Chapitre IX
LA CONFÉRENCE de Londres se réunit le 21 février 1921 pour s’occuper des affaires allemandes et du problème oriental. Et, dans cette Conférence, les représentants des gouvernements anglais, français, italien et japonais entendirent à plusieurs reprises les Délégations de la Grèce et de la Turquie ainsi que celle des Arméniens[270].
Exploitant avec habileté l’état d’âme des puissances, anxieuses d’aboutir, le plus tôt possible, à la paix générale, la Délégation turque développa un programme réalisant toutes les revendications du Pacte national.
D’après un document qui fut lu, à la séance du 24 février, par le représentant d’Angora, Békir Sami Bey, la Turquie réclama en Europe les frontières de 1913, donc la restitution de toute la Thrace orientale. Aux termes du même document, elle demanda que la frontière méridionale de l’Asie Mineure fût déterminée par la ligne qui sépare celle-ci des contrées habitées par une majorité arabe, ligne qui devrait être délimitée d’un commun accord entre la Turquie et les parties intéressées : la Cilicie et les localités habitées par les Turcs, situées au Nord de cette ligne, ainsi que Smyrne et tous les territoires occupés par les Grecs, seraient par conséquent évacués ; quant à la frontière orientale de la Turquie d’Asie, elle devait, d’après Békir Sami Bey, suivre la ligne frontière turco-persane, puis celle fixée par le traité entre les gouvernements d’Angora et Erivan. La Turquie prétendit en outre au maintien de sa souveraineté pleine et entière sur les territoires ainsi délimités. Elle insista spécialement sur le respect de cette souveraineté dans le règlement futur de la question des Détroits, tout en acceptant la démilitarisation de ceux-ci et l’institution d’une Commission internationale de surveillance. Elle invoqua encore cette même souveraineté en matière judiciaire pour l’élaboration prévue d’un projet de réforme judiciaire par une Commission composée de juristes étrangers et ottomans. Enfin elle demanda une indépendance complète financière et économique et elle ne consentit à une protection des minorités de race, de religion et de langue que suivant les mêmes règles que celles consacrées par les traités de Saint-Germain, de Neuilly et de Trianon[271].
La Délégation turque appuya ses revendications territoriales en ce qui concerne Smyrne et la Thrace par des statistiques qui furent contestées par la Délégation grecque. En présence de ces divergences d’opinion, les Puissances proposèrent, le 25 février, aux belligérants de soumettre la question de la population de ces deux zones à l’arbitrage d’une Commission internationale d’enquête et à accepter les autres clauses du traité de Sèvres maintenues sans modifications ; M. Lloyd George, Président de la Conférence, ajouta cependant que les clauses relatives à l’Arménie et au Kurdistan devaient encore être l’objet de discussions dans la présente Conférence. La Délégation turque s’empressa d’accepter la proposition de l’enquête, dont le principe même ébranlait l’édifice construit à Sèvres, et se réserva un recours à Angora pour les conditions accompagnant la proposition des Alliés. La Délégation grecque déclara devoir demander des instructions générales à son gouvernement.
En attendant ces réponses, la Conférence passa, le 26 février, à l’étude du problème arménien. Il entendit d’abord les représentants des deux Délégations arméniennes, Boghos Nubar Pacha et M. Aharonian agissant en plein accord.
Boghos Nubar Pacha, chef de la Délégation nationale, parlant au nom des Arméniens de Turquie, insista sur le maintien des dispositions du traité de Sèvres concernant l’Arménie. Il fit valoir que les puissances qui avaient conclu ce traité poursuivaient la libération des Arménienu de Turquie et que l’union avec l’Arménie du Caucase n’avait été décidée qu’à la suite de la séparation de cette dernière d’avec la Russie. L’occupation de la République par les Soviets n’était donc pas une raison pour empêcher les Puissances de libérer les Arméniens de Turquie. Les quatre vilayets étaient, il est vrai, occupés par Ies Kémalistes, mais les Alliés disposaient de moyens de pression dont le moindre était la continuation de l’occupation des territoires se trouvant sous leur contrôle militaire. Quant à la Cilicie, dont la plus grande partie faisait, en vertu du traité de Sèvres, retour à la Turquie, mais qui restait cependant dans la zone d’influence française, Boghos Nubar Pacha rappela que ce pays abritait plus de 150.000 Arméniens rapatriés depuis l’armistice et fit un appel chaleureux à la France, l’adjurant d’obtenir de la Turquie, pour la Cilicie, un régime d’autonomie administrative avec une gendarmerie mixte.
