colloque CDCA (1998) /
L'actualité du génocide des Arméniens

Avec l'aimable autorisation des éditions Edipol et du CDCA - © Tous droits réservés

Un exemple,
Mouch 1915

Anahide TER MINASSIAN*

La destruction systématique par les autorités militaires et civiles ottomanes de la population arménienne dans la plaine et la ville de Mouch (vilayet de Bitlis) durant l'été 1915 est un des épisodes les moins bien connus du génocide des Arméniens de l'Empire ottoman. A l'absence générale de travaux scientifiques fondés sur le dépouillement des archives ottomanes s'ajoutent la rareté des témoignages, conséquence elle-même de l'isolement géographique de la région, aggravé par l'état de guerre, l'absence de représentants diplomatiques des Puissances centrales ou des Etats neutres, le nombre réduit de survivants arméniens ou le nombre encore plus réduit de missionnaires allemands. C'est pourquoi le témoignage de la missionnaire suédoise Alma Johansson, qui dirige, conjointement avec une missionnaire norvégienne, un orphelinat de la ville de Mouch, est capital. Malgré l'ordre de déportation auquel les historiens turcs contemporains se réfèrent, la population arménienne fut massacrée sur place selon les techniques et les moyens de l'époque. L'enchaînement des événements dans leur logique meurtrière a obéi à une volonté délibérée d'éradication de la population arménienne par les autorités ottomanes.

L’extermination de la population arménienne de la province du Dâron durant l'été 1915 est un fait établi. La tragédie a signifié, ici comme ailleurs mais encore plus qu'ailleurs, la fin d'un monde et une catastrophe irréparable.

Malgré les vicissitudes de l'histoire et durant plus de 2 000 ans, le Dâron, avec ses héros, réels ou légendaires, des Mamikonian à David de Sassoun et aux fédaïs de l'époque contemporaine, avec ses figures emblématiques, de Mesrob Machtots à Moïse de Khorène, avec ses vénérables monastères, Sourp Garabed, Sourp Arakélotz Vank où s'affirmait depuis des siècles la continuité de la sacralité, où affluaient chaque année les foules de pèlerins, avait été la citadelle de la résistance du peuple arménien et le symbole de sa pérennité culturelle.

La controverse qui oppose historiens turcs et historiens arméniens sur le génocide de 1915 s'est doublée dans le cas du Dâron d'une autre controverse entre historiens, mémorialistes et dirigeants des organisations politiques arméniennes, à la recherche, depuis 1918, des causes qui ont conduit au massacre, durant l'été 1915, de plus de 100 000 Arméniens habitants de la ville de Mouch et du massif du Sassoun. L'autopsie de la défaite, comme après tout désastre national, a divisé les survivants et a suscité, durant des décennies, dans la diaspora, une violente polémique sur la stratégie de la Fédération Révolutionnaire Arménienne (FRA) à qui ont été reprochés, pêle-mêle, son "alliance" avec les Jeunes- Turcs en 1908, son rôle dans la création du corps de volontaires arméniens au Caucase en 1915, son incapacité à organiser, avec succès, "l'auto-défense" locale1.

La destruction systématique de la population arménienne de la plaine de Mouch et de la région est l'un des épisodes les moins bien connus du génocide de 1915. L'absence de travaux de recherches fondés sur le dépouillement des archives ottomanes est un fait général de l'historiographie du génocide arménien. Elle se double ici de la rareté des témoignages, conséquence elle-même de l'isolement géographique de la région, isolement aggravé par l'état de guerre depuis novembre 1914, entre l'Empire ottoman et l'Empire russe. Conséquence aussi de l'absence dans cette région de représentations consulaires des puissances centrales ou des Etats neutres. Conséquence, enfin, du nombre réduit de survivants arméniens.

Entre 1914 et 1918, on assiste à une phase de la lutte séculaire engagée entre l'Empire ottoman et la Russie. Les vilayets orientaux de l'empire ottoman, sont le théâtre des opérations militaires dites "du Caucase". Trois d'entre eux, les vilayets d'Erzeroum, de Van et de Bitlis, sont des "vilayets-frontières". Le terrain montagneux, les communications difficiles, le manque de ressources sont peu favorables aux mouvements des deux armées2.

L'anéantissement de la IIIe Armée ottomane, dirigée en personne par le fougueux Ministre de la Guerre, Enver Pacha sur le champ de bataille de Sarikamish (janvier 1915), l'avance de l'armée russe entrecoupée de retraites tactiques ou forcées, les déplacements du front, étiré de la Mer Noire au lac d'Ourmiah, en Perse, l'auto-défense victorieuse des Arméniens de Van accueillant le 5 (18) mai 19153 l'avant-garde de l'armée russe précédée des volontaires arméniens du Caucase4, ont été autant d'épisodes et ont constitué autant d'arguments utilisés par le gouvernement jeune-turc pour invoquer la "trahison" des Arméniens et justifier sa décision de les déporter en Mésopotamie.

Une décision qui, dans le cas du Dâron, ne fut pas appliquée. Rares furent les Arméniens du Dâron qui dépassèrent les limites de leur terroir ; ils furent massacrés in situ selon une méthode primitive et par des moyens atroces5.

En 1914, la province du Dâron, dont le nom perpétue pour les Arméniens le souvenir d'une principauté antique puis médiévale fait partie du vilayet6 de Bitlis.

Ce dernier comprend quatre sandjaks (Bitlis, Mouch, Guendj, Siirt) et le sandjak de Mouch est lui-même subdivisé en cinq Gazas (Mouch, Sassoun, Manazguerd, Poulanegh, Varto).

Le relief du Dâron a des traits originaux où s'affirme une nature puissante : un amphithéâtre de hautes montagnes culminant à presque 3 000 mètres (au Sud, le Sassoun, à l'Est, le Nemroud dont le cône volcanique verrouille le lac du Van) constitue un véritable château d'eau et surplombe la plaine de Mouch. Celle-ci est une vaste dépression, d'environ 100 kilomètres sur 50, arrosée par les cours supérieurs du Tigre et de l'Euphrate et leurs multiples affluents et par l'Araxe, la rivière qui symbolise l'Arménie araratienne, et prend sa source dans les contreforts du Nord. Les cours d'eau au régime alpestre transformés en torrent à la fonte des neiges, sont difficiles à franchir. Les montagnes, l'hydrographie, le long enneigement hivernal sont autant d'obstacles à la circulation et des facteurs de cloisonnement et d'isolement régional.

A l'issue d'une enquête démographique de plusieurs mois, menée sur le terrain en 1909, dans les vilayets de Van, Bitlis et Erzeroum, le "sociologue" d'origine arméno-caucasienne, A-Do7, a conclu à la présence de 154 164 Arméniens dans le vilayet de Bitlis8.

Selon le recensement du Patriarcat arménien de Constantinople (réalisé entre février 1913 et août 1914) dont les archives ont été utilisées par Raymond Kévorkian et Paul Paboudjian pour dresser un remarquable tableau géographique et statistique des Arméniens dans l'Empire ottoman, le Gaza de Mouch aurait compté en 1914, 75 623 Arméniens répartis entre la ville de Mouch, chef-lieu du Sandjak, et 102 villages de la plaine de Mouch où la population arménienne resterait encore majoritaire malgré l'incontestable croissance démographique de la population kurde.

A la même date, la ville de Mouch aurait compté 20 000 habitants dont seulement 7435 Arméniens mais ces derniers représenteraient la principale "force productive", car, sur un total de 800 échoppes, 500 seraient tenues par eux. Preuve même de sa stagnation économique, la ville n'a pas connu de croissance démographique depuis le dernier passage de Lynch, quelques seize ans auparavant9.

En 1898, Lynch qualifie la population de Mouch de "collections d'être humains misérables" dont la majorité est musulmane et kurde et la minorité arménienne. Il affirme qu'il existe, à Mouch, une réelle division ethnique du travail, source des tensions communautaires. Selon lui, les Arméniens fabriquent "tout ce qui peut se fabriquer" et sont les "maîtres" du Bazar. Les musulmans se retirent, l'été, dans les jardins et les vergers de la colline qui entoure la ville et ils y reviennent l'hiver, pour s'y livrer "aux délices de la paresse". Le jugement de Lynch sur l'administration de Mouch est tout aussi sévère : « Mouch est la ville la plus mal gouvernée de l'empire ottoman ». Il y règne la "terreur la plus abjecte", terreur qui serait due au nombre particulièrement élevé de régiments de hamidiés kurdes10 établis dans le sandjak.

