d) Mémorandum daté du 27 septembre 1915.

Ci-après je soumets les détails suivants pour compléter mes différents rapports concernant la déportation des Arméniens et les circonstances qui ont été cause des souffrances et de la mort de ces déportés :

I° le manque de facilités de transport est le facteur le plus important de ces souffrances. Les grandes distances dépourvues de chemins de fer entre Tarsous et Bozanti au nord, et Osmanié et Radjou (près d'Alep), au sud, et le manque de chars et de voitures oblige beaucoup de déportés à faire le chemin à pied. Les chariots qui sont d'un modèle tout à fait primitif, sont chargés d'ordinaire avec des effets des déportés sur lesquels ceux-ci doivent trouver une place pour eux-mêmes. Seuls les riches peuvent se payer le luxe d'une voiture, qui coûte de 6 livres à 20 livres sterlings pour un parcours de 2 à 4 jours. En plus de la location des véhicules les gendarmes et les conducteurs obligent souvent les déportés à leur donner de l'argent sous peine de descendre et de continuer la route à pied. Quoique généralement le gouvernement fournisse les chariots, ceux-ci sont loin d'être en nombre suffisant et dans la plupart des cas, les transports par chemins de fer ont dû être payés par les déportés eux-mêmes. La section locale du chemin de fer de Bagdad fut néanmoins d'une grande utilité pour le transport des exilés, mais malheureusement il a dû dans la suite être réquisitionné pour les transports militaires et les Arméniens ont dû. avoir recours à d'autres moyens ou faire le chemin à pied.

2° Quoique précédemment les cas de violences sur les Arméniens fussent rares dans ce district, dans ces derniers temps il y a eu des cas flagrants de vols en route et l'on rapporte, ce qui paraît être bien fondé, que les viols des femmes et de jeunes filles sont nombreux. Les conversions forcées qui ne se produisaient autrefois qu'à l'intérieur se produisent maintenant ici. Ainsi à Adana, les nombreuses orphelines arméniennes dont les parents avaient été massacrés en 1909, furent obligées de partir ou de se faire musulmanes. Un petit nombre d’entre elles eut le courage de partir et se trouva sans abri ni refuge. J'avais conseillé aux missionnaires américains de ne pas prendre un trop grand nombre d’Arméniennes du dehors dans leurs établissements, pour ne pas mettre en danger leurs propres élèves. Miss K. obtint toutefois le consentement des autorités de placer ces jeunes filles dans les maisons privées qu'elle trouva pour elles, après bien des difficultés. Les efforts de la mission Allemande à Harounia pour aider les jeunes filles arméniennes, doivent être loués, et l'on doit citer aussi l'attitude bienveillante de Son Excellence le Gouverneur Général à l'égard des écoles de jeunes filles, en gardant l'espoir que ces bonnes dispositions continueront.

3° Aucun essai n'a été récemment tenté dans le but de solutionner de façon adéquate le problème du ravitaillement des déportés arméniens. Cela est vrai aussi bien pour les stations situées le long de la route do déportation, que des grandes villes. Ainsi à Osmanié, où pendant les dernières semaines il s'est toujours trouvé de 40 à 60.000 personnes, les vivres étaient à peine suffisants pour le tiers de ce nombre ; en sorte que les déportés sont tous soumis à une ration insuffisante, ou n'ont rien à manger. Il en est résulté une épidémie et de nombreuses morts qu'on nous signale. C'est ce qui oblige les mères à abandonner leurs enfants, qu'elles ne peuvent voir souffrir ou qu'elles sont trop faibles pour les porter en route.

En dehors de la détresse générale des déportés, l'effet des mesures de déportations se fait de plus en plus sentir sur la situation économique de cette province. La grande majorité des magasins et des bazars sont fermés et il est difficile de se procurer ce dont on a besoin chaque jour. La plupart des marchandises appartenant aux négociants arméniens se trouvent dans les magasins sous scellés. Les créditeurs des marchands arméniens purent dans la plupart des cas se rembourser de leurs avances, en prenant des marchandises en payement. Comme la plus grande partie de tout le commerce de ce district était dans les mains des Arméniens, la conséquence de la déportation n'apparaît que trop pour l'avenir de la province d'Adana.

