Aveux des ex-Officiels civils et militaires

Ministres du Cabinet du temps de guerre

British Foreign Office FO371/5091/E14130

Folio 32. Le 19 octobre 1920, l’ex-Ministre des Travaux Publics et sous-secrétaire du Ministre de l’Intérieur Talat, Ali Munif, adressa une demande officielle au Secrétaire d’Etat britannique pour les Affaires Etrangères, pour être jugé immédiatement, ou, en l’absence de charges, être relâché immédiatement. En plaidant non coupable pour tout, il déclara : « Quant aux massacres, qui ont eu lieu en 1915, je n’étais pas en position à cette époque ni pour décréter, ni pour commettre directement ou indirectement ces actes. En conséquence, je ne peux pas être tenu pour responsable pour ceux-ci, n’ayant ni le pouvoir de décréter, ni la capacité d’exécuter ».

Gökbilgin Tayyib M. (1959)Milli mücadele başlarken ( quand commença la lutte nationale) Vol. 1 - Ankara : Société historique turque. 195 pp.

p.55 - En référence à la déclaration du Ministre de l'Intérieur, Cemal dit que « la nation a le droit qu'on lui rende compte du passé sanglant », c'est-à-dire l'héritage de la guerre, le meurtre de masse, et les délits économiques;  dans la même veine, Cemal a indiqué « la résolution du gouvernement de s'arranger rapidement avec ce passé afin de le nettoyer ». (kanlı maziyi temizleyecektir).

Presse d’Istamboul

Alemdar, Ikdam, Vakit, 15 March 1919 ; Le Moniteur Oriental, 13 March 1919.

Article et éditorial sur la déclaration publique du Ministre de l’Intérieur Cemal, qui, selon les statistiques compilées par le Ministère de l’Intérieur « 800 000 Arméniens ont été tués au cours de ces déportations ». Ce nombre ne comprend pas les dizaines de milliers d’Arméniens appelés sous les drapeaux et tués par des soldats et officiers servant dans l’armée turque pendant la guerre, ni les innombrables femmes et jeunes filles forcées d’entrer dans des harems, ni les multitudes d’orphelins ramassés et élevés en Musulmans et turquifiés. (L’historien turc Bayur dans son dernier volume précise que le chiffre de 800 000 se moque plus ou moins des chiffres ultérieurs publiés par les autorités turques (p. 787) - Bayur. Y.H. (1983 Türk inkilâbütarihi (L’histoire de la Révolution turque) Vol. 3 (4) Ankara : Société turque historique ; 878 pages.

Nor Giank 7 novembre 1918. Source originale : Mémoires du Général Vakit.

Le Général Çürüsulu Mahmud Paşa, député Ministre de la Guerre 1913, Ministre des Travaux Publics 1914 ; Ministre sans portefeuille en 1919, et Sénateur du Parlement Ottoman, dans ses mémoires, raconte les échanges verbaux avec l’ambassadeur de Berlin et l’ex-Grand Vizir Hakki pacha, et les députés Abdullah Azmi (Kütahya) et Salah Cimcoz (Istanbul). L’essentiel de ces conversations, tel que rapporté par le Général indique que « ce n’est pas le peuple turc mais le gouvernement qui est impliqué dans ces crimes, y compris les noyades des enfants entassés dans des paniers ».

Harb kabinelerinin isticvabı, 16 novembre - 19 décembre 1918 (auditions des ministres du Cabinet du temps de guerre) (1933) [Supplément spécial n° 2 du journal turc Vakit qui donne des extraits des auditions effectuées par le cinquième Comité de la Chambre Ottomane des Députés. Istanbul Vakit . pp.620 ]

1) Extraits du témoignage de l’ex-Ministre de la Justice Ibrahim :
pp.516-519 - En réponse à la déclaration du Président du cinquième Comité parlementaire enquêtant sur l’« inconduite » ministérielle pendant la guerre, disant que la loi de la déportation « était contraire à l’esprit de l’humanité » et à la déclaration subsidiaire d’un député membre du comité disant que la loi avait dégénéré en « licence de tuer des êtres humains » Ibrahim soutint que « ces excès avaient été commis sans avoir été portés à la connaissance du gouvernement ».
p. 526 - « Je crois que même si les députés étaient tout à fait au courant de ces méfaits et atrocités, aucun d’entre eux ne nous en a parlé ni prévenus ».

2) Extraits du témoignage de l’ex-Grand Vizir Said Halim :
pp. 290-291 - Parlant des déportations ayant dégénéré en une campagne d’extermination « On ne peut pas interpréter l’ordre de “déporter” par “ordre de tuer” … comme dans d’autres cas. J’ai entendu parler de cette tragédie quand tout était terminé ».
pp293-294 : En réponse à une autre question, Said Halim en un seul paragraphe définit les mesures anti-arméniennes comme « massacres arméniens », laissant tomber entièrement le mot synonyme « déportation ». Il méprisait Talat, le traitant d’infâme scélérat, empêchant tout effort d’investigation de l’affaire, concluant que pour que cette investigation soit véritable et judicieuse, elle devait être reportée à la fin de la guerre.
pp. 295-296 - Se lamentant sur « la tragédie de Zohrab, cet homme innocent » [ un député arménien qui a été assassiné par les agents de l’Organisation Spéciale, en même temps que Vartkès, un autre député arménien] Said Halim n’eut que du mépris pour l’indifférence du Parlement, et continua : « J’ai demandé : C’est quoi ça ? Selon quelles lois faites-vous de telles choses ? On ne m’a pas répondu ». [L’ambassadeur d’Autriche en Turquie, lors de la Première Guerre Mondiale, Pallavicini, dans deux rapports à Vienne, relate des extraits des échanges avec le Grand Vizir Ottoman, confirmant les déclarations d’après-guerre de ce dernier, cités ci-dessus. Le 7 novembre 1915 (l’anniversaire du début officiel de la guerre avec la Russie) dans un télégramme chiffré marqué « très confidentiel » (streng vertraulich), Pallavicini déclarait que Said Halim n’était pas d’accord avec la politique de Talat envers les Arméniens, et qu’il n’excusait pas « le penchant pour créer un état national (homogène) en détruisant les éléments étrangers » (die Tendenz einen nationalen Stat durch Vernichtung der Fremden Elemente w schaffen). Archives du Ministère des Affaires Etrangères autrichiennes. Österreichisches Staats Archiv. Haus une Hof. Vienna Abteilung I. Allgemeines (Karton Rot) 944. Allgemeines 1915 V-XII n° 93, A.E.

Dans un rapport du 10 mars 1916, Pallavicini décrit la pratique turque de transformer les déportations en une campagne de destruction de la nation arménienne comme une « tache éternelle pour le gouvernement turc » (wird immer ein Schandfleck für die Tukische Regierung bleiben). Il ajoute ensuite cette remarque « Il y a quelques jours, le Grand Vizir a déclaré candidement que dès le début il était contre les mesures anti-arméniennes telles que conçues initialement par Talat et Enver ». (Austrian Foreign Ministry ; archives XII. Türkei 3) Die Armenier Verfolgungen 1915-1918, karton 463 ; N° 21/P.B. L’Ambassadeur attribue la même observation au Ministre des Affaires Etrangères Turc Halil, dans le même rapport, de même que dans celui du 7 novembre 1915 dans lequel Pallavicini déclare « Halil, avec une candeur totale concéda que son collègue Talat se décarcasse pour résoudre la question arménienne, pendant que la guerre se déroule, à sa manière et en créant pour les grandes puissances un fait accompli… Les gouverneurs des provinces et des districts sont du parti Ittihadiste et n’obéissent qu’aux ordres venant du parti, mais pas à ceux qui viennent du gouvernement ». (Ministères des Affaires Etrangères d’Autriche, Archives XII, Türkei 3) Die Armenier Verfolgungen 1915-1918. Karton 463. N° 93/ P.B.

Takvimi Vekayi. N° 3540 ; session du 28 avril 1919 - date de publication 5 mai 1919

P. 8 Dr. Nâzım, l’un des chefs des organisateurs du génocide, est décrit comme admonestant le gouverneur de Konya récalcitrant Celal, par ces mots : « Les mesures anti-arméniennes ont été déterminées suite à des délibérations considérables et complètes par le Comité Central [ayant pour but de résoudre la Question Arménienne]. »

Ministres de la période de l’armistice (Opposants et critiques de l’Ittihad)

Archives du Ministère des Affaires Etrangères d’Allemagne A.A. Botschaft Konstantinopl 172 n° 384- Le Consul allemand de Damas Loytved Herdegg, Rapport du 30 mai 1916.

