X. {Mersivan} — Témoignage d'une étrangère miss AA. {Miss Gage} voyageant en Turquie, communiqué par le Comité Américain de Secours aux Arméniens et aux Syriens.

Les dissentiments entre Arméniens et Turcs existent de longue date. De tous les peuples conquis par les Turcs, la nation arménienne est la seule qui n'ait pas répondu à l'attente du gouvernement turc et qui n'ait pas consenti à répudier sa religion pour embrasser l'islamisme. Lorsque après de nombreuses luttes entre les deux nations, leurs rapports devinrent meilleurs une grande liberté religieuse fut accordée aux Arméniens, mais cette liberté n'alla pas sans bien des mesures oppressives. A travers les siècles, l'Arménien a toujours été exempté du service militaire, mais par contre, chaque Arménien était tenu de payer une légère taxe de capitation. Cette exemption du service militaire leur donna des facilités pour se livrer au commerce.

C'est une nation de grands commerçants. Ils voyagent facilement et sont habiles à toutes les opérations financières. Il en résulta que lorsque les jeunes gens turcs revenaient de leur service militaire ils trouvaient, dans toutes les grandes villes, que les jeunes Arméniens, saisissant toutes les occasions avaient tout le commerce en main. Les soldats se sont toujours figurés être en droit de piller des malheureux et c'est ce qu'ils ont fait systématiquement pendant des siècles.

Lorsque le «Huriet»1 fut proclamé, le service militaire qui jusque là avait été le privilège des seuls Turcs, fut étendu aux Arméniens, et on annonça dans de nombreuses réunions publiques que dorénavant la fraternité entre Arméniens et Turcs serait complète.

Les Arméniens, avant cette époque, n'étaient pas autorisés à porter des armes, mais le Comité Union et Progrès, leur conseilla d'en porter, comme le faisaient les Turcs depuis bien des années. Il y avait parmi les Arméniens ce qu'on appelait des « Sociétés Nationales », ces Sociétés ont eu un caractère plus ou moins Nihiliste et révolutionnaire, mais elles avaient été aussi d'une grande utilité en favorisant le progrès et l'éducation du peuple arménien, et depuis le « Huriet » leur propagande révolutionnaire a été très diminuée. Mais, c'est par l'entremise de ces sociétés, que les armes étaient distribuées aux hommes, qui avaient les moyens de les acheter. Le gouvernement Turc prétendait que ces sociétés recelaient aussi dans différentes villes des bombes et des armes en réserve, destinées à être employées contre le gouvernement Turc, lorsque l'occasion se présenterait.

On a trouvé ainsi des bombes dans beaucoup de villes. Il est trèsdifficile d'obtenir en Turquie des preuves pour des assertions enmatière politique quels que soient les partis qui les avancent; mais il est vrai que ces sociétés révolutionnaires avaient caché des bombes dans certains centres, pour servir à la défense des Arméniens. Je ne sais s'ils avaient aussi le projet de se révolter, mais si tel avait été leur projet les moyens qu'ils auraient réunis étaient absolument insuffisants.

L'histoire des Arméniens de Turquie n'a pas seulement consisté à subir de grandes crises financières; les Turcs ont organisé contre eux périodiquement, à des intervalles de 20 ans, de plus ou moins grands massacres.

Aux villes frontières leurs filles ont été enlevées, leurs troupeaux sont été à la merci des Kurdes ; n'importe quel Cheikh puissant pouvait selon son bon plaisir les déposséder de leurs maisons, jamais il ne leur a été permis de demander justice devant les tribunaux.

Avec ce passé derrière eux, il n'est pas étonnant qu'ils n'aient pas cru aux promesses de fraternité du Comité Union et Progrès, et l'on peut facilement s'expliquer qu'ils aient caché des armes dans le but de se défendre contre une attaque turque en cas de massacres.

