Claude Mutafian / CCAF

90 ans après
Le génocide des Arméniens

Morgenthau et les témoignages américains

Les états-Unis ne sont entrés en guerre contre les puissances centrales qu'en avril 1917, ils avaient donc jusque-là eux aussi des représentants diplomatiques dans l'Empire ottoman. Leur ambassadeur Morgenthau a laissé des Mémoires, rapportant ses efforts désespérés pour arrêter le processus : son pays étant neutre dans le conflit, il n'avait pas à ménager les autorités dans cette affaire interne. Talaat lui confirma que les déportations étaient « le résultat de longues et sérieuses délibérations ». Plus tard, il lui déclara : « Nous avons déjà liquidé la situation des trois quarts des Arméniens (...). Nous ne voulons plus voir d'Arméniens en Anatolie, ils peuvent vivre dans le désert, mais nulle part ailleurs ». Les entretiens de Morgenthau avec Enver sont tout à fait concordants.

Le fait que Morgenthau ne cache pas ses sympathies pour les persécutés n'enlève rien à la valeur de son témoignage. Plus explicite encore est le rapport du consul américain à Kharpout, récemment retrouvé dans les Archives du Département d'état et publié sous le titre The Slaughterhouse Province, c'est-à-dire « La province abattoir ». Située au coeur de l'Asie Mineure, Kharpout était un des noeuds essentiels du réseau de déportation, et Leslie Davis y fut consul américain à partir du printemps 1914, seul diplomate neutre en pleine Anatolie. Davis ressentait plutôt de l'antipathie envers les Arméniens, les descriptions de son rapport n'en sont que plus décisives. Les dizaines de milliers de cadavres entassés près du lac voisin traduisent bien le rôle d'abattoir : les déportés y étaient conduits comme des bestiaux, surtout depuis la mer Noire.

Dès le 30 juin 1915, Davis écrivit à Morgenthau, au sujet de la déportation : « Elle signifie une mort progressive et peut-être plus horrible pour presque tous. Je ne crois pas qu'il puisse en survivre un sur cent, peut-être même pas un sur mille ». Le 11 juillet : « On les a simplement arrêtés et tués dans le cadre d'un plan général d'extermination de la race arménienne ». Le 24 juillet, encore : « Ce n'est pas un secret que le plan prévu consistait à détruire la race arménienne en tant que race ». Les photographies prises par Davis ont, elles aussi, été retrouvées.

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