colloque CDCA (1998) /
L'actualité du génocide des Arméniens

Avec l'aimable autorisation des éditions Edipol et du CDCA - © Tous droits réservés

L'hydre à quatre têtes du négationnisme

Négation, rationalisation, relativisation, banalisation

Richard G. HOVANNISIAN*

Cette présentation examine les principes mouvants du négationnisme du génocide des Arméniens, en partant du négationnisme absolu aux approches plus sophistiquées de la rationalisation, de la relativisation et de la banalisation. Là où la négation obstinée était peu efficace, les négationnistes espèrent utiliser la rationalisation et la relativisation pour rendre leur position plus convaincante et acceptable. Ces mêmes approches sont aujourd'hui pareillement utilisées dans le cas de la négation de l'Holocauste. Quelques comparaisons seront faites entre ceux qui nient et ceux qui relativisent le génocide arménien et l'Holocauste. La banalisation est la dernière tête de l'hydre, en cela qu'elle ne nie pas les destructions et tueries de masse, mais essaie de les placer dans le contexte de violence continue du XXe siècle. La banalisation qui est apparue en Allemagne à partir du "Débat des historiens" a renforcé la tendance de quelques spécialistes de l'Holocauste à rejeter d'autres génocides du XXe siècle, y compris le génocide arménien, afin de répondre aux dangers inhérents de la banalisation. Cependant, il y a quelques signes d'espoir car de plus en plus de spécialistes de l'Holocauste et d'activistes des droits de l'homme en viennent à reconnaître que le succès de la négation du génocide arménien ouvrira la porte plus large à la négation, à la rationalisation et à la banalisation de tous les crimes contre l'humanité.

Ceux qui nient ou rationalisent le génocide arménien de la Première Guerre mondiale et l'Holocauste de la Seconde ne se connaissent peut-être pas et n'ont peut-être même pas lu les ouvrages les uns des autres. Il existe pourtant des similitudes frappantes entre leurs méthodes et leurs objectifs. Dans le cas arménien, la négation est beaucoup plus avancée et a déjà un pied dans le grand courant des historiens professionnels. Néanmoins, avec le temps, la stratégie est passée de la négation absolue du massacre intentionnel à la rationalisation, à la relativisation et à la banalisation. Ces formes de négation sont faites pour engendrer des doutes afin de dissimuler la désinformation en faisant appel au fair-play et à la nécessité d'entendre la partie adverse sur un problème qui serait mal compris et mal présenté. Le préjugé et le stéréotype, affirment les négationnistes, sont des résidus du phénomène de bouc émissaire historique, de la propagande de guerre et des manoeuvres de la part des prétendues victimes qui visent à s'enrichir personnellement et collectivement aux dépens des autres.

La même stratégie s'applique dans le cas de l'Holocauste, bien que presque tous les auteurs aient été identifiés comme des éléments marginaux antisémites et figures de l'extrême droite. Pourtant, même l'Holocauste est entré dans la phase de débat historique, notamment en Allemagne. Une conséquence secondaire de ce débat a été de créer une tension entre spécialistes de l'Holocauste, dans la mesure où ceux qui le replacent dans le contexte de la victimologie humaine banalisent la monstruosité de l'événement lorsqu'ils mettent en évidence la violence répétée et les massacres de masse du XXe siècle, dont l'extermination des Arméniens de l'Empire ottoman constitue un premier exemple. Cette tentative de banalisation de l'Holocauste a renforcé la tendance de certains spécialistes juifs à établir une distinction entre l'ampleur de l'Holocauste et celle de la catastrophe arménienne, à laquelle ils retirent l'étiquette de « génocide », ou en tout cas sur laquelle ils émettent des réserves.

La présente étude ne comportera pas d'analyse en profondeur de l'histoire et de la méthodologie de la négation, de la rationalisation, de la relativisation et de la banalisation des expériences arménienne et juive. En revanche, les traits communs à l'ensemble des négationnistes seront soulignés pour indiquer à quel point ceux qui cherchent à cacher la vérité se placent sur le même terrain. Bien entendu, il existe aussi des différences significatives. Dans le cas arménien par exemple, il n'y eut pas de chambres à gaz et le débat qui a fait rage sur l'utilisation et le but des gaz mortels et des fours crématoires est spécifique à l'Holocauste. Cependant, ce débat lui-même est lié à l'intention, et c'est l'aspect de l'intention qui est primordial dans les justifications de ceux qui cherchent à rationaliser et à relativiser le génocide arménien.

On a dit que le négationnisme était la phase ultime du génocide. Après la destruction physique d'un peuple et de sa culture, il ne reste que la mémoire, visée à son tour comme dernière victime. L'annihilation totale d'un peuple implique qu'on interdise le souvenir et qu'on étouffe la mémoire. La falsification, l'altération et les demi vérités réduisent ce qui a été à ce qui aurait pu être ou peut-être à ce qui n'a pas été du tout. L'histoire devient « quelque chose qui n'a jamais eu lieu, écrite par quelqu'un qui n'y était pas ». La terreur insensée laisse place à la raison, la violence s'adapte à l'explication et l'histoire est falsifiée pour correspondre à un programme actuel. En altérant ou en effaçant le passé, on produit un présent et on projette un futur sans se soucier d'intégrité historique. Le processus d'anéantissement est donc ainsi poursuivi et achevé par la négation1.

Le négationnisme qui prend l'aspect d'un débat historique est une stratégie fréquemment utilisée. Ceux qui cherchent à rationaliser prétendent adopter un point de vue scientifique et vraisemblable et proposent des théories raisonnables. Ils détournent l'attention en ne mettant plus l'accent sur le processus de meurtre de masse systématique et planifié, ils expliquent le génocide par de simples pertes de civils en temps de guerre, ils diminuent le nombre de victimes et jettent un doute sur la fiabilité des témoignages directs et des documents relatant les massacres. La falsification historique remplace la négation absolue mais les objectifs restent inchangés.

Dans le cas arménien, la négation et la rationalisation en tant que violation d'une représentation exacte et honnête du passé ont été institutionnalisées. Dans l'introduction à son étude sur l'Holocauste, Michael Marrus écrit avec un certain dédain : « Je n'ai eu aucune difficulté à exclure de ce livre toute discussion sur les soi-disant révisionnistes, ces excentriques malveillants qui contestent la réalité de l'Holocauste »2. Ceux qui étudient et écrivent sur le génocide arménien ne peuvent pas être aussi péremptoires parce que la négation a été institutionnalisée par un gouvernement, par les organismes qui le soutiennent, par ses collaborateurs influents au niveau politique et universitaire et, par extension, par ses puissants alliés militaires et par ses partenaires commerciaux. Kurt Jonassohn a observé avec justesse qu'une des différences principales dans la façon d'aborder le génocide arménien et l'Holocauste est que :

« Ce qui a été écrit sur l'Holocauste est dirigé vers la mémoire, la compréhension et la mise en garde contre une répétition éventuelle en insistant sur le rôle des droits de l'homme, alors que le plus souvent, quand il s'agit du génocide arménien, les textes sont centrés sur des questions historiques factuelles, près de trois quarts de siècle après les événements de 1915. Une autre différence est que les auteurs allemands participent à l'examen de ce qui a eu lieu, alors que les auteurs turcs cherchent encore à nier qu'il y ait eu un génocide  »3.

Cela résulte en grande partie de l'incessante campagne contre la réalité et l'authenticité du génocide arménien. Malheureusement, certains membres de la communauté universitaire ont adhéré à cette offensive en niant la nature préméditée et organisée de la destruction des Arméniens et ont à cette fin, prêté leur nom à des publicités et à des circulaires. Ces gens profitent du principe de la liberté universitaire sans tenir compte du principe également fondamental d'intégrité et de responsabilité.

Etant donné que la caractéristique du génocide est le fait d'éliminer le groupe visé en fonction d'un plan calculé et intentionnel, la réfutation du facteur d'intentionnalité est primordiale dans l'exposé du négationniste. Ceux qui nient ou rationalisent et le génocide arménien et l'Holocauste insistent sur les points suivants :

  1. Les récits sur les prétendus génocides s'appuient sur de la propagande de guerre.
  2. Les Arméniens de l'Empire ottoman et les Juifs d'Europe étaient perçus comme des dangers réels pour la sécurité et leurs actes prouvaient que ces craintes étaient justifiées.
  3. L'intention n'était pas d'anéantir ni un groupe ni l'autre mais seulement de les déplacer.
  4. Les morts étaient provoquées par les mêmes causes qui coûtèrent la vie à encore plus de Turcs et de Kurdes dans le cas des Arméniens, et d'Allemands dans le cas des Juifs.
  5. Le nombre de morts arméniens et juifs fut bien inférieur à ce qu'on a prétendu, et la plupart des soi-disant victimes se sont en fait retrouvées dans d'autres pays.
  6. Dans les deux cas, le mythe du génocide a été créé pour des raisons économiques et/ou politiques.
  7. Ceux qui croient au mythe et le propagent ont été les complices conscients ou inconscients du communisme, de l'expansion soviétique et de la déstabilisation de l'Alliance atlantique et de l'Occident.
  8. Ceux qui disent la vérité –c'est-à-dire ceux qui n'acceptent pas la réalité du génocide du peuple arménien – luttent contre les puissants groupes d'influence politique pour corriger les stéréotypes et les conceptions historiques erronées car ce sont des gens suffisamment audacieux et courageux pour défendre la liberté de parole et de recherche4.

Les stratégies de la négation ne sont pas toujours parallèles. Dans le cas des Juifs par exemple, il est fondamental de montrer qu'ils constituaient un groupe culturel et racial distinct, ce qui revient à leur reconnaître une existence séparée en Allemagne et dans le reste de l'Europe, afin de nier leur victimisation. Dans le cas arménien, les négationnistes manipulent les chiffres, l'histoire et la culture afin de minimiser la signification de la présence arménienne dans la région autrefois appelée Arménie et qui porte aujourd'hui le nom d'Anatolie orientale. Pour cela, il est nécessaire de faire disparaître toute trace de cette présence en changeant les noms de lieu, en détruisant les monuments historiques, et en éliminant la mention des Arméniens dans les documents écrits. Revendiquant avec fierté un héritage culturel de civilisations antiques allant des Hittites aux Romains et même aux Byzantins, les porte-parole de l'interprétation officielle turque, confortés par leurs collaborateurs étrangers, occultent à peu près totalement trois millénaires d'histoire arménienne dans la région. La destruction d'un peuple a été suivie de la destruction de sa culture matérielle et à présent d'une campagne pour éliminer sa mémoire elle-même5.

La répétition constante des rationalisations et le mélange de demi vérités avec des mensonges ont été plus efficaces qu'une négation absolue et univoque. Même quelqu'un qui estime être au courant du génocide arménien peut être touché par l'apparente rationalité des arguments relativistes. Le correspondant du Washington Post Richard Cohen écrivait qu'il croyait les preuves de l'Holocauste tellement évidentes qu'elles étaient indéniables, et ajoutait :

« C'est du moins ce que je pensais jusqu'à présent. Mais il y a quelque temps, je me suis trouvé au bout d'une très grande table à l’ambassade de Turquie. A l'autre extrémité siégeait l'ambassadeur lui-même, qui me disait qu'en fait, le crime [le génocide arménien] auquel j'avais toujours cru n'avait jamais eu lieu... [et] que ce que le monde entier persistait à appeler un génocide avait en fait été une guerre civile, avec des atrocités commises des deux côtés et dans de laquelle le gouvernement central de Constantinople avait perdu le contrôle de ses propres forces armées et n'avait donc pas été en mesure de protéger les Arméniens. Il n'y a jamais eu de politique d'extermination des Arméniens  ».

J'avais fait état de ce génocide dans un article, disant que c'était un fait acquis, que personne ne pouvait mettre en cause ce qui s'était passé... Mais l'ambassadeur m'a dit que cela n'avait pas eu lieu. Bien sûr, il y avait eu des "incidents" et, c'est vrai, les Arméniens avaient été expulsés... Et je me trouvais donc à cette table, incapable de prouver que l'un des grands crimes de l'histoire avait effectivement été commis... Rien de tout cela n'aurait d'importance, en tout cas pour les Arméniens de 1915, pour les Juifs des années 1940, ou pour les Cambodgiens d'hier, si ce n'est que pour contrôler l'avenir, il faut commencer par falsifier le passé, en prendre possession et le priver des leçons dont il est porteur. {La vérité, conclut Cohen, est la dernière victime du génocide} : « C'est ainsi que, année après année, individu après individu, le génocide devient plus confus, miné par le doute et la notion si commode de "prétendu" vient insidieusement tourner en dérision l'angoisse des Arméniens »6.

Jusqu'à présent, aucun ambassadeur ou autre personnalité officielle allemande n'a jamais fait de déclarations de cet ordre sur l'Holocauste, mais les forces de négation sont néanmoins à l'oeuvre pour arriver sur le devant de la scène.