Ce rapport concerne une conversation confidentielle avec Hüseyin Kâzım Kadri, Ministre du Commerce, de l’Agriculture et des Travaux Publics pendant la période de l’Armistice (1920-21) au cours de laquelle ce dernier est décrit comme s’étant « rendu compte que le gouvernement turc n’est pas sérieux au sujet des déportations, mais il a réellement pour objectif une extermination systématique » (systematisch ausrotten) des déportés arméniens. L’échange avait débuté par Kadri au cours d’un banquet donné par Cemal Paşa sous les ordres duquel Kadri servait alors d’officier de relocalisation, donc impliqué dans l’installation des déportés arméniens.

Presse d’Istanbul :

Sabah, 28 janvier 1919. Editorial par Ali Kemal, Ministre de l’Education (4 mars - 19 mai 1919) et du Ministre de l’Intérieur (19 mai - 29 juin 1919)

« Il y a 4 ou 5 ans, un crime historique singulier a été perpétré, un crime devant lequel le monde frissonne. Etant donné ses dimensions et son niveau, ses auteurs ne se comptent pas par cinq, ni dix, mais par centaines de milliers… En fait, il a déjà été démontré que cette tragédie avait été planifiée et fondée sur une décision prise par le Comité Central de l’Ittihad ». [ un autre éditorial dans Alemdar du 18 juillet 1919, disait que : « … Notre Ministre de la Justice a ouvert les portes des prisons… Ne croyez pas que nous essayons de blâmer les Arméniens ; nous ne devons pas nous flatter en pensant que le monde est peuplé d’idiots. Nous avons pillé les propriétés des gens que nous avons déportés et massacrés ; nous avons approuvé le vol dans notre Chambre et notre Sénat… Prouvons que nous avons suffisamment d’énergie nationale pour mettre la loi en vigueur contre les chefs de ces bandes qui ont foulé au pied la justice et traîné dans la boue notre honneur et notre vie nationale ».]

Vakit, 13 décembre 1918 : Déclaration du Ministre de l’Intérieur Mustafa Arif (Deymeyer).

« Il est certain que certains Arméniens ont été complices de nos ennemis et les ont aidés, quelques députés arméniens ont commis des crimes contre la nation turque… Il incombe à un gouvernement de poursuivre les coupables. Malheureusement, nos dirigeants du temps de guerre, imbus d’un esprit de brigandage ont mis en œuvre la loi de la déportation de telle manière qu’elle allait surpasser les tendances des bandits les plus assoiffés de sang. Ils ont décidé d’exterminer les Arméniens, et ils les ont exterminés. Cette décision a été prise par le Comité Central des “Jeunes Turcs” et fut mis en œuvre par le Gouvernement »
Huit jours plus tard, le 21 décembre, le même Ministre de l’Intérieur déclarait à la Chambre des Députés Ottomane : « Les atrocités commises contre les Arméniens ont réduit notre pays à un gigantesque abattoir ». Il fit cette déclaration après avoir fini de lire l’Edit Impérial du Sultan qui ordonnait la dissolution de la Chambre comme prévu par la Constitution. Renaissance, 11 décembre 1918.

Türkgeldi, Fuad Ali (1951) Görup işittiklerim (les choses que j’ai vues et entendues) 2ème édition - Ankara - Publication de la Société historique turque 290 pp. Déclaration du Grand Vizir Damad Ferid Paşa

p. 197 : « Il est nécessaire d’adopter rapidement une décision concernant les auteurs d’un crime qui a provoqué le dégoût de l’humanité entière ».

Takvimi Vekayi, 21 juillet 1920. Cemal, Ministre de l’Intérieur (Mars-Avril 1919), Ministre de l’Intérieur par intérim (juillet 1920)

L’évaluation par son ministère du nombre d’Arméniens tués au cours des déportations s’élève à 800 000, alors Cemal pose la question : « Ne pensez-vous pas que la nation a le droit d’avoir un compte-rendu des atrocités ?… Le passé sanglant sera effacé ». [ cité aussi à la page 55 de Gökbilgin, T.M. (1951) - voir page 107 de ce chapitre « Aveux d’ex-Officiels civils et militaires ») et dans la presse d’Istanbul ci-dessous.

Presse d’Istanbul :

Vakit, Ikdam, 15 mars 1919 ; Alemdar, 13 mars 1919.

La déclaration publique du Ministre de l’Intérieur Cemal : « Sur la base des calculs effectués par les experts du Ministère, 800 000 déportés arméniens ont réellement été tués »

Les aveux des trois chefs ittihadistes (Ministres pendant la guerre)

Etant donné la lourde charge de responsabilité pesant sur ces trois dirigeants en ce qui concerne l’énormité du crime du génocide arménien, responsabilité partagée et aggravée par la défaite de la Turquie en octobre 1918, les déclarations faites par ceux-ci pendant la période de l’armistice doivent être étudiées avec la plus grande attention et circonspection. Par conséquent, les comptes-rendus respectifs disponibles, ainsi que les références aux mesures anti-arméniennes sont principalement des versions simplifiées d’un conflit arméno-turc, exacerbé par les priorités et les exigences de la guerre mondiale. La Turquie est décrite comme ayant mené une lutte de question de vie ou de mort, et les Arméniens sont définis comme des ennemis internes traîtres et séditieux, essayant de faire pencher la balance de cette lutte sur le plateau d’une lutte contre la mort. Néanmoins, les contours d’une attaque d’extermination sont discernables dans l’application de ces mesures anti-arméniennes, comme il est concédé et justifié par tous ces hommes.

Il y a un penchant clair dans les déclarations de ces trois personnes, à démentir leur responsabilité dans le résultat génocidaire de ces mesures. Leurs déclarations du temps de guerre, qui dénotaient une attitude de confiance en la victoire, sont toutefois moins défensives et ambivalentes, suggérant une sorte de satisfaction des résultats obtenus. Afin de parer aux protestations possibles de préjudices et de parti pris, les citations se sont limitées aux auteurs et aux personnalités qui étaient soit neutres au cours des échanges avec ces trois hommes, soit des amis déclarés de la Turquie. Ont été exclus des gens comme Lepsius qui avait eu une très longue interview avec Enver pendant la guerre concernant les massacres d’Arméniens qui se déroulaient alors. Dans le cas des déclarations, toutefois, celles qui ont un caractère public, tels que les discours prononcés au cours de cérémonies publiques, la condition de la source étant neutre ou pro-turque est inefficace.

Cemal Paşa

Cemal Paşa, (1977) Hattiralar : Ittihad ve Terakki I dünya savaşi anıları (Mémoires de la Première Guerre Mondiale : souvenirs de l’Ittihad ve Terakki) 4ème édition. Editée par B. Cemal, Istanbul : Cagdas, 465 pp [Il est noté à la fin du livre que Cemal n’avait pas et ne pouvait pas tout révéler à cause des contraintes de la période de l’Armistice]

p.413. Faisant allusion à la sévérité des mesures anti-arméniennes et à la participation du peuple dans leur application « Je trouve la perpétration des massacres particulièrement révoltante » (hususiyle katliamlardan nefret ederim).
p.443 - « Les crimes qui d’après les rapports ont été perpétrés au cours des déportations de 1915 sont réellement révoltants ».

Kressenstein, Freiherr Kress von (1938) Mit den Türken zum Suezkanal (au Canal de Suez avec les Turcs) Berlin : Vorhut Verlag 308 pp. ( Lieutenant Colonel, plus tard Major Général, officier du personnel, plus tard Commandant d’armée, ayant servi sous le Haut Commandement Turc en Palestine pendant la 2ème Guerre Mondiale)

p.140. Retournant au bureau de la guerre d’Istanbul depuis le Q.G. de la 4ème armée, en compagnie de l’officier allemand, Cemal à Mamure témoigna de scènes de déportation
qui étaient suffisamment révoltantes pour lui pour se tourner vers son compagnon allemand et remarquer : « J’ai honte de ma nation ». (Ich Schäme mich für meine Nation).

Enver Paşa

The Morning Post,1er décembre 1918. Le Prince Abdul Mecid, héritier évident au trône ottoman, dans une interview avec le correspondant spécial d’Istanbul de ce quotidien londonien.

p. 5 « Je parle de ces horribles massacres. C’est la plus grosse tache qui ait jamais disgracié notre nation et notre race. C’était entièrement le travail de Talat et d’Enver. J’avais entendu, quelques jours avant que cela commence, qu’ils en avaient l’intention. J’ai été à Istanbul et j’ai insisté pour voir Enver. Je lui ai demandé si c’était vrai qu’ils avaient l’intention de recommencer les massacres qui avaient été notre honte et notre disgrâce sous Abdul Hamid. La seule réponse que j’aie pu recevoir de lui fut : “C’est décidé. C’est le programme” ». Cité aussi dans le New York Times, 27 novembre 1918, dans une interview similaire par un reporter d’Associated Press.

Archives du Ministère des Affaires Etrangères françaises. Guerre 1914-1918. Turquie.