M. Aharonian, parlant en qualité de représentant de la République arménienne, reconnue par le traité de Sèvres, s’éleva avant tout contre l’impression de certains milieux que l’invasion de l’Arménie par les Soviets aurait amené un changement dans la situation politique. L’instauration du Bolchévisme en Arménie n’avait été rendue possible que par l’invasion kémaliste. L’occupation de l’Arménie russe par les Soviets n’était pas une raison pour arrêter la libération de l’Arménie turque où rentreraient les 300.000 réfugiés se trouvant actuellement sur le territoire de l’Arménie russe. D’ailleurs, le régime des Soviets était déjà à l’heure actuelle renversé par une insurrection[272]. Quant à l’action kémaliste contre l’Arménie, elle visait les Alliés et le traité de Sèvres : en effet, la répudiation de ce traité fut imposée aux Arméniens par le traité d’Alexandropol que leur dictèrent les Turcs victorieux. Cependant le gouvernement d’Erivan, avant de signer ce dernier acte, avait prescrit à ses représentants à l’étranger de ne pas reconnaître la validité d’engagements qu’il serait forcé de prendre sous la pression soviétiste et kémaliste ; par conséquent le traité d’Alexandropol était répudié par les Arméniens. M. Aharonian ne manqua pas d’indiquer, au cours de son discours qu’en détruisant l’Arménie du traité de Sèvres les Nationalistes turcs cherchaient à donner la main au-dessus de ses ruines aux Touraniens dont les séparaient les Arméniens. Il fit valoir également que le maintien du traité de Sèvres serait un terrible coup porté au Bolchévisme en Transcaucasie.
Pendant cette même séance, lord Curzon précisa les difficultés sérieuses que rencontrait, dans son opinion, l’exécution intégrale du traité de Sèvres : le Bolchévisme dans l’Arménie russe, l’occupation de l’Arménie turque par Moustapha Kémal et l’impossibilité pour les Puissances d’envoyer de grandes forces au secours de l’Arménie ; en outre, le Président Wilson avait dans sa sentence assigné à l’Arménie des limites difficilement réalisables, comprenant différentes régions turques ainsi que le port de Trébizonde. À ces observations la Délégation arménienne répondit qu’elle ne demandait pas Trébizonde, mais un accès à la mer, et qu’en général les Arméniens étaient préparés à des sacrifices.
En ce qui concerne la Cilicie, M. Berthelot fit ressortir qu’on ne saurait obtenir pour ce pays un régime spécial qui n’était pas prévu par le traité de Sèvres, mais il déclara en même temps que la France était déterminée à faire tout ce qu’elle pourrait pour assurer une garantie complète aux minorités[273] arméniennes, que ce fût par la création d’une gendarmerie mixte sous des officiers français ou par quelque autre arrangement[274].
Le même jour, 26 février, il fut « déclaré à la Délégation turque par lord Curzon[275] que, si les circonstances avaient dans une certaine mesure changé depuis la signature du traité de San Remo, l’obligation de constituer une Arménie unie et stable était de celles que les Puissances n’avaient pas la plus légère intention d’abandonner et que, dans l’intérêt du gouvernement turc en Asie Mineure, non moins que dans celui des Arméniens eux-mêmes, il était important de fixer la frontière acceptée par toutes les parties, par laquelle seraient restitués à l’Aménie les districts dont elle a été récemment dépossédée, et de permettre à l’Arménie d’aspirer à une existence nationale assurée de la sécurité ».