Lorsque la Turquie entra dans cette guerre, les Arméniens étaient enrôlés avec les Turcs, mais un grand nombre d'entr'eux avaient assez d'argent pour se faire exempter du service militaire, moyennant le versement d'une somme de 40 L. A X. sur les 5.000 soldats qui partirent, 4.000 étaient Turcs et 1.000 Arméniens, cependant que la proportion, entre Arméniens et Turcs de la population de cette ville, est à peu près égale. Cela signifiait donc qu'il était resté dans la ville plus d'Arméniens que de Turcs. Les Turcs prétendirent qu'il y avait là une menace pour la sécurité de la ville et du pays ; et ils commencèrent à opprimer les Arméniens en leur réquisitionnant de grandes quantités de vivres et de draps pour l'habillement de l'Armée. Leurs magasins furent littéralement vidés de tout ce qui pouvait servir à l'armée. On prenait tous les chevaux, les chars, les ânes, sans rien payer ; on leur remettait un bon avec la promesse de payement, mais qui pour tout le monde n'avait aucune valeur. Environ huit mois après le commencement de la guerre, les Arméniens furent prévenus qu'ils devaient livrer leurs armes. On allégua comme raison, pour justifier cette mesure, qu'il restait dans le pays beaucoup plus d'Arméniens que de Turcs, et que les Arméniens avaient la réputation d'être révolutionnaires. Le gouvernement prenait ces mesures d'avance, n'étant pas à même de réprimer une révolution. Précédemment, avant chaque massacre, on avait retiré leurs armes aux Arméniens, de sorte que lorsque cet ordre vint, cette fois, une grande frayeur s'empara de la population. Le gouvernement promit publiquement et de façon privée, qu'aucun mal ne serait fait aux Arméniens et qu'il ne s'agissait que d'une mesure de guerre, et de la protection légitime de la nation. Toutefois les Arméniens livrèrent leurs armes, mais très à contre-cœur et sans empressement.

Mais tout a coup une nuit, environ 20 hommes furent arrêtés et envoyés, après un an deux jours d'emprisonnement à Z, résidence du Vali de la province. Ceci, fut immédiatement suivi de l'emprisonnement, d'autres chefs arméniens de la ville. Ces hommes furent cruellement torturés. Pendant ce temps, les mêmes faits se reproduisaient dans d'autres villes. Je vis quelques-uns de ces hommes qui avaient été relâchés après avoir été épuisés par la torture. Ils avaient été jetés dans un donjon où on les avaient gardés sans nourriture, puis on les avaient battus et soumis à la bastonnade ; et sur leurs chairs déchirées on versait de l'eau chaude, et on les battait à nouveau.

Tout cela, pour les obliger à révéler les endroits où ils avaient caché les armes. Lorsqu'ils refusaient de le dire on les faisait s'agenouiller pieds et poings liés ensemble ; on emplissait leur bouche de fumier et on les couvrait de toutes sortes d'ordures. Quelques-uns mouraient ainsi, d'autres devinrent fous ; on leur arrachait les yeux et les ongles. On en relâcha quelques-uns, soit qu'ils eussent confessé ou non quelque chose qui donnait satisfaction au gouvernement; mais beaucoup d'autres disparurent entièrement. On continua cette sorte d'inquisition jusqu'à la fin de juin.

Quelques bombes furent trouvées dans un champ, mais on prétendit qu'elles avaient été cachées dans des maisons de la ville, et qu'ensuite on les avait transférées dans ces champs de peur qu'on les découvrît; c'est ainsi que le gouvernement les avait trouvées dans les champs.

Les missionnaires demandèrent au gouvernement la permission de former un comité des différentes communautés arméniennes — catholique, grégorienne et protestante — pour rechercher les armes. Le gouvernement autorisa la formation de ce comité et promit de nouveau qu'aucun mal ne serait fait aux Arméniens s'ils consentaient à livrer leurs armes. Le gouvernement indiqua au comité le nombre de fusils qui devait lui être livré de la ville et prétendit savoir ceux qui en possédaient le plus grand nombre. Des représentants du comité parlèrent au peuple dans les Eglises, et lui promirent que s'il leur livrait ses armes, les noms ne seraient pas dévoilés au gouvernement. Le nombre de fusils demandé fut vite rassemblé mais presqu'aussitôt après, l'ordre de déportation fut donné.

D'abord les hommes furent enlevés de leurs maisons pendant la nuit et emprisonnés dans les casernes vides. Environ 400 hommes furent emmenés la première fois. Le matin suivant, on avertit leurs familles que ces hommes devaient être déportés, et que si elles le désiraient elles étaient autorisées à leur fournir des vêtements et des vivres. Ainsi les femmes rassemblèrent des provisions et les apportèrent à leurs maris, espérant pourvoir à leurs besoins pour un long voyage.