Propagande de guerre

Les histoires sur les massacres intentionnels, disent les négationnistes, s'appuient sur la propagande de guerre visant à tourner l'opinion publique contre l'ennemi, rendu tellement odieux qu'il semble mériter un châtiment sans merci. Au nombre des premiers tenants de ce point de vue figurent les négationnistes français Maurice Bardèche et Paul Rassinier, suivis de Robert Faurisson, du célèbre historien britannique David Irving et du professeur américain Arthur Butz, qui tous ont dénoncé le mythe des camps d'extermination comme faisant partie de la propagande alliée pour diaboliser le parti adverse. S'exprimant dans des styles différents et variant par leur degré de négationnisme, ces gens, ainsi que d'autres qui partagent leur opinion, affirment que le soi-disant Holocauste et ses six millions de victimes juives est une vaste supercherie, une mystification créée et exploitée par le Juifs et le Sionisme international pour établir et consolider l'état d'Israël et récolter de fortes indemnités7. Le parti vainqueur aurait volontairement déformé les conditions réelles à l'intérieur des camps de concentration et dépeint l'adversaire vaincu sous des traits suffisamment maléfiques pour justifier un châtiment juste, c'est-à-dire extrême. Des négationnistes de cet acabit s'appuient sur les affirmations des historiens révisionnistes américains tels que Harry Elmer Barnes, lesquels expliquent la montée de Hitler et du nazisme comme étant les conséquences logiques des traités injustes imposés aux puissances vaincues au lendemain de la Première Guerre mondiale, et ont prétendu que les récits des excès allemands pendant la Seconde Guerre mondiale avaient été inventés pour des raisons politiques. La culpabilité est suffisante pour impliquer tous les belligérants, et il est donc sournois de rejeter la faute sur un seul gouvernement ou un seul pays8.

Une approche de ce type n'est pas moins explicite dans le cas arménien. Le diplomate turc Kâmuran Gürün présente le côté turc comme victime de son propre manque d'agressivité :

« Nous pouvons affirmer sans crainte de nous tromper que l'un des domaines où les Turcs sont les plus faibles est celui de la propagande. Il en était déjà ainsi à l'époque de l'Empire ottoman et depuis les choses n'ont guère changé. Les responsables de la propagande turque ne font que riposter aux mensonges des adversaires, ils sont en quelque sorte passifs et ne dépassent pas le stade de l'autodéfense. Un tel comportement laisse toute liberté d'action à ceux qui désirent montrer la Turquie sous un jour défavorable  »9.

Les négationnistes américains comme Stanford Shaw et Justin McCarthy ont qualifié les textes faisant état de plus d'un million de victimes arméniennes d'oeuvres des « machines à propagande de l'Entente ». McCarthy, qui semble s'inspirer librement du livre de Gürün, Le dossier arménien, soutient que les jugements anti-islamiques courants en Occident, les relations de parti pris des missionnaires américains et l'utilisation des « machines à propagande » des Puissances alliées ont été utilisées pour perpétuer et intensifier les opinions défavorables aux Turcs. Les négationnistes ont toujours des explications. Dans son manuel destiné aux étudiants et aux professeurs intitulé Turks and Armenians, McCarthy écrit :

« La machine à propagande anglaise a inventé des atrocités que l'Allemagne et son alliée la Turquie auraient commises afin d'appuyer son effort de guerre à l'intérieur comme à l'extérieur. Plusieurs Etats européens convoitaient des terres ottomanes, et les massacres et les atrocités imputées à l'Empire ottoman servirent de justification pour dépecer l'Empire ottoman et mettre la main sur tous ses territoires ou presque. Les nations occidentales avaient besoin de croire et de forger des histoires d'atrocités ottomanes et turques afin de justifier leur propres plans d'annexion des territoires ottomans  »10.

Il ajoute que la propagande n'était qu'une arme de guerre et que la « question arménienne » représentait l'un des principaux terrains d'affrontement sur lesquels se déroulait la guerre de propagande. « Par la suite, cette propagande antiallemande a été révélée et dénoncée, mais aucune enquête de ce genre ne fut menée à propos de la Turquie après la guerre. En revanche, les mystifications et les distorsions de la propagande concernant Turcs et Arméniens ont survécu, de sorte que l'héritage de haine et de préjugés demeure  »11. Ainsi donc la mission de McCarthy, Shaw, Heath Lowry et d'autres dans le même état d'esprit est de « mettre les choses au point ».

Les négationnistes se plaisent à jeter le discrédit sur les témoignages des survivants. Dans le cas de l'Holocauste, ils prétendent que les récits peu dignes de foi faits par les survivants sont pleins de contradictions et d'exagérations et ont pour but d'extorquer au gouvernement allemand des milliards de dollars et de s'attirer la sympathie pour créer et consolider l'Etat d'Israël aux dépens d'autres peuples. Des affirmations du même ordre sont apparues dans un fascicule négationniste turc publié dans les années 1980.

« Soigneusement manipulés par les journalistes nationalistes arméniens qui les interrogeaient, ces Arméniens âgés relatent des récits d'horreurs qui auraient prétendument eu lieu il y a soixante-six ans avec des détails inimaginables si l'on considère que la plupart sont déjà âgés de quatre-vingts ans ou plus. Soumis à des années de propagande nationaliste arménienne et aux manipulations de ceux qui les interrogeaient, il fait peu de doute que leurs affirmations n'ont aucune valeur pour la recherche historique  »12.

Ce qui sous-tend une déclaration de ce type est la crainte que les récits des témoins directs puissent avoir un fort impact, même si elle semble prétendre que des survivants âgés de quatre-vingts ans ne peuvent avoir gardé en mémoire des détails sur ce qui leur est arrivé et sur ce qui s'est passé autour d'eux.

Provocation des prétendues victimes

Ceux qui cherchent à nier où à rationaliser le génocide tentent de prouver que les prétendues victimes n'étaient pas innocentes et que les mesures de sécurité prises par l'Etat n'étaient pas différentes de celles prises avant ou après par les gouvernements d'autres pays assiégés de toutes parts. Bardèche, Rassinier, Faurisson et autres négationnistes de l'Holocauste affirment que les victimes juives étaient pour la plupart des partisans, des saboteurs, des espions et des collaborateurs de l'ennemi, une cinquième colonne en puissance. Ils rappellent la déclaration de Chaim Weizmann qui affirmait en 1939 que partout les Juifs défendraient la cause des Alliés contre le nazisme, et prétendent qu'il était tout naturel que les Juifs soient perçus comme une menace. Bardèche alla jusqu'à affirmer que la Seconde Guerre mondiale avait en réalité été provoquée par les Juifs. Des actes de résistance désespérée, comme le soulèvement de Varsovie, sont présentés comme preuve que l'hostilité juive mettait sérieusement en péril l'effort de guerre en créant une diversion et en obligeant les forces armées régulières à régler le problème des insurrections. Ils présupposent une certaine affinité entre Juifs et communistes et donc avec l'Union soviétique, le plus grand ennemi du Reich13.

Essayant de passer pour un chercheur objectif et pondéré, l'Américain Arthur Butz présente diverses formes de preuves pour démontrer que « les Juifs ont, en fait, constitué une menace pour la sécurité de l'arrière allemand pendant la guerre »14. La plupart des Juifs internés dans les camps de concentration s'y trouvaient pour des raisons bien précises de sanction ou de sécurité et non pas parce qu'ils étaient des membres innocents de tel ou tel groupe désigné comme victime. « Les diverses organisations politiques – socialistes, communistes, sionistes, agudistes – avaient des liens avec les organisations de résistants dont les activités allaient du sabotage actif à la propagande et, à l'occasion, à la résistance armée  »15. Butz est prompt à rationaliser et à relativiser: « C'est un fait regrettable que la guerre de partisans, irrégulière ou de guérilla [sic] ainsi que les mesures prises pour réprimer ce type d'opérations, représente non seulement la plus sale besogne qui soit mais également un trait récurrent dans l'histoire du vingtième siècle »16 .

Une autre publication utilise un argument favori des négationnistes du génocide arménien en montrant que tous les gouvernements, y compris celui des Etats Unis d'Amérique, ont agi contre des minorités suspectes, et que les déplacements de populations effectués par l'Allemagne ou la Turquie ne devraient donc pas être considérés comme des faits extraordinaires ou des crimes de guerre :

« Les Etats-Unis et le Canada ont commencé à enfermer des citoyens japonais et des citoyens américains d'origine japonaise dans des camps d'internement avant que cela ne soit adopté par l'Allemagne comme politique vis-à-vis de nombreux Juifs d'Allemagne et d'autres pays d'Europe. Il n'y avait pas de preuve tangible de déloyauté, encore moins de sabotage ou d'espionnage, chez ces individus d'origine japonaise. Les Allemands avaient au moins des raisons plus solides pour avoir recours à l'internement des Juifs  »17. Et l'écrivain anonyme de conclure: « L'internement des Juifs européens, tout comme celui des Japonais aux Etats-Unis et au Canada, a été décidé pour des raisons de sécurité ». En outre, la majorité des Juifs qui furent déplacés pendant la guerre ont été simplement réinstallés pour fournir une main d'oeuvre utile dans des entreprises agricoles ou industrielles, et cela en remplacement de leur service dans les forces armées. Ils furent, après tout, simplement ramenés sur leurs terres d'origine en Europe de l'Est »18.

Ces thèses trouvent un écho dans le cas arménien à travers des publications officielles turques et des auteurs comme Gürün et de leurs collaborateurs en Occident, en particulier les Américains Stanford Shaw, Justin McCarthy et Heath Lowry. Gürün explique :

« C'est parce qu'il étaient acquis à l'ennemi que les Arméniens furent contraints d'émigrer. Le fait qu'ils étaient des civils ne change rien au problème. Ceux qui sont morts à Hiroshima et Nagasaki pendant la Seconde Guerre mondiale étaient également des civils. Ceux qui sont morts à Londres pendant la même guerre étaient aussi des civils. Pendant la Première Guerre mondiale, ceux qui moururent en France, en Belgique et en Hollande étaient aussi des civils...Ce que fit la Turquie ne fut pas de massacrer les Arméniens, mais de les contraindre à émigrer. Toutefois, en raison des moyens rudimentaires dont on disposait à cette époque, certains sont morts parce qu'ils n'ont pas supporté les fatigues du voyage. Il n'est pas question d'admettre les accusations selon lesquelles ils seraient morts massacrés par les Turcs  »19.

Gürün a amélioré la rationalisation d'un des principaux organisateurs du génocide arménien, le ministre de l'Intérieur et Grand Vizir Talaat Pacha qui, depuis sa retraite allemande d'après guerre, écrivait en 1919 : « Ces mesures préventives furent prises dans tous les pays pendant la guerre, mais, si les résultats regrettables ont été passés sous silence dans les autres pays, l'écho de nos actions s'est fait entendre partout parce que tout le monde avait les yeux fixés sur nous »20. Des dizaines d'années plus tard, un fonctionnaire turc en poste à Washington voulut établir un parallèle avec les Américains: « La réaction turque aux excès arméniens fut comparable, je pense, à ce qu'aurait pu être la réaction américaine si les Américains d'origine allemande du Minnesota ou du Wisconsin s'étaient soulevés en prenant parti pour Hitler pendant la Seconde Guerre mondiale  »21. L'ambassadeur Sükrü Elekdag écrivait en 1982 : « Ce qui a eu lieu fut une tragédie complexe qui a coûté la vie à des Turcs comme à des Arméniens. De fait, à l'intérieur d'une guerre mondiale, ce fut une guerre civile déclenchée par le soulèvement armé de la minorité arménienne à un moment où l'Etat ottoman luttait pour sa survie pendant le premier conflit mondial. Les victimes turques furent bien plus nombreuses que les victimes arméniennes  »22.

Les prétextes assez grossiers invoqués par les négationnistes turcs furent perfectionnés par leurs collaborateurs occidentaux. Plusieurs années avant de se faire poursuivre en justice devant les tribunaux français pour sa négation du génocide arménien, Bernard Lewis avançait prudemment sa thèse révisionniste en qualifiant la catastrophe arménienne de guerre mutuelle mettant en péril l'existence même de l'Etat turc. Dans The Emergence of Modern Turkey, publié en 1961, il explique :

« Pour les Turcs, le mouvement [nationaliste] arménien représentait la menace la plus dangereuse. Des terres conquises où vivaient des Serbes, des Bulgares, des Albanais et des Grecs, ils pouvaient – fût-ce à contrecoeur – se retirer en abandonnant des provinces éloignées, rapprochant ainsi leurs frontières. Mais les Arméniens, qui habitaient en Turquie d'Asie depuis les marches du Caucase jusqu'aux rives de la Méditerranée, se trouvaient au coeur même de la terre turque, et renoncer à ces territoires serait revenu non pas à diminuer mais à démanteler l'Etat turc. Les villages turcs et arméniens, inextricablement mêlés, avaient vécu pendant des siècles en bon voisinage. Puis commença entre eux une lutte acharnée, la lutte de deux peuples pour la possession d'un seul pays, qui s'est terminée par le terrible holocauste de 1916 [sic], au cours duquel un million et demi d’Arméniens trouvèrent la mort  »23.

Stanford Shaw, dans un volume dont il est co-auteur avec son épouse, publié par Cambridge University Press (History of the Ottoman Empire and Modern Turkey), avance de nombreuses altérations et distorsions plus énormes encore. Il laisse entendre, par exemple, qu'en ordonnant la déportation des Arméniens, les autorités turques ne faisaient que suivre un précédent déjà établi par les Russes.

« Dans les premiers stades de la campagne du Caucase, les Russes avaient montré les meilleurs moyens d'organiser une campagne en évacuant les Arméniens de leur côté de la frontière pour dégager la zone de combats, les Arméniens s'en allant d'assez bon gré dans l'espoir qu'une victoire russe leur permettrait bientôt non seulement de regagner leurs maisons mais aussi d'occuper celles des Turcs de l'autre côté de la frontière. [Le ministre de la Guerre] Enver a suivi cet exemple pour préparer le côté ottoman à résister à l'invasion russe attendue. En tout cas, les dirigeants arméniens affichèrent alors leur soutien à l'ennemi, et il ne semblait pas y avoir d'autre solution  »24.