La situation n'a apparemment guère changé en 1906. Lorsque le jeune "délégué-reponsable" de la Fédération Révolutionnaire Arménienne, Rouben, pénètre dans ce qu'il a appelé "l'enfer du Dâron"11, avec comme mission l'organisation de l'auto-défense des rayas12 arméniens contre les violences et les exactions exercées par les achiret13 kurdes, les mouhadjins14 caucasiens ou les fonctionnaires ottomans.

Et de fait, Mouch, avec sa "grande-rue", à forte déclivité traversant son misérable Bazar, a peu bénéficié du réel effort de modernisation des villes ottomanes à l'époque hamidienne, même si on y trouve un sérail (siège du mutessarif), une caserne, une poste, dotée d'un télégraphe assurant la liaison avec Bitlis et Constantinople grâce aux relais du "Kordon"15, et quelques belles maisons aux façades blanches précédées de balcons.

L'organisation de l'espace urbain.

En 1914, Mouch est divisée en douze mahals ou quartiers dont cinq sont partiellement ou totalement habités par les Arméniens. Conservé dans les archives du Patriarcat arménien de Constantinople, un plan16 établi par un témoin, Mouchegh Dourian, donne de précieux renseignements sur l'anthropologie urbaine. Mais, en l'absence d'échelle et de courbes de niveau, on se rend mal compte de la topographie qui a joué un rôle déterminant durant les combats de juin 1915.

Plan de la ville de Mouch

Les explications manuscrites (en arménien) sont les suivantes :

  1. le quartier turc,
  2. le quartier dit de la Citadelle (les ruines d'une forteresse arménienne) domine les quartiers arméniens. C'est là que seront placés les canons qui bombarderont les quartiers situés en contre-bas,
  3. Prdi-Tagh, quartier dit des potiers autour de l'église Sourp Sarkis, en majorité arménien,
  4. Véri-Tagh : (quartier haut) avec son église Sourp Haroutioun. Le quartier résidentiel arménien où s'organise, fin juin 1915, l'autodéfense arménienne : elle dure deux jours et demi,
  5. Tsori-Tagh : (quartier du Vallon), arménien, doté de deux églises (NotreDame et les Saints Evangiles) limité par la "Rivière" et séparé de Véri-Tagh par un vallon. On y trouve le collège arménien du Miatzial Enkéroutioun (Société Unifiée) "société de culture", créée à Constantinople en 1880,
  6. Quartier de Sourp Mariné, du nom de la "cathédrale" de Mouch. Quartier arménien où s'élève aussi l'église Sourp Kévork,
  7. Prolongement au delà de la" Rivière ", du quartier précédent,

Autour de Mouch, s'étendent les bostans (jardins, vergers) : c'est là que s'accomplira l'extermination des femmes et des enfants arméniens.

Ce plan, cette "icône" au sens donné à ce terme par le géographe J. Gottmann17, la mémoire autobiographique des survivants, leurs visions fragmentées, suggèrent que les événements qui se sont déroulés en 1915 dans le sandjak de Mouch pourraient faire l'objet d'une étude fondée sur les méthodes de la micro-histoire18. Une histoire, rurale ou urbaine, établissant une interdépendance entre un espace géographique et une stratification sociale (ethnique, religieuse ou économique).

Les récits des survivants arméniens, avec leur précision étonnante des noms, des surnoms (relatifs à une caractéristique physique, une origine sociale ou ethnique, comme "le blond", le "boiteux", le "bigleux", le « hadjl »19, le « tcherkesse », etc, ...) et des liens de parenté des protagonistes, qu'ils soient kurdes, turcs ou arméniens, mettent l'accent sur les relations interpersonnelles observées en des lieux donnés et sur les tensions existant à l'intérieur du corps social, bien avant l'été 1915.

Ainsi, dans un des rares témoignages collectifs recueilli par Aram Andonian20, à Alep, en février 1918, auprès de 95 signataires originaires du vilayet de Bitlis, on relève les noms des tchétésbachi (commandants des tchétés, troupes irrégulières recrutées parmi les tribus kurdes et les prisonniers de droit commun) cités par localité. A Mouch et dans ses environs, ce sont Didoyi Réchid, Mussa beg21, et ses frères Kassemj Beg et Nho Beg, à Bélek, Hadj i Ferro, Hadj i Manouk, Mehmed Agha, etc, ...

Si, d'octobre 1914 à juin 1915, la datation et l'enchaînement des événements restent flous, les faits sont relatés avec force détails personnalisés et tous les témoignages s'accordent à faire débuter les pillages et les violences antiarméniennes, avec la mobilisation générale (août 1914) et l'entrée en guerre de la Turquie (novembre 1914). Moussa Beg donne le signal en pillant le village d'Avzoud, voisin du sien, et fait brûler vive dans une grange toute la famille du reïs (le « maire ») arménien, Malkhass. Dans le village de Mouchakhchen, la maison du réïs Gaspard est attaquée : tous les hommes, des bébés aux vieillards, sont massacrés tandis que les filles, les femmes et le bétail son enlevés. Les Tchétés attaquent le village de Varténis où les Arméniens se défendent. Le gouvernement réplique en envoyant la gendarmerie sous les ordres de Selo onbachi (« décurion ») qui rétablit l'ordre en faisant fourrer des chats vivants dans les pantalons bouffants des femmes et en emmenant des hommes en captivité à Mouch. En février 1915, le tchétchébachi, Mahmed Emin, va chez son « ami », le paysan Goriun du village de Koms. Il tente de le tuer et d'enlever sa femme. Celle-ci s'enfuit à Mouch avec ses enfants, mais 130 villageois arméniens sont massacrés. Autant d'épisodes annonciateurs de la tragédie à venir et dont il faut citer les principaux acteurs et témoins.

Le vali (gouverneur) du vilayet de Bitlis, Moutapha Abdül Khalek bey, est un ittihadiste22 notoire. Le mutessarif (préfet) du sandjak de Mouch, le rouméliote Servet Bey, est lui aussi membre du Comité Union et Progrès et, de surcroît, un ami personnel du Ministre de l'Intérieur, Talaat Pacha. Jusqu'à la déclaration de la guerre, Servet bey a maintenu des relations « correctes » avec la FRA liée au Comité par une alliance électorale. Mais les « Réformes », en faveur des Arméniens, arrachés par la Russie, la France et l'Angleterre au gouvernement ottoman (février 1914), la proclamation du Djihad dès les débuts du conflit russo-turc (novembre1914) ont exacerbé le nationalisme des Jeunes-Turcs et renforcé l'hostilité des musulmans vis-à-vis des Arméniens. C'est le cas de Hodja-llias, affilié au Comité, à la fois arménophobe militant et député musulman de Mouch où il se trouve durant l'été 1915, alors que son collègue arménien, le député Kéram Effendi Der Garabédian est retenu à Constantinople. C'est aussi le cas de son cousin Dayib qui, pour ménager son cheval, se déplace en chaise à porteurs et que Servet bey charge d'organiser les livraisons, de toute nature destinées au front. « Pharaon » local23, Dayib mobilise femmes, enfants et vieillards arméniens. Ces derniers, astreints au portage, affamés et aiguillonnés par les gendarmes doivent couvrir par des sentes de montagnes enneigées, une distance équivalente à 10 jours de marche jusqu'à Hassan Kalé et Kéoprik'eoy, au-delà d'Erzeroum24.

Car, de fait, dans cette région frontalière où la majorité de la population est rurale et mène une vie misérable, celle-ci doit subvenir à une grande partie des besoins des troupes turques concentrées sur son territoire.