Elles vendirent tout ce qu'elles purent et donnèrent de l'argent aux hommes. Quelques jours après, ceux-ci furent emmenés. On les emmena de nuit, attachés par 4, environ 50, par nuit. Et les casernes se remplissaient continuellement à nouveau par de nouveaux déportés de la ville. Je ne sais pas ce qu'il advint de ces hommes, mais je sais bien qu'à une distance de 6 heures de la ville, il y a de longs fossés et des puits profonds remplis de cadavres d'Arméniens. Leurs vêtements leur avaient été enlevés, ainsi que les vivres et tout l'argent que leurs femmes avaient préparé avec tout leur cœur, pour le leur remettre.

Des officiers du gouvernement ont dit à nos amis que le chiffre officiel du nombre d'hommes tues à X... s'élève à plus de 1.300. En Turquie on aime à raconter des histoires et il se peut que celle-ci ne soit pas vraie

Le 4 juillet, l'ordre de déporter les femmes arriva. On avait espéré qu'elles seraient autorisées à rester. On annonça publiquement en même temps qu'on pouvait se sauver si on consentait à devenir musulmans. Un grand nombre, 1.000 familles dit-on, le demandèrent au gouvernement. Quelques-unes seulement de ces pétitions furent acceptées. Le reste des femmes et des enfants fut rapidement emmené.

Des chars à bœufs et parfois des chariots furent fournis par le gouvernement, mais les exilés devaient payer leur location, ou faire la route à pied. Quelques personnes purent se procurer des ânes, mais évidemment les pauvres partirent à pied. Il était difficile de se procurer des chariots et des voitures, en sorte que les exilés ne partaient pas tous en même temps. Le gouvernement dressa un inventaire des maisons de ceux qui devaient partir dans chaque convoi, et leur en donna avis deux ou trois jours avant le départ. On les emmenait parfois, par convoi de trois à quatre cents, à un monastère, qui se trouvait à une heure de la ville; on les emprisonnait là où les Turcs, hommes et femmes, se rendaient pour emmener chez eux dans leurs harems les femmes et les jeunes filles qui consentaient à devenir turques. C'était la seule façon pour elles de sauver leur vie, car on leur répétait à satiété que si elles n'étaient pas tuées par les gendarmes et les villageois sauvages, elles mourraient en chemin de privations

Les missionnaires à X. étaient autorisés à ramener dans leurs établissements les personnes qui appartenaient à leurs institutions, les familles des professeurs et les domestiques, et plusieurs jeunes filles qui avaient été élèves à leurs écoles. On se trouvait à l'époque des vacances, et quoiqu'une école d'été eût été ouverte pour les pensionnaires qui ne pouvaient retourner chez eux à cause de la guerre, la plupart des élèves qui se trouvaient dans leurs propres maisons, en ville, furent autorisées à se faire inscrire comme pensionnaires.

Le gouvernement déclara bientôt qu'elles devaient quitter l'établissement. Quelques professeurs furent arrêtés et emprisonnés, mais grâce à un arrangement pécuniaire avec le gouvernement, leurs amis arméniens purent les faire relâcher. On apprit bientôt que les Arméniens de la ville commençaient à offrir de grosses sommes d'argent pour obtenir protection et la permission de rester. Ces offres furent acceptées. Les femmes donnèrent leurs bijoux aux femmes des fonctionnaires du gouvernement, et obtinrent la promesse de ne pas être obligées de partir, quoique dans la plupart des cas elles furent forcées de devenir musulmanes. Les missionnaires essayèrent par tous les moyens possibles, d'amener le gouvernement à autoriser leurs gens, environ 350 en tout, à demeurer dans leurs Etablissements. L'Ambassade Américaine de Constantinople obtint la permission des Ministères de la Guerre et de l'Intérieur de protéger ces personnes; mais ces autorisations ne furent pas reconnues par les fonctionnaires locaux, et le 10 août, les professeurs et les domestiques furent emmenés sur des chars à bœufs — environ 173 personnes en tout. Les infirmières de l'hôpital et des malades les plus gravement atteints, ainsi que le personnel de l'école des jeunes filles, ne furent pas emmenés à cette époque, mais on les emmena après le 12 août. Les professeurs, les domestiques voyagèrent ensemble jusqu'à W., situé sur les montagnes, à une distance d'une semaine de marche en chars à bœufs. Arrivés là, les hommes furent attachés ensemble épaule contre épaule, 4 par 4, et emmenés. Leurs femmes continuèrent le chemin tristement seules. Lorsque ces femmes arrivèrent au haut de la passe de la montagne, à AZ., les Circassiens se ruèrent sur elles et leur volèrent leurs vêtements, leur literie, ainsi que tout leur argent.