Attribuant aux Arméniens de sinistres intentions, Shaw voudrait faire croire à ses lecteurs qu'il n'existait pas « d'autre solution » que la déportation: « IL aurait été impossible de distinguer parmi les Arméniens lesquels seraient loyaux et lesquels suivraient les appels de leurs dirigeants. Dès l'arrivée du printemps donc, vers le milieu du mois de mai 1915, on donna l'ordre d'évacuer toute la population arménienne des provinces de Van, Bitlis et Erzeroum afin de les éloigner des zones où ils auraient pu représenter une menace pour les opérations ottomanes contre les Russes ou contre les Anglais en Egypte »25. Taisant le fait que la population arménienne fut déportée et massacrée dans l'ensemble de l'Anatolie, Shaw prétend que les Arméniens furent « évacués » uniquement de la zone de combat longeant la frontière russe et de la Cilicie, mais non pas des villes de la zone côtière méditerranéenne26. Cette affirmation est, bien sûr, si grossièrement inexacte qu'elle soulève à juste titre des questions sur l'intégrité universitaire de son auteur.

Comme Arthur Butz chez les révisionnistes de l'Holocauste, Justin McCarthy, étudiant de Stanford Shaw, cherche à montrer qu'il est plus nuancé, mais ses motivations sous-jacentes sont aussi évidentes que celles de Gürün, de Shaw et des autres négationnistes. McCarthy est également redevable à Gürün lorsqu'il réitère son affirmation selon laquelle les Arméniens se soulevaient dans toute l'Anatolie, ce qui exigeait de détourner de divisions entières de l'armée pour réprimer la rébellion. McCarthy se targue d'être un spécialiste de la démographie, ce qui apparemment l'empêche de voir la contradiction flagrante entre le fait qu'il minimalise le nombre d'Arméniens dans l'Empire ottoman et sa reprise du chiffre donné par Gürün de 30 000 révolutionnaires arméniens dans la seule province de Sivas (Sebaste), dont la moitié étaient déjà partis rejoindre les lignes russes qui allaient combattre les armées turques tandis que l'autre moitié se préparait à attaquer ces armées par derrière. Et McCarthy d'ajouter imperturbablement :

« Personne n'a de chiffres précis mais il ne fait pas de doute qu'il y avait plus de 100 000 rebelles arméniens originaires d'Anatolie ou de territoires russes combattant en Anatolie  »27.

Pour McCarthy et tous ceux qui cherchent à nier ou à rationaliser, les efforts désespérés d'autodéfense dans quelques endroits isolés – Van, ChabinKarahissar, Ourfa, le Musa Dagh –sont des preuves suffisantes de la déloyauté et de la conspiration arméniennes. La déportation – terme utilisé à contrecoeur par McCarthy, qui lui préfère celui de déplacement – fut donc la réponse du gouvernement turc à la menace constituée par les Arméniens :

« Le principe de la déportation s'appuyait sur un des rares moyens connus de venir à bout de la guérilla et de l'insurrection ; il a été utilisé depuis l'antiquité jusqu'aux temps modernes. Comme les guérillas dépendent des villages pour l'approvisionnement, la protection et le recrutement, les guérilleros doivent être séparés de la population... Les Ottomans déportaient depuis des siècles des groupes qui mettaient en péril l'ordre civil, y compris des Turcs rebelles... La déportation de populations civiles pour cause de menaces de guérilla, réelles ou imaginaires, a été pratiquée par de nombreux gouvernements contemporains  »28.

McCarthy amène ensuite le lecteur à la question de savoir si des mesures en apparence si extrêmes pourraient en fait avoir été un moindre mal: « Peut-on infliger une réelle souffrance aux déportés si l'on veut sauver un plus grand nombre de vies en mettant un terme à une guerre (argument analogue à celui qui a servi pour bombarder des civils pendant la Seconde Guerre mondiale) ? »29.

Ceux qui nient et rationalisent prétendent ainsi qu'il est compréhensible que le régime jeune-turc pendant la Première Guerre mondiale et le régime nazi pendant la Seconde aient dû prendre des mesures de sécurité. Les Arméniens et les Juifs n'étaient pas tout simplement les victimes innocentes qu'on a souvent présentées. Dans un cas comme dans l'autre, les autorités ont dû déplacer un certain nombre de membres du groupe incriminé, mais sans volonté de leur nuire. Ces mesures étaient certainement plus justifiées que d'autres prises en temps de guerre par certains gouvernements qui accusent l'Allemagne et la Turquie. De plus, sans intention, il ne peut y avoir génocide.

La question de l'intention: rationalisation et relativisation

Pour les négationnistes, il est impératif de faire en sorte qu'il ne paraisse pas y avoir eu intention d'éliminer le groupe visé. L'intention joue un rôle fondamental dans la définition adoptée par la Convention des Nations Unies sur le génocide et dans celles qui sont généralement prises en compte. Etant donné que la négation absolue n'a pas encore atteint les objectifs fixés, les négationnistes d'aujourd'hui ont adopté des stratégies de rationalisation et de relativisation. Les horreurs de la guerre, disent-il, touchent tous les éléments de la population et pas seulement un groupe donné. Bien plus de musulmans que d'Arméniens ont trouvé la mort pendant la Première Guerre mondiale et bien plus d'Allemands que de Juifs ont péri pendant la Seconde. Les différences dans les motivations et les conditions de la mort sont occultées au profit de la thèse de la mort sans discrimination pendant le chaos général et la catastrophe d'un conflit mondial compliqué par des conflits civils et par une certaine perte de contrôle sur )a situation. Ainsi, en une période de bouleversement aussi général ne peut-on établir de distinction entre prétendues victimes et exécutants.

Dans le cas de l'Holocauste, l'historien américain Harry Elmer Barnes a créé un modèle destiné à disculper l'Allemagne en soulignant qu'il ne rime à rien de désigner un coupable, puisque c'est la guerre elle-même qui est mauvaise en tant que telle et qu'elle génère une souffrance universelle. S'il faut prononcer un blâme en tout cas, il n'y a pas de doute que les Allemands ont bien plus souffert qu'aucun autre peuple des bombardements alliés dirigés contre les populations civiles, de la famine, de l'émigration forcée hors de vastes territoires et de la vengeance après la guerre. Barnes prépare ainsi le terrain: pour ceux qui cherchent à rationaliser et qui pourront affirmer que les Puissances alliées furent les premières responsables de la Seconde Guerre mondiale et que Hitler a été poussé à prendre des mesures extrêmes contre son gré; pour ceux qui cherchent à relativiser et qui pourront soutenir que les bombardements alliés d'objectifs civils tels que Dresde, la façon dont Staline a traité les peuples de l'Union soviétique et de l'Europe de l'Est, tout cela fut bien pire que tout ce qu'ont pu faire les Allemands30.

Il n'est pas possible de convaincre le public que l'Holocauste est une invention totale, mais les négationnistes peuvent néanmoins parvenir à faire croire que tous les partis en présence étaient autant coupables les uns que les autres et qu'il est injuste de faire porter à un seul la culpabilité morale et le châtiment. De tels arguments reçoivent un écho assez favorable, en particulier aux Etats-Unis, où le débat sur la nécessité ou non de bombarder Hiroshima et Nagasaki est très vif et où la théorie selon laquelle il y a toujours deux faces à un événement donné est largement admise. Sous prétexte de se lancer dans une recherche universitaire, les négationnistes établissent des comparaisons quantitatives pour dissimuler les comparaisons qualitatives, visant ainsi à éliminer les caractères spécifiques de l'extermination systématique et à réduire la culpabilité, ou encore à innocenter complètement le gouvernement auteur du génocide.

L'apologiste américain Austin App a repris les arguments de Barnes en soutenant que la solution du problème juif adoptée par Hitler avait été l'expulsion et non l'extermination, que les chambres à gaz n'avaient pas existé, et que les fours crématoires avaient servi à brûler les cadavres de ceux qui étaient morts de maladie ou d'autre chose31. L'écrivain britannique David Irving et l'Américain Arthur Butz sont quelque peu plus circonspects et ne nient pas qu'un grand nombre d'innocents aient été tués, mais ils prétendent que ces excès eurent lieu à l'insu et sans l'autorisation de Hitler, qui était accaparé par la conduite de la guerre. Parmi les centaines de milliers de documents sur le sujet, on n'a trouvé aucun ordre direct de génocide émanant du Führer. La faute revient donc à ses lieutenants tels que Heinrich Himmler et, au niveau intermédiaire, aux bureaucrates qui furent incapables de gérer les affaires à l'échelon local.

Cette explication renvoie à l'argument que les malheureuses victimes arméniennes n'avaient pas été prévues dans un plan conçu par les autorités centrales mais que leur mort avait été provoquée par la maladie ou les épidémies, par des attaques de tribus incontrôlées, ou par diverses autres causes. Les négationnistes savent que s'ils peuvent écarter la vérité en ce qui concerne l'intention, c'est tout le génocide qui peut être remis en question. Cet objectif est fondamental dans la négation et la relativisation du génocide arménien comme de l'Holocauste. Un des premiers négationnistes, John Beaty, s'efforce de montrer que la mort des Juifs dans les camps de concentration n'avait rien à voir avec la politique gouvernementale et il se range aux côtés de Barnes et d'App en renvoyant la faute :

« La faim à Dachau était due à l'inhumanité d'individus qui, en temps de guerre, souffraient eux aussi terriblement de la faim parce qu'ils n'avaient pas de stocks de vivres et que les systèmes de communication avaient été en grande partie détruits par les bombardements américains. Cela contrastait avec " l'inhumanité en temps de paix" pratiquée par les Puissances alliées après la guerre pour se venger et amener volontairement le peuple allemand au bord de la famine  »32.

De tels arguments sont aussi utilisés par le petit groupe des négationnistes français qui prétendent que les récits de massacres et de chambres à gaz sont des exagérations grossières et fort suspectes. Paul Rassinier écrit: « Des chambres à gaz ? Peut-être, mais on est loin, très loin d'avoir des preuves établies. A un seul cas près, c'est l'inverse qui a été prouvé. Et dans ce cas unique, si on n'a pas pu prouver l'inverse, c'est qu'il s'agit d'un camp (Auschwitz Birkenau...) qui se trouve de l'autre côté du "rideau de fer" où rien ne peut être vérifié et où la fabrication de faux documents est devenue une véritable institution  »33.

Ce genre de démenti est également fondamental dans le cas arménien. Dès 1919, Talaat Pacha, depuis sa retraite de Berlin, écrivait: « Je reconnais que nous avons déporté de nombreux Arméniens de nos provinces de l'Est, mais nous n'avons pas agi en cela d'après un plan préétabli. La responsabilité de ces faits revient d'abord aux déportés eux-mêmes  »34.

Soixante-dix ans plus tard, une publication émanant d'un organisme gouvernemental turc reprend l'argument selon lequel c'est l'humanité entière qui souffre en temps de guerre et que l'on ne peut considérer aucun groupe comme victime particulière dans des périodes de telles catastrophes mondiales. « Il y eut certes des victimes à la fois du fait des activités militaires à grande échelle et du fait de bandits agissant alors dans des zones qu'ils (les déportés) traversaient, de même qu'à cause de l'insécurité générale et des querelles sanglantes déclenchées par quelques tribus armées lors du passage des convois sur leurs territoires. » Les « tribus armées » faisaient naturellement allusion aux Kurdes, qui furent souvent les agents de la mort mobilisés par l’« Organisation Spéciale » des Jeunes-Turcs mais qui posaient en fait un sérieux problème au gouvernement et servaient donc d'excellent bouc émissaire pour les excès du passé comme c'est encore le cas actuellement. Niant toute tentative de massacres par les autorités turques, la publication reconnaît que les problèmes posés par les populations déplacées étaient aggravés du fait de « sérieuses pénuries en pétrole, en vivres, en médicaments et en autres approvisionnements ainsi que par une épidémie générale et une famine grave. Il faudrait toutefois se souvenir que « de trois à quatre millions de sujets ottomans de toutes religions moururent dans les mêmes conditions que les déportés. Il est donc particulièrement tragique et malvenu de la part des nationalistes arméniens d'attribuer la responsabilité des souffrances incontestablement endurées pendant la guerre par les Arméniens à autre chose qu'aux conditions anarchiques qu'ont également subies tous les sujets du Sultan  »35. Cette habile explication relativiste exclut ainsi le génocide.

Le négationniste turc Gürün, secondé comme on pouvait s'y attendre par l'apologiste américain McCarthy, soutient que le terme de « déportation » est incorrect et a été appliqué à tort par les Britanniques et les Français à des fins de propagande. En réalité, il s'agissait de transfert, le terme turc possédant la connotation de « faire émigrer » ou de « transférer », plutôt que de déportation vers un lieu bien défini ou un camp de concentration36. Gürün avance ensuite la justification suivante – inhabituelle même chez ceux qui nient ou excusent le génocide – afin d'exclure du décompte des victimes arméniennes les dizaines de milliers de celles qui moururent pendant le « transfert ».

