041 - Les Arméniens étaient-ils considérés comme des sujets de seconde
catégorie?
Oui et non. S'ils étaient privés de certains droits, les Arméniens
jouaient un rôle important dans la vie économique et intellectuelle, voire
parfois politique, comme les drogmans (interprètes diplomatiques). À partir de
l'ère des premières réformes ottomanes (Tanzimat) au XIXe
siècle (1839, 1856,
1876), visant à moderniser l'État et à aller dans le sens d'une égalité des
droits de tous les sujets, ils purent accéder à la fonction publique, en
particulier à des postes techniques. Après la révolution de 1908, il y eut même
des ministres arméniens.
042 – Les juifs avaient-ils un statut comparable à celui des Arméniens de
Turquie ?
Oui, comme tous les non-musulmans. Si une grande partie d'entre eux
avaient été accueillis par l'empire après leur expulsion d'Espagne en 1492, ils
n'en étaient pas moins soumis à des discriminations et à des poussées
d'antisémitisme. Mais ils présentaient un moindre danger aux yeux des Turcs,
étant bien moins nombreux que les Arméniens (400 000) et n'ayant pas de
revendication d'autonomie territoriale, jusqu'à l'apparition du sionisme.
043 – Les Arméniens étaient-ils majoritaires dans certaines provinces de
l'empire ?
Oui. Dans les six villayet de l'est, ils constituaient une majorité
absolue ou relative. Cette situation pouvait leur permettre de revendiquer un
statut d'autonomie, qui aurait pu constituer un premier pas, selon les autorités
ottomanes, vers l'indépendance, comme dans les Balkans. D'où la politique des
gouvernements turcs successifs de redécoupage administratif et d'installation de
réfugiés musulmans des Balkans et du Caucase dans les provinces arméniennes,
visant à saper les bases d'un éventuel séparatisme, avant les grands massacres
de 1894-1896.
044 – Quel a été le nombre de victimes de ce génocide ?
Le bilan, nécessairement approximatif, varie selon les statistiques de
référence, mais représente les deux tiers de la population: il varie entre 1,2
et 1,5 million selon les Arméniens, et 800 000, chiffre reconnu par le ministère
turc de l'Intérieur en 1919.
045 – Aujourd’hui, combien l'État turc reconnaît-il de victimes arméniennes ?
Les chiffres ont fluctué. L’État turc évalue aujourd'hui les morts
arméniens à moins de 400 000, un chiffre en retrait par rapport à leurs propres
estimations antérieures, pour imposer notamment l'idée que le nombre des
victimes arméniennes serait inférieur au nombre de victimes turques de la
guerre.
046 – Pourquoi ce chiffre actuel a-t-il diminué par rapport aux estimations de
1919 ?
Pour contrer les accusations de génocide. Cette fluctuation des chiffres
vise à minimiser l'ampleur du crime commis contre les Arméniens, d'autant
qu'elle est relativisée par la comparaison avec le bilan des morts turcs au
cours de la Première Guerre mondiale. Cela contribue aussi à une interprétation
en termes de conflit intercommunautaire qui met sur le même plan agresseurs et
agressés, supposés se battre à armes égales.
047 - Les Arméniens furent-ils les seules victimes de ces massacres ?
Non. Les massacres touchèrent aussi d'autres populations chrétiennes,
principalement les Grecs pontiques, vivant sur le littoral de la mer Noire, et
d'autres chrétiens orientaux comme les Assyro-Chaldéens de l'antique Église
syriaque.
048 – Pour quelles raisons le génocide des Arméniens a-t-il eu lieu ?
Il a eu lieu avant tout pour des raisons politiques, géopolitiques et
idéologiques, et non pas religieuses, même si l'islam est convoqué par la
propagande et si les communautés visées sont chrétiennes. Le Comité Union et
Progrès est déterminé à sauver ce qui reste de l'Empire ottoman en déclin
continu depuis le XVIIIe' siècle, surtout après la perte de ses
territoires européens lors des dernières guerres balkaniques (1911-1913). Le
moyen choisi est la turquification du territoire et des populations restantes,la
mise en place d'une « économie nationale ", l'union des peuples turcs. D'où sa
volonté de trouver une « solution finale" à la question arménienne, devenue un
des éléments de la «question d'Orient" depuis le congrès de Berlin (1878) : le
sort des minorités et la mauvaise gouvernance des provinces sont en effet des
facteurs d'ingérence des puissances européennes, intéressées au partage des
dépouilles de l'empire. Les Arméniens, dont la principale exigence est le
réaménagement du système ottoman par des réformes politiques, sont perçus comme
étant de connivence avec la Russie, à nouveau en pointe sur la question d'Orient
depuis 1912, et principal ennemi de l'empire ottoman.
049 – Pourquoi l'opinion internationale n'a-t-elle pas réagi ?
L'opinion internationale a réagi de façon rapide et importante - en
témoigne l'ampleur des collectes en faveur des survivants, notamment en France.
Mais il n'en a pas été de même des gouvernements, du moins en termes
d'intervention concrète.
050 – Pourquoi les gouvernements de l'Entente n'ont-ils pas réagi ?
Dès le 24 mai 1915, une déclaration des trois pays de l'Entente (France,
Royaume-Uni, Russie) condamne les massacres, indiquant que le gouvernement
ottoman serait tenu pour responsable de ce « crime contre l'humanité et la
civilisation», un terme qui peut apparaître comme une première tentative de
définition d'un crime hors norme. Mais, s'épuisant dans les tranchées, les
Alliés sont occupés sur les fronts européens de la guerre, jugés prioritaires.
Ils s'accommoderont ensuite de la disparition des Arméniens lors des accords
secrets pendant la guerre pour se partager les zones d'influence de l'Empire
ottoman.