Erzeroum. - résumé d'un rapport du Dr. Y. Minassian, qui accompagna Mr. Khounountz à Erzeroum, comme représentant de la section du Caucase de « l'union urbaine de tous les Russes » publié dans le journal arménien « Mschak » de Tiflis, le 8 mars 1916.

Le Dr. Minassian puisa ses informations aux sources suivantes : du Vice-Consul américain à Erzeroum, Mr. Stapleton et de Mrs Stapleton ; du Dr. Case de l' « American Mission Hospital » ; d'une dame arménienne instruite, — Zarouhi, — de Baïbourt, qui échappa au massacre par miracle ; d'un soldat arménien converti à l'islamisme ; d'un vieillard d'Erzeroum et de bien d'autres.

Avant l'entrée en guerre de la Turquie, les Jeunes Turcs se rendirent compte que la guerre entre eux et la Russie était inévitable, et c'est pourquoi ils essayèrent de gagner les Arméniens à leur cause, en leur promettant toutes sortes de privilèges.

Aussitôt que la guerre fut déclarée, ils confisquèrent tout ce qui se trouvait dans les magasins des Turcs, des Grecs, des Arméniens et des Syriens, sans distinction aucune de races ou de religions. Les Arméniens perdirent plus que les autres, car ils étaient les plus riches commerçants.

Les Turcs demandèrent aux Arméniens de se joindre à eux, mais ils refusèrent, disant que s'ils se battaient contre les Russes, ils mettraient en danger la vie de leurs frères qui se trouvaient au Caucase. Cet argument parut raisonnable aux autorités et, en apparence du moins, ils laissèrent les Arméniens tranquilles.

Les Arméniens remplirent fidèlement leurs devoirs civiques et ouvrirent un hôpital pour les blessés turcs ; plus tard, on les obligea à en ouvrir d'autres.

Tout alla bien jusqu'à la première défaite turque qui eut lieu à Keutag. C'est alors que les Turcs s'aperçurent que les volontaires arméniens se battaient du côté des Russes. Cette nouvelle fut répandue partout et excita les Turcs; mais aucune mesure ne fut prise avant qu'on eût appris que Garo Pasdermadjian, un membre du Parlement Ottoman, et un des députés d'Erzeroum, commandait un corps de volontaires dans l'armée russe. C'est à la suite de cela que le frère de M. Pasdermadjian fut assassiné. Et alors Djemal Effendi de Constantinople, avec un autre Turc, Saifoullah, incita le peuple à massacrer les Arméniens.

Le Gouverneur vit que l'agitation grandissait, et il réunit une Conférence de tous les notables Turcs. Cette réunion fut tenue à Pacha-Kiosk et Djemal et Saifoullah y prirent part. Ceux-ci voulaient un massacre immédiat, mais le Gouverneur leur demanda de se contenir jusqu'à ce qu'il pût communiquer avec Constantinople à ce sujet.

Après cela, les autorités désarmèrent et éloignèrent tous les soldats arméniens d'Erzeroum, pour les employer à des travaux de routes commes de simples manœuvres. Un certain nombre de riches Arméniens furent obligés de détruire la statue que l'on avait élevée à la mémoire du soldat russe martyr, en 1828, et de transporter les pierres de la statue à un autre endroit pour construire un Club pour les Jeunes Turcs II y en eut qui ne purent pas supporter ce travail pénible et ils n'obtinrent d'en être dispensés qu'en payant de grosses sommes.

On exigea alors des Arméniens riches de quitter leurs maisons et de les transformer en hôpitaux; ils s'y prêtèrent avec bonne volonté et se mirent à soigner des blessés.

Un ordre vint alors à quelques Arméniens d'abandonner leurs maisons et de partir ; mais ils supplièrent qu'on leur permît de rester et on les y autorisa, en payant 1.500 livres turques.

Une semaine après, tous les hommes riches et instruits furent emprisonnés ; beaucoup d'entr'eux périrent en prison à la suite de terribles tortures.