« Lors du transfert des Arméniens, il y eut des morts pour diverses raisons : maladies, conditions climatiques, difficultés du voyage, attaques subies en cours de route, défaillance des escortes chargées de la protection des convois, actes illégaux de certains responsables administratifs... Parmi ces cas de décès, lesquels pourraient être qualifiés de massacres ? Certainement pas ceux dus aux combats, aux épidémies de typhus, de typhoïde et de variole qui ravageait la Turquie, ou à la sous-alimentation. Car on ne peut pas dire que ces victimes auraient échappé à la mort si elles étaient restées dans leurs lieux d'origine. En effet, les épidémies ravagèrent des régions et firent des centaines de milliers de morts... Ceux qui sont morts du fait des conditions climatiques ou des fatigues du voyage pendant le transfert, peuvent-ils être considérés comme ayant été massacrés ? Nous ne le pensons pas  »37.

Gürün prend soin d'ignorer l'un des cinq actes spécifiques qui constituent le crime de génocide d'après la Convention des Nations Unies : « insoumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle  »38.

Stanford Shaw a poussé la négation du génocide arménien à des extrémités sans précédent. Après avoir décrit les Arméniens comme étant depuis toujours des rebelles, des traîtres et des terroristes, il allègue que les ordres de déportation n'avaient touché que les zones de guerre potentielles et que le gouvernement jeune-turc avait agi de bonne foi en donnant l'ordre qu'on ne fasse pas de mal aux exilés arméniens. Il cite des documents forgés de toutes pièces pour tromper le lecteur, sans même lui laisser entendre que ce qui eut lieu en réalité est exactement l'inverse de ce que décrivait l'auteur. Quant à l'intentionnalité, Shaw donne la fausse impression qu'il a fait des recherches dans tous les documents existants pour parvenir à la conclusion suivante :

« Un examen attentif des dossiers secrets du cabinet ottoman de l'époque ne donne aucun indice qu'un des dirigeants du Comité Union et Progrès ou quelque autre membre du gouvernement central ait ordonné les massacres. Au contraire, dans les provinces, les forces armées reçurent l'ordre d'empêcher tout raid ou incident communautaire risquant de provoquer des morts  »39.

Feignant d'ignorer les preuves évidentes de la déportation massive et des massacres, Shaw affirme avec impudence que les Arméniens ont été expulsés uniquement des zones de combat stratégiques, et ce avec les plus grands égards pour leur sécurité et leur bien-être.

« L'armée a reçu des instructions précises pour protéger les Arméniens contre les attaques de nomades et pour leur fournir du ravitaillement en quantité suffisante pour subvenir à leurs besoins pendant leur marche et après leur installation. On a mis en garde les commandements militaires afin qu'ils s'assurent que ni les Kurdes ni d'autres musulmans ne profitent de la situation pour se venger des longues années de terrorisme arménien. Les Arméniens devaient être protégés et soignés jusqu'à leur rapatriement après la guerre. Une loi supplémentaire instituait une commission spéciale chargée d'enregistrer les biens de certains déportés et de les vendre aux enchères à des prix justes, les fonds devant être déposés et conservés jusqu'à leur retour. Les musulmans qui souhaitaient occuper les habitations abandonnées ne pourraient le faire qu'en tant que locataires, les loyers étant versés sur des fonds en fidéi-commis, et en sachant qu'ils devraient quitter les lieux lorsque les propriétaires seraient revenus. Les déportés et leurs biens devaient être protégés par l'armée pendant leur transfert et à leur arrivée en Irak et en Syrie, et le gouvernement se chargerait de leur retour une fois la crise terminée  »40.

Ce n'est pas la totalité des protestations d'innocence des Turcs, citées par Shaw sans aucune critique. Il soutient qu'il n'y eut aucune intention de nuire aux Arméniens et que la plupart des pertes eurent lieu pendant la retraite avec l'armée russe vers le Caucase, et non du fait d'une volonté directe des Ottomans de les tuer. « Relativisant les pertes arméniennes, il affirme que 200 000 personnes environ ont péri, conséquence non seulement du transport mais aussi des mêmes conditions de famine, de maladie et de guerre qui ont causé la mort de quelque deux millions de musulmans à la même période  »41. Le génocide est présenté non plus comme un assassinat organisé et intentionnel mais comme des pertes de vies humaines non planifiées, non désirées et de proportions réduites.

Dans son manuel destiné à l'élève et au professeur, Justin McCarthy, le protégé de Shaw, défend la cause du négationniste :

« Des ordres ont effectivement été envoyés à l'administration locale, la chargeant de protéger la vie et les biens des déportés, et il n'y avait aucune raison d'émettre de tels ordres si ce n'était pas pour qu'ils fussent respectés  ». Malheureusement, dit-il, le manque de forces armées obligea les gouverneurs locaux à choisir entre la protection des villages musulmans contre les bandes arméniennes et la protection des Arméniens contre les musulmans. Ils choisirent de protéger les leurs, comme on le fait en général  »42.

Comme dans le cas de la négation de l'Holocauste, McCarthy rejette l'intentionnalité en posant les fausses questions suivantes :

« Pourquoi n'y a-t-il pas eu de génocide à l'encontre des dizaines de milliers de personnes vivant à Istanbul, Izmir; dans la partie européenne de l'Empire, ou dans d'autres régions, et qui ont survécu à la guerre sans déplacements et sans dommages ? Dans les colonnes, les déportés arméniens étaient souvent attaqués et tués par des tribus et des bandits, ou bien ils mouraient de faim ou de maladie; mais comment explique-t-on les colonnes arrivées intactes et tous les déportés arméniens – plus de 200 000 – qui ont survécu à la guerre en Syrie ? Si le génocide avait été ordonné, pourquoi n'ont-ils pas été tués ? »43.

On peut se demander si McCarthy ignore vraiment le massacre de milliers et de milliers d'Arméniens après leur arrivée à Deir es-Zor ou d'autres endroits du désert syrien.

Avançant un des arguments favoris de la tendance relativisation/rationalisation de l'école négationniste, McCarthy propose comme objectif l'enseignement suivant: « La leçon de la guerre en Anatolie orientale n'est pas que les Turcs ont massacré les Arméniens... La leçon, c'est que tous les habitants de l'Est de l'Empire ottoman ont souffert. Ils ont subi de telles horreurs qu'il est absurde de vouloir choisir celui qui a connu les plus grands tourments »44, McCarthy ne voit aucune inégalité entre une structure étatique militairement armée et une population civile en grande majorité désarmée et non préparée. En revanche, il parvient à la conclusion suivante :

« II n'y a pas eu de génocide ordonné par le gouvernement en Anatolie orientale, mais une définition plus large du génocide peut s'appliquer. Si on entend par génocide l'action d'un peuple contre un autre, alors un génocide a bel et bien existé en Anatolie orientale. Les Turcs et les Arméniens furent ses victimes, et les uns et les autres en furent les exécutants. Les Arméniens ont tué des Turcs parce qu'ils étaient turcs. Les Turcs ont tué des Arméniens parce qu'ils étaient arméniens. Ils n'avaient guère le choix. Après les premiers jours de guerre, le Turcs et les autres musulmans savaient qu'il ne pouvait pas y avoir de neutralité dans la guerre civile contre les Arméniens. Ils seraient tués parce qu'ils étaient hais en tant que Turcs et non pour quelque raison politique ou tactique. Les Arméniens se trouvaient dans la même situation. L'extermination fut une extermination mutuelle »45.

La mise en garde de McCarthy est destinée à toucher la sensibilité des étudiants et des professeurs et se place dans le cadre d'un contexte humaniste :

« Génocide est un terme doté d'un grand pouvoir et d'une forte valeur de propagande. C'est aussi un mot qui a de nombreuses définitions assez vagues. Il vaudrait beaucoup mieux étudier l'histoire des Arméniens et des Turcs comme une grosse perte en vies humaines, et d'abandonner les termes de propagande  »46.

Le passage en 1991 de la République soviétique d'Arménie au statut d'Etat indépendant et les tentatives concertées de ses dirigeants visant à normaliser les relations avec la République turque firent naître l'espoir que la négation du génocide arménien allait diminuer d'intensité et que peut-être une ère nouvelle dans les relations arméno turques finirait par mener la Turquie à une reconnaissance de ses exactions et pour le moins à des excuses formelles. Mais cet optimisme s'est trouvé refroidi par l'attitude inflexible du gouvernement d'Ankara, telle que l'illustre publication en 1995 d'un volume en plusieurs tomes des archives d'Etat du Premier ministre intitulé Armenian Atrocities in the Caucasus and Anatolia According to Archival Documents. L'objectif de la publication est non seulement de réitérer toutes les négations antérieures, mais encore de démontrer qu'en réalité, c'est le peuple turc qui a été victime d'un génocide perpétré par les Arméniens.

« Ces documents montrent que ce ne sont pas les Turcs qui ont massacré les Arméniens, comme ces derniers persistent à le dire, mais plutôt le contraire, à savoir que ce sont les Arméniens qui ont massacré les Turcs, et cette vérité apparaît clairement dans les documents.

« La Turquie, est-il expliqué, avait gardé un "honorable silence" pendant des dizaines d'années, mais malheureusement ce noble geste a été interprété par certains comme un aveu de culpabilité. Ce qu'il faut donc nettement établit; c'est que la vérité est à l'opposé de ce que prétendent les Arméniens et qu'il est temps de mettre un terme aux affirmations unilatérales qui ont caractérisé la situation jusqu'à présent  »47.

Par cette prise de position, la stratégie de la négation dépasse les limites de la rationalisation et de la relativisation pour opérer un renversement total des rôles, et transformer la victime en coupable.

Les chiffres

Une caractéristique courante de la négation du génocide est la manipulation et la mise en doute des chiffres par ceux qui veulent le relativiser et le rationaliser. La distorsion des calculs vise à minimiser le nombre de victimes potentielles habitant les zones contrôlées par les gouvernements incriminés afin de diminuer et réduire la gravité du crime et si possible d'innocenter totalement l'accusé. Après avoir jonglé avec les chiffres afin de prétendre qu'il y avait beaucoup moins d'Arméniens et de Juifs dans les régions touchées qu'on ne le dit généralement, les rationalistes insistent sur le fait que les régimes turc et allemand voulaient simplement déplacer des éléments qui n'étaient pas fiables et non pas les éliminer. Les négationnistes de l'Holocauste reconnaissent que peut-être quelque 750 000 Juifs, sans compter ceux de Pologne et de Roumanie, ont été réinstallés en Europe de l'Est mais ils prétendent que le chiffre de six millions dépasse de très loin le raisonnable et le possible48. En France, Maurice Bardèche et ceux qui vinrent après lui ont affirmé que le chiffre de six millions est non seulement une grossière exagération mais qu'il a été malicieusement inventé par les sources juives pour des motifs égoïstes d'intérêt politique et économique. Paul Rassinier, qui avait lui-même été interné dans les camps de concentration nazis, a contesté l'affirmation selon laquelle il s'agissait de camps d'extermination. Soutenant qu'il aurait été techniquement impossible de mettre à mort un si grand nombre de Juifs, il fait descendre le nombre probable des victimes à une fourchette allant de 500 000 à 1 500 00049.

Arthur Butz se sert des statistiques pour affirmer qu'il ne peut pas y avoir eu un véritable Holocauste, parce qu'à la fin de la guerre les Juifs « étaient encore là ». La plupart avaient soit émigré, soit se trouvaient dans divers camps. Le chiffre de six millions était une « pure spéculation démographique ». Butz ajoutait :

« Un observateur occidental n'a aucun moyen de vérifier la plausibilité, encore moins l'exactitude, de tels chiffres. Il doit, soit être prêt à accepter les affirmations des Juifs ou des communistes (principalement ces derniers) sur la population juive de l'Europe de l'Est, soit rejeter tous les chiffres proposés comme étant insuffisamment sûrs  »50.

La conclusion de Butz est prévisible :

« En dernière analyse, la difficulté est que les chiffres disponibles ne représentent que des affirmations émanant de sources juives ou communistes selon lesquelles plusieurs mil/ions de Juifs furent tués »51.

Certains négationnistes sont allés jusqu'à alléguer que la majorité de ceux qui ont prétendument péri dans les chambres à gaz ou les fours crématoires vivent en réalité dans le luxe à New York ou ailleurs. Les dirigeants juifs savaient bien que tel était le cas quand ils firent front pour refuser que soient incluses des questions concernant la religion sur les formulaires de recensement aux Etats Unis pour éviter la découverte de leur mystification. Certains révisionnistes vont jusqu'à éliminer totalement la victimologie des Juifs.

« Les prétendues pertes juives sont un mythe, car la plupart des Juifs ont survécu à la guerre et ont trouvé refuge dans les pays de la Grande Alliance. Leurs morts n'ont pas dépassé 200 000, bien moins que celles de la plupart des autres pays européens et elles sont exclusivement le fait de la maladie et d'autres causes naturelles »52.

Ceux qui cherchent à rationaliser et à relativiser mettent en cause la fiabilité des sources afin de mettre en cause la fiabilité des chiffres, afin de mettre en cause la prétendue intentionnalité des exécutants, afin de prouver que le soi-disant génocide est une pure invention.

La manipulation des chiffres n'est pas moins manifeste dans la négation et la relativisation du génocide arménien. Utilisant des formules et des scénarios divers et variés, Gürün et d'autres écrivains nationalistes turcs parviennent à la conclusion que le nombre total de victimes arméniennes pourrait atteindre un maximum de 300 000, et ne dépasse sans doute pas 100000. « En somme, de quelque manière qu'on fasse le calcul, le nombre d'Arméniens qui, pour différentes raisons, perdirent la vie au cours de la Première Guerre mondiale, ne dépasse pas 300 000, ce chiffre comprenant les pertes occasionnées par diverses causes pendant le transfert. Le nombre admissible de ceux qui furent massacrés est encore moins élevé »53. Il s'ensuit par conséquent que le nombre des victimes arméniennes n'est pas disproportionné par rapport aux pertes subies par les autres populations pendant la guerre.