Ces déportés et tous ceux partis de X. et de tout le vilayet de Z., voyagèrent vers l'est jusqu'au village de V. là on leur enleva tous les moyens de transports dont ils s'étaient servis jusqu' alors, et ils furent obligés de se mettre à la recherche d'autres véhicules. Les charretiers demandèrent des prix exorbitants. Ceux conduisant des chars à bœufs quadruplèrent leurs prix; et beaucoup de déportés ne trouvant rien furent forcés d'aller à pied. On les emmena de là vers l'est à Kirk-Gueuz, petit village situé à environ six heures de Malatia, sur les rives de l'Euphrate.

Arrivés là, on leur prit de nouveau leurs véhicules, et on les empêcha de traverser le fleuve à moins de payer de grosses sommes d'argent. Beaucoup, beaucoup d'entr'eux périrent là, et beaucoup dit-on furent jetés dans le fleuve. De là on les envoya vers le sud, à travers les montagnes du Taurus et des nouvelles parvinrent de quelques-uns de Souroudji et d'Alep...

 

(Une partie de ce document a été supprimée ici et se trouve imprimée séparément dans le document 40)

On dit généralement que le 29 août un ordre fut envoyé de Constantinople à tous les vilayets, pour arrêter toutes déportations ultérieures d Arméniens, mais les déportations ont cependant continué sans arrêt

Quatre semaines avant mon départ de X. des nouveaux mariés, avec leurs petits enfants, furent emmenés, ils s'étaient tous convertis à 1’islamisme. Un ordre particulier était parvenu non pas au gouverneur, mais à la police, prescrivant de déporter les femmes ayant des petits garçons même si celaient des enfants en bas-âge. Il y avait environ trois à quatre cents femmes dans cette situation dans la ville, pour lesquelles on avait réservé environ 60 chariots. Sans avertissement et sans que personne ait eu le temps de se préparer, les chars à bœufs qui devaient les emmener furent conduits à leurs portes, le matin. Elles n’avaient fait aucun préparatif et les femmes spécialement les belles-mères, (qui ont assez d'influence dans ce pays), en furent outrées. Elles allèrent trouver le gouverneur et lui dirent: « Voyez ! pour sauver notre vie, nous avons donné nos colliers de perles à votre femme ; nous avons payé cent livres pour être sauvées, nous nous sommes faites musulmanes. Nous avons vendu nos âmes et avons donné notre argent, et maintenant vous prenez nos vies. Nous ne partirons pas ». Une femme s'était dressée sur son char et récitait en criant toutes les prières musulmanes qu'elle avait apprises, pour prouver qu'elle était musulmane. C'était un moment de frénésie générale. Mais ils empoignèrent les femmes les attachant aux chars, dans plusieurs cas, et ils les emmenèrent au monastère arménien. Elles furent emprisonnées là, mais après avoir adressé de nombreuses pétitions, elles obtinrent finalement la permission d'envoyer une personne par famille à la ville pour rassembler des vivres et de l’argent pour le voyage. Elles vendirent leurs effets personnels et s’approvisionnèrent ainsi. Tout le convoi fut tué dans les montagnes sur le versant opposé de la ville. Leurs certificats de naissance furent trouvés, et on les enterra d'une façon si sommaire que les corps des petits enfants furent laissés à même sur le sol, et que des pieds et des mains sortaient des fossés. Des faits de ce genre se reproduisirent naturellement dans toutes les parties du pays, mais je ne décris que ceux dont je peux garantir l'authenticité.

On cite des exemples de bravoure admirable de la part des déportés. Dans Samsoun, un des protestants les plus en vue de l'endroit, ne fut pas autorisé à partir en même temps que le premier convoi. Le gouverneur vint à lui et lui dit : « Vous êtes un homme et un véritable homme : nous ne voulons pas vous perdre. Dites simplement que vous acceptez de vous faire Turc, et vous sauverez ainsi votre vie et celle de votre famille. » L homme répondit : « Mais je ne peux pas dire que je crois en quelque chose dont je ne suis pas convaincu. Je ne crois pas en la religion musulmane, vous devez me l'apprendre ». Il lui envoya des professeurs et de temps à autre un fonctionnaire venait lui demander : « Etes-vous convaincu à présent ? » Deux semaines se passèrent ainsi, et la patience des fonctionnaires fut lassée car l'homme répétait toujours : « Non, je ne vois pas ce que vous voyez et je ne peux accepter ce que je ne comprends pas ». Alors les chars à bœufs furent amenés à sa porte et emmenèrent sa famille. Sa femme était de nature délicate et ses deux jolies filles bien élevées. On leur offrit de les prendre dans des harems, mais elles répondirent : « Non, nous ne pouvons pas renier notre Seigneur. Nous partirons avec notre père ».