« Il fut aussi nécessaire d'envoyer du ravitaillement à Mouch sur le front du Caucase. Comme il n'existait pas de routes traversant ces montagnes, comme les chevaux et les mulets avaient déjà été réquisitionnés par l'armée, il fut nécessaire de recruter des porteurs. Bien entendu, ce fut le lot des Arméniens de devenir porteurs. Les hommes en âge de porter les armes ayant été mobilisés, ce fut le tour des vieillards et des adolescents. Il est au dessus de mes forces de décrire l'état de ces groupes d'Arméniens ramassés dans les villages par les escouades de gendarmes. Deux cents ou trois cents d'entre eux sous le contrôle de gendarmes à cheval, et armés jusqu'aux dents avaient pris la route. Ecrasés par de lourdes charges, affamés, ils se traînaient le long d'une piste dans la neige et le froid glacial. Jour après jour, la troupe diminuait. Rares furent ceux qui revinrent et dans quel état ! L'augmentation des violences exercées chaque jour davantage contre les Arméniens faisait supposer que rien de pire ne pouvait arriver. L'état de guerre donnait aux autorités le droit de réquisitionner tous les biens domestiques, les animaux comme les semences. Tous ceux qui avaient l'occasion d'user de ce droit l'exerçaient. Les simples soldats entraient dans les maisons et prenaient ce qu'ils voulaient. Quant aux officiers, ils s'emparaient dans les boutiques des biens susceptibles de plaire à leurs épouses. Les Arméniens laissaient faire, ne protestaient pas car ils savaient que cela pouvait entraîner un massacre. Nous les missionnaires, nous n'osions parler de cette situation dans les lettres que nous expédions chez nous. Les lettres étaient sévèrement censurées »25 .

Servet bey n'est qu'un exécutant qui reçoit ses ordres de Bitlis et de Constantinople. Il les appliquera implacablement par l'intermédiaire du corps des gendarmes avec l'appui de l'armée ottomane placée sous le haut commandement de Khalil Pacha et concentrée en partie à Mouch depuis la chute de Van (mai 1915). Avec l'appui aussi de la population kurde qui, à dates fixes, est autorisée à piller et à tuer impunément les Arméniens. Encore faut-il remarquer que chaque chef d'achiret (tribu) kurde entend se réserver les bénéfices du pillage de « ses » paysans arméniens, à l'intérieur des territoires qu'il entend contrôler26.

Du côté arménien, émergent quelques figures. L'évêque Nersès Karakhanian est à la tête du conseil diocésain de Mouch. C'est une personnalité respectée dont le comportement, prudent à l'égard des autorités, est dicté par l'expérience27. En avril 1915, il est emporté par le typhus qui sévit sur le front et dans la région. Ses fonctions sont désormais assurées par Vartan Vartaped, l'abbé très populaire du monastère de Sourp Garabed. Souren Vartaped Kalémian dirige, quant à lui, la prélature de Bitlis.

Vahan Papazian est un dirigeant déjà connu de la FRA, parti qui exerce une sorte de monopole politique auprès des Arméniens de Mouch28, mais non auprès de ceux de Bitlis, résolument apolitiques et conservateurs. Député arménien de Van au Parlement ottoman, Vahan Papazian a été bloqué à Mouch par des chutes de neiges précoces, lors de son passage, en automne 1914. Au début de ce séjour forcé, fort de l'expérience politique acquise à Constantinople, il cherche à détendre les relations entre les Arméniens et les Ittihadistes dans une ville que la proximité du front a transformée en centre logistique. Frappé, à son tour, par le typhus, il est dans l'incapacité d'assumer des responsabilités lorsque la situation s'aggrave. Rouben Ter Minassian29, est rentré de Suisse, en 1913, pour succéder à Simon Zavarian30 comme « inspecteur des écoles arméniennes du Dâron ». Il a aussi pour tâche de reconstruire l'organisation militaire dachnak en vue d'une autodéfense éventuelle du Dâron, une province où les fédaïs31 ont été dispersés après la révolution de 1908, où la pénurie d'armes et de munitions est notoire. Délégué au 8e Congrès de la FRA à Erzeroum (août 1914), il est à Mouch lorsque la Turquie entre en guerre, mais sujet russe, il est contraint à la clandestinité. Sa position devenant intenable, il gagne, à la fin de février 1915, avec quelques fidèles, les hauteurs du Sassoun, refuge bientôt encerclé par l'armée ottomane32.

Hadji Hagop Godoyan, est un ancien fédaï, membre du conseil civil diocésain. Il sera l'organisateur de l'auto-défense des quartiers arméniens de Mouch au cours des trois journées décisives des 28, 29 et 30 juin 1915, il attendra, en vain, le secours des Arméniens du Sassoun. Sous sa direction, les insurgés, peu nombreux et mal armés, se battront pour trouver une « mort digne ».

Témoin et acteur, Yéghiché Der Barsamian, kahana33 ,ex-Iocum tenens de la prélature des Daron, participe aux combats de Mouch, assiste à la destruction des villages de la plaine où périssent sa femme et ses enfants. Replié dans le Sassoun, il survit à la famine et aux assauts meurtriers. Son témoignage recueilli et publié aux Etats-Unis, dès 1920, est précieux34.

Témoignage d'un homme simple portant sur des faits et des individus, témoignage d'un homme dont les cris de rage et de désespoir n'épargnent pas même les dirigeants arméniens.

Alma Johansson (1880-1974) est une missionnaire suédoise. Engagée très jeune dans le Kvinnliga Missions Arbetare, une organisation de missionnaires protestants. Après un an de formation en Allemagne, elle est envoyée en Cilicie (1901) où elle travaille dans un orphelinat arménien géré par la Deutscher Hilfsbund. En 1910, elle s'installe à Mouch avec la missionnaire norvégienne Bodil Bjorn. Ensemble, elles codirigent, dans des conditions très éprouvantes, un orphelinat destiné à des enfants arméniens et financé par la Deutscher Hilfsbund. Leurs activités dans cette institution allemande sont tolérées par les autorités ottomanes jusqu'à l'été 1915. Elles assistent donc aux événements qui se passent, en juin, dans la ville de Mouch. A une nuance près : Bodil Bjorn, atteinte par le typhus, est alitée et réduite à l'impuissance. Alma Johansson cherche en vain à fléchir le gouverneur et doit livrer elle-même ses chers « petits » à leurs bourreaux. Les deux femmes réussissent à gagner Constantinople où Alma Johansson essaye, sans succès, d'obtenir une intervention humanitaire de l'Ambassade d'Allemagne en faveur des Arméniens. En décembre 1915, on la retrouve en Suède. Elle revient à Constantinople en 1920. Elle collabore avec le Near East Relief pour secourir les réfugiés arméniens. Après la victoire des kémalistes, elle se replie à Salonique où affluent les réfugiés micro asiates, grecs et arméniens. Elle s'y dévoue jusqu'en 1941, à l'éducation des orphelines arméniennes. C'est à Salonique qu'elle rédige, en 1928, la relation des événements de 1915 dont elle a été l'un des rares témoins occidentaux et dont elle donne une analyse pénétrante35.

Kasbar Bdéyan et son camarade Hrant sont deux garçons de 12 à 13 ans, élèves de l'Ecole Centrale de Mouch fondée par la Société Unifiée des Arméniens. Miraculeusement préservés grâce à la protection d'un Turc, l'un et l'autre ont assisté à l'extermination de leurs familles et de leurs compatriotes. Le « récit de Kasbar », dont le « récit de Hrant » constitue une séquence interne, a été recueilli puis rédigé en arménien par Sarkis effendi Bdéyan à Constantinople en 1918-1919, mais publié bien des années après36.

Le témoignage des deux garçons, bien que sous la forme d'un document de style écrit du à la plume d'un rédacteur, donne vie aux milliers d'acteurs sans noms et sans visages, femmes, enfants, vieillards qui furent impitoyablement massacrés. Ces récits de survivants sont, pour reprendre une expression du « survivant » Primo Levi « une parole par délégation ».

Se fondant sur les expériences qui ont jalonné le mouvement national arménien,

a) l'insurrection avec Damadian et les massacres arméniens du Sassoun (18941896) dans la période offensive du parti hintchak37,

b) les luttes menées au Sassoun par le héros arménien et, à l'époque dachnak, Andranik, en 190438.

Les responsables locaux de la FRA sont persuadés qu'en cas d'affrontement entre les autorités ottomanes et la population arménienne, les premières chercheront d'abord à encercler et à réduire le massif du Sassoun où cohabitent difficilement Kurdes et Arméniens. Conformément à cette analyse et compte tenu de l'insuffisance en hommes et en munitions, Rouben opte pour la concentration, en cas de nécessité, de la défense arménienne dans le bastion de Sassoun qui se prête mieux à une tactique d'autodéfense. Mieux que la plaine et surtout mieux que la ville de Mouch où, comme nous l'avons vu, les Arméniens sont minoritaires. Ni lui, ni Papazian, ni les responsables civils et religieux n'ont jamais envisagé l'éventualité de massacres organisés de la population arménienne.