Les Américains Stanford Shaw, Justin McCarthy et autres négationnistes relativistes ont affiné les manipulations des chiffres afin de réduire le nombre de victimes arméniennes jusqu'à les faire pratiquement disparaître. Shaw se livre aux distorsions statistiques suivantes :

« Les machines à propagande de l'Entente et les nationalistes arméniens affirment que plus d'un million d'Arméniens furent massacrés pendant la guerre. Mais cela se fonde sur la supposition que la population arménienne d'avant guerre s'élevait environ à 2,5 millions. D'après les recensements ottomans, le nombre total d’Arméniens dans l'Empire avant la guerre ne s'élevait pas à plus de 1 ,3 million. Environ la moitié d'entre eux résidaient dans les régions concernées mais, en comptant les citadins autorisés à rester sur place, le chiffre des personnes déplacées ne peut dépasser 400 000, y compris les terroristes et les agitateurs des villes qui furent appréhendés peu après le début de la guerre. De plus, environ un demi million d’Arméniens se sont enfuis dans le Caucase et ailleurs pendant le reste de la guerre. Puisque par la suite environ 100 000 vivaient encore dans l'Empire et que quelque 150 000 ou 200 000 émigrèrent en Europe occidentale et aux Etats-Unis, on peut supposer qu'environ 200 000 ont péri des suites non seulement du transport mais aussi des conditions de famine, de maladie et de guerre qui ont aussi emporté quelque deux millions de musulmans à la même époque  »54.

Les mensonges contenus dans ce paragraphe ont été institutionnalisés et utilisés à maintes reprises dans diverses publications, pétitions, lettres aux journaux, et discours devant le Congrès américain et autres instances. La déportation impitoyable devient « transport » et les supplices jusqu'à la mort des hommes, des femmes et des enfants deviennent des pertes relativement réduites causées par la « famine, la maladie et la guerre » qui ont touché toute la population. Le fait de semer un doute raisonnable sur l'intention et les chiffres au moyen de la relativisation de la souffrance est l'une des armes les p!us puissantes des négationnistes.

Le procès des criminels de guerre

Après les deux guerres mondiales, des tribunaux spéciaux réunirent des éléments et firent le procès pour crimes de guerre des régimes vaincus. Un nombre relativement réduit de responsables nazis comparurent devant le Tribunal des Alliés en un procès symbolique contre l'ensemble du régime nazi. Certains des accusés ne nièrent pas les persécutions contre les Juifs mais feignirent l'ignorance ou l'impuissance. Les confessions sont dommageables pour les négationnistes et il convient donc d'en tenir compte. On commença par affirmer que les aveux étaient le résultat de tortures ou de menaces de torture. En outre, les accusés espéraient se soustraire à des châtiments sévères en reconnaissant l'existence de l'Holocauste mais qu'ils n'en étaient pas personnellement coupables. Dans le climat passionnel anti-allemand alimenté alors par les Puissances alliées, on estimait qu'il valait mieux avouer qu'insister pour dire la vérité. Barnes et d'autres critiques des procès y voient un sommet d'hypocrisie dans la mesure où les dirigeants des Puissances qui jugeaient les vaincus allemands se seraient eux-mêmes trouvés accusés si c'était l'adversaire qui avait gagné la guerre. Des procès pour crimes de guerre jugés au tribunal des vainqueurs étaient sans valeur, en particulier dans la mesure où beaucoup de témoignages avaient été obtenus des Allemands par la coercition, et que ceux des Juifs avaient souvent été inventés. Oui plus est, la plupart des éléments de preuve présentés émanaient de territoires qui se trouvaient aux mains des Soviétiques et n'étaient donc pas fiables55.

Les négationnistes regrettent que le gouvernement allemand ait reconnu la culpabilité du régime hitlérien et considèrent que c'est honteux et lâche, et pourtant ils expliquent que cela est compréhensible étant donné les circonstances. Le monde voulait croire à la culpabilité démoniaque de l'Allemagne et le gouvernement d'après-guerre comprit que, s'il y avait un espoir de réduire les lourdes pertes que les Forces alliées victorieuses se préparaient à lui infliger, il devait accepter la culpabilité et afficher ses remords. On éprouverait plus de sympathie pour un vaincu repentant que pour un vaincu rétif. Rejeter l'Holocauste et prétendre à la mystification ne ferait qu'aggraver la sanction prévisible. L'acceptation de la culpabilité et les expressions de remords ne pouvaient que préparer la voie à la réinsertion de l'Allemagne dans la famille des nations. Les procès pour crimes de guerre ne furent donc qu'une comédie et une parodie de justice.

Dans le cas arménien, un tribunal spécial fut créé par le gouvernement turc d'après-guerre afin de juger pour crimes de guerre les membres du gouvernement jeune-turc. Les hommes du triumvirat central – Enver, Talaat et Djemal – furent condamnés à mort par contumace puisque tous avaient fui le pays dans les derniers jours de la guerre. Un gouverneur de district fut effectivement pendu, mais le processus de la justice s'arrêta brusquement. La montée du mouvement de résistance turque dirigé par Mustafa Kemal eut pour effet l'interruption puis la suspension des procès56. Les Britanniques transférèrent bon nombre d'accusés sur l'île de Malte mais, les Puissances alliées se préparant à reconnaître et à faire la paix avec Mustafa Kemal, ils furent relâchés dans le cadre d'un échange de prisonniers. Néanmoins, on avait rassemblé un grand nombre de pièces à conviction et les minutes du tribunal extraordinaire furent publiées en annexe à un journal semi-officiel. La justice n'a pas abouti mais les preuves sont restées. Il est significatif également que le Traité de Sèvres conclu entre les Puissances alliées et le gouvernement officiel turc de Constantinople en août 1920 comportait des clauses sur la restitution des biens des exilés arméniens, le sauvetage des femmes et des enfants gardés de force dans des familles musulmanes et l'obligation pour le gouvernement turc de coopérer pour réunir les pièces prouvant les crimes de guerre et pour se saisir de ceux qui en étaient accusés57. Il n'était pas question à l'époque des atrocités dont la population arménienne avait été victime.

Le succès du mouvement nationaliste de Mustafa Kemal eut pour conséquence la révision du Traité de Sèvres par les négociations qui aboutirent au Traité de Lausanne de 1923 annulant ces clauses. Mais les documents sont toujours là pour rappeler la culpabilité du régime jeune-turc et demander des explications à ceux qui nient le génocide arménien. Ces derniers font valoir la même logique que ceux qui mettent en cause la validité du procès de Nuremberg. Constantinople, font-ils observer, était sous contrôle allié et le gouvernement du sultan n'était plus qu'une marionnette impuissante. Le gouvernement d'après-guerre de Damad Ferid Pacha était hostile aux Jeunes-Turcs et souhaitait se débarrasser des dirigeants populaires et puissants pendant la guerre. La libération de la plupart des criminels accusés par les Britanniques est présentée comme preuve de leur innocence58. Les documents très compromettants que contiennent les archives de l'Allemagne, alliée de la Turquie pendant la Première Guerre mondiale, sont expliqués par le fait que les comptes rendus allemands concernant les projets turcs d'extermination des Arméniens n'étaient en fait destinés qu'à détourner l'attention des excès commis par les Allemands contre les populations civiles de Belgique et d'autres territoires occupés. Comme l'a fait observer Pierre Vidal-Naquet, les négationnistes ont toujours une réponse à ce qui contredit leurs interprétations59.

La guerre froide et la sécurité nationale

La distorsion de la mémoire, en particulier lorsqu'elle est associée à des perceptions d'intérêts de sécurité, a été utilisée par des individus comme par des gouvernements pour déformer le passé. Terrence Des Pres a qualifié la création d'images désirées au prix de l'intégrité historique de « discours du pouvoir »60. Les structures du pouvoir établi guident et déterminent des versions du passé qui finissent par être acceptées. Ceux qui cherchent à nier ou à rationaliser tirent avantage de ces structures pour étayer leur théorie. C'est ainsi que, pendant toute la période de l'existence de l'Union soviétique et en particulier des années de Guerre froide, toute association avec la Russie ou tout renseignement émanant d'URSS était considéré comme suspect. Il n'était pas difficile pour les négationnistes occidentaux d'étendre cette aversion en prétendant que quiconque désirait promouvoir le « mythe » d'un génocide arménien ou d'un Holocauste était un complice, volontaire ou inconscient, de « l'Empire du mal », dont l'objectif était la déstabilisation du système de sécurité occidental, en particulier de ceux des partenaires principaux de l'Alliance atlantique, dans un cas la Turquie et dans l'autre l'Allemagne.

Cette caractéristique commune à la négation est évidente dans les textes concernés. Paul Rassinier et les autres négationnistes français émettent des doutes sur la profondeur de la souffrance des Juifs en faisant remarquer que presque tous les prétendus camps de concentration se trouvaient de l'autre côté du rideau de fer, là où rien ne pouvait être vérifié et où la fabrication de faux documents était une véritable institution. Toute relation avec le communisme ou l'Union soviétique était en elle-même une preuve suffisante de la non fiabilité de l'information. Les négationnistes ont constamment associé les Juifs au communisme, montrant ainsi, d'une part, que le Troisième Reich avait toutes les raisons de se sentir menacé par les Juifs et impliquant, d'autre part, qu'une alliance impie entre les deux éléments avait créé le mythe de l'Holocauste. Certains vont même jusqu'à affirmer que la défaite de l'Allemagne hitlérienne eut un effet désastreux puisqu'elle permit au régime meurtrier de Staline de s'étendre dans toute l'Europe de l'Est et d'engloutir la moitié de l'Allemagne61. Ces arguments cherchent clairement à toucher la susceptibilité d'une opinion publique modelée par les craintes et les inquiétudes de Guerre froide. Les négationnistes espèrent ainsi donner l'impression que ceux qui insistent sur la vérité de l'Holocauste font le jeu des ennemis du monde libre.

Des considérations placées dans le cadre de la Guerre froide s'appliquent encore plus intrinsèquement en ce qui concerne la négation et la rationalisation du génocide arménien. Les gouvernements turcs successifs se sont servis de la position géopolitique du pays pour abolir la mémoire du génocide arménien. Soulignant son caractère démocratique, laïc, orienté vers l'Occident et sa longue frontière stratégique avec l'URSS, la Turquie a exercé des pressions politiques et économiques démesurées, n'hésitant pas à recourir parfois au chantage, pour décourager la reconnaissance officielle et même la discussion du génocide arménien.

La stratégie de Mustafa Kemal consistait à propager la nouvelle image de la Turquie et à éviter d'aborder en public la Question arménienne. On s'imaginait qu'avec le temps, les survivants et les témoins disparaîtraient de la scène et que leurs enfants seraient acculturés dans des pays étrangers, apportant ainsi une solution au problème sans nécessiter de réparation, de compensation ou même de reconnaissance des méfaits commis. Le gouvernement d'Ankara se servait des canaux diplomatiques et économiques pour prévenir des activités susceptibles de perpétuer la mémoire de la tragédie arménienne au niveau international. Par exemple, lorsque dans les années 1930 les studios de la MetroGolwyn-Mayer achetèrent les droits cinématographiques du livre Les quarante jours du Musa Dagh, le célèbre roman de Werfel qui décrivait la lutte pour la survie de plusieurs villages arméniens proches de la côte méditerranéenne, le gouvernement turc adressa une protestation au Département d'Etat qui intervint auprès des Motion Pictures Producers and Distributors of America pour que la MGM renonce au projet. Une légère pression diplomatique et la menace de suspendre les projections des films américains en Turquie suffirent pour empêcher le public américain et international de voir le film sur le Musa Dagh62.

Au moment où éclata la Seconde Guerre mondiale, le génocide arménien s'était évanoui de la mémoire de la plupart des contemporains, et de nombreux gouvernements étaient assez désireux de laisser le problème de côté étant donné l'échec de la communauté internationale à tenir ses promesses de rapatrier et de réhabiliter les survivants arméniens et de prendre des sanctions contre les coupables. Avec la Guerre froide qui prit de l'ampleur dès la fin de la guerre mondiale et avec l'explosion de l'importance stratégique de la Turquie, continuer à s'occuper de la question du génocide arménien aurait mis en péril les intérêts de la sécurité de l'Occident. Les gouvernements, a fait observer Terrence Des Pres, ont toujours eu besoin d'avoir la mémoire courte, mais aujourd'hui plus que jamais. Les rappels historiques viennent, soit mettre en valeur, soit freiner l'action du processus de propagande et le Monde libre ne tient pas à voir des événements regrettables venir mettre en cause sa vertu. Dans le discours du pouvoir, des termes tels que « sécurité d'Etat » et « intérêt national » prennent une signification exagérée qui leur est attribuée par le complexe militaire, et « la vérité » est au mieux un élément aventureux, une sorte de carte qui dépasserait d'un jeu par ailleurs soigneusement empilé »63.

Il n'était pas difficile de profiter de la sympathie des spécialistes américains pour la Turquie, en particulier de ceux qui étudient ce pays ou y ont vécu, pour élever la négation et la rationalisation à un niveau universitaire en replaçant un passé de violence dans la perspective des besoins actuels et du rôle de la Turquie comme allié vital. En 1951 déjà, Lewis V. Thomas, professeur à Princeton, reconnaissait que les Turcs avaient peut-être réagi avec excès à la prétendue menace arménienne et qu'une grande partie de la population avait été « massacrée sur place, convertie à la foi islamique et assimilée... ou expulsée », ajoutant tout de même que les Turcs considéraient les Arméniens comme une « cinquième colonne active ». Mais il en tire une effrayante conclusion :

« A partir de 1918, avec l'élimination définitive de la population chrétienne d'Anatolie et de la région des Détroits, à l'exception d'une petite enclave sans importance dans la ville d'Istanbul, les processus de turquisation et d'islamisation qui s'étaient jusque là déroulés de manière surtout pacifique, furent menés en grande hâte en ayant recours à l'usage de la force... Si la turquisation et l'islamisation n'avaient pas été accélérées par la force, la République turque n'existerait certainement pas aujourd'hui, République qui, dans une mesure non négligeable, doit à l'homogénéité de sa population, sa force et sa stabilité et d'être aujourd'hui un précieux partenaire des Etats Unis  »64.

Thomas fut à l'origine d'un courant de pensée amélioré au fil du temps par des générations d'étudiants, dont Shaw, puis par les étudiants de ce dernier, McCarthy et Lowry.

En réponse à la communauté arméno américaine qui tenta, en 1985, 1987 et 1990, de faire adopter par le Congrès une résolution pour commémorer le 24 avril comme une journée de l'inhumanité de l'homme envers l'homme, se référant au génocide arménien sans pour autant reprocher quoi que ce soit à la République turque actuelle, le gouvernement d'Ankara, ses diverses administrations, ses sociétés de relations publiques aux Etats-Unis, et ses ardents défenseurs, tous jouèrent encore une fois la carte de la sécurité. Le Département d'Etat, le Pentagone et le Conseil National de Sécurité subirent des pressions pour empêcher la résolution de passer. Au cours des débats au Sénat, les orateurs opposés à la résolution prirent la parole pour parler des liens créés par l'OTAN, de l'affront fait à un allié important, et faire état de considérations commerciales. Quelques uns aussi mirent en question la réalité du génocide, soutinrent qu'il y a toujours deux façons d'aborder une même histoire, avancèrent l'argument que le Congrès -qui adopte des centaines de résolutions commémoratives chaque année -devrait s'abstenir de porter des jugements sur des faits historiques controversés, et avertirent que l'adoption de cette résolution encouragerait les forces désireuses de déstabiliser l'Occident. Le fait nouveau dans ces déclarations prononcées dans l'enceinte du Congrès, c'est qu'elles sortaient tout droit des textes négationnistes publiés par l'ambassade de Turquie, l'Institut des Etudes turques créé à Washington par le gouvernement turc et l'Association des Associations turco-américaines65.

L'institut des études turques et son directeur Heath Lowry furent très efficaces pour réunir soixante-neuf spécialistes en études turques, dont beaucoup avaient reçu des bourses de l'Institut, qui acceptèrent d'apposer leur signature au bas d'une lettre publiée sous forme de publicité dans le New York Times et le Washington Post, et lues plus d'une fois dans le Congressional Record. Cette publicité et l'usage qu'en firent plusieurs sénateurs et représentants apportèrent la rationalisation et la relativisation du génocide arménien au sein du Congrès. Voici un extrait de ce texte :

« En ce qui concerne l'accusation de "génocide", aucun des signataires de ce texte ne souhaite minimiser l'ampleur des souffrances du peuple arménien. Nous sommes également conscients du fait qu'elles ne peuvent être considérées indépendamment des souffrances subies par les habitants musulmans de la région. Le poids des éléments dont nous disposons jusqu'à présent penche dans la direction d'un sérieux conflit intercommunautaire (perpétré par les forces irrégulières musulmanes et chrétiennes) compliqué par la maladie, la sous-alimentation, la souffrance et les massacres en Anatolie et les régions voisines pendant la Première Guerre mondiale. En fait, pendant les années en question, la région fut le théâtre de combats plus ou moins continuels, qui ne sont pas sans rappeler la tragédie libanaise de cette dernière décennie. Le nombre de morts dans les communautés musulmane et chrétienne fut immense »66.

En une occasion, la décision du Comité judiciaire du Sénat de reporter la résolution commémorative lors d'un débat réunissant le Sénat dans son ensemble suscita une réaction immédiate de la part du gouvernement d'Ankara. Les opérations militaires aériennes américaines en Turquie furent restreintes et il y eut des menaces de mesures plus sévères. Presque toutes les grosses entreprises ayant des liens avec la Turquie ou ayant signé des contrats pour la livraison d'avions ou d'autre matériel furent mobilisées pour mener campagne contre la résolution. Le sénateur Robert Byrd de Virginie Occidentale prit la tête de ce mouvement, menaçant de faire de l'obstructionnisme aussi longtemps qu'il faudrait pour empêcher l'adoption de la résolution. A la différence d'autres opposants qui manifestaient leur compassion pour les souffrances arméniennes mais estimaient qu'il était plus important de prendre en considération les intérêts militaires et économiques américains, Byrd et quelques autres sénateurs reprenaient les arguments des négationnistes, insistant sur le caractère impropre du terme de « génocide » pour décrire la « tragédie humaine » qui avait affecté tous les malheureux peuples pris dans la tourmente de la Première Guerre mondiale67.

La pression, voire le chantage, des négationnistes soutenus par le gouvernement se sont étendus à des groupes juifs et à l'état d'Israël lui-même. S'efforçant de diviser et d'élargir la brèche entre les groupes victimes, ceux qui nient le génocide arménien soutiennent la vérité de l'Holocauste et son caractère criminel et lancent un appel pour l'empêcher d'être contaminé par une confusion quelconque avec la mystification d'un prétendu génocide arménien. Il mettent en garde le public juif contre un tel amalgame qui, disent-ils, déshonorerait la mémoire des innocentes victimes de l'Holocauste et favoriserait les desseins des manipulateurs arméniens. Conscient que l'on pourrait établir des parallèles entre ceux qui, comme lui, rejettent le génocide arménien et ceux qui nient l'Holocauste, McCarthy s'efforce de repousser l'éventualité d'une telle comparaison :

« Il importe d'insister sur la grande différence entre ceux qui mettent en question le "génocide arménien" et ceux qui mettent en question le génocide des Juifs par Hitler et les nazis. Aucun historien spécialiste de l'Allemagne doué de raison ne doute que les nazis ont tué des millions de Juifs dans leurs camps de la mort, mais un groupe marginal en doute encore. En revanche, les 69 universitaires qui ont mis en cause l'utilisation du terme de "génocide" en ce qui concerne les Arméniens ne représentent pas un groupe de marginaux. Ce sont les spécialistes les plus éminents des Etats-Unis pour l'histoire de la Turquie. Personne ne peut donc ignorer leur remise en question, comme on a fait dans le passé en disant qu'un petit groupe de fanatiques sont les seuls à douter qu'il y eut un génocide arménien  »68.

L'ingérence du gouvernement turc dans la Conférence internationale sur l'Holocauste et le Génocide, qui s'est tenue à Tel Aviv en 1982, est un exemple du chantage exercé en Israël sur la question du génocide arménien. Lorsque les autorités turques apprirent qu'une poignée de journaux sur les deux cents existants feraient référence au génocide arménien, elles se mirent à exercer une pression de plus en plus forte afin d'empêcher que l'on aborde la question arménienne, allant jusqu'à proférer des menaces de mort. Cela entraîna la démission d'Elie Wiesel, président honoraire de la conférence, puis le retrait de deux sponsors, l'Institut Yad Vashem et l'Université de Tel Aviv69. De nombreux universitaires éminents furent pressés de retirer leur participation. Bien que la conférence se soit quand même déroulée, une lumière avait été jetée, qui venait éclairer les mesures qu'était prêt à prendre le parti des exécutants pour empêcher toute discussion sur la catastrophe arménienne. Ce scénario s'est malheureusement répété à maintes reprises, soulignant la différence entre l'institutionnalisation de la négation du génocide arménien d'un côté et le caractère non gouvernemental et non officiel de la négation de l'Holocauste.

La liberté académique et les défenseurs de la vérité

Un des stratagèmes favoris des négationnistes et des rationalistes consiste à se présenter comme des défenseurs ardents de la vérité, qui se tiendraient en dehors de la structure du pouvoir établi mais auraient le courage de défier les forces qui ont influencé la déformation de l'image historique pendant des dizaines d'années. Ils en appellent au sens du fair-play et insistent sur l'importance de prendre en considération l'autre côté d'un débat légitime. Dès que les négationnistes parviennent à faire entrer le génocide dans la catégorie de la controverse, ils ont gagné car, depuis cette position, ils peuvent avancer sur les voies de la rationalisation, de la relativisation et de la banalisation.

La liberté d'expression est un principe auquel on tient dans de nombreux pays, et les négationnistes prennent souvent ce prétexte pour propager leurs idées mensongères. Ce qui est déconcertant, c'est que ces ardents défenseurs de la liberté scientifique ne s'en tiennent pas également au principe tout aussi important de l'intégrité scientifique qui se fonde sur une recherche solide et le respect d'un certain niveau de preuves, mais tolèrent au contraire la violation grossière de la responsabilité scientifique. Cela est clairement apparu dans les résolutions de groupes d'universitaires défendant la liberté scientifique du négationniste Stanford Shaw sans exprimer la moindre opinion sur le mépris qu'il affiche vis-à-vis des normes de la profession. La décision d'un tribunal français en 1995 de tenir Bernard Lewis pour responsable de sa négation du génocide arménien dans le quotidien français Le Monde a soulevé de violentes protestations, dont certaines émanant de grands journaux américains, concernant la liberté scientifique et les controverses historiques. Le Wall Street Journal écrit :

« Un tribunal appliquant un précédent de négation de l'Holocauste à un spécialiste de bonne foi, prenant parti dans une controverse de bonne foi, montre avec quelle rapidité peuvent se répandre les atteintes à la liberté d'expression. Cela sert aussi à obscurcir les raisons pour lesquelles la France et l'Allemagne durent adopter avant tout des lois de ce genre  »70.

Comme le Journal of Historical Review, qui cherche à rejeter l'Holocauste par ses efforts « pour corriger les données historiques à la lumière d'une collection plus complète de faits historiques, dans un climat politique plus calme et avec une attitude plus objective », les négationnistes du génocide arménien essaient de montrer qu'ils s'efforcent de révéler la vérité et d'éliminer les distorsions et les mythes qui sont autant d'obstacles à la paix et à la bonne entente entre les peuples et les nations71. McCarthy demande aux enseignants, aux scientifiques et aux hommes politiques de « s'interroger pour savoir s'il est juste de faire autre chose que de présenter les deux façons de raconter l'événement », en faisant observer qu'au nom de l'équité, les enseignants ont bien souvent changé la « sagesse traditionnelle » qu'apprenaient autrefois les élèves. Le temps est donc venu de revoir la sagesse traditionnelle concernant le prétendu génocide arménien.

La conquête de l'Ouest américain n'est plus présentée comme étant uniquement une noble quête en occultant ses effets sur les indigènes. L'histoire de l'esclavage n'est plus enseignée en insinuant que de nombreux esclaves étaient contents de leur sort. L'impérialisme n'est plus enseigné comme étant le fardeau de l'homme blanc. Sur ces sujets, la quête de l'équité a modifié la façon d'enseigner l'histoire. Il faudrait aussi l'appliquer à la question arménienne72.

Le révisionnisme devient ainsi honnête et juste, et les pourvoyeurs d'idées mensongères espèrent attirer dans leurs filets les gens naïfs et mal informés. Le prétexte de la justice a été invoqué par ceux qui nient et rationalisent l'Holocauste également. Harry E. Barnes se plaint de subir une censure dès qu'il aborde ce sujet. Quiconque se permet de mettre en question la culpabilité allemande est l'objet d'une conspiration pour le réduire au silence et lui refuser un forum d'expression digne de ce nom. Paul Rassinier s'en prend aux puissants groupes qui ont réussi à déformer ce qui s'est réellement passé et profite de son statut d'ancien interné pour mettre en question la « sagesse traditionnelle ». Le droit de Faurisson a rendre publiques des « questions controversées » a été défendu par des universitaires et des scientifiques aussi connus que Noam Chomsky au nom de la liberté d'expression. Même les interdictions légales et judiciaires concernant la négation mettent mal à l'aise les défenseurs des libertés civiles et apportent aux négationnistes un niveau de notoriété et de célébrité qui sans cela n'aurait pas été le leur.

Banalisation

En dépit de la grande différence de personnes et de niveau de négation selon qu'ils traitent du génocide arménien ou de l'Holocauste, ces dernières années, la relativisation et la rationalisation de l'Holocauste ont gagné du terrain. A présent, ces tendances ne sont plus l'exclusivité d'une frange antisémite d'universitaires et d'écrivains mais elles se sont introduites dans la controverse historique ordinaire, en Allemagne en particulier.

Contrairement au gouvernement turc qui apporte son soutien étatique à la négation, le gouvernement allemand n'a jamais apporté son aide directe ou sa complicité à la tentative d'historiens conservateurs allemands qui cherchent à minimiser la culpabilité de leur pays en replaçant banalement l'Holocauste dans le contexte extraordinairement violent de l'histoire du vingtième siècle. Ce soi-disant « débat d'historiens », auquel prennent part des écrivains de réputation comme Ernst Nolte, a pour objet ce qu'on a qualifié de « banalisation comparative ». Sans blanchir complètement le régime nazi, Nolte et ses collaborateurs réitèrent certains arguments des tenants de la rationalisation, tels que ceux énoncés par Chaim Weizmann en 1939, et évoquent des cas comparables d'inhumanité: la déportation et le massacre des Arméniens, la terreur stalinienne et les camps du Goulag, les bombardements intensifs américains en Europe et la bombe atomique lâchée sur le Japon, les excès pendant la guerre du Vietnam, l'auto génocide cambodgien, et d'autres exemples de meurtres de masse au cours de ce siècle. Il s'ensuit donc que la critique de ce type de comportement ne devrait pas se concentrer uniquement sur les transgressions d'un seul peuple ou d'un seul régime73.

La banalisation comparative a contribué à entraîner une réaction de la part d'universitaires qui se consacrent à l'étude de l'Holocauste. La menace que constitue la banalisation a renforcé le besoin qu'ils ressentent de bien marquer la différence entre l'expérience des Juifs et les tragédies des autres peuples. Par exemple, sans nier la terrible victimisation des Arméniens, plusieurs spécialistes de l'Holocauste, parmi lesquels Deborah Lipstadt, Michael Marrus et Steven Katz, écrivent que la tragédie arménienne n'est comparable à l'Holocauste ni par son ampleur, ni par l'intention de ses auteurs. Voici la réaction de Lipstadt à la banalisation qui est le fait de ces historiens allemands :

« La tentative des historiens de créer ce genre d'équivalences immorales ne tient pas compte des différences considérables entre ces événements et l'Holocauste. L'effroyable tragédie arménienne, que ses exécutants refusent encore de reconnaître comme il convient, se déroula dans le contexte d'une impitoyable politique turque d'expulsion et de déplacement. Elle fut terrible et provoqua d'horribles souffrances mais elle ne faisait pas partie d'un processus d'annihilation totale d'un peuple entier »74 .

Le problème que pose cette déclaration de Lipstadt est que la politique des Jeunes-Turcs vis-à-vis des Arméniens visait en fait à un niveau d'extermination qui n'était pas différent de la solution nazie de la question juive. Il est faux, comme l'ont pensé certains spécialistes, que les Jeunes-Turcs se fussent désintéressés du sort des Arméniens vivant au-delà des frontières de leur Empire. Les massacres d'Arméniens dans le Nord de l'Iran en 1914-1915 et dans le Caucase, depuis Kars jusqu'à Bakou lorsque l'armée turque envahit la région en 1918 constituent des preuves suffisantes de l'ampleur et du caractère intentionnel du génocide arménien. Heureusement, Lipstadt a fini par admettre ces faits et par prendre position ouvertement contre la négation du génocide.

Marrus trouve que les massacres arméniens furent épouvantables et qu'ils constituent un génocide en ceci qu'ils furent une attaque dirigée contre les fondements essentiels de la vie arménienne avec pour but final la volonté de l'éliminer. Néanmoins, il maintient que cela diffère de la politique d'extermination, au sens propre du terme, pratiquée par les nazis. Il soutient que « quelle que fût l'ampleur de l'action des exécutants dans les frontières de l'Empire ottoman et malgré l'extermination intégrale de la population de certaines localités, le massacre fut loin d'être total ». Après tout, « plusieurs milliers d'Arméniens survécurent à l'intérieur de la Turquie pendant la période des massacres ». Mais le fait que plusieurs milliers de Juifs fussent encore vivants dans l'Europe occupée par les nazis à la fin de la Seconde Guerre mondiale signifie-t-il que le régime hitlérien n'avait pas l'intention d'éliminer entièrement l'élément juif ? Marrus est parfaitement convaincu de la victimisation des Arméniens, mais il laisse malencontreusement la porte ouverte aux négationnistes en sous entendant que la survie de quelques milliers d'Arméniens en Turquie à la fin de la guerre jette un doute sur l'intention de les éliminer physiquement tous.

« Si les résultats furent effectivement atroces, le processus meurtrier de 1915 n'était pas emprunt du caractère machinal, bureaucratique, réglementé que présentait l'ambition prométhéenne que nous avons assimilée à l'Holocauste nazi  »75.

Il soutient aussi que, contrairement aux nazis, les Jeunes Turcs n'étaient pas animés par une idéologie dévorante. Or, l'idéologie était tellement présente dans la persécution des Arméniens qu'elle mit en péril l'effort de guerre des Empires centraux, et finit par faire naître des protestations véhémentes et des menaces de la part de l'allié allemand.

Dans le premier volume de ce qui promet d'être une analyse monumentale, bien que fort polémique, de l'Holocauste dans une perspective comparatiste, Katz définit le génocide arménien comme une « tragédie ». Après l'avoir décrit comme un « massacre barbare profondément perturbant », ilajoute :

« Pourtant, sans nier aucunement la tragédie arménienne, la façon dont je perçois ses causes, son déroulement, ses conséquences et ses proportions démographiques, ne permet pas de faire entrer cet événement dans la catégorie du génocide... Etablir une distinction ne veut pas forcément dire dénigrer. Le fait que je choisisse pour des raisons spécifiques de définition de rejeter le terme de génocide dans le cas arménien n'est en aucun cas fait pour induire une minimisation quelconque des souffrances ou des morts des Arméniens »76.

De telles affirmations mises à part, cette approche a tendance à diminuer et ne pourra ni approuver ni satisfaire les négationnistes. Katz semble s'être inspiré de certains de leurs ouvrages dans un souci d'être aussi complet et objectif que possible. Yehuda Bauer, qui avait auparavant exprimé des réserves similaires à celles d'autres spécialistes de l'Holocauste profondément troublés par la banalisation, a écrit :

Conclusion

On a dit que la négation avait pour objectif de refaire l'histoire, de réhabiliter les exécutants et de diaboliser les victimes. Elle démontre la fragilité de la mémoire, de la vérité, de la raison et de l'histoire. Israël Charny qualifie les négationnistes de meurtriers arrogants de la vérité qui essaient d'écrire le dernier chapitre du génocide originel en assassinant la mémoire de l'histoire humaine. Nier le génocide, c'est célébrer sa puissance destructrice, minimiser le sens de la vie humaine et soumettre le peuple à une obéissance absolue au gouvernement et à l'autorité77. Yisrael Gutman ajoute que le refus de reconnaître les faits du génocide représente une attaque terrible contre la moralité et nourrit la défiance vis-à-vis de l'histoire écrite78. Le processus devient de plus en plus sophistiqué avec la rationalisation, la relativisation et la banalisation. Les négationnistes se préoccupent davantage de justifier le présent et de façonner l'avenir que de donner une image honnête du passé. En cachant la vérité, ils se font les défenseurs et les complices du grand crime.

Mais il y a encore de l'espoir. Des étudiants de plus en plus nombreux se familiarisent avec les leçons du génocide arménien et de l'Holocauste. Beaucoup d'universitaires inquiets de la négation insidieuse de l'Holocauste en viennent à comprendre l'importance de faire respecter la vérité sur le génocide arménien. En février 1996, plus d'une centaine d'universitaires et de personnalités du monde littéraire signèrent un texte dénonçant la négation du génocide arménien et publié dans la Chronicle of Higher Education. En voici un extrait :

« Lorsque les universitaires nient le génocide, ils font passer le message suivant : les assassins n'ont pas assassiné ; les victimes n'ont pas été tuées :les meurtres de masse ne doivent pas être dénoncés mais rester impunis. Les universitaires qui nient le génocide usent de leur influence considérable pour faire accepter ce crime humain extrême  ».

La négation du génocide est le stade final du génocide: elle tue la dignité des survivants et détruit la mémoire du crime. La négation du génocide cherche à remodeler l'histoire afin de réhabiliter les exécutants et diaboliser les victimes. La négation par le gouvernement turc du génocide arménien encourage, par sa nature même, les programmes actuels qui nient l'Holocauste juif et le génocide cambodgien; elle encourage les épisodes génocidaires qui se déroulent actuellement en Afrique, dans les Balkans et ailleurs. La tactique du gouvernement turc prépare la voie à la négation étatique de l'Holocauste et du génocide dans l'avenir79.

Au nombre des signataires de la déclaration figurent d'éminents spécialistes de l'Holocauste; Yehuda Bauer, Israel Charny, Helen Fein, Raoul Hilberg, Steven Katz, Robert Jay Lifton, Deborah Lipstadt et Robert Melson, et des personnalités du monde littéraire Allen Ginsberg, Norman Mailer, Arthur Miller, Henry Morgenthau Ill, Harold Pinter, Susan Sontag, John Updike et Kurt Vonnegut. Cette salutaire expression de solidarité fait naître un optimisme prudent dans la lutte continue contre ceux qui manipulent la vérité.

Cette analyse comparative montre que les stratégies de ceux qui nient, rationalisent, relativisent, et banalisent le génocide arménien et l'Holocauste ont souvent franchi les mêmes seuils. La négation du génocide arménien a pénétré beaucoup plus profondément dans les cercles universitaires et politiques que ne l'a fait le rejet de la vérité sur l'Holocauste, mais les arguments utilisés restent les mêmes. Cela comprend des affirmations selon lesquelles les « prétendus » génocides ne furent que des inventions de la propagande de guerre; que les « prétendues » victimes étaient principalement des provocateurs et des collaborateurs de l'ennemi; que tous les gouvernements prennent des mesures préventives légitimes; qu'il n'y eut jamais d'intention de victimiser un groupe ni l'autre ; que les chiffres concernant le nombre de morts ont été fortement exagérés et qu'ils sont en fait du même ordre de grandeur que pour l'ensemble des victimes de guerre ; que les procès d'après-guerre des organisateurs inculpés de génocides étaient truqués et n'étaient qu'une manière de se venger des puissances vaincues; que les prétendus groupes victimes étaient en fait liés à la Russie ou à l'Union soviétique; que les tentatives d'exploiter la question du génocide visent en fait à déstabiliser l'OTAN et les pays alignés avec le « monde libre » ; et que le principe fondamental de liberté universitaire – le droit à la recherche et à l'expression sans entrave – est en jeu et exige qu'on le défende activement contre ceux qui ne peuvent tolérer l'idée qu'il y a deux façons d'aborder une même histoire.

Ces arguments sont faux et retors et leur objectif est de tromper et de troubler. Les négationnistes sont satisfaits dès qu'ils parviennent à semer le doute et à faire appel au sens du « fair-play » et c'est ce qui les motive. La campagne concertée et continue de répudiation du génocide arménien peut être considérée comme un prélude à ce qui va se passer pour l'Holocauste. Cette leçon commence à être entendue par les spécialistes de l'Holocauste et les défenseurs des droits de l'homme. La réaction initiale de plusieurs spécialistes et personnalités publiques face à la banalisation de l'Holocauste fut de marquer la différence et même de minimiser l'ampleur du génocide arménien. Mais cette tendance semble changer et les chercheurs et les écrivains concernés par ces deux crimes font front commun devant la menace commune qu'exerce l'hydre à quatre têtes que sont la négation, la rationalisation, la relativisation et la banalisation. Les motivations sous-jacentes de tous ces aspects de la négation sont solidement ancrées et vont des préjugés historiques aux programmes politiques actuels. Face à cette odieuse réalité, il incombe aux gens de bonne conscience de s'unir pour lutter contre le sectarisme et soutenir le principe selon lequel pour tout universitaire, l'intégrité doit être inséparable de la liberté.

*
Professeur d'histoire arménienne et du Moyen-Orient à l'Université de Californie, à Los Angeles (UCLA) depuis 1962 et membre de l'Académie des Sciences d'Arménie. Directeur associé du G.E. von Grunebaum Center for Near Eastern Studies de 1978 à 1995. Occupe depuis 1986 la chaire d'histoire arménienne moderne à l'UCLA. A publié de nombreux ouvrages et articles sur l'histoire arménienne moderne, notamment: Armenia on the road to Independence (1967), The Republic of Armenia, en quatre volumes (1971-1996), The Armenian Genocide : Histo~ Politics, Ethics (1992), Remembrance and Denial, the Case of the Armenian Genocide (1998).
1)
Elie Wiesel, " Und erstanding Eyes", Hadassah Magazine, mars 1987, p. 24. Je souhaite préciser les contributions à ce texte apportées par Michael Blacher qui a fait une étude comparative sur la négation du génocide lors d'un séminaire de troisième cycle que j'ai dirigé à UCLA.
2)
Michael R. Marrus, L 'Holocauste dans l'histoire, Paris, Eshel, 1990, chap. XIV.
3)
Frank Chalk et Kurt Jonassohn, The History and Sociology of Genocide: Analyses and Case Studies, New Haven, Yale University Press of New England, 1987, p. 328.
4)
Voir Deborah Lipstadt, Denying the Holocaust: The Growing Assault on Truth and Memory, New York, The Free Press, et Toronto: Maxwell MacMillan, 1993; Richard G. Hovannisian, "The Armenian Genocide and Patterns of Denial", in The Armenian Genocide in Perspective, sous la direction de Richard G. Hovannisian, New Brunswick, N.J., Transaction Books, 1986, pp. 111-34. Pour des essais bibliographiques sur ce sujet, voir Erich Kulka, "Denial of the Holocaust" et Roger W. Smith, "Denial of the Armenian Genocide" in Genocide: A Critical Bibliographic Review, sous la direction de Israël W. Charny, New York, Facts on File, 1991, 2 : pp. 38-62, 63-85.
5)
Voir, par exemple, Clive Foss, "The Turkish View of Armenian History: A Vanishing Nation", in The Armenian Genocide: History; Politics, Ethics, sous la direction de Richard G. Hovannisian, New York, St Martin's Press, 1992, pp. 250-79.
6)
Richard Cohen, "Killing Truth", Washington Post, 31 mai 1983, B1.
7)
Voir, par exemple, Maurice Bard èche, Nuremberg ou la terre promise, Paris, Les Sept Couleurs, 1948, et Nuremberg Il ou les faux monnayeurs, Paris, Les Sept Couleurs, 1950; Paul Rassinier, Le véritable procès Eichmann ou les Vainqueurs incorrigibles, Paris, La Vieille Taupe, 1983 ; Robert Faurisson, La question des chambres à gaz, Paris, La Vieille Taupe, 1980 ; Mémoire en défense contre ceux qui m'accusent de falsifier l'histoire. La Question des chambres à gaz, Paris, La Vieille Taupe, 1980 ; Arthur R. Butz, The Hoax of the Twentieth Century, Torrance, Calif. Institute for Historical Review, 1976; David Irving, Hitler's War, New York, The Viking Press, 1977.
8)
Voir Deborah Lipstadt, "The Evolution of American Holocaust Revisionism", in Remembering for the Future: The Impact of the Holocaust and Genocide on Jews and Christians, vol. supp., Oxford, Pergamon Press, 1983, pp. 269-76
9)
Kâmuran Gürün, Le dossier arménien, Paris, éd. Triangle, 1983, p. 56.
10)
Justin McCarthy et Carolyn McCarthy, Turks and Armenians: A Manualon The Armenian Question ( Washington, D.C.: Assembly of Turkish-American Associations, 1989, pp. 85-86.
11)
Ibid., p. 88.
12)
Assembly of Turkish-American Associations, Set ting the Record Straight on Armenian Propaganda against Turkey, Washington, D.C.: Assembly of Turkish-American Associations, 1982, p. 11.
13)
Lipstadt, Oenying the Holocaust, op. cit. pp.49-64, 103-21.
14)
Butz, Hoax of the Twentieth Century, op. cit. p. 197.
15)
Ibid., p. 221.
16)
Ibid., p. 204
17)
The Myth of Six Million, Los Angeles, Noontide Press, 1969, p. 87.
18)
Ibid., p. 104.
19)
Gürün, Le dossier arménien, op. cit. pp. 262-63.
20)
(Talaat), "Posthumous Memoirs of Talaat Pasha", Current History 15, Novembre 1921, p.
21)
Altemur Kiliç, Turkey and the World, Washington, D.C.: Public Affairs Press, 1959, p. 18.
22)
United States Congress, 97th Congress, 2d sess., Congressional Record, 128, pt.7, Washington, D.C, Government Printing Office, 1982, p. 8679.
23)
Bernard Lewis, The Emergence of Modern Turkey, New York, Oxford University Press, 1961, p.350.
24)
Stanford J. Shaw et Ezel Kural Shaw, History of the Ottoman Empire and Modern Turkey; vol. 2 : Reform, Revolution and Republic : The Rise of Modern Turkey, 1808-1975, New York, Cambridge University Press, 1977, p. 315.
25)
Ibid.
26)
Ibid.
27)
McCarthy et McCarthy, Turks and Armenians, op. cit. p. 48. Cf Gürün, Le dossier arménien, op. cit. p. 242.
28)
McCarthy et McCarthy, Turks and Armenians, op. cit. 52.
29)
Ibid.
30)
Harry Elmer Barnes, Revisionism and Brainwashing : A Survey of the War Guilt Question of Germany after Two World Wars, N.p., 1962. Voir également l'analyse de Barnes par Lipstadt, Denying the Holocaust, op. cit. pp. 67-70,73-83.
31)
Voir Austin J. App, History's Most Terrifying Peace, San Antonio, Austin J. App, 1974; idem, The Six Million Swindle : Blackmailing the German People for Hard Marks with Fabricated Corpses, Tacoma Park, Md, N.p., 1973. Voir l'analyse de App par Lipstadt, Denying the Holocaust, op. cit. pp. 85-102.
32)
John Beaty, The Iron Curtain over America, Dallas, Wilkinson Pub. Co., 1951, p. 78.
33)
Paul Rassinier, The Real Eichmann Trial, p. 20.
34)
Talaat, "Memoirs", op. cit. p. 294.
35)
Turkey, Foreign Policy Institute, The Armenian Issue in Nine Questions and Answers, Ankara, Foreign Policy Institute, 1982, p. 25.
36)
Gürün, Le dossier arménien, op. cit. p. 244 ; McCarthy et McCarthy, Turks and Armenians, op. cit. p. 52.
37)
Gürün, Le dossier arménien, op. cit. p. 261.
38)
Convention sur la prévention et la punition du crime de génocide, Article Il, Nations unies, 9 décembre 1948.
39)
Shaw, Ottoman Empire and Modern Turkey, op. cit. p. 316.
40)
Ibid., 315. Plusieurs années après la publication de l'ouvrage de Shaw, l'Institut politique turc répéta ce point de vue trompeur en publiant l'ordre suivant, prétendûment issu du conseil des ministres ottoman :
«Lorsque les résidents arméniens des villes et des villages mentionnés plus haut qui doivent être déplacés et transférés à leurs lieux de destination et qu'ils sont sur la route, leur sécurité doit être assurée et leur vie et leurs biens protégés; après leur arrivée, leur nourriture devra être payée sur les fonds affectés aux réfugiés jusqu'à leur installation définitive dans leurs nouvelles maisons. Les biens et les terres devraient leur être distribués en fonction de leur situation financière antérieure et en fonction de leurs besoins; et pour ceux qui auraient besoin d'aide supplémentaire, le gouvernement devrait construire des maisons, et fournir aux cultivateurs et aux artisans des semences, des outils et du matériel».
Voici d'autres extraits de cette fausse information citée :
«Prendre des dispositions pour que des fonctionnaires spéciaux accompagnent les groupes d'Arméniens en déplacement, et s'assurer qu'on leur fournit de la nourriture et tout ce dont ils ont besoin, en payant les frais sur les fonds réservés pour les émigrants.
Les camps installés pour les personnes transportées devront être surveillés régulièrement; les mesures nécessaires à leur bien-être devront être prises, et l'ordre et la sécurité assurés.
S'assurer que les émigrants indigents sont alimentés et que leur santé est bonne grâce
à des visites médicales quotidiennes. Les malades, les pauvres, les femmes et les enfants devront être envoyés par le train, et les autres sur des mules, dans des charrettes ou à pied selon leur capacité de résistance.
Chaque convoi devra être accompagné par un détachement de gardes, et le ravitaillement attribué
à chaque convoi surveillé jusqu'à destination.
Au cas où les émigrants viendraient
à être attaqués, soit dans les camps soit pendant le voyage, toutes les mesures nécessaires doivent être prises pour repousser immédiatement les attaques».
Voir The Armenian Issue in Nine Questions and Answers, op. cit. pp. 24-25.
41)
Shaw, Ottoman Empire and Modern Turkey, op. cit. p. 316.
42)
McCarthy et McCarthy, Turks and Armenians, op. cit. p. 53.
43)
Ibid., pp. 54-55.
44)
Ibid., p. 46.
45)
Ibid., p. 55.
46)
Ibid., p. 66.
47)
Turkey, Cabinet du Premier ministre, Armenian Atrocities in the Caucasus and Anatolia According to Archives Documents, Ankara, Prime Ministry State Archives, 1995, introduction.
48)
Voir, par exemple, Butz, Hoax of the Twentieth Century, op. cit. p. 32.
49)
Paul Rassinier, Debunking the Genocide Myth : A Study of the Nazi Concentration Camps and the Alleged Extermination of European Jewry, Torrance, Calif. : Institute for Historical Review, 1978, pp. 214-20 ; Aimé Bonitas, "The French Revisionists and the Myth of Holocaust”, Remembering for the Future, Oxford, Pergamon Press, 1988, 2 : p. 2194-95. Pour une étude sur les "jeux de chiffres" auxquels se livrent les négationnistes de l'Holocauste, voir Lipstadt, Denying the Holocaust, op. cit. p. 55-64.
50)
Butz, Hoax of the Twentieth Century, op. cit. p. 10, 15. 51Ibid.,p.17.
51)
Ibid.,p.17.
52)
Voir Randolph L. Braham, "Historical Revisionism and the New Right", Remembering for the Future, Oxford, Pergamon Press, 1988, 2, op. cit. p. 2094. Voir aussi Lipstadt, Denying the Holocaust, op. cit. p. 66.
53)
Gürün, Le dossier arménien, op. cit. p. 265.
54)
Shaw, Ottoman Empire and Modern Turkey, op. cit. p. 315-16.
55)
Lipstadt, Denying the Holocaust, op. cit. pp. 55-56,63-64,76-80, 129-32; Braham, "Historical Revisionism," op. cit. pp. 2094-95. Voir aussi les ouvrages cités de Barnes et Butz.
56)
Voir Vahakn Dadrian, The History of the Armenian Genocide, Providence, R.I, Berghahn Books, 1995, pp. 303-343. Voir aussi l'essai bibliographique de Dadrian, "Documentation of the Armenian Genocide in Turkish Sources", dans Charny, Genocide, op. cit. vol. 2: pp. 86-138.
57)
"Treaty of Peace between the British Empire and Allied Powers...and Turkey, Sèvres, August 10, 1920", in British and Foreign State Papers, vol. 113 : 1920, sous la direction de Edward Parkes et al., Londres, His Majesty's Stationary Office, 1923, pp. 681-83,706-07.
58)
Voir, par exemple, Gürün, Le dossier arménien, op. cit. pp. 281-291 ; McCarthy et McCarthy, Turks and Armenians, op. cit. pp. 87-94 ; The Armenian Issue in Nine Questions and Answers, op. cit. pp. 26-28.
59)
Pierre Vidal-Naquet, Les assassins de la mémoire, La Découverte, 1987 ; idem, préface au Tribunal permanent des peuples, Le crime de silence: le génocide des Arméniens, Paris, Flammarion, 1984, pp. 7-16.
60)
Terrence Des Pres, "On Governing Narratives: The Turkish-Armenian Case", Yale Review, 75, n° 4, octobre 1986), pp. 517-31.
61)
Voir, par exemple, sous la direction de Carlos Whitlock Porter, Made in Russia : The Holocaust, n.i.: Historical Review Press, 1988. Voir aussi les ouvrages cités de Beaty, App, Rassinier et Butz.
62)
Voir le dossier sur le film du Musa Dagh dans les Archives nationales américaines, Record Group 59, dossier 861.4061. Voir aussi Hovannisian, "Patterns of Denial", op. cit. pp. 120-121.
63)
Des Pres, "On Governing Narratives", op. cit. pp. 523,527.
64)
Lewis V.Thomas et Richard N.Frye, The United States and Turkey and Iran, Cambridge, Mass. Harvard University Press, 1951, pp. 60-61.
65)
Sur ce sujet, voir Vigen Guroian, "The Politics and Morality of Genocide", dans Hovannisian, The Armenian Genocide, op. cit. pp. 311-39.
66)
New York Times, 19 mai 1985; Washington Post, 19 mai 1985. Sur le rôle de Heath Lowry et de l'Institut d'Etudes turques, voir le chapitre 12 de Remembrance and Denial, sous la direction de Richard G. Hovannisian, Detroit, Wayne State University Press, 1999.
67)
Voir Richard G. Hovannisian, "The Armenian Diaspora and the Narrative of Power", dans Diasporas in World Polîtics, sous la direction de Dimitri C. Constas et Athanassios G. Platias, Londres, MacMillan, 1993, pp. 192-97. Pour le débat au Congrès, voir la seconde session du 1016 congrès, Congressional Record 136, 20-22 et 27 février 1990, Washington D.C.,GPO, 1990, pp. 1208-36,1312-57,1416-48,1692-1716,1731-32.
68)
McCarthy et McCarthy, Turks and Armenians, op. cit. p. 97.
69)
Voir le compte rendu détaillé de l'organisateur de la conférence Israël Charny, "The Conference Crisis : The Turks, Armenians and Jews", dans The Book of International Conference on the Holocaust and Genocide, vol. 2 : The Conference Program and Crisis, Tel Aviv, Institute of International Conference on the Holocaust and Genocide, 1983, pp. 270-330.
70)
Wall Street Journal, 28 août 1995, A 11. Voir aussi le courrier des lecteurs ibid., 11 septembre 1995,A21.
71)
Lipstadt, "American Holocaust Revisionism", op. cit. p. 279.
72)
McCarthy et McCarthy, Turks and Armenians, op. cit. p. 100-1 01.
73)
Sur le "Débat des historiens", voir Reworking the Past : Hitler, the Holocaust and the Historians’ Debate sous la direction de Peter Baldwin, Boston, Beacon Press, 1990.
74)
Lipstadt, Denying the Holocaust, op. cit. p. 212.
75)
Marrus, The Holocaust in Histo~ pp. 20-23.
76)
Steven T. Katz, The Holocaust in Historical Context, vol. I: The Holocaust and Mass Death before the Modern Age, New York, Oxford University Press, 1994, p. 22.
77)
Israel W. Charny, "The Psychology of denial of Known Genocides", dans Charny, Genocide,op. cit. 2:22-23.
78)
Yisrael Gulman, "The Denial of the Holocaust and its Consequences, "Remembering for the Future", op. cit. pp. 2:2116, 2121-24.
79)
Chronicle of Higher Education, 2 Février 1996, A30.
CDCA, Actualité du génocide des Arméniens,
préface de Jack Lang, Paris, Edipol, 1999.
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