(e) Rapport daté du 30 octobre 1915.

Le courant des déportés arméniens venant du nord continue sans se ralentir. Les convois récemment arrivés étaient dans un état pitoyable, et le manque de vivres et de vêtements leur cause des souffrances indescriptibles. La police et les autres fonctionnaires aussi interdisent qu'on leur donne des secours, en sorte qu'une mort lente sera le sort final du plus grand nombre.

Trois membres féroces du Comité Union et Progrès d'Adana furent expulsés de cette ville à cause de la façon dont ils chassaient comme des chiens les Arméniens. On assure qu'ils projetaient même d'incendier les édifices et les maisons des Arméniens, et d'après d'autres bruits. Ils avaient même l'intention de détruire la Mission Américaine. A la requête des missionnaires, j'attirai l'attention des autorités sur cette question.

La façon dont on applique la nouvelle loi concernant les propriétés et les biens des déportés, ne laissera rien, j'en ai peur, aux Arméniens. Les mouhadjirs et les fonctionnaires, etc.. s'installent dans leurs maisons, et les louent à des prix ridiculement bas. Les commissions désignées à cet effet, prennent possession des biens des marchands déportés, et l'on rapporte des abus de toutes sortes. Le Président de la Commission Ali Seidi Bey fut récemment révoqué, d'aucuns disent parce qu'ils s'opposaient à la façon dont on appliquait ces mesures.

Le baron Oppenheim, qui était avec Djemal Pacha, passa par ici récemment, en se rendant à Constantinople. On a créé à {Mersine} et à Adana des salons de lectures allemandes, où l'on trouve des brochures de toutes sortes en faveur de la cause allemande, et que l'on distribue au public. Le baron en est le principal organisateur. L'école allemande à Adana fut rouverte récemment avec un grand éclat. Les relations personnelles entre les missionnaires américains et leurs collègues allemands dans cette province sont des plus cordiales.

(f) Rapport daté du 4 novembre 1915.

Les déportés arméniens venant d'Anatolie et de Syrie continuent à affluer. En énumérant les différents éléments de détresse qui accompagnent ce mouvement, j'ai peut-être oublié de mentionner les conditions de terrible insalubrité des enviions des camps ou des stations près de Tarsous et Osmanié. Cela résulte en partie de l'encombrement dans lequel ils se trouvent, mais surtout de l'enfouissement incomplet des cadavres des victimes de la famine et des maladies. Le pourcentage de la mortalité parmi les déportés augmente tous les jours, et lorsque les pluies tomberont la moisson sera effroyable. Le problème de l'alimentation complètement négligé deviendra pire dans l'avenir, car môme la population régulière commence à souffrir du manque de blé. La récolte cette année n'est que la moitié do la normale et l'on a fait d'énormes envois à Constantinople pour l'armée...

(g) Rapport daté du 6 novembre 1915.

Un ordre a été reçu des autorités pour ne plus faire de nouvelles déportations d'Arméniens. Cet ordre toutefois ne concerne que les quelques milliers d'habitants des villes de {Mersine} de B. et d'Adana qui ont échappé à la déportation jusqu'à présent. D'autre part, les milliers de déportés dans le camp de B., reçurent l'ordre de partir pour faire place à d'autres venant du nord. Un important commissaire impérial est aussi arrivé pour s'informer des abus des fonctionnaires locaux, en ce qui concerne la prise de possession des biens personnels des Arméniens déportés.

Son Excellence Von der Goltz Pacha est arrivé à B. aujourd'hui, se rendant à Alep, où il doit établir son quartier général d'après des rapports dignes de foi.

 

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