Toute la communauté protestante de cette ville partit ensemble, conduite bravement par le pasteur. Des nouvelles d'eux nous parvinrent de Char-Kichla, mais les hommes avaient été emmenés et les femmes avaient été volées complètement.

Dans un village de montagne, une jeune fille se rendit célèbre. Là comme partout ailleurs, les hommes furent emmenés de nuit et tués sans pitié. Puis, les femmes et les enfants furent emmenés en foule, mais un grand nombre de jeunes filles et de jeunes mariées furent retenues en arrière. Cette jeune fille qui avait été une élève dans l'école à X, fut envoyée devant le gouverneur, le juge et le conseil réunis, et ils lui dirent: « Votre père est mort, vos frères sont morts, et tous vos autres parents sont partis; mais nous vous avons gardée parce que nous ne voulons pas vous faire souffrir. Devenez une bonne fille turque et vous serez mariée à un officier turc avec lequel vous vivrez dans l'aisance et heureuse. » Elle les regarda tranquillement en face et répondit : « Mon père n'est pas mort, mes frères ne sont pas morts ; c'est vrai que vous les avez tués, mais ils vivent dans le ciel. Je vivrai avec eux. Je ne pourrai jamais faire cela si je renie ma foi. Quant à me marier, on m'a enseigné qu'une femme ne doit jamais épouser un homme à moins qu'elle ne l'aime. Ceci fait partie de notre religion. Comment puis-je aimer un homme qui appartient à une nation qui vient de tuer mes amis ? Je ne serais, si j'agissais ainsi, ni une bonne fille chrétienne, ni une bonne fille turque. Faites de moi ce que vous voudrez ». Ils l'envoyèrent avec les quelques autres braves, vers la terre sans espoir. Des cas comme celui-là ne sont pas isolés, il y en eut d'autres.

La population arménienne de Turquie était estimée entre un million et demi et deux millions et demi. La plupart des personnes qui connaissent ce pays, estiment qu'il ne reste guère plus à présent de 500.000 Arméniens. Toutefois cette estimation est peut-être trop faible, car il en reste des milliers dans les différentes villes qui sont devenus musulmans, mais ces conversions sont reconnues par les chrétiens et les musulmans, comme temporaires.

Il y en a beaucoup qui se cachent en particulier dans les villages grecs et dans les montagnes du district. Dans les années précédentes, après les massacres, on a vu des personnes sortir de cachettes inattendues, et je pense que le cas se produira de nouveau. Cependant ceux qui restent ont été dépouillés cette fois-ci de leurs biens, d'une façon beaucoup plus radicale et complète que dans les cas précédents. Les meilleures maisons sont immédiatement occupées par les fonctionnaires turcs. Les meubles ont été enlevés, pour être mis dans les maisons des officiers et dans les édifices du gouvernement. La façon dont on a disposé des autres biens varie d'une ville à l'autre.

A X... les plus beaux meubles sont transportés provisoirement dans les églises grégoriennes et sont mis à la disposition de la commission nommée par le gouvernement. Toutefois, presque tous les objets qui ont de la valeur, disparaissent graduellement. Les objets les plus communs sont entassés sur la place et vendus aux enchères pour un morceau de pain.

X. est une ville de tisserands et lorsque j'y arrivai tous les accessoires des métiers se trouvaient exposés sur la place publique, où In pluie et la boue les avaient détériorés.

Quoiqu'on puisse dire des intentions révolutionnaires du peuple arménien, un gouvernement n'extermine pas un peuple révolté, mais il lutte contre lui dans un juste combat. Et ceux d'entre nous qui ont aimé les Turcs et qui ont cru qu'à la fin ils se constitueraient en un gouvernement respecté souffrent plus de cette faillite, que des souffrances de leurs malheureux sujets.

suite

1) La révolution de 1908