Autour de l'Arménie

Frédéric Macler

Autour de l'Arménie(...) Quel est donc le tréfonds de la mentalité turque ? Les Turcs ne peuvent rien faire par euxmêmes; ils sont restés un peuple nomade malgré leur séjour plusieurs fois séculaire dans les villes.

On chercherait vainement à nommer une seule cité importante qui ait été construite par eux. Ils font travailler les autres ; ils leur laissent même, au début, une certaine latitude ; puis, lorsque la prospérité commence à couronner l'effort du travailleur, lorsque le Turc estime que le giaour risque de devenir un danger pour lui, il fomente une révolte et le massacre des révoltés s'en suit fatalement.

C'est en vertu de ce principe, de cet esprit d'organisation, que les massacres n'ont jamais eu lieu aux mêmes endroits ; on procède par coupes réglées, on n'abat pas en une fois tous les arbres de la forêt ; on y met de la méthode; mais au bout d'un temps fixé, les arbres auront tous été sûrement abattus. Cette façon de procéder est d'une application plutôt difficile dans des centres importants comme Constantinople ou Smyrne, c'est la tactique courante à l'intérieur du pays.

Ils pillent,
ils tuent,
ils massacrent,
ils violent comme
l'ont fait leurs pères :
ils se trouvent Bien
de cet état de choses
et s'y maintiennent.

A aucun moment de son existence, le peuple arménien n'a été à la charge du conquérant ; il a toujours subvenu aux besoins de son culte, de ses écoles, de ses hôpitaux et de ses autres institutions de bienfaisance , et ceci, malgré les impôts réguliers et surtout irréguliers qu'il payait ponctuellement et qui l'accablaient progressivement. Le gouvernement turc n'a jamais dépensé un seul centime pour les Arméniens.

Le contraire a fréquemment lieu, et il n'est pas rare de constater dans les grands centres où il y a des hôpitaux arméniens, israélites et turcs, que les Turcs vont se faire soigner gratuitement dans les hôpitaux arméniens qui sont exclusivement entretenus par les deniers arméniens.

Une autre preuve palpable de l'incapacité turque est que, dans les centres turcs, il n'y a pas un seul exportateur turc, qui traite directement des affaires avec l'Europe.

Les Turcs se contentent de trafiquer avec les commerçants de l'intérieur. Ils sont littéralement incapables de faire le grand commerce, à telle enseigne que les négociants turcs de l'inté-rieur envoient leurs marchandises en commission chez des Arméniens ou des Grecs.

On a répété à satiété que les Turcs, étant fatalistes et ne possédant aucune éducation, il leur était impossible de s'européaniser; il n'y aurait là que demi-mal, s'ils rachetaient par d'autres qualités leur incapacité radicale, leur impuissance complète de conception.

Ce n'est pas le cas.

Leur cerveau est engourdi par ces deux facteurs : le fatalisme et le manque d'éducation. Ils ont la mentalité de leurs ancêtres, et depuis six siècles qu'ils infestent l'Europe et l'Asie antérieure, ils n'ont fait aucun effort pour marcher résolument dans la voie de la Civilisation et du progrès.

Ils pillent, ils tuent, ils massacrent, ils violent comme l'ont fait leurs pères ; ils se trouvent bien de cet état de choses, ils s'y maintiennent.

Puis vint le tour des femmes

Puis vint le tour des femmes ; celles qui ne furent pas choisies pour enrichir les harems turcs furent emmenées hors de ville et impitoyablement massacrées ou noyées après avoir subi les derniers supplices. Au lendemain de cette «expulsion», le consul d'Amérique, faisant une promenade à cheval, vit, de ses propres yeux, la rivière charrier des cadavres enlacés de femmes et de tout petits enfants, en quantité innombrable.

Parmi les jeunes filles parquées dans le collège français, l'une d'elles fut assez heureuse pour se réfugier au grenier.

Elle attendit la nuit et, à la faveur de l'obscurité régnante, elle se sauva au consulat d'Italie. Le Consul reçut Mlle Karagueuzian, l'emmena avec lui à Constantinople puis au Pirée, l'habilla comme sa bonne, lui fit établir un passeport italien et la dirigea sur Odessa où l'infortunée jeune fille retrouva sa sœur, Mme Boyadjian. C'est par cette seule rescapée que l'on connut tout d'abord les atrocités du massacre criminel de Trébizonde, perpétré en juillet 1915.

Autour de l'Arménie, Frédéric Macler, Librairie Nourry Paris 1917

Nota : Ce texte, polémique, exprime bien évidemment l'opinion de son auteur qui en a assumé la responsabilité en son temps.

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