Heinrich Vierbücher

Arménie 1915

Témoignage d'un officier allemand

« Le peuple trahi »

Les traités de paix de Versailles, Saint-Gennain et Sèvres ont apporté l’indépendance à certains peuples jusque là opprimés. La Pologne, la Tchécoslovaquie, les Pays baltes devinrent libres ; l’Arabie et la Syrie se séparèrent de la Turquie. Même les Juifs eurent leur foyer national.

Mais les Arméniens ont été trahis. L’Allemagne ne fit rien pour arrêter le bras des meurtriers turcs, 1’« Entente » rompit toute promesse faite aux survivants.

À juste titre, Fridtjof Nansen intitule son remarquable livre sur les Arméniens : « Le peuple trahi ».

Par le traité de Sèvres, un territoire en Arménie fut reconnu aux Arméniens comme foyer national placé sous la protection de la Société des Nations. Dans son arbitrage, le président Wilson en avait tracé les limites de façon telle que la République d’Arménie aurait la possibilité d’y accueillir ses survivants et former une communauté avec la petite république russo-arménienne déjà créée en 1918 et y recommencer une vie paisible.

Le nouveau dictateur Kémal Pacha était un digne successeur des Talaat et Enver. À peine avait-il appris que le territoire du meurtre de 1915 devait être accordé aux survivants du peuple torturé qu’