Au sujet des Arméniens de Cilicie, M. Berthelot, au nom de la Délégation française, affirma à nouveau l’intention des Français, quand ils cesseront l’occupation militaire de la Cilicie, de prendre des garanties pour la sauvegarde des intérêts et de la situation des Arméniens dans cette partie de la Turquie.
La réunion décida finalement de soumettre des propositions formelles au Conseil suprême au sujet de la modification possible des clauses du traité de Sèvres relatives au Kurdistan et à l’Arménie, à la lumière des récents événements.
Quelques jours après la séance consacrée à la question arménienne, le 4 mars, la Conférence entendit les réponses définitives des Délégations grecque et turque à la proposition relative à l’enquête internationale en Thrace et à Smyrne. Le gouvernement hellène se déclara dans l’impossibilité d’accepter une proposition qui, dans son esprit, tendait à lui faire abandonner les droits consacrés par le traité de Sèvres. L’Assemblée nationale d’Angora, par contre, confirma l’acceptation de l’enquête dans les termes formulés par ses délégués, tout en n’acceptant les autres dispositions du traité de Sèvres qu’ « en tant qu’ elles soient adaptées aux conditions indispensables à l’existence d’une Turquie libre et indépendante ». En communiquant cette décision à la Conférence, la Délégation turque la fit suivre de la vague déclaration que voici : « Le Conseil suprême ayant jugé nécessaire d’examiner les dispositions relatives aux autres questions territoriales, particulièrement celle de l’Arménie et du Kurdistan, et ayant bien voulu admettre, dans son esprit de justice, l’examen des autres clauses du traité, la Délégation turque a pleine confiance qu’une étude approfondie du problème permettra d’aboutir à un arrangement équitable sur les points essentiels »[276].
Dans ces conditions, les Alliés proposèrent, le 12 mars, aux Délégations grecque et turque, un règlement apportant au traité de Sèvres des modifications considérables en faveur de la Turquie[277].
Les clauses territoriales de ce règlement sont les suivantes : Les zones démilitarisées des Détroits, inaccessibles aux forces militaires turques, ne sont que réduites. L’exercice des droits de souveraineté par le gouvernement hellénique sur Smyrne est limité[278], le gouverneur du vilayet chrétien devant être nommé par la Société des Nations. En promettant l’évacuation de Constantinople par les Alliés, les puissances la font dépendre de la bonne foi des Turcs dans l’exécution du règlement. L’autonomie du Kurdistan est maintenue. Les Grecs restent en possession de la Thrace. Enfin, « en ce qui concerne l’Arménie, les stipulations présentes pourront être ajustées, à condition que la Turquie reconnaisse les droits des Arméniens turcs à un Foyer national sur les frontières orientales de la Turquie en Asie et consente à accepter la décision d’une Commission nommée par le Conseil de la Société des Nations en vue d’examiner sur place la question du territoire qu’il serait équitable de transférer, dans ce but, à l’Arménie »[279].
Comme on le voit, la plus grande satisfaction qui, au point de vue territorial, était offerte par les Alliés à la Turquie, se rapportait à l’Arménie. Les Turcs ne recouvraient pas la Thrace et ne conservaient qu’une souveraineté nominale sur Smyrne. Mais il n’était plus question, dans le projet allié, de l’Arménie « État libre et indépendant » du traité de Sèvres (art. 88) dont, en vertu de l’article 89 du même traité, le Président des États-Unis d’Amérique venait de déterminer les frontières avec la Turquie, en englobant dans l’Arménie la majeure partie de quatre vilayets. En faisant abstraction complète de cette sentence, le projet allié assurait toutefois aux Arméniens un Foyer national sur la frontière orientale de la Turquie.
Mais quel était le caractère de ce Foyer national des Arméniens turcs, sur lequel le projet de Londres ne contient aucune précision juridique ?