Enver a déclaré publiquement « L’Empire Ottoman doit être nettoyé des Arméniens et des Libanais. Nous avons détruit les premiers par l’épée, nous détruirons les derniers par la famine » [Cité par Beylérian, A. (1983) Les grands puissances, l’Empire Ottoman et les Arméniens dans les Archives françaises (1914-1918) Paris Sorbonne. Série documentaire n° 34 p. 205.]

Morgenthau Henry (1918) " Ambassador Morgenthau’s story. Garden City, N.Y. Double Day Page.407 pp.

pp.351-352. L’Ambassadeur américain déplorait « les massacres » contre les Arméniens et les attribuait à des subalternes irresponsables ou des subordonnés des provinces éloignées. La réplique d’Enver fut : « Vous vous trompez complètement. Ce pays est absolument sous notre contrôle. Je n’ai aucun désir de rejeter la responsabilité sur nos subordonnés et je suis entièrement d’accord pour accepter ma propre responsabilité pour tout ce qui a eu lieu ».

Talat Paşa

Archives du Ministère des Affaires Etrangères d’Allemagne. A.A. Türkei 183/37, A19744.

Dans une conversation avec le Dr. Mordtmann, l’attaché de l’Ambassade d’Allemagne à Istanbul, et le responsable dubureau arménien de cette ambassade. Le rapport de l’Ambassadeur Wangenheim du 17 juin 1915, cite Talat et écrit ceci : « La Turquie a l’intention de profiter de la guerre afin de liquider entièrement (gründlich Aufzuräudumen) ses ennemis internes, par exemple les indigènes chrétiens sans être par conséquent dérangée par une intervention étrangère ».

Mémoires du Comte Bernstorff (1936) traduits par Eric Sutton. New York : Random House, 383 pages.

p.176 - En 1918, trois ans après le rapport cité ci-dessus, Talat, dans un échange avec Bernstorff, le dernier ambassadeur allemand en Turquie, indiqua que le génocide était tout sauf complet, comme le révéla cet extrait des mémoires de l’Ambassadeur : « Comme je continuais à l’importuner sur la Question arménienne, il me dit une fois avec un sourire : “Que voulez-vous au juste ? La question est réglée. Il n’y a plus d’Arméniens” ». L’ambassadeur ajoute : « En Arménie… les Turcs ont essayé systématiquement d’exterminer la population chrétienne ». P. 374

Morgenthau Henry (1918) Ambassador Morgenthau’s story. Garden City, N.Y. Double Day Page.407 pp.

Pages 333-334. Talat à Morgenthau : « Cela ne vous sert plus à rien de discuter… Vous avez déjà disposé des trois quarts des Arméniens… La haine entre les Turcs et les - Arméniens est maintenant si intense que nous sommes obligés d’en finir avec eux. Si nous ne le faisons, ils vont chercher à se venger ».
P. 339 « Nul Arménien ne peut être notre ami, après ce que nous leur avons fait »
P. 392 « A quoi ça sert de parler encore d’eux ? Nous nous sommes débarrassés d’eux. Tout cela est fini ».

Archives du Ministère des Affaires Etrangères d’Allemagne. A.A. Türkei 158/14

p. 18. Le 18 octobre 1915, le rapport d’Ernst Jackh, Allemand turcophile spécialiste de Turquie, à propos de son voyage de septembre-octobre 1915, préparé au profit du Ministère des Affaires Etrangères d’Allemagne, contenait ces mots : « en fait, Talat a ouvertement acclamé la destruction du peuple arménien comme un soulagement politique ».

Trumpener Ulrich (1968) Germany and the Ottoman Empire 1914-1918 Princeton, N.J. Princeton University Press - 433 pages

p.127. Hans Humann, lieutenant colonel, attaché naval allemand, ambassade d’Istanbul, et copain du seigneur de guerre Enver, envoya à Berlin un mémorandum par Talat et Enver dans lequel ils demandaient le remplacement immédiat de Wolff-Metternich (Ambassadeur d’Allemagne en Turquie). En faisant la liste de leurs critiques envers l’Ambassadeur, tous deux soulignaient que celui-ci était tout à fait dénué de sympathie envers les innovations que le régime « Ittihad ve Terakki » avait introduites dans l’Empire Ottoman, une accusation qui citait très clairement l’opposition de Wolff-Meternich à la politique arménienne de la Porte. Comme disait Talat,« le travail qui doit être fait doit être fait maintenant. Après le guerre, ce sera trop tard » (en italique dans l’original).

Edib Halide (1926) Mémoires de Halide Edib- New York Century 472 pages.

p. 387 - Lors d’un échange avec Talat sur la Question arménienne, et « les facteurs qui conduisent l’homme à l’extermination de son espèce » Edib discerne deux facteurs… Les principes défendus par les idéalistes et l’intérêt matériel des conséquences de cette action qui profite à certaines classes. Les idéalistes sont les plus dangereux, car on est obligé de les respecter même si l’on n’est pas d’accord avec eux. Talat était de cette catégorie. L’écrivaine féministe turque cite alors Talat directement : « J’ai la conviction que tant qu’une nation fait de son mieux pour ses propres intérêts, et réussit, le monde l’admire et trouve cela moral. Je suis prêt à mourir pour ce que j’ai fait, et je sais que je vais mourir pour cela ».

Herbert, Aubrey [ Caotain J.G. Bennett] 1924 - Ben Kendint. A Record onf Eastern Travel, seconde édition - Edité par D. MacCarthy. London- Hutchinson, 343 pages

P 309 : Lors d’un entretien avec ce membre turcophile du Parlement britannique, qui alla voir Talat en exil en Allemagne, sous les auspices de Scotland Yard, Talat se décrivit lui-même comme étant « contre la tentative d’extermination des Arméniens ».
p. 323. Talat déclara également « qu’il s’était opposé deux fois à une migration forcée »[ces extraits provenant d’une interview requise par Talat lui-même, se trouvent aussi dans le Blackwood’s Magazine 213 (MCCXC) (avril 1923), 424-440. Les références sont dans les pages 46 et 436)]

Talat Paşa'nın hatıraları (Les mémoires de Talat Paşa) (1946) Edité par E. Boyalir. Istanbul : Güven, 149 pages

p. 74 Parlant des massacres d’Arméniens « certaines personnes immorales et sans scrupules étaient désireuses de profiter personnellement de la situation ; ces gens-là étaient des instruments de production de nombreux crimes… Les informations fournies par les députés [sur ce sujet] étaient réellement déchirantes. »

[Cet aspect du génocide est attesté par les deux rapports ci-dessous du Haut commissaire américain de la capitale ottomane, et diplomate ancien combattant, Lewis Heck :
« la grande majorité des officiels turc à l’Intérieur sont aussi les mêmes officiels qui ont soit participé activement soit au moins excusé les massacres des Arméniens… La vaste majorité de la race turque a approuvé de tout cœur ces massacres. » U.S. National Archives R.G.256.867.40162, pp. 2,3,du rapport du 9 janvier 1919 à Washington. Une déclaration semblable dans R.G.256 867.0059 p.3 du rapport du 20 janvier 1919 .
Même l’amiral américain turcophile Bristol, successeur de Heck se sentit contraint d’admettre que « le caractère des Turcs musulmans est bien connu. On sait que les Turcs vont dérober, piller, déporter et tuer les Chrétiens toutes les fois que l’occasion se présentera, de leur point de vue » R.G.59.867.00/1361, p.1 du rapport du 22 octobre 1920.
L’ambassadeur américain durant la guerre, Morgenthau, fut encore plus descriptif sur la participation à grande échelle des foules de paysans qui étaient armés ’de gourdins, de marteaux, de haches de faucilles, d’épées et de scies. De tels instruments causaient non seulement plus de longues agonies fatales, que des fusils et des pistolets, mais, comme les Turcs eux-mêmes s’en vantaient, ils étaient plus économiques, puisqu’ils ne comportaient pas de gaspillage de poudre et de balles’. P. 312 Morgenthau Henry (1918)
Ambassador Morgenthau’s story : Garden City, N.Y. DoubleDay, Page. 407 pages.