Il fut annoncé alors qu'ils seraient tous déportés. Lorsqu'on demandait au Gouverneur dans quel endroit ils seraient envoyés, il répondait : « dans un endroit sûr, où la populace ne pourra pas vous faire de mal. »

Les Arméniens empaquetèrent tous leurs objets de valeur et les laissèrent au Consulat américain, aux écoles de missionnaires et à 1’Eglise arménienne.

Pour empêcher toute possibilité de résistance, les villageois furent déportés d'abord vers Kémah, et lorsque les Arméniens d'Erzeroum les suivirent, ils aperçurent des monceaux de ruines, là où il y avait eu des villages prospères.

La déportation des Arméniens de Baïbourt fut plus terrible Ils furent tous emmenés par surprise, à minuit.

« Où nous emmenez-vous ? » demandèrent-ils. « A un endroit sûr », fut la réponse, « loin des Turcs, où la populace ne pourra pas vous massacrer. C'est le devoir du Gouvernement de protéger ses sujets Vous demeurerez là jusqu'à ce que la paix soit rétablie. »

Les Arméniens ajoutèrent foi à ces paroles et suivirent les Gendarmes sans résistance. Après qu'ils eurent voyagé pendant plusieurs milles, ils remarquèrent que l'attitude des gardiens changeait et qu'ils avaient été trompés. Peu après on leur demanda de payer 50 livres qu’ils payèrent. A la nuit tombante on leur demanda deux jeunes filles. Le jour suivant, on leur demanda 500 livres, qu'ils durent payer aussi. Cette nuit là, ils exigèrent cinq jeunes filles et les prirent. Puis tous les jours ils furent volés. Ils perdirent tous leurs objets de valeur et leurs provisions. Les villageois turcs s'emparèrent des jeunes filles et des garçons qui étaient les plus avenants.

Au moment d'arriver à Erzindjan, on leur enleva leurs vêtements extérieurs et on les laissa seulement avec ceux de dessous. Lorsqu'ils atteignirent Erzindjan, ils protestèrent auprès du Kaïmakam. Le Kaïmakam promit de les accompagner. Le lendemain, ils partirent pour Kémah.

Après qu'ils eurent parcouru quelques milles, ils furent attaqués de tous côtés par les Chettis. Les Arméniens essayèrent de retourner eu courant à Erzindjan, mais les gendarmes firent feu sur eux. Plusieurs d'entr'eux furent massacrés ainsi, et le restant fut emmené vers Kémah.

On découvrit que ces Chettis avaient été organisés par Djemal Effendi et c'était bien délibérément que tous les réfugiés avaient été dépouillés et laissés avec leurs sous-vêtements seulement, afin qu'aucun d'entr'eux ne put se sauver ou se cacher.

Lorsque les réfugiés arrivèrent à une gorge de l'Euphrate, ils furent attaqués de nouveau et beaucoup d'entr'eux furent noyés dans le fleuve.

Zarouhi, — qui a fait le récit ci-dessus, — nous dit que le fleuve était rempli de cadavres. Elle fut aussi jetée dans le fleuve, mais elle se cramponna à des rochers derrière quelques buissons et elle demeura ainsi jusqu'à ce que les gendarmes et les Chettis se fussent éloignés.

En sortant du fleuve, elle rencontra un bon berger kurde, qui l'enveloppa dans une couverture et l'amena dans la maison d'un Turc qui la connaissait. Le Turc la conduisit à Erzeroum et la garda dans sa maison.

En parlant de la responsabilité des Allemands dans les massacres et les déportations, le Dr. Minassian dit qu'avant les déportations, les Arméniens allèrent trouver le Consul allemand et lui demandèrent assistance. Sa réponse fut : « Je ne veux pas me mêler des affaires des autres, et je n'ai aucune autorisation à le faire de mon Ambassadeur de Constantinople. »

Les officiers allemands à Erzeroum aidèrent les Turcs à organiser les déportations et prirent leur part aussi dans le butin, presque tous avaient enlevé des jeunes filles arméniennes.

Un officier, nommé Schapner, par exemple, enleva quatre jeunes filles ; un autre, nommé Karl, deux ; et ainsi de suite, il y avait une longue liste de noms que le témoin ne se rappelait pas.

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