Tout d’abord, il est évident qu’un « Foyer national » destiné aux Arméniens turcs signifie l’abandon de leur union, envisagée par le traité de Sèvres, avec la République formée des territoires de l’ancienne Arménie russe. Cette République, après avoir succombé sous les coups des Turcs et des Bolcheviks, venait, il est vrai, de faire un suprême effort pour secouer le joug des Soviets, et cet effort avait été couronné de succès. Mais les Alliés n’avaient évidemment pas une très grande foi dans la durée de cette indépendance reconquise, et les événements devaient malheureusement leur donner raison. Dans ces conditions, hors d’état, selon les déclarations de lord Curzon, d’avoir dans ces parages recours à la force, ils ne pouvaient pas penser à maintenir l’union entre l’Arménie russe et les contrées de l’Arménie turque occupée par les soldats de Moustapha Kémal Pacha.
Il est vrai que, tout en précisant, devant les Arméniens, les difficultés que rencontrait l’exécution intégrale des clauses les concernant du traité de Sèvres, lord Curzon insistait auprès des Turcs sur « l’obligation de constituer une Arménie unie et stable » et préconisait la restitution à la République d’Erivan, à ce moment libérée des Soviets, des districts qu’elle venait de perdre par le traité d’Alexandropol. Mais cette injonction même indiquait par sa limitation que l’unité arménienne se concevait maintenant dans des proportions infiniment plus modestes, à ce point que, dans l’esprit des Alliés, le sort des vilayets arméniens de Turquie, adjugés par la sentence du Président Wilson à la République indépendante, n’était plus lié aux destinées de cette dernière.
Ce Foyer national arménien à créer sur les frontières orientales de la Turquie devait-il être indépendant ? Le projet de Londres ne se prononce pas sur ce point. Il semble cependant hors de doute qu’une indépendance arménienne ne s’imposait plus nécessairement à l’esprit des Alliés. Ayant laissé broyer la République arménienne, malgré ses appels désespérés, par l’étreinte turco-bolchéviste, les Alliés ne pouvaient pas être disposés à faire échouer la paix avec Angora par une exigence en faveur des Arméniens turcs, qui n’avait aucune chance d’être acceptée, à moins d’être appuyée par la force.
Que devait alors être, au point de vue du droit, ce Foyer national arménien ? Nous avons vu que ce terme avait été déjà employé par la déclaration Balfour et l’article 95 du traité de Sèvres pour la désignation du Foyer juif, établi en Palestine, et dont l’administration avait été confiée à la Grande-Bretagne comme puissance mandataire. Le terme de Foyer évoque par conséquent l’idée d’un mandat. Cependant, comme nous l’avons pu constater à plusieurs reprises, aucune puissance n’avait voulu s’embarrasser d’un mandat arménien. Par conséquent, l’idée du mandat n’a pu être envisagée par les Alliés.
Il ne reste donc qu’à conclure que le Foyer national, envisagé par les Alliés en mars 1921 pour les Arméniens turcs, consistait, dans leur esprit, dans la création, sur les frontières orientales de la Turquie, d’une province autonome, placée sous la souveraineté de la Turquie et dont le statut serait garanti par le futur traité. Le terme de province était toutefois choquant. On peut supposer que, désireux peut-être de voiler autant que possible le reniement de leur profession de foi de Sèvres, les Alliés choisirent le terme le plus discret et le plus élastique de foyer pour leur permettre, en cas d’événements imprévus, un retour sur leurs anciennes positions.
Ces événements ne se produisirent pas. Aussi, comme nous le verrons plus loin, les Alliés crurent bientôt opportun d’interpréter la conception du Foyer national arménien dans un sens restrictif en lui refusant même le caractère de province autonome. Nous apprécierons par la suite cette nouvelle adaptation aux exigences turques. Ici il nous importe seulement de nous élever contre l’interprétation de la première proposition concernant le Foyer national arménien, interprétation qui lui a été donnée en 1923 par l’un des représentants des Alliés pendant la Conférence de Lausanne.
Le 6 janvier 1923, à la séance de la sous-Commission des minorités de la Conférence de Lausanne, le délégué de l’Italie, M. Montagna, Président de cette sous-Commission, expliqua, en effet, que le terme de Foyer national n’avait pas compris, même dans le passé, l’idée de l’autonomie.