La description par Morgenthau de l’assortiment d’instruments utilisés par les foules et les unités de tueurs de l’Organisation Spéciale est confirmée par des détails semblables fournis par un officier turc qui était gouverneur militaire du district de Yozgat dans la province d’Ankara. Lorsqu’il raconte les séries de carnages perpétrés sur la population arménienne de ce district le Major Salim mentionne l’usage de hachettes, de couteaux, de faucilles, de grandes haches munies de marteau à l’arrière, de faux, de massues et d’un tas d’outils tranchants… « Il caractérisa le meurtre de masse qui s’ensuivit comme une calamité encore jamais rapportée dans l’histoire humaine. La férocité des massacres les rendirent pires que les méthodes utilisées pendant la période de l’Inquisition, entachant les histoires islamiques et ottomanes de ce processus » (tarihi beseriyetinin kayd etmedigi inkizisyon mezlimine rahmet okutacak kitallar cinayetlerle tarihi Islam ve Osmani lekedar edilmistir) Déposition préparée à la demande de la Cour Martiale le 5 janvier 1919. Archive du Patriarcat arménien de Jérusalem. Séries 21, dossier M ; Doc. N° 576,577.
p.120 « Les assauts [contre les Arméniens] furent faits par quelques officiels et le peuple »

[Ces accusations, rejetant la responsabilité des tueries génocidaires sur des officiels subordonnés et les gens ordinaires, sont répétées dans l’épisode final des mémoires du Dr. Sesit, l’un des gouverneurs provinciaux les plus sanguinaires qui réprimande les cadres milis, les foules musulmanes turques, les paysans, les fonctionnaires et les gendarmes circassiens pour leur conduite atroce dans la province de Diyarbekir, qu’il dirigeait, démentant sa responsabilité personnelle. Le Dr. Resit Bey ve hatiralari (Le Dr. Resit et ses Mémoires). Yakin tarihimiz (Notre histoire récente) [Istanbul Weekly. 1er mars 1962 - 21 février 1963. Relié en 4 volumes, avec un index important organisé autour des noms et des titres des articles relatifs aux « mémoires, documents et photographies »] 3ème épisode. ( 1962), 363-365. Les citations sont dans les pages 364-365.
Cependant, dans une discussion franche avec un officier vénézuélien enrôlé dans l’armée turque comme soldat de fortune, le Dr. Resit pendant la promulgation du génocide fournit l’explication suivante : « … Par quelques remarques excessivement prudentes mais très explicites, le Dr. Resit m’a fait comprendre aussi que, concernant l’extermination des Arméniens du vilayet (province) il avait simplement obéi aux ordres supérieurs ; de sorte que la responsabilité des massacres perpétrés ne devait pas lui incomber, mais à son chef, le Ministre de l’Intérieur d’alors, Talat Bey- devenu un an plus tard le Grand Vizir Talat Paşa. Talat avait ordonné la tuerie par un télégramme circulaire » ; Rafael de Nogales (1926). Quatre ans sous le Croissant. Traduit par Muna Lee. New York Charles Scribner’s. 405 pages. Les citations sont extraites des pages 146, 147.

Presse d’Istanbul :

Sabah, 14 décembre 1918.

« Talat Paşa a ordonné la destruction des Arméniens » (Ermenilerin imhasimi emretmistir)

Aydemirr, Sevket Süreyy (1963). Tek adam Mustafa Kemal (homme singulier Mustafa Kemal), Vol. 1- 1881-1919

p.211 « Les mémoires des Ittihadistes responsables consistent en bricoles, reflétant un simplisme puéril, et un esprit d’irresponsabilité… Aucun de ces détails d’événements, d’importance capitale, ou à un tournant, sur les culpabilités, sur les crimes, ou sur des sortes d’incompétences qui ont ruiné l’armée et le pays. Leurs mémoires donnent l’impression qu’ils habitent dans un monde de rêves, un simple jeu, typique des hommes coupables est évident dans leurs écrits, dans lesquels quelques détails sont révélés pour dissimuler l’élément essentiel ».

Kaynar Reşat (Prof.) (1960) Türkiyede hukuk devleti kurma yolundaki hareketler (Les Mouvements pour établir un Etat oriental de Loi en Turquie) Istanbul : Tan 196 pages

p. 133 « C’était la mentalité de la dictature qui était principalement responsable de la production du fait accompli de notre intervention dans la première Guerre Mondiale.
C’était manigancé en recourant à des méthodes anticonstitutionnelles, par trois individus [Enver, Talat et le Grand Vizir Said Halim].
… Ils ont évité de dissoudre le Parlement, et n’ont pas invalidé la Constitution, mais ils ont utilisé toutes ces institutions en tant qu’instruments pour la réalisation de leurs vœux et de leurs désirs. En anticipant le jour où ils seraient probablement appelés à rendre des comptes, ils ont empêché ces institutions de ratifier leurs décisions délibérées. Ils ont ainsi essayé de faire porter la responsabilité au peuple qui manquait de la compétence requise. »

Les commandants d’armée et autres officiers de haut rang

Vehib Paşa (Bükat)

Archives du Patriarcat arménien de Jérusalem ; séries 17, dossier H (prononcer Ho, la 16 ème lettre de l’alphabet arménien, et non pas sa variante Hi. Doc. N° 171-182

La déposition préparée par le général Véhib Paşa (Yanyalı) pour la Cour martiale (tezkereyi cevabiye), datée du 5 décembre 1918, est la confirmation la plus explicite, sans équivoque et catégorique du fait du génocide arménien et de son caractère prémédité et organisé. Ayant assumé le haut commandement de la 3ème armée dont la zone d’opérations englobait les six provinces où furent exterminés avant sa désignation en février 1916, les plus vastes groupes de populations arméniennes ottomanes, Véhib apprit tardivement les opérations de tueries dans ces provinces. Le massacre impitoyable de 2000 Arméniens, liés avec des cordes par rangées de quatre et envoyés à pied à une nouvelle assignation de bataillon de travail, ordonnée par Véhib lui-même, avait incité le général turc à entamer des poursuites à la Cour martiale, ce qui eut pour résultat de déclarer coupable le commandant de la gendarmerie du contingent arménien, qui fut pendu. Dans sa proclamation, prononcée pour la 3ème Armée après l’exécution, Véhib exhorta ses troupes à ne pas recommencer de tels « massacres » qui avaient été « établis par une cour de justice » (amele kafilesini itlaf etdiği ba muhakeme sabit olduğundan). Même s’il condamna la reprise des atrocités contre les Turcs par des bandes de volontaires arméniens, pour se venger trois ans après, à une plus petite échelle, de leurs pertes familiales personnelles, Vehib, dans ce même texte de son affidavit, invectiva contre l’Ittihad, son Comité central, et ses commissaires de province, comme étant les ennemis, organisateurs de la machination du meurtre de masse. Voici le résumé de son verdict :

Le massacre et la destruction des Arméniens, et les détournements et pillages de leurs biens furent le résultat des décisions prises par le Comité Central de l’Ittihad… Les atrocités furent commises selon un programme qui était déterminé et qui impliquait un cas défini de préméditation (mukarrer bir program ve mutlak hir kast tahtinda yapilan isbu mezalim). Il était [aussi] certifié que ces atrocités et ces crimes étaient encouragés (tesvik) par les avocats du district dont le délaissement de leur devoir judiciaire face aux événements et spécialement le fait qu’ils étaient restés indifférents (lakayd) les rend complices de ces crimes (feren zimethal) (p.5).

[L’affidavit de Véhib a été lu entièrement lors de la 2ème séance des séries de procès de Trabzon (29 mars 1919). Des parties de ce texte ont été incorporés dans : (1) le chef d’accusation principal Takvimi Vekayi, n° 3540, 5 mai 1919, p.7 auquel était joint un document manuscrit de 12 pages ; (2) Le verdict de Harput, Tavkimi Vekayi, n° 3771, 9 février 1919, p.1 - et (3) publié en feuilletons dans Le Courrier de Turquie, 1 er et 2 avril 1919. La copie du texte entier dans sa version originale turque ottomane se trouve dans les archives du Patriarcat arménien de Jérusalem. Les détails du déroulement de la Cour Martiale par le général Véhib se trouvent dans Ariamard, 10 décembre 1918, y compris le texte en turc ottoman de la proclamation du Général, par laquelle il informait, en guise d’avertissement, les unités de sa 3ème armée du verdict de la Cour et de l’exécution du commandant de gendarmerie impliqué].

Halil Paşa (Kut)

(1972) (Birmeyen Savaş) (une lutte sans fin) Edité par M.T. Sorgun. Istanbul : Publications Yedigün, 381 pages.

