Le pardon et l'oubli

Garbis Artin

Garbis ArtinLe génocide perpétré contre la population arménienne au tournant du XXème siècle a suscité bien des ouvrages. Témoignages déchirants de rescapés de ces journées d'enfer, études historiques rigoureuses, pamphlets, se sont succédé.

Paradoxalement, la majorité des livres les plus significatifs —contenant souvent des témoignages déterminants sont aujourd'hui épuisés, parfois scandaleusement oubliés. Ils contiennent pourtant une part essentielle de la mémoire de cette immense tragédie, de cette dette de sang jamais soldée.

Nous avons voulu rappeler, au travers d'extraits significatifs, ces œuvres capitales, notamment pour que les générations d'aujourd'hui aient accès de façon simple et directe à une information jusque là réservée à des initiés ou des érudits.

Ce recueil ne s'adresse pas seulement aux membres de la communauté arménienne mais aussi à l'ensemble des citoyens qui, tous, ont droit à une information complète sur l'une des pages les plus noires de l'histoire moderne. Et cela d'autant plus que notre pays, et tout particulièrement la région provençale et Marseille, sa capitale, ont accueilli une population réfugiée considérable. Cette population ayant par ailleurs réussi son intégration de façon remarquable puisqu'elle a prouvé qu'il était possible de conjuguer la citoyenneté française avec la maintenance des traditions et de la culture originelles.

Nous ne faisons pas œuvre d'historiens. Nous n'en avons ni la prétention ni la compétence. Nous faisons un travail de mémoire. Plus modeste mais, peut-être, plus profond. Basé sur des récits authentiques.

Nous ne désirons pas entretenir un esprit de vengeance ni faire perdurer la haine, même si l'ampleur et l'horreur des crimes turcs pourraient légitimer de tels sentiments. Nous pensons qu'il n'y a sans doute aucun forfait qui soit au-dessus du pardon, même si le pardon semble plus d'essence divine qu'à la portée de l'homme. Mais le pardon est une chose, l'oubli en est une autre, qu'il serait intolérable d'envisager.

Oublier notre histoire, oublier les souffrances encore si proches, ne serait-ce pas le plus sûr moyen de ne pas leur fermer définitivement l'avenir ?

Nous avons délibérément choisi de publier des récits qui répètent sans cesse les mêmes litanies d'horreur. Cette répétition, ces témoignages qui se télescopent, s'accumulent, sont propres à susciter le dégoût, la répulsion, le chagrin et la honte.

Honte d'être un homme, de la même espèce que les assassins et les tortionnaires.

Nous voulons croire qu'un autre sentiment naîtra de cette lecture éprouvante : l'espérance.

Cette espérance qui seule peut nous convaincre que le jour succède à toutes les nuits. Fussent-elles des nuits d'épouvanté et d'angoisse sur les lointains plateaux d'Asie Mineure.

C'est pourquoi nous avons voulu terminer cet ouvrage par l'évocation de l'arrivée des Arméniens à Marseille et de leur intégration finalement réussie au sein de la population française.