« Les Puissances alliées, dit M. Montagna, ont proposé plusieurs fois la constitution d’un Foyer national en Turquie, bien qu’on ait donné à cette expression une signification beaucoup plus large que celle qui était aussi bien dans leurs intentions que dans les nécessités réelles de la protection des Arméniens. Le Foyer arménien en Turquie, suivant les Alliés, devait consister simplement dans la faculté accordée à tous les éléments de la population arménienne de se concentrer et de se réunir, tout en sauvegardant la liberté des décisions individuelles, dans une partie déterminée du territoire turc. Cette concentration des éléments de la population arménienne ne devrait naturellement pas arriver à constituer un État dans l’État, mais elle serait uniquement destinée à leur permettre de jouir plus facilement de certaines mesures qui devraient garantir la conservation de leur culture et de leur langue. Nous ne demanderons pas, comme nous avons fait en faveur des Ruthènes de Tchécoslovaquie, une Diète autonome qui exerce des pouvoirs législatifs, mais un simple régime local qui, tout en sauvegardant d’une manière complète l’unité de l’État turc, permette aux Arméniens de conserver leurs anciennes coutumes. Le Foyer arménien ne serait pas de cette façon un territoire fermé aux autres habitants des terriroires turcs, ni soustrait à l’administration turque, mais seulement un point de concentration pour les Arméniens éparpillés dans le monde »[280].
Dans son rapport qu’il adressait, le 7 janvier 1923, à lord Curzon, Président de la première Commission, M. Montagna s’abstint de parler du passé et évita le terme même de Foyer national.
« Avec l’appui efficace de mes collègues, dit-il, j’ai ainsi attiré la plus sérieuse attention de la Délégation turque sur le fait que l’opinion de tous les pays attend de la Conférence de Lausanne une solution propre à assurer d’une façon définitive l’existence pacifique des populations arméniennes en Turquie. J’ai indiqué que cette solution pouvait se trouver dans un accord avec le gouvernement turc qui devrait permettre aux Arméniens (aussi bien à ceux qui se trouvent encore en Turquie qu’à ceux qui sont en ce moment dispersés à l’étranger) de se concentrer et de se réunir dans une localité du territoire turc, que le gouvernement turc aurait pu choisir lui-même, d’accord avec la Société des Nations. J’ai expliqué que cette solution, loin de porter atteinte à la souveraineté turque et aux plus délicates susceptibilités du gouvernement turc, aurait pu satisfaire l’opinion publique mondiale et lui démontrer la véritable intention de la Turquie d’entrer dans la voie du progrès et de la modernisation »[281].
Enfin, le procès-verbal n° 19 de la Commission des questions territoriales et militaires de la Conférence de Lausanne (séance du mardi 9 janvier 1923) contient ce passage :
« En ce qui concerne les Arméniens, lord Curzon ne dira que quelques mots, car cette question a déjà été traitée avec beaucoup de talent par M. de Montagna qui a montré que la proposition d’organiser un Foyer national n’impliquait nullement l’intention de porter atteinte à la souveraineté turque, de créer un État dans l’État ou de constituer un régime autonome »[282].