Halil a commencé sa carrière lors de la 1ère Guerre Mondiale comme gouverneur militaire de la capitale ottomane (merkez kumandan). En décembre 1914, le Ministre de la Guerre Enver, dont il était l’oncle, lui demanda de former la 5ème Force expéditionnaire dans le but d’envahir le Caucase en passant par l’Iran ; l’idée était d’encercler et d’aider à la destruction de l’armée du Caucase russe, pour réaliser les rêves ittihadistes touraniens. Ayant désastreusement échoué dans cette tentative, principalement à cause de la défaite à Dilman, qui avait été défendu par un contingent de volontaires arméniens conduits par le héros légendaire Antranik, Halil, en été 1915, se retira des provinces de Van et de Bitlis. Les massacres qui s’ensuivirent contre les fortes concentrations d’Arméniens dans ces provinces furent particulièrement féroces car les victimes étaient tuées massivement près de leur ville et de leur village, au lieu d’être déportées. Ayant pris le commandement de l’aile droite de la 3ème Armée, qui comprenait les 51è et 52è divisions (les ex- N° 1 et 5 du corps expéditionnaire), et la Division de Gendarmerie de Van, Halil, avec l’aide active des gouverneurs des deux provinces, prit l’initiative de l’entreprise funeste au cours de l’été 1915. Il commandait alors le Corps de la 18è armée dans laquelle les divisions N° 51 et 52 furent reconstituées. En janvier 1916, Halil devint Commandant de la 6ème armée en Irak.
Finalement, en été 1918, il fut promu Commandant en Chef du Groupe de l’Armée de l’Est qui s’enfonça dans le Caucase et y resta jusque l’Armistice. Pendant toute cette période (1916-18) Halil, avec le plan du chef du Personnel, le Lieutenant-Colonel Vasfi-Basri, détruisit systématiquement les populations arméniennes des zones qui tombaient sous son contrôle. Il était spécialement méthodique pour la tuerie des officiers arméniens et des soldats qui servaient dans ses unités, y compris ceux de l’Armée du Caucase russe qui avaient été capturés comme prisonniers de guerre.
p.241. « J’ai essayé d’éliminer la nation arménienne jusqu’au dernier individu » (Son ferdine kadar yok etmeye çalistigim Ermeni milletti).
En réponse à une accusation qui lui fut adressée par un capitaine britannique qui lui rendait visite dans la prison de Bekiraga, où il était retenu en garde à vue, avec d’autres chefs ittihadistes, avant de passer en Cour martiale, Halil déclara et écrivit fièrement et d’un air narquois, que le nombre de ses victimes s’élevait à « 300 000 Arméniens… plus ou moins. Sans compter… 50 à 60 000 Arabes… et 13 Juifs… »
(Les activités génocidaires sont indépendamment confirmées par les sources suivantes :
Ministère des Affaires Etrangères d’Allemagne A.A. Botschaft Konstantinopel 171.N°60 - Rapport du Vice-Consul de Mossoul Holstein du 4 novembre 1915 : « Un colonel du personnel de Halil (probablement son chef du personnel Basri) vient de me dire que les Arméniens de Mossoul aussi doivent être tués… Les troupes de Halil ont déjà perpétré des massacres dans le nord ». A.A. Türkei 183/45, A33457. Rapport du Vice-Consul allemand Scheubner Richter du 4 décembre 1915 à Berlin : « L’expédition de Halil au nord de l’Iran a occasionné le massacre de ses bataillons arméniens et syriens… »Zurlinden S. (1918) Der Welkrieg, vol. 2 Zürick : art.Institut O. Hissli, 725 pages.

« En deux nuits, 15000 Arméniens ont été assassinés à Mossoul. Le bain de sang a eu lieu dans l’obscurité par les Kurdes et les soldats irréguliers. Sans tenir compte de l’âge ou du sexe, les victimes ont été emmenées au bord du fleuve par groupes de dix et découpés avec des instruments sauvages, mal aiguisés. L’ordre stipulait d’économiser la poudre et les balles » [citation extraite de la page 707]

Ali Ihsan Paşa (Sabis)

Archives du Ministère des Affaires Etrangères d’Allemagne. A.A. Türkei 183/54, A44066.

En été 1918, un rapport de 20 pages, rapport de l’Aumônier de l’Ambassade allemande, le Lieutenant von Luttichau, relate en détail ses témoignages et observations durant un voyage prolongé d’inspection à l’intérieur de la Turquie. Dans ce rapport, il insiste sur les atrocités commises par le Général Ali Ihsan (Sabis). Les activités génocidaires du Général Ihsan coïncident plus ou moins avec celles du Général Halil. Tous deux étaient chargés respectivement des divisions 51ème et 52ème. Tous les Arméniens affectés à ces unités, y compris les médecins et les pharmaciens furent exécutés de sang-froid. Ihsan plus tard assuma le commandement d’abord du 13 ème, et par la suite du 4ème corps d’armée (47ème et 48ème divisions). En septembre 1918, chargés de la 6ème armée (2ème et 14ème divisions) Ihsan, par des mesures délibérées d’épuisement et de famine provoqua l’élimination de dizaines de milliers d’Arméniens.
pp.12-13 : « Le Général A. Ihsan un nombre de fois incalculable et à dessein fit savoir aux Allemands qu’il ne voulait pas laisser un seul Arménien vivant dans la zone sous son commandement ». Il se vantait, devant les officiers allemands, « qu’il avait tué des Arméniens de ses propres mains » (rümte sich mit eigener Hand Armenier getötet zu haben).

Archives du Ministère des Affaires Etrangères françaises. Séries E. Levant 1918-1940. Arménie 4. 1919 (folios 41-42).

Le Consul français à Tabriz a relaté le 8 mars 1919 : « Ali Ihsan Paşa, auparavant Commandant du Corps d’Armée stationné à Van, est entré à Tabriz fin juin 1918 en qualité de Commandant en Chef des Forces Ottomanes en Azerbaïdjan… Dans une lettre adressée à une délégation arménienne il dit approximativement ce qui suit : “Que l’on sache que lors de mon entrée à Khoi, j’ai fait massacrer les Arméniens de la région, sans distinction d’âge ni de sexe…” Quelques jours plus tard, au cours d’une réception chez le Prélat arménien Mgr. Nercès, le Paşa lui dit : “j’ai fait massacrer un demi-million de vos coreligionnaires. Je peux vous offrir une tasse de thé” ». [ la même citation est dans Radap, Etienne (1970). La Question arménienne reste ouverte. Etudes, Août septembre 1970 - page 208. Selon la Renaissance (Istanbul,Armistice- quotidien en langue française) 14 janvier 1919,Le Général Ihsan avait fait tuer 10 000 soldats chrétiens des bataillons de travail de la zone sous le commandement de la 6ème armée].

Süleyman Faik Paşa

Presse d’Istanbul
Renaissance, 20 mai 1919.

Süleyman Faik Paşa, Commandant des Forces de Cavalerie de Harpout, dit à la Cour Martiale « J’ai en ma possession tous les télégrammes chiffrés de Mahmoud Kâmil Paşa, ordonnant le massacre des Arméniens ».

Dajagadamart, 18 mai 1919

Citée verbatim et en version originale turque, la déclaration du commandant était : « Mahmud Kâmil Paşanın Ermenileri imha ediniz diye vermiş emri telegrafları bende mevcutdur ».

A l’époque où il fit cette déclaration au cours de l’instruction des deux membres de la Cour martiale (c-à-d. Hayret Paşa, le président et Nemrud Mustafa, membre qui remplaça plus tard Hayret en tant que président) Faik était membre de la Cour Martiale de Boursa. Pendant la guerre (mai 1915-février 1916), il avait aussi servi comme gouverneur militaire, président de la Commission des projets de lois, et gouverneur par intérim de la province de Harpout, commettant des massacres à grand échelle à l’intérieur des frontières de cette province. Pendant son témoignage ultérieur dans le box des témoins, cependant, le Général Faik désavoua sa précédente déclaration par des dénigrements et des menaces, il se rétracta, niant avoir fait de telles déclarations. Mahmud Kâmil était Commandant de la 3ème armée de février 1915 à février 1916. Ce fut au cours de cette période que le génocide fut totalement consommé dans les six provinces tombant sous le contrôle militaire du Général Kâmil.

Le cas du Major de l’Organisation Spéciale

L’importance bibliographique de cette affaire n’est dépassée que par ses implications fondamentales pour les mécanismes du génocide. A ce sujet, il y a des sources puissantes et qui font autorité, identifiant le Q.G. de la 4ème armée de Cemal Paşa, et la preuve du rôle pivot des officiers de carrière ittihadistes, des soi-disant fédayis, dans la promulgation de ce génocide par des unités de tueurs de cette Organisation Spéciale, qu’ils commandaient. En mettant en relief le rôle cardinal d’un officier particulier, Çerkez Ahmed, de Sérez (Siroz), un district de Macédoine, le Commandant d’Armée Cemal Paşa, son chef du Personnel, le Général Ali Fuat Erden, son Secrétaire particulier, le Lieutenant de réserve Falih Rıfkı (Atay) et le Capitaine d’Artillerie Ahmed Refik (Altınay), attaché aux Services Secrets du Quartier Général Ottoman, tous configurent un remarquable de ploiement de concurrence lorsqu’ils commentent un aspect important des mécanismes du génocide mentionné ci-dessus. Ces témoignages documentaires sont corroborés par des reporters historiens Ziya Şakir et Fuat Süreyya (Oral), ainsi que par Rafael de Nogales, l’officier volontaire vénézuélien servant comme Inspecteur Général dans l’Armée Ottomane des Forces turques en Arménie. La carrière infâme du Major Ahmed comme criminel ordinaire commença par l’assassinat, dans les années d’avant guerre des éditeurs anti-Ittihadistes, Ahmed Samim et Zeki, formés et par la suite couverts par les chefs ittihadistes. Après le renversement, le 23 janvier 1913, du régime anti-ittihadiste, au cours duquel le Ministre de la Guerre Nâzım et l’un de ses adjudants furent assassinés, Ahmed, qui avait disparu, fut exempté de toute poursuite judiciaire par la déclaration d’une amnistie générale. Il ré-émergea pendant les déportations arméniennes, supervisant le déroulement des massacres dans les provinces de l’est et du sud-est de la Turquie.