La tactique appliquée par les Turcs fut totalement différente. Elle a été dictée par une situation d'urgence: la progression de l'armée russe et, après l'occupation de Van, la crainte de son arrivée imminente (voir carte n° 3) . Elle a été inspirée par l'espace géographique : le relief et l'isolement régional ont été utilisés comme un piège par l'armée ottomane omniprésente.

Le « dérapage » du à la guerre, invoqué par les historiens turcs, n'explique pas tout, car la tactique turque obéit aussi à un plan d'extermination des Arméniens autochtones, perçus et traités comme des ennemis de l'intérieur en temps de guerre. Ce plan, à la fois prémédité et improvisé, se développe en trois étapes consécutives: la plaine de Mouch, la ville de Mouch, le Sassoun.

La plaine de Mouch.

 A partir du 26 juin 1915, a lieu le nettoyage ethnique extrêmement rapide des villageois arméniens de la plaine de Mouch. On a recours à des moyens primitifs. Dans le souci d'épargner les munitions, on ne fusille pas les hommes mais on les égorge. On brûle vifs, on enterre vifs. Dans des fosses communes hâtivement creusées, on étouffe les jeunes enfants avec de la terre. On affame les survivants qui ont échappé au premier assaut. Ce qui est nouveau, par rapport aux massacres hamidiens qui avaient « fait » beaucoup d'orphelins arméniens, c'est que, systématiquement, ni les femmes, ni les enfants ne sont épargnés.

Qui sont les exécutants ? Les gendarmes peu nombreux, qui reçoivent et transmettent les ordres grâce au télégraphe. Les tribus kurdes autorisées à tuer et à piller. Des éléments de l'armée ottomane.

A Khaskugh39, un des plus gros bourgs arméniens de la plaine, Kaspar Bdéyan, qui a été confié, avec deux autres gamins de la famille, à la protection très intéressée du brigadier de gendarmerie Sléman Onbachi, assiste, à partir du 25 juin 1915, au pillage des Arméniens par les Kurdes de Moussa beg, en présence d'une douzaine de gendarmes impassibles. Au pillage, se succèdent viols et crimes. Le 27 juin, arrive un convoi de 350 Arméniens – hommes raflés à Mouch –attachés les uns aux autres par les bras, ils sont entassés dans des granges à proximité du relais de « Kordon ».

«Les gendarmes les dévêtirent et leur prirent tout leur argent, nous autres, nous tenant avec quelques hommes et enfants du village, observions (...). Vers deux heures, le pillage s'étant arrêté, cinquante fagots de bois, quinze bottes de paille et quatre bidons de pétrole furent amenés et répartis dans les trois granges sur l'ordre de Sléman Onbachi. Postés sur les toits, nous observions la scène de loin. Soudain, ils allumèrent le feu et les flammes s'élancèrent vers le ciel. Sans doute, certains Arméniens essayaient-ils de s'échapper en forçant les portes ou en perçant les murs, mais les gendarmes, ayant pris position autour des granges, commencèrent à faire feu sans interruption».

Dans les heures et les jours qui suivent, le jeune Kaspar est le témoin de scènes de violences et d'horreur. Tandis que l'on assassine dans le village, une foule d'Arméniens échappés « des villages voisins », Alvarintch, Norchen, Alizernan, Megrakom, Chemlag, sont venus spontanément rechercher la protection des gendarmes du Kordon, les femmes promettant même « de se faire musulmanes ».

Alors que cinquante chars chargés de familles arméniennes destinées à la mort arrivent de Mouch, les gendarmes encerclent la foule amassée sur la place du Kordon et à coups de fouet les forcent tous à prendre la route. Ceux qui n'arrivaient pas à se tenir debout étaient achevés sur place. Beaucoup de femmes incapables d'emmener tous leurs enfants avec elles, les laissèrent sur le bord de la route, de sorte qu'une fois la troupe éloignée, quatre à cinq cents petits enfants âgés de un à cinq ans, restèrent abandonnés sur le chemin.

« Le convoi n'avait pas encore atteint Erechder, qu'Onbachi fit charger des bidons de pétrole sur le dos de quatre ou cinq Arméniens qu'ils avaient arrêtés, et les envoya sous la surveillance d'un soldat à Erechder. J'appris ensuite par les gendarmes que toute cette foule avait été enfermée dans les granges d'Erechder et brûlée. Pour ce qui est des enfants abandonnés sur la route, Sléman Onbachi ordonna à une quinzaine de Kurdes de Kolossig et à quelques jeunes gens de creuser une vaste fosse, puis de rassembler tous ces petits et de les y jeter en les recouvrant de terre. Il m'envoya, moi aussi, avec ses hommes. On regroupa les petits en un même endroit et l'on creusa une fosse profonde. Badr de Kolossig se mit à aligner les petits enfants dans ce trou, leur enfonçant de ses propres mains les mottes de terre dans la bouche, et leur écrasant du pied leur visage pour qu'ils meurent étouffés. C'est ainsi que tous ces enfants innocents sont tous morts d'étouffement. Quant à ceux âgés de cinq ans qui lui résistaient ou n'ouvraient pas la bouche, il leur brisait les dents à coups de pierres et, leur remplissant la bouche de terre, il les faisait mourir par la violence. Après cela, ils recouvrirent la fosse. .. »40.

Chargé de faire paître le bétail volé aux paysans arméniens et de ramasser les galettes de bouses séchées41, Kaspar erre avec un compagnon de fortune dans les villages désertifiés. Partout, dans les maisons calcinées comme dans le fond des vallons, ce ne sont qu'amoncellement de cadavres et puanteur suffocante. Il revient à Garnène42 où il a rencontré une Arménienne poussée par deux soldats et deux gendarmes.

« Les me mis à chercher au milieu des jardins. J'étais dans mes méditations, empli d'un profond chagrin, quand je tombai sur le corps agonisant. Elle était entièrement nue et avait été frappée à la cuisse, afin qu'elle ne meure pas de suite et qu'elle souffre longtemps. Le femme, tombée sur les genoux, la tête appuyée sur le sol, sanglotait. Quand elle me vit, elle eût honte de sa nudité et renfonça la tête.

Je ne pus résister… et m'éloignai.

Or Sayid, voyant que je m'attardais, était retourné me chercher; quand il vit la femme blessée dont je venais de m'éloigner; il alla tout droit à elle :

– Ah, lui dit-il, ils n'ont pas réussi à te tuer ? Attends, je vais te frapper de telle sorte que tu vas mourir sur le coup.

– Il leva son fusil, se posta sur le talus, visa et fit feu. La pauvre fille sauta deux fois en l'air et retomba brisée. ..Nous la laissâmes ainsi, par terre, et nous partîmes.

– Quand nous retournâmes à Garnène pour un troisième voyage, Sayid n'était pas de la course ; à sa place, m'accompagnait un garçon du nom de Riza. Je me proposai d'enterrer quelque part cette fille, qui me rappelait ma soeur Araxie. Je laissai Riza préparer les charges et j'allai jusqu'au cadavre que je tirai jusqu'au pied du talus. Il avait plu ce jour-là et la terre était meuble. Avec un bâton pointu, je la creusai ce qu'il fallait de profondeur pour recevoir la corps, et mis la dépouille à reposer dans la fosse. Puis, je rejoignis Riza : nous chargeâmes les ânes et rentrâmes à la maison ... »43.

En l'espace de quelques jours, la plaine de Mouch est devenue un immense abattoir où Kurdes et Turcs se livrent à la chasse aux Arméniens. Ceux, femmes et enfants, que la faim a chassés de leurs abris sont sauvagement massacrés et deviennent la pâture des chiens et des rapaces.

... « A dévorer ces cadavres, les chiens des villages devinrent enragés et nul ne put aller dans ces parages de peur d'être attaqué par eux … »44

 

La ville de Mouch (voir carte n° 2)

Les journées fatidiques du mois de juin 1915 à Mouch, ont été rapportées par divers témoins. Les troubles commencent le 26 juin 191545 lorsque le gouverneur de Mouch proclame que tous les déserteurs arméniens doivent se présenter pour être envoyés dans leurs bataillons. Et effectivement, on trouve à cette date, à Mouch, sinon des déserteurs du moins des jeunes gens qui n'ont pas répondu à l'ordre de mobilisation. Convoqué, le vicaire de la Prélature, Vartan Vartabed fait remarquer qu'aucune nouvelle n'est parvenue des hommes déjà incorporés et expédiés du côté de Hassan-Kalé, pas plus que des Arméniens enrôlés dans les amele taburi46 : si les Arméniens sont prêts à faire leur devoir, ils craignent néanmoins pour leur vie. Aussitôt, le gouverneur fait arrêter le vicaire, les membres du Conseil civil ainsi que quelques notables arméniens avant de donner l'ordre de perquisitions, suivies d'arrestations, dans les quartiers arméniens de la ville, les gendarmes n'hésitant pas à abattre quelques protestataires regroupés sur la place de Véri-Tagh (Quartier Haut).

Sur les conseils du député Hodja Ilias, les autorités turques font disposer dans le quartier de la Citadelle et sur les collines environnantes, les quatre pièces d'artillerie disponibles à Mouch. Le dimanche 29 juin au matin, l'armée régulière cantonnée dans la ville, les Caucasiens et les Kurdes commencent à donner l'assaut à ces quartiers. Des crieurs publics annoncent que, sous peine de mort, nul ne doit prêter assistance aux Arméniens. Supposant que ces troubles seront passagers, quelques riches Arméniens, proches de Hodja Ilias et de familles turques influentes, avaient déjà cherché refuge dans leurs demeures, moyennant finance. Ils en sont chassés, au moment où, sous la direction de Falamar Agha47, le président de la section de l'Ittihad à Mouch, commence le carnage.

Dans le Quartier Haut, pris sous le feu des canons, l'autodéfense s'improvise dans les maisons arméniennes transformées en bastion. Les hommes, des pères de famille, sont peu nombreux et manquent d'armes et d'expérience. Très vite, les communications entre les quartiers arméniens encerclés ont cessé, rendant toute résistance collective impossible, malgré la pugnacité et l'ingéniosité dont font preuve Hadj i Hagop Godoyan et Tigrane Meguerditchian. Dans les quartiers mixtes, comme Prdi Tagh, les Arméniens sont massacrés. En raison de sa situation peu favorable, le quartier de Sourp Mariné ne peut organiser une résistance sérieuse. Seuls le Quartier Haut et le Quartier du Vallon (Tsori Tagh) réussissent à organiser une défense; c'est contre eux que se concentrent les forces turques. Le 30 juin, le Quartier Haut est en ruines et les combattants survivants se sont repliés dans le Quartier du Vallon. Vieillards, femmes et enfants, 5 à 600 personnes qui se sont rendus sont, sous le prétexte d'appliquer le décret de déportation, dirigés sur Khaskugh où ils sont brûlés48.

Dans le quartier du Vallon, les combats cessent le 30 juin, à la tombée du jour. Dans la nuit, quelques cinq cents fugitifs, des hommes mais aussi des femmes et des enfants, tourmentés par la peur et la faim, tentent de gagner le Sassoun dont l'encerclement a commencé49.

Tandis que la populace se lance dans le pillage des maisons arméniennes, les soldats poussent sur la place du « sérail » les Arméniens, hébétés et surgis des ruines : Turcs et Kurdes viennent y choisir les jeunes femmes et les jeunes filles qui leur plaisent. Les autres sont envoyés en convois vers les jardins et les villages proches pour y être brûlés. Ainsi, une caravane de près de deux mille femmes et enfants est expédiée au bûcher, à Alizernan. Symbole d'un monde moderne, le pétrole de Bakou, exporté avant-guerre en bidons (les teneké), devient l'instrument du martyre des Arméniens de Mouch.

Depuis un promontoire, Yéghiché Kahana observe la fumée des bûchers. Impuissant et visionnaire, il imagine l'atroce souffrance des corps vivants dévorés par les flammes, il entend les hurlements de terreur des mères et des enfants arméniens embrasés50.

Comme lui, Alma Johansson a « souhaité écrire l'histoire des souffrances endurées par les reliquats d'un peuple, une histoire écrite avec du sang et des larmes ». Et elle ajoute : (...) je ne décrirai ici qu'une partie des événements auxquels j'ai personnellement assisté. Jusqu'aujourd'hui, il est impossible de comprendre comment la guerre d'extermination engagée par les Turcs (...) contre tout un peuple a pu se dérouler, sans protestation, sous les yeux de tous les peuples civilisés »51.

 Confirmant les témoignages arméniens, elle relate sobrement les événements qui se déroulent dans la ville de Mouch.

« Le lendemain, à cinq heures du matin, après quelques crépitements préliminaires d'armes à feu, les canons commencèrent à tonner. On était assourdi par le bruit continu des explosions. Non seulement les soldats, mais tous les musulmans, y compris les adolescents turcs étaient armés: le terrible bombardement dura trois jours et trois nuits ! Les bâtiments de notre institution se trouvaient dans le quartier turc, ce qui, dans ce cas précis, nous donnait l'impression d'être en sécurité, mais les projectiles des canons passaient, en sifflant au dessus de nos têtes. Les artilleurs turcs n'étaient pas d'habiles viseurs. Aussi le vacarme insupportable des bombes était comparativement plus grand que les dégâts qu'elles provoquaient (...)52.

«  ...Des fenêtres de la maison, on pouvait suivre les mouvements qui se produisaient en ville. Les Arméniens ne sortaient pas de leurs maisons. Ils attendaient, totalement immobiles. Ce ne fut que lorsque la soldatesque se précipita dans les ruines des maisons bombardées qu'ils cherchèrent à résister, pour rester en vie un peu plus longtemps. Nombreuses furent les femmes qui avalèrent du poison pour ne pas tomber vivantes entres les mains des Turcs. Le lendemain, nous vîmes des groupes de femmes et d'enfants blessés et ensanglantés que les soldats poussaient dans les rues, tandis que d'autres soldats tiraient dans leur direction. Je suppose que ces derniers agissaient ainsi pour les effrayer car on les voyait rire. Mais lorsque les Arméniens touchés par les balles tombaient à terre, l'un ou l'autre des soldats accompagnateurs les achevait à coups de crosse de fusil. Je ne pourrai jamais oublier ces visions. On ne pouvait rien faire pour aider ces malheureux. Pour ne pas mettre en danger le sort de ceux qui s'étaient réfugiés dans notre institution nous n'osions attirer sur nous l'attention des Turcs»53 .

Et, plus tard : «  ...durant la nuit, les Turcs commencèrent à allumer des incendies. Les flammes jaillissaient des maisons voisines de notre institution. Il faisait terriblement chaud parce que les fenêtres étaient fermées, mais il était impossible de les ouvrir car il est au-dessus des forces humaines de pouvoir supporter l'odeur des corps brûlés. Qu'aucun d'entre nous n'ait été la cible d'une balle tenait du miracle. Nos voisins d'en face nous voyaient parfaitement par les multiples petites fenêtres de notre bâtiment. A plusieurs reprises, ils tirèrent sur nous au moment où je passais, sans faire attention, devant l'une de ces fenêtres. Mais, par miracle, aucune balle ne m'a atteinte. D'ailleurs, j'avais totalement renoncé à songer à la vie et à la mort. Simplement je souhaitais vivre aussi longtemps que les autres auraient besoin de moi.

Le quatrième jour, une troupe importante de soldats menée par un commandant vint de nouveau frapper à notre porte. J'y courus. Il tira immédiatement de sa poche un ordre écrit du gouvernement et expliqua que, conformément à cet ordre, il fallait lui livrer tous ceux qui se trouvaient dans notre orphelinat, y compris les instituteurs et le pasteur. Tous les Arméniens devaient être envoyés en Mésopotamie. Lorsque je le suppliai de me permettre de garder les petites orphelines, il me répondit que « mon attitude ne servait pas l'intérêt des enfants car, ajouta-t-il, dès que la situation sera un peu calmée, vous aussi vous serez obligées de quitter cette ville et alors quel sera le sort de cette poignée d'enfants arméniens séparés de leur compatriotes ? »54.

C'est en vain que Alma Johansson, après une douloureuse errance parmi les décombres, rencontre le gouverneur. Ce dernier confirme l'ordre de déportation de tous les Arméniens, sans exception. A son retour de l'orphelinat: «'ordre de se préparer fut immédiatement donné. Je m'arrangeai pour que chaque petit enfant mette plusieurs vêtements. Je leur donnai séparément des paquets de nourriture. Vint l'heure de la séparation. Je n'ose décrire les sentiments qui m'agitaient alors. J'avais l'espoir confus que je reverrais une partie des femmes et des enfants, à condition bien sûr qu'ils aient la chance de survivre aux épreuves des routes de la déportation. Mais nous avions la certitude qu'il n'y avait aucune chance pour les hommes! Eux partaient directement pour le cimetière »55 .

Quelques jours après, elle apprend l'épilogue: « une partie des quelques centaines de femmes qui n'avaient pas trouvé de 'protecteurs’ furent enterrées dans de grandes fosses hors de la ville. Quant aux autres, elles furent rassemblées dans une maison et brûlées vives. Presque toutes celles qui avaient dû sortir de notre maison appartenaient à ce dernier groupe»56.

Décidée à retrouver deux jeunes filles survivantes, Alma tente enfin une nouvelle démarche auprès des autorités turques.

« Je marchais accompagnée du gendarme, rencontrant à chaque pas d'autres gendarmes. A chaque station, je remarquais des Turcs assis par terre qui racontaient bruyamment leurs exploits des derniers jours. Un gendarme se vantait d'avoir brûlé vives dans une maison les ‘'petites’’ de notre institution. Il racontait combien il ‘’s'était amusé" à tirer par les ouvertures des fenêtres. Naturellement, les pauvres petites avaient poussé des cris encore plus aigus. Mes petites ! Je les avais aimées comme mes propres enfants. Toutes ces petites si aimables. Chacune avait été si chère à mon coeur 57.

 Le Sassoun  

Massif réputé inexpugnable culminant à plus de 4 000 mètres au Mont Antok, le Sassoun, montagne-refuge et haut lieu de la résistance arménienne aux envahisseurs étrangers et à l'islam, occupe, avec le Karabagh et Zeïtoun (dans l'Anti-Taurus), une place particulière dans l'imaginaire arménien. Théâtre de la fameuse épopée populaire arménienne "David de Sassoun"58 , célèbre pour le courage, la pugnacité et l'endurance exceptionnelle de ses habitants, le Sassoun a fait figure, jusqu'à la fin du XIXe siècle, de région semi autonome dirigée par ses «princes», en vérité, de petits «seigneurs» locaux dont l'autorité ne dépassait guère les limites de leur terroir59.

Les affrontements entre Kurdes et Arméniens conduisent à la rébellion du Sassoun (1894) et à la répression hamidienne qui ouvre l'ère des massacres et entraîne une régression de la population arménienne.

Selon le Patriarcat arménien de Constantinople, il y avait, en 1914 au Sassoun, 24 233 Arméniens, soit 2812 foyers répartis entre 156 villages, 127 églises et 6 monastères (mais dont la plupart sont en ruines) et une quinzaine d'écoles primaires arméniennes (fonctionnant plus ou moins régulièrement)60. Dispersés au flanc des montagnes, ces villages, difficilement accessibles, sont séparés par des gorges profondes. Certains sont des villages mixtes où les éléments kurdes et arméniens se côtoient dans une égale pauvreté.

Les altitudes élevées, les fortes pentes, la densité de la couverture forestière, la longueur et la rigueur du froid hivernal ne permettent, en effet, qu'une économie fragile fondée sur la culture de céréales pauvres, sur l'élevage et la chasse et sur quelques échanges avec Mouch. Bien que rustique et frugale, la population du Sassoun est constamment sous la menace d'une disette, voire d'une famine. Celle de 1915 aura raison de la résistance sassouniote.

Donnons, une fois encore, la parole à Alma Johansson :

« (...) Un petit groupe d'Arméniens avait pu atteindre les monts du Sassoun. Maintenant que les Turcs avaient accompli avec succès leur besogne dans la ville, ils envoyaient des soldats à la poursuite des fugitifs. La population arménienne du Sassoun, avait été, depuis des temps immémoriaux, une population très brave et ces fugitifs de Mouch qui n'avaient plus rien à perdre étaient décidés à se faire tuer; mais non sans se défendre jusqu'au bout. Faute de pouvoir faire monter leurs canons sur ces hautes montagnes, les Turcs furent obligés d'y envoyer, à plusieurs reprises, des renforts militaires (...). La supériorité du nombre l'emporta, surtout lorsque les réserves alimentaires s'épuisèrent. Tous les Arméniens, sans exception, jeunes et vieux, furent massacrés sur place.

Ce comportement parut barbare, même aux yeux des Kurdes, qui refusèrent de tuer les femmes et les enfants. Ceci fut l'oeuvre personnelle des Turcs. Lorsque l'on apprit que les Arméniens du Sassoun avaient été tués jusqu'aux derniers, ce fut une explosion de joie chez les Turcs de Mouch (...)" »61.

Et de fait, les fugitifs de la plaine et de la ville de Mouch avaient gagné par la passe de Guéligouzan62, les villages arméniens de Chénig et de Sémal qui sont les avant-postes du Sassoun.

Les Kurdes et les soldats les attaquent : une partie de ces gens s'échappe, les autres sont massacrés. Harcelés par l'armée, les fugitifs de Mouch et les montagnards du Sassoun démunis d'armes63 et de nourriture gagnent les hauteurs ou bien se cachent dans les replis du terrain. Torturés par la faim, ils se nourrissent de plantes et de racines64.

En septembre, alors que la pression de l'armée ottomane ne s'est pas relâchée, un petit groupe d'hommes décidés et affamés, mené par Rouben et Vahan Papazian, réussit à traverser les lignes turques pour aller solliciter les secours russes. L'hiver étant venu, il devient impossible de trouver une quelconque nourriture. Malgré l'esprit de résistance et les prouesses héroïques des femmes du Sassoun, un certain nombre de survivants désespérés mais appâtés par la promesse d'une amnistie générale, se rendent aux autorités, à Mouch. Leur sort fut rapidement réglé : « les hommes furent conduits hors de la ville et massacrés. Les femmes et les enfants furent envoyés vers les villages ils furent brûlés et anéantis »65.

L'offensive russe qui est relancée en janvier 1916 aboutit à la conquête d'Erzeroum, de Trébizonde, d'Erzinga, de Mouch-Sassoun et de Bitlis. Au printemps 1916, le front qui s'étend de la mer Noire à la Perse est consolidé, "l'Arménie turque" est occupée par les Russes : mais la population arménienne a presque totalement disparu. Menés par des fédaïs (Dro, Antranik, Hamazasb, Kéri, Ichkhan), les corps des volontaires arméniens se sont reconstitués durant l'hiver 1915-1916 et ont participé, aux côtés des Russes, aux luttes particulièrement violentes autour de Bitlis. C'est alors que volontaires et Arméniens du Caucase découvrent l'ampleur du désastre. La peur, la démoralisation, le refus d'accepter la réalité ont tout d'abord un effet paralysant. Mais à Mouch, à Bitlis, à Erzinga, on voit surgir des montagnes, des cavernes, des forêts, des marécages et même des ruines des villages abandonnés, des groupes de deux ou trois Arméniens, ici un enfant, là une femme ou un homme. Affamés, ensauvagés, en haillons, ils n’ont plus apparence humaine. Dans l'espoir de retrouver d'autres vivants on organise alors de véritables expéditions. Ainsi, Dro et Antranik montent jusqu'au coeur du Sassoun où ils retrouvent des rescapés. On cherche à faire rendre par les tribus kurdes (lorsqu'elles n'ont pas décampé) les femmes et les enfants recueillis ou enlevés : on les rachète à prix d'or66.

Les Arméniens se comptent et se recomptent. En juin 1916, une statistique, très approximative, fait état de 2 400 survivants pour le Sassoun, de 4 à 5 000 pour la plaine de Mouch, mais presque aucun survivant pour la ville de Mouch67.

Ces chiffres traduisent l'ampleur des massacres de masse et les conséquences irréversibles de la catastrophe qui s'est abattue sur la région. C'est ce que confirme le nombre peu élevé de réfugiés arméniens originaires du vilayet de Bitlis et présents, en 1919, dans les camps et les casernes d'Alep et de Beyrouth déversoirs de la déportation.

Le 8 septembre 1919 dans la caserne de Beyrouth, sur 3 780 réfugiés, 33 sont de Bitlis et 56 de Mouch68.

Le 19 septembre 1919, l'Union interprovincial (sic) arménienne de Alep a établi un "Rapport des Arméniens à rapatrier". Ils sont 11293 (dont 3 500 orphelins), mais 873 seulement viennent de Bitlis, de Mouch et du Sassoun69.

Ce qui s'est passé à Mouch et dans le Sassoun a été un nettoyage ethnique brutal, rapide et réussi, au sein du vaste dispositif de déportation des populations civiles qui a conduit au génocide arménien de 191570.

EPILOGUE

Quelques semaines après l'armistice de Moudros (30 octobre 1918), Husseïn Djahid, le président du Parlement ottoman communique, au cours de la séance du 9 décembre 1918, un takrir (une pétition) signé par le "député effendi Kéram Der Garabédian et le député effendi de Sivas, Tigrane Barsamian". Mais Kéram Der Garabédian, le député arménien de Mouch71, a été emporté par la maladie quelques jours auparavant (29 novembre 1918).

Ce texte est, à notre avis, la première tentative d'ouvrir un débat parlementaire à Constantinople sur les responsabilités du gouvernement ottoman dans l'extermination des Arméniens. Kéram effendi constate qu'il y a eu, en corrélation avec les malheurs de la guerre, une catastrophe arménienne reconnue et déplorée par certains députés musulmans. Il constate aussi qu'une controverse a déjà commencé sur le nombre supposé des victimes: 100 000 pour les uns, un million pour les autres ! Ce qu'il dénonce, c'est l'assassinat massif de civils innocents, c'est-à-dire un "crime contre l'humanité".

« Moi, je crois que (...) la vraie question, c'est moins le nombre exact des victimes que le crime perpétré contre des innocents. Il ne fait aucun doute que c'est contre l'injustice que toutes ces protestations s'élèvent, car on peut être sûr que le nombre des seuls Arméniens massacrés à Djanik (Samsoun), dans le Karahissar oriental, à Trébizonde et à Kirassoun atteint déjà les 100 000. Oui, nous le répétons, la question n'est pas tant l'ampleur des massacres mais la violation de la justice, la transgression de la loi et de la morale (...). Comment se fait-il que, dans les provinces orientales, c'est-à-dire à Erzeroum, Sébastia (Sivas), Kharpert, Van, Diarbékir et dans le sandjak d'Ourfa, toute la population arménienne a été déportée, en même temps que le Djihad était proclamé ? Plus d'un 1 ,5 million d'Arméniens ont été dispersés, massacrés, anéantis.

Dans la région que je représente, Mouch, Bitlis, et dans les contrées qui lui sont rattachées, des actes d'une sauvagerie sans précédent dans l'histoire ont été perpétrés. A Mouch, des Arméniens, innocents et paisibles, originaires de la ville ou des environs ont été soumis à un bombardement, puis, détruits collectivement par le feu. Dans la plaine de Mouch, la plupart des villageois ont été attaqués, dispersés, tués. A la suite de ce massacre général, tous les biens meubles et immeubles des Arméniens, tous les biens nationaux ou les biens considérés comme sacrés, conservés dans les monastères et les églises72, ont été pillés, saccagés, détruits. Les moines qui y vivaient ont été tués. Les enfants qui ont survécu à l'horreur de ces massacres ont été convertis de force et dispersés, ici et là. Nous savons tous que leur état est pitoyable »73 .

En conclusion, Kéram Der Garabédian qui déplore l'absence d'aide matérielle apportée aux survivants et dénonce l'installation de nouveaux immigrants sur les terres arméniennes, demande, non sans candeur quelles sont les intentions du gouvernement74.

Au silence de la classe politique ottomane devait succéder la longue bataille de la négation du génocide arménien menée par la Turquie, durant tout le XXe siècle.

*
Maître de Conférences honoraire à l'Université de Paris I Sorbonne. A publié La Question Arménienne (Parenthèses, 1983) ; La République d'Arménie (Complexe, 1989) ; Histoires Croisées- Diaspora, Arménie, Transcaucasie (1890-1990) (Parenthèses, 1997). Auteur de nombreux articles, a participé à des ouvrages collectifs.
1)
Voici, parmi bien d'autres, quelques titres d'ouvrages relatifs à cette polémique.
Der Yéghiché Kahana Der Barsamian, Oaroni inknabachdbanoutiounn ou djarte (L'auto-défense et le massacre du Dâron). Fresno. 1920 ; Garo Sassouni, Tadjkahayastane roussagan dirabédoutian dak. 1914-1918 (L'Arménie turque sous la domination russe 1914-1918). Boston, 1927 ; Vahan Papazian, lm houchère (Mes Mémoires). Beyrouth, 1952. 1.11 ; Rouben, Hay héthapokhagani me hichadaknère (Les souvenirs d'un révolutionnaire arménien), Los Angeles, 1951-1952, 7 volumes. Dans le volume 7, on trouve le récit des combats de Mouch-Sassoun par Sassountsi Mouchegh (Avédissian). pp. 42-121 ; Garo Sassouni, Badmoutioun Oaroni Achkharhi (Histoire du monde du Dâron). Beyrouth. 1957 ; Aghan Daronetzi, Harazad Badmoutioun Oaroni (Histoire véritable du Dâron). Le Caire. 1962; Aghan Daronetzi, Badaskhanadounère Oaroni Yéghernin (Les responsables de la catastrophe du Dâron), San Francisco, 1966.
Il faut ajouter à cette liste non-exhaustive, le discours en sept points du Président de l'Arménie, Lévon Ter Pétrossian, lors de l'ouverture du Colloque de Erevan consacré aux "Génocides du XXe siècle" (21 avril 1995). Dans ce discours, le Président a dressé un tableau sévère, et historiquement très discutable, sur l'incapacité des révolutionnaires arméniens à prévoir et à assumer l'auto-défense de la population arménienne en 1915. A l'évidence, il s'agissait de trouver dans le passé des arguments permettant de justifier l'assaut lancé par le pouvoir contre la FRA. à Erévan, en 1994.
2)
Commandant M. Larcher, La guerre Turque dans la guerre mondiale. Paris, 1925, p. 307.
3)
Rappelons que dans les empires ottoman et russe, le calendrier enregistre un retard de 13 jours par rapport au calendrier grégorien au début du XXe siècle.
4)
A. Ter Minassian, "Van 1915" dans Guerres Mondiales, Paris, 1989, pp. 35-59.
5)
Il est intéressant de noter que les Documents militaires historiques, en cours de publication depuis 1982 par la Direction Générale de la Presse et de l'Information de Turquie (avec traduction en français et en anglais), documents d'archives ottomanes soigneusement choisis concernant la Première guerre mondiale, passent pratiquement sous silence les opérations militaires dans le vilayet de Bitlis (pour l'année 1915) et concentrent l'attention sur la "révolte de Van", cause du "malheur arménien". Même remarque pour les Arméniens in «  Ottoman Documents » (1915-1920), Ankara, 1995. Dans cet ouvrage publié par la Direction des Archives Ottomanes, les occurrences sur Mouch sont rares et non significatives.
6)
En 1864, une réforme administrative, calquée sur le modèle des départements français, a partagé les vieilles provinces ottomanes en vilayets.
7)
A-DO. Vani, Bitlissi yev Erzeroumi vilayetnère (Les vilayets de Van, Bitlis et Erzeroum), Erévan, 1912, p. 157. A-DO (Hovhannès Der Mardirossian) (1867-1954). Sociologue arménien diplômé des Universités de Kharkov et de Saint-Pétersbourg.
8)
Les chiffres rapportés par A-DO, minoratifs de la population arménienne, sont sévèrement critiqués par Nikol Aghbalian, dans une série d'articles publiés dans Horizon (à Tiflis), 1912 n° 264 à 266 et 1913 n° 3 à 9, au moment où la Russie relance la Question arménienne.
9)
H.F.B. Lynch - Armenia, Travels and Studies. Beyrouth, 1965. t. II p. 165. Une réédition. Lynch a fait deux voyages en Arménie: le premier d'août 1893 à mars 1894, le second de mai à septembre 1898.
10)
Corps spécial de cavalerie kurde créé en 1890-1891 sur le modèle cosaque et portant le nom du sultan Abd-ul-Hamid.
11)
Rouben. op. cit. p. 57
12)
Raya signifie "troupeau" et par extension paysan taillable à merci.
13)
Tribus.
14)
Emigrés musulmans originaires du Caucase (500 000 ? 1 000 000 ?) arrivés par vagues successives depuis la conquête russe (1828-1856).
15)
Terme désignant le "cordon", le fil télégraphique.
16)
Dossier Mouch -Document n° 02. Bibliothèque Boghos Nubar Pacha. Paris.
17)
J. Gottmann, La politique des Etats et leur géographie. Paris, 1952.
18)
C. Guinzbourg, Le Fromage et les vers (trad. fr.). Paris 1983. Le meilleur exemple de "micro-histoire".
19)
Hadj ou hadj i désigne le musulman qui a accompli le pèlerinage à la Mecque.
20)
Papiers Aram Andonian. Ambassdanakir -Déghékakir Baghéchi Koussakaloutian. (Acte d'accusation -Rapport du vilayet de Baghèch). Liasse 7, dossier 43, Bitlis, pp. 2-9. Bibliothèque Nubarian à Paris. Ce document a été aussi publié dans la revue Haygazian, Beyrouth, 1995 pp. 530-547. Baghèch est le nom arménien de Bitlis.
21)
Célèbre chef kurde connu pour ses exactions anti-arméniennes. Voir A. Kévonian, Les noces noires de Gülizar. Ed. Parenthèses, Marseille, 1993.
22)
Désigne un membre du Comité Union et Progrès (Ittihad ve Terrake). Si les Jeunes- Turcs ont rétabli, en juillet 1908, la Constitution de 1878, renversé Abd-ül-Hamid II en avri1 1909, le Comité n'a réellement exercé un pouvoir dictatorial qu'à partir de 1913.
23)
Der Yéghiché Kahana Der Barsamian. op. cit., p. 28.
24)
Ibid. p. 25. l’auteur estime à 30%, les survivants de ces opérations. Elles sont confirmées par le missionnaire suédoise Alma Johansson, en poste à Mouch, dans son livre Ett folk i landsflykt (Un peuple en exil). Stockholm, 1930.
25)
Alma Johansson. op. cit. pp. 9-11.
26)
Der Yéghiché gahana Der Barsamian. op. cit., p. 44 et sq. Rappelle aussi l'afflux, dans la plaine de Mouch, des réfugiés kurdes fuyant devant l'armée russe.
27)
Garo Sassouni. op. cit. p. 707 et sq. l’auteur insiste sur les mots d'ordre de prudence lancés par les autorités civiles et religieuses arméniennes dès le début de la guerre.
28)
Il existe à Mouch un Comité de la FRA.
29)
Pour ses activités de 1904 à 1908, voir Rouben. op. cit.
30)
C'est l'un des trois fondateurs de la FRA. Il meurt à Constantinople en 1913.
31)
Membre de groupes mobiles arméniens dans une stratégie d'autodéfense des populations rurales.
32)
Rouben. Op. cit. (édition arménienne), t. VII. Voir le témoignage de Mouchegh Avédissian, pp.65-97.
33)
Prêtre séculier autorisé à se marier.
34)
Eghiché Der Barsamian. op. cit. Rédigé par Missak Nalbandian, "Un instituteur".
35)
Alma Johansson. Op. cit. Sur le témoignage d'A. Johansson, voir A. Ter Minassian : "Mouch 1915 selon Alma Johansson", Haïgazian, Beyrouth, volume 15,1995, pp. 57-83.
36)
Kasbar Bdéyan "De Mouch à Alep, au milieu des cadavres", in Aghan Daronatzi. Histoire authentique du Dâron (en arm.). Le Caire, 1962, pp. 551-636. Le texte de Bdéyan a été traduit en français par K. Kévonian et présenté par le Forum des Associations Arméniennes de France, au tribunal, lors du procès intenté par le Forum à l'historien Bernard Lewis (1995). Les citations que nous donnons sont issues de cette traduction.
37)
Parti social démocrate hintchakian fondé à Genève en 1887 par des étudiants arméniens du Caucase.
38)
Siamanto. Les luttes dans Sassoun-Mouch (en arménien), Genève, 1905.
39)
4113 Arméniens, 3 églises, 2 écoles selon A. Kévorkian et B. Paboudjian. op. cit. p. 489. On trouve à Khaskugh une place dite du "Kordon", à la fois relais télégraphique et poste de gendarmerie.
40)
Kaspar Bdéyan. op. cit.
41)
C'est la principale source d'énergie dans la région.
42)
Garnène ou Garni: abritait 860 Arméniens, une église et une école. A. Kévorkian. op. cit. p. 487.
43)
Kasbar Bdéyan. op. cit.
44)
Kasbar Bdéyan. op. cit.
45)
Vieux style.
46)
Bataillons de travail dans lesquels étaient versés les soldats arméniens désarmés la plupart sont morts à la tâche ou ont été massacrés.
47)
Cité parmi une quarantaine de "massacreurs" dans les Papiers Andonian op. cit, dans Yéghiché Gahana Der Barsamian, op. cit. p. 48.
48)
Kasbar Bdéyan. op. cit. Voir les récits de Kasbar qui assiste à l'autodafé et de Hrant qui se trouve à Mouch.
49)
Yéghiché Kahana Der Barsamian, op. cit. pp. 44-58. l’auteur qui participe à la défense des quartiers arméniens rapporte de façon détaillée les péripéties de cette défense. Avec quelques compagnons, il entraîne dans la montagne un groupe de 250 personnes « âgées en majorité de 10 à 15 ans ».
50)
Yéghiché Gahana Der Barsamian, op., cit. p. 60., Voir sur l'ensemble des événements, Garo Sassouni, op. cité. p. 845 et sq.
51)
Alma Johansson. op. cit. p. 7.
52)
Ibid. p. 24.
53)
Ibid. p. 26.
54)
Ibid. pp. 28 et 29.
55)
Ibid. p. 31. Les hommes auxquels Alma fait allusion sont l'instituteur, le pasteur, le pharmacien, les serviteurs arméniens protestants réfugiés à l'orphelinat. Ils seront effectivement liés ensemble et fusillés.
56)
Ibid. p. 32.
57)
Ibid. p. 34.
58)
David de Sassoun. Préface de M. Orbéli, Traduction française de F. Feydit, Paris, 1964.
59)
Rouben, op. cit. Elève, dans ses mémoires, un véritable monument à la gloire des Sassouniotes, à leur "fierté".
60)
A. Kévorkian et P. Paboudjian, op. cit. p. 492 et sq.
61)
Alma Johansson, op. cit. p. 37. La remarque concernant les Kurdes est exacte: ils sauvèrent des femmes et des enfants arméniens en se les appropriant.
62)
Guéligouzan était un bourg arménien de plus de 1 000 habitants.
63)
Dans les montagnes, Kurdes et Arméniens étaient à armes égales jusqu'à l'intervention de l'armée: fusil à silex ancestral, poignard et même épée et bouclier.
64)
Yéghiché Gahana Der Barsamian, op. cit, Kasbar Bdéyan, op. cit. Rouben, op. cit. ont laissé des témoignages terribles sur les affres des affamés.
65)
Kasbar Bdéyan. op. cit.
66)
Au même moment, une campagne de sensibilisation et de collectes de fonds est lancée dans la presse arménienne de Tiflis avec comme slogan "Un Arménien, une pièce d'or".
67)
Garo Sassouni. Tadjkahayastane roussagan dirabédoutian dak (1914-1918). (L'Arménie turque sous la domination russe 1914-1918), Boston. 1927. Ouvrage écrit par un militant dachnak arrivé à Mouch en 1916. L'auteur a joué un rôle important avec Rouben dans le transfert de ces rescapés au Caucase en 1918. Il leur attribue un rôle décisif dans la création de la République d'Arménie (1918-1920).
68)
M.A.E. Nantes, fonds Beyrouth, Carton 319.
69)
M.A.E. Nantes, fonds Beyrouth, Carton 320. Ces deux documents nous ont été communiqués par Dzovinar Kévonian.
70)
Les luttes à Mouch-Sassoun (Arménie), 1915. Genève, 1916. Publication Drochak.
71)
Voir supra. En avri11915, gravement malade à Constantinople, il n'a pas été déporté.
72)
Les biens Vaqf (donations pieuses, biens monastiques, etc,...) considérés comme inaliénables par le droit musulman.
73)
L'organisation Terre et Culture a présenté en octobre 1995 à la Grande Arche de la Défense, une exposition de photographies saisissantes consacrée aux enfants arméniens durant et après le génocide de 1915.
74)
Ce texte a été retrouvé et publié par l'historien Vahakn Dadrian sous le titre "Le génocide arménien, enquête parlementaire et historiographique", Baikar, 1995.
CDCA, Actualité du génocide des Arméniens,
préface de Jack Lang, Paris, Edipol, 1999.
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