Ainsi, tandis que M. Montagna, dans son rapport, et lord Curzon, dans son discours, semblaient ne préciser la notion du Foyer national qu’au point de vue de l’avenir, le discours de M. Montagna à la sous-Commission des minorités se rapportait aussi au passé. Nous rendons hommage à l’intention qui guidait certainement le délégué de l’Italie lorsqu’il tâchait de démontrer aux Turcs que, dès le début, les propositions des Alliés de créer un Foyer national ne comportaient pas l’autonomie : il espérait, sans doute, pouvoir ainsi décider plus facilement les Turcs à accorder les quelques droits culturels que les Puissances revendiquaient encore pour les Arméniens. Mais, au point de vue historique, nous ne saurions souscrire à cette thèse. À Londres, en mars 1921, les Alliés, dans l’abandon progressif de leurs droits, qui est si caractéristique de leurs négociations d’après-guerre avec les Turcs, n’étaient pas encore parvenus à l’état d’âme de Lausanne. Après le sacrifice de l’indépendance arménienne, ils étaient seulement arrivés à l’étape de l’autonomie, à laquelle — il ne faut pas l’oublier — les Turcs avaient déjà en partie consenti avant la Grande Guerre, sous la forme de réformes stipulées dans l’accord russo-turc du 8 février 1914[283], réformes comportant, entre autres choses, l’institution d’inspecteurs généraux étrangers pour les provinces arméniennes. L’idée d’une autonomie, d’un self-government arménien était si bien ancrée encore à cette époque dans l’esprit des puissances que, comme nous le verrons plus loin, la deuxième Assemblée de la Société des Nations vota, le 21 septembre 1921, à l’unanimité, une résolution en faveur d’un Foyer national entièrement indépendant de la domination ottomane. Et la seule réserve, celle de la France, au sujet de ce vœu, ne s’adressait qu’à la qualification du Foyer comme indépendant. On peut donc conclure de ce vœu unanime que la conception du Foyer national comme simple « point de concentration pour les Arméniens éparpillés dans le monde » — pour employer la terminologie de Lausanne — était, en 1921, fort éloignée de la conscience des représentants des peuples réunis, pour la seconde fois, à Genève, pour délibérer sur les affaires du monde.
La Conférence de Londres finit, d’ailleurs, par un échec. En remettant le projet des Alliés aux Grecs et aux Turcs, le Président de la Conférence, M. Lloyd George, leur déclara que les propositions actuelles formaient un tout et qu’elles se substituaient à toute proposition faite antérieurement. Aucune des Délégations n’ayant pu accepter ces propositions sans en référer à son gouvernement, la partie orientale de la Conférence de Londres se termina sur cette offre des Alliés, qui n’eut point de suites.
La Turquie était représentée par deux Délégations, celles de Constantinople et d’Angora, présidées respectivement par Tewfik Pacha et Bekir Sami Bey ; mais ces deux Délégations déclarèrent être d’accord. Les délégués grecs étaient MM. Calogéropoulos et Gounaris ; les Arméniens étaient représentés par Boghos Nubar Pacha et M. Aharonian.
V. les communiqués officiels de la Conférence de Londres dans l’Europe nouvelle du 19 mars 1921, n° 12, et l’exposé du délégué d’Angora, Bekir Sami Bey, lu à la séance du 24 février 1921, dans l’Asie française, mars 1921, n" 190, p. 90.
Malheureusement, comme nous l’avons déjà vu, les Soviets restaurèrent bientôt leur régime en Arménie.
Boghos Nubar Pacha contesta la justesse de ce terme, les Arméniens constituant, d’après lui, la majorité de la population de la Cilicie.
Nous avons eu sous les yeux le procès-verbal anglais non imprimé de la séance du 26 février 1921.
V. le communiqué officiel de la Conférence de Londres du 26 février 1921.
Communiqué officiel du 4 mars 1921.
Voici le contenu des clauses principales de ce règlement d’après le Temps du 13 mars 1921 :
L’article 69 du traité de Sèvres portait : « La ville de Smyrne et les territoires décrits à l’article 66 restent sous la souveraineté ottomane. Toutefois, la Turquie transfère au gouvernement hellénique l’exercice de ses droits de souveraineté sur la ville de Smyrne et lesdits territoires ».
The Proposals of the London Conference to the Turkish Delegation in regard to Armenia : « In regard to Armenia the present stipulations might be adapted on condition of Turkey recognising the rights of Turkish Armenians to a National home on the Eastern Frontiers of Turkey in Asia, and agreeing to accept the decision of a Commission, appointed by the Council of the League of Nations, to examine on the spot the question of the territory equitably to be transferred for this purpose to Armenia ».
Nous citons le discours de M. Montagna d’après une copie qui circulait le même jour à la Conférence de Lausanne et dont nous croyons pouvoir garantir l’authenticité. Ce discours ne figure malheureusement pas aux Livres jaune et bleu sur la Conférence de Lausanne.
Livre jaune sur la Conférence de Lausanne, t. I, p. 253.
Livre jaune, t. I, p. 246.
V. ci-dessus, p. 43. [nds : chapitre 2]