Erden, Ali Fuad (Commandant d’armée en retraite) (1954) Birinci Dünya harbinde Suriye hatiralari (Souvenirs de Syrie de la Première Guerre Mondiale), Vol. 1 - Istanbul, Editions Halk, 225 pages (chef du personnel au QG de la 4ème armée)

p. 216 « Le télégramme suivant est arrivé du gouverneur d’Alep ».« Les brigands Halil et Ahmed m’ont rendu visite aujourd’hui. Ils ont déclaré avoir complété les massacres dans la région de Diyarbekir, ils sont venus en Syrie dans le même but, et ont dit qu’ils étaient prêts à recevoir les ordres. Je les ai fait arrêter. J’attends les ordres de votre Excellence ».
Après quelques hésitations, empreintes de timidité, Cemal Paşa, le Commandant, a été persuadé par son chef du Personnel de présenter à la Cour Martiale les deux brigands de l’Organisation Spéciale. Suite à des échanges prolongés avec les dirigeants du parti Ittihad à Istanbul, où les deux officiers s’étaient débrouillés pour s’échapper et se réfugier, Cemal réussit à les faire revenir à Damas où le Tribunal Militaire effrayé dut recommencer deux fois les poursuites en Cour Martiale. Tous deux furent jugés, reconnus coupables et pendus à Damas .
p. 218 - « Parmi leurs affaires, on a trouvé des pièces d’or décoratives tachées de sang »
p. 217 - Le Général Erden nous transmit ceci : « La reconnaissance à accorder aux exécutants et aux meurtriers est lourde à assumer… On a besoin de ceux qui sont utilisés pour les sales boulots, dans les périodes de nécessité (afin de nous dégager) de toute responsabilité. Il est de même nécessaire, pourtant, de ne pas les exalter, mais de disposer d’eux comme du papier de toilette, une fois qu’ils ont fait leur boulot ». Il est également révélateur, le télégramme chiffré que le Général Erden cite, comme ayant été adressé à Cemal Paşa par le Dr. B. Şakir jouant le rôle d’un Directeur des Déportations arméniennes. Şakir, dans ce chiffre écrit clairement que les déportations ont pour objectif d’en finir avec les victimes arméniennes destinées à périr dans les vastes étendues des déserts désolés du sud de Mossoul. La protestation tendue de Cemal à Enver contre l’intrusion de Şakir et son ton hautain est citée comme suit :
p. 122 - « Je ne reconnais aucun gouverneur ni commandant militaire de ce nom. Pourquoi cette personne se mêle-t-elle de cette affaire ? » Cemal, dans la même veine, interdit à Şakir de lui envoyer d’autres télégrammes.

Atay, Falih Rıfkı (1981) Zeytindaği (Mont Olive) Istanbul : Ayyildiz, 140 pages.

Confirme la réticence des dirigeants de l’Ittihad à livrer les deux chefs brigands, en décrivant les échanges télégraphiques tendus entre Istanbul et Damas.
p. 67 - « Finalement, Talat télégraphia » Allez-y. C’est une bonne occasion de nous débarrasser d’eux… « des bijoux, des colliers de dames et des boucles d’oreilles ont été trouvés dans leurs sacs… Ces fumiers ont commis des crimes pour s’enrichir… En 24 heures, la Cour Martiale a rendu son verdict de mort ».

Refik Ahmed (Altınay) (1919) Iki Komite ; iki kıtal (Deux comités, deux massacres). Istanbul : Orhaniye 79 pages

pp. 38-39. Lors d’une rencontre avec Refik, Çerkez Ahmed invectiva contre Talat pour l’avoir livré à Cemal. « Je me sens déshonoré. J’ai servi mon pays. J’ai dévasté Van et ses environs. Aujourd’hui, vous ne pouvez pas trouver un seul Arménien là-bas… J’ai tué les députés arméniens Zohrab et Vartkes. J’ai empoigné Zohrab, je l’ai jeté par terre, je l’ai piétiné et avec une grosse pierre je lui ai écrasé la tête - écrasé, écrasé, jusqu’à ce que je l’aie tué ».
p.40. La « liquidation d’Ahmed (izalesi) a étécertifiée par Cemal Paşa ».

Şakir Ziya (1946) Yakın tarihin üç büyük adamı (Les trois grands hommes de l’histoire récente) Istanbul : Editions Ahmet Sait ; 214 pages.

L’auteur prétend avoir en sa possession une copie d’une lettre personnelle de Talat au Grand Vizir Izzet Paşa et un dossier spécial de documents contenant quelques chiffres secrets et top secrets envoyés par Talat.
P. 57 - L’Ittihad avait « assigné à cet individu sanguinaire et meurtrier des tâches secrètes. Il avait disparu de la scène après avoir assassiné (l’éditeur) Zeki, et n’a émergé que quand les déportations arméniennes ont commencé ; il a été impliqué dans la tragédie des déportations de Diyarbekir ».
p. 58 - Reproduction verbatim d’un chiffre manuscrit de Cemal à Talat. Un extrait est comme suit : « Dans la mesure où je suis convaincu que Çerkez Ahmed a commis ces crimes sur l’ordre du gouverneur de Diyarbekir Resid, trouvez-vous toujours que la liquidation d’Ahmed soit absolument nécessaire ? Ou devrais-je simplement me contenter de Halil (sa cohorte) ? Veuillez avoir l’amabilité de me répondre d’ici demain soir ».
Texte verbatim de la réponse du Ministre de l’Intérieur de l’époque, 15/28 septembre 1915, 15171/15 : « Sa liquidation de toute façon est nécessaire. Sinon il se révélera très nocif à une date ultérieure. Talat ». Le lendemain Cemal envoya à Talat le télégramme suivant dont il avait fait un brouillon :
p. 59 « Le verdict contre Çerkez Ahmed est l’exécution. La mesure requise sera prise à Damas demain matin ». Commentaire de l’auteur Şakir : « Nous avons reproduit l’échange de chiffres sans même changer un point. Il est certain que Çerkez Ahmed était une crapule qui méritait d’être pendu, non seulement une fois mais neuf fois. En trois mots prononcés par le dirigeant administratif Talat, celui-ci a mis fin à la vie de cet individu qui était exploité pour la cause du parti des fanatiques. »

Oral, Fuat Süreyya (1967), Türk basin Tarihi 1728-1922, 1831-1922 (Histoire de la presse turque 1728-1922 ; 1831-1922), Vol.1 Istanbul : Yeni Aydın. 272 pages.

p. 254 « Çerkez Ahmed avait assassiné l’éditeur de l’opposition Ahmed Samim le 9 juin 1910 »
p. 199 « Il marcha de sang-froid vers le poste de police, à peine à 5 mètres de distance, et entra. Le Capitaine Abdulkadir, chef du poste, qui avait vu la scène par la fenêtre, vint à sa rencontre. L’embrassant sur le front, il dit : “Bravo Ahmed… ce fut un boulot à la fois rapide et propre”. Le meurtrier appartenait à une association d’officiers fondée par les extrémistes Ittihadistes, qui organisaient de tels crimes ».

De Nogales, Rafael (1926) "Four years beneath the crescent" (Quatre années sous le Croissant) Traduit par Muna Lee New York : Charles Scribners’. 405 pages

p. 73 -« Un gentleman appelé Achmed Bey était assis à ma droite, vêtu d’un costume de tweed anglais bien coupé. Il parlait plusieurs langues à la perfection, il était membre de quelques-uns des meilleurs clubs de Constantinople et avait passé plusieurs années à Londres. Avec ses manières aristocratiques et son expression plutôt blasée, n’importe qui aurait pu le prendre pour l’un de ces snobs qui conduisent brillamment le long des avenues de Hyde Park. Cependant, cet Achmed Bey n’était autre que le célèbre bandit Tcherkess-Achmed, chef d’une troupe de guerilleros circassiens, qui plus tard tua les députés arméniens Zorab, Vartkes, et Daghavarian dans le Ravin du Diable, sur l’ordre du Gouverneur, et fut pendu un an après à Damas par Cemal Paşa, qui craignait que plus tard sa propre complicité dans cet assassinat fût révélée. »
p. 85 - Le gouverneur de Van ordonna à Çerkez Ahmed de faire un raid avec ses bandits dans les hameaux voisins, où, je le dis en passant, il ne restait plus que des femmes et des enfants. Je n’entre pas dans les détails sur ce que Tcherkess-Ahmed a fait à ces malheureuses créatures. Il suffit de dire que Djevded lui-même se sentit obligé de réprimander son agent, que ce fût sincère ou non, et que même les Kurdes furent scandalisés par ses abominations".

Die Armenische Frage und der Türkische Standpunkt (la Question arménienne et le point de vue turc) (1919) Edition Berlin Türk Yurdu : 18 pages

p. 12 - « La bande de brigands de Çerkez Ahmed a commis des pillages et des meurtres envers les déportés ».

Officiers d’Active et de réserve de rang inférieur

Archives du Patriarcat arménien de Jérusalem. Séries 21, Dossier M, doc. N° 574, 577

Déposition écrite du Major Mehmed Salim, Gouverneur militaire (Mevki Kumandan) et Président du Conseil (Şube Reisi) de Yozgat :Préparée le 5 janvier 1919 pour les séries de procès de Yozgat (5 février- 7 avril 1919).
p. 575 - « Nous apportions les ordres de déportation et d’exil, sans que des attaques et des vols soient permis. Nos standards d’application impliquaient la probité et la justice.
Mais ensuite les Ittihadistes, motivés par une conduite d’enrichissement personnel, entrèrent en scène, sacrifiant les principes de gloire, de dignité et d’honneur dus à notre patrie sacrée (zengin olmak hevesine mukaddes vatanın şan ve şeref ve namus ve vakayi milliye fedadan çekinmeyen). Ils envoyèrent au gouvernement officiel et officieux des rapports frauduleux, accusant les Arméniens d’actes illégaux en vue de troubler la paix du pays, pour diffamer les Arméniens et pour fournir des motifs pour les mesures anti-arméniennes mentionnées ci-dessus » (asayişin ihlalı için tertibatı fesadiyeye teşebbus ederek Ermenileri lekeyebilecek resmi ve gayri resmi musarra işaratla makamatı işgal ve hükümetin Ermenilere eylemesi esbabını mükem-meleyi mevcudleriyle ihzar ediyorlardı).
p. 576 « Le gouverneur Kemal par interim, en compagnie de ses copains, les officiers locaux, a préparé le plan des atrocités du lendemain, au cours d’orgies de beuveries nocturnes, dans la maison du trésorier en chef Vehbi. Kemal ainsi accomplissait les objectifs des “aspirations nationales” de l’Ittihad ».
p. 577 « Le 7/20 août 1915, les autorités civiles assumèrent le contrôle complet des opérations de déportation ; l’armée devait seulement aider sur demande. J’ai démissionné de mon poste le 13/26 août 1915 car j’ai été informé télégraphiquement que le Colonel Sükrü allait me remplacer. Les Arméniens furent envoyés en déportation, les mains et les bras liés (eli kolu bagh sevkedilen Ermeniler).
Ainsi, beaucoup de gens, qu’ils fussent citadins ou villageois… ont poursuivi les convois de déportés (avec toutes sortes de tueries) afin de participer aux massacres - tout à fait comme des chiens qui sentent l’odeur du sang et s’y précipitent. Je certifie par la présente que ces actes barbares et méprisables furent entièrement organisés et dirigés par les Officiels appartenant à l’Ittihad… .La vérité doit être révélée. » (kâmiten Ittihad ve Terakki mensubetiyle memurinden… tertip ve idare edildiğını… )

Atay, Falih Riki (1981) Zeytindaği (Mont Olive). Istanbul : Ayyildiz 140 pages [Lieutenant de réserve chargé du Q.G. de la IVème armée)

p.64 L’auteur était avec l’écrivaine féministe turque Halide Edib dans un train à destination d’Alep lorsque le Dr. B.Şakir monta dans le train à Adana. Dès qu’il fut présenté à elle, Şakir se mit à réciter ses exploits génocidaires dans les provinces orientales. Quand Şakir les quitta, Edib exprima son indignation à Atay par ces mots : « Je suis attristée que vous m’ayez fait serrer la main d’un meurtrier » (katil).

Dünya, 17 décembre 1967 -La chronique hebdomadaire d’Atay Pazar Konuşması (l’entretien du dimanche)

Le récit ci-dessus est rapporté avec les réflexions suivantes : « Şakir était résolu à éliminer la nation arménienne afin d’empêcher la formation d’une future Arménie… Si les Arméniens étaient restés concentrés dans l’est, il n’y a aucun doute qu’en 1918 au moment de l’Armistice, ils auraient immédiatement créé une Arménie [voir le commentaire identique ci-dessous de l’éditeur A.E. Yalman] … Le Génocide est l’un des plus graves crimes contre l’humanité… Je ne crois pas au droit de représailles » (faisant allusion aux tueries génocidaires turques contre les Arméniens).

Refik Ahmed (Altınay) (1919) Iki Komite , iki kital) (deux comités, deux massacres) Istanbul : Orhaniye, 79 pages.

Refik, un officier de carrière, fut affecté aux Services Secrets du Quartier Général Ottoman. Le but des Ittihadistes n’était pas seulement de punir ces Arméniens qui sabotaient l’effort de guerre turc, mais :
p.23 « d’anéantir les Arméniens et ainsi se débarrasser de la Question des Provinces orientales  » ( Ermenileri imha etmek)

Au début de la guerre, de nombreux brigands ont été envoyés d’Istanbul en Anatolie. Ces brigands comprenaient des meurtriers et des voleurs relâchés des prisons« Après un entraînement d’une semaine dans les baraques du Ministère de la Guerre ils étaient expédiés à la frontière caucasienne comme cadres de l’Organisation Spéciale. Ils ont perpétré les plus grands crimes envers les Arméniens » (Ermeni mezaliminde en büyük cinayetleri bu çeteler ika ettiler).
pp. 34-42 « Quand l’une des filles du Général Liman von Sanders Chef de la Mission Militaire Allemande en Turquie vit les malheureux déportés en transit à Eskishéhir, elle s’écria : “Oh, quel dommage ! Que veulent-ils de ces pauvres petits enfants, de ces innocents ? Pourquoi ne punissent-ils pas les coupables … Les vrais coupables à qui on devrait couper la tête, ce sont les Talat, les Enver, ce cabinet despotique. Les fleuves charrient des torses humains, les têtes des enfants. Ce spectacle nous déchire le cœur. Mais un jour, ils devront rendre des comptes. Les officiers allemands ont pris des photos de ces corps mutilés”. Aucun gouvernement n’a jamais commis de crimes aussi sauvages » [ ces comptes-rendus sont classés dans Ikdam 23-29 décembre 1918]

Presse d’Istanbul : Alemdar. Une série de trois articles dans la seconde moitié de juin 1919, sous le titre : "L’histoire interne des Déportations" (Tehcirin Iç Uüzü) par Hasan Amca, un officier de carrière d’origine circassienne et membre du "Groupe de Délivrance des Officiers" (Halaskâr Zabıtan).

Hasan Amca fut chargé par Cemal Paşa de superviser la réinstallation à Hawran des restants des déportés arméniens en août 1916, mais il fut contrecarré par Neshad, le représentant régional de l’Ittihad, qui poursuivait le but de la disparition complète et de la dissolution des Arméniens survivants. Dans un article plein de colère et d’indignation publié dans le journal d’opposition Alemdar, le 6 avril 1919, il s’exclamait : « … Qui a tué les centaines de milliers d’Arméniens. Oubliez les termes “déportations”, “massacres”, et dites : “La décision d’exterminer les Arméniens” ».

Aveux d’historiens, de journalistes et autres auteurs

Avcioglu Doğan (1974). Milli Kurtulush Tarihi (Histoire de la Libération Nationale) Vol. 3, Istanbul : Ed. Istanbul, 1732 pages.

p. 1114. « La liquidation des éléments chrétiens fut décidée au cours de délibérations qui se sont tenues au Ministère de la Guerre et qui ont duré des mois. Enver Paşa a désigné comme chefs de corps d’armée du personnel de jeunes officiers auxquels l’Ittihad pouvait faire confiance. Ils furent convoqués à Istanbul et instruits de la situation ».
p. 1135. « Des centaines de milliers d’Arméniens, dans une très brève période de temps et en masse furent conduits dans des zones au-delà de l’Anatolie. L’Organisation Spéciale et les Ittihadistes de confiance machinèrent et exécutèrent cette déportation complète et systématique qui avait pour but de résoudre radicalement la question arménienne, et qui, c’était évident, était approuvée par les Allemands. Le Dr. Behaeddin Şakir défendait dans les conseils du Comité Central de l’Ittihad cette politique de déportation. Le mise en œuvre des déportations produit forcément, cependant, une situation impossible, quand elle est appliquée avec plaisir ».

Emin (Yalman), Ahmed (1930) Turkey in the World War (La Turquie dans la Guerre Mondiale) New Haven, C.T Yale University Press. 305 pages.

Parlant de « la politique d’extermination générale » Emin décrit la justification sous-jacente comme suit :
P. 220 - « Une population arménienne dense dans les provinces orientales se révélait être un danger pour l’existence même de la Turquie… L’instrument pour écarter ce danger … sera universellement méprisé et condamné ».

Hocaoğlu, Mehmed (1976) : Arsiv vesikalarıyla tarihte Ermeni mezalimi ve Ermeniler (Les atrocités arméniennes et les Arméniens à la lumière des documents d’archives) Istanbul : Ed. Anda 866 pages.

p. 521 « Les déportations arméniennes ont radicalement résolu le problème des réformes qui, pendant des années, était devenu le principal casse-tête de l’Etat »

Istanbul press : Tasviri Elfkâr,7 octobre 1916. Editorial de l’Itthadiste Yunus Nadi (Ahalıoğlu)

Après avoir déclaré que le chemin de « l’intégration et de l’assimilation » s’était révélé un plan avorté, puisque « les Arméniens sur qui on comptait comme l’élément le plus proche de nous ne se sont pas joints à nous, leurs comités fréquentaient nos ennemis les plus
dangereux », Nahdi interprète le résultat (tehcir) comme suit : « La politique connue de solidarité parmi les populations a fait faillite, l’ère d’un “nettoyage” de notre patrie a commencé ».

Les gouverneurs

Celal

Istanbul press : Vakit, 10,11 ;13 décembre 1918.

Dans les postes qu’il occupait, Celal, à une époque Ministre de l’Intérieur, ex-recteur d’Université à Istanbul (1908-1909) gouverneur d’Alep (1911-1915) et de Konya (Juin septembre 1915) déplorait « le terrible crime perpétré envers les Arméniens ». En réponse à « sa requête de fonds pour réinstaller les déportés survivants, Talat envoya au contraire un Directeur des Déportations pour s’occuper de cette affaire…  » (11 décembre). Son arrivée coïncida avec« l’application des méthodes les plus barbares » qui entraînèrent «une véritable extermination des déportés » (13 décembre). Il fut finalement retiré de son poste à Alep et transféré à Konya, d’où il continua en vain à avertir Talat et ses acolytes des dangers pour la Turquie de la tragédie arménienne.

Tahsin (Uzer)

Takvimi Vekayi. N° 3540, session du 28 avril 1919 ; date de publication 5 mai 1919.

p. 6 Un câble chiffré du 15 juillet 1915 provenant du gouverneur d’Erzeroum Tahcin est cité, dans lequel il dénonce le rôle des brigands de l’Organisation Spéciale lançant « des assauts et des attaques » (taadiyat ve tecavüzat) contre les convois de déportés arméniens. Il presse le gouvernement « de mettre fin à ces méfaits excessivement honteux des brigands et des gendarmes qui leur étaient attachés, et qui opèrent sous le nom de l’Organisation Spéciale » ( bilhassa Teşkilatı Mahsusa namı altında türeyen çetelere her tarfdan nihayet verilmesi). [Hasan Tahsin (Uzer) fut gouverneur de Van du 27 mars 1913 au 30 septembre 1914, d’Erzeroum du 30 septembre 1914 au 10 août 1916, de Syrie du 10 août 1916 au 20 juin 1918, et de Smyrne (Izmir) du 30 octobre 1918 au 22 novembre 1918]

Presse d’Istanbul :

Jhamanag, 12 décembre 1918

A cours de l’instruction menée par la Commission d’enquête Mazhar, chargée de réunir les preuves des méfaits commis pendant la guerre (seyyiat) par les officiels Tahsin déclara publiquement le 11 décembre 1918 : « Je répondrai aux interrogatoires avec des documents et des preuves ».

Renaissance, 3 août 1919

A la seconde session de la série de procès de Harpout (2 août 1919) Tahsin attesta que le Dr. B. Şakir était autorisé à utiliser des chiffres codés quand ce dernier était à Istanbul.

Tasviri Efkậr, 11 férier 1919

« Tahsin rend le Dr.B. Şakir et le Commandant de la 3ème Armée Mahmud Kâmil Paşa responsables des massacres d’Arméniens ».

[ Cette déclaration est annoncée dans le rapport du Lieutenant Colonel allemand Stange qui était chargé du régiment turc conduisant les opérations de guérilla contre les Russes dans le Caucase. Décrivant le meurtre de masse des Arméniens comme le résultat d’un « plan concocté depuis longtemps » (einen lang gehegten Plan) Stange accusa nommément le Dr. B. Şakir et Kâmil Paşa comme étant les principaux organisateurs de l’Holocauste ; il cita même ce dernier comme s’étant vanté « qu’après la guerre il n’y aura plus de Question arménienne » (archives du Ministère des Affaires Etrangères d’Allemagne. Botschaft Konstantinopel, 170 n° 3841 ; 23 août 1915 - rapport « secret »de la mission militaire allemande en Turquie.]

Münir (Akkaya)

Takvimi Vekayi N° 3540, séance du 28 avril 1919. Date de publication 5 mai 1919.

p.7 La Cour cite un chiffre du 14 décembre 1918 du gouverneur d’Erzeroum Munir (Akkaya).[ qui, comme Tahsin, rejoignit plus tard les Kémalistes attestant le fait que les convois de déportés arméniens étaient soumis « aux massacres et aux pillages » (Katl u garate maruz) selon l’arrangement du « membre du Comité Central de l’Ittihad, Behaeddin Şakir »]

Reşid

Rustow, Dankwart A. (1959) L’Armée et la Fondation de la République Turque. Politiques mondiales XI (4) 513-522.

p. 523 « Resit Paşa, un Unioniste qui avait été démis de ses fonctions de gouverneur de Kastamonu pour avoir critiqué la politique de pogrom arménien du gouvernement de Talat… » [ ce renvoi par Talat, ainsi que d’autres licenciements pour des raisons identiques, est mentionné dans Takvimi Vekayi, N° 3540, pages 6-18 ; N° 3557 p. 101]

Chambre des députés du Parlement Ottoman

Hafız Mehmet

Takvimi Vekayi, N°3540, session du 28 avril 1919, date de publication 5 mai 1919

p.7 Le jeune avocat député de Trabzon, Hafız Mehmet est également cité à propos de sa révélation que la méthode commune d’extermination des Arméniens de sa province était de « les noyer » (gark) sur les côtes de la Mer Noire en les plaçant à bord (irkâp) de bateaux et en les jetant ensuite par-dessus bord. Le député, en outre, attesta qu’il avait informé Talat de ces crimes mais que ce dernier avait refusé de prendre toute action préventive ou punitive.

Şakir

Presse d’Istanbul :

Nor Guiank, Renaissance, 12 février 1919

Lors de la 4ème session des séries de procès de Yozgat (11 février 1919) le député de Yozgat, Şakir, dit à la Cour, du box des témoins, que les populations arméniennes de Boğazlıyan et de Yozgat avaient été systématiquement massacrées sur les ordres de Kémal, le gouverneur « boucher » (kasab) de ces localités. Kemal était si omnipotent que Şakir n’osait pas envoyer de câbles au gouvernement central, sinon ils auraient été interceptés ; mais Şakir attesta qu’il avait personnellement informé Talat à Istanbul.

Archive du Patriarcat arménien de Jérusalem, Séries 21, dossier 7, n° 494

Dans sa déposition du 5 décembre 1918, préparée à la demande de la Commission d’Enquête Mazhar, le député Şakir insista sur les abus envahissants d’autorité et les activités criminelles de Kemal, mentionné ci-dessus. A un certain moment, il cite (p. 2 du rapport), il cite Kemal disant qu’après avoir fait complètement le travail de la liquidation des Arméniens de Boğazlıyan, il espérait être promu au rang de gouverneur de district (mutasarrıf). Şakir termine ainsi son affidavit :

« Même si je n’ai pas vu personnellement ses ordres écrits de massacre, et bien que je n’aie pas vu de mes propres yeux les massacres eux-mêmes, je suis aussi certain de la vérité de ces charges que si j’avais observé personnellement les atrocités ».

retour sommaire suite
Reproduit avec la permission de :
Genocide: A Critical Bibliographic Review, Vol. 2 (Israel W. Charny, ed.)
London: Mansell Publishing; New York: Facts On File,
1991 © 1991 by Institute on the Holocaust and Genocide,
PO Box 10311, 91102 Jerusalem, Israel.

Traduction : Louise Kiffer
Collaboration : Laurence Pfister
Nous écrire Haut de page Accueil XHTML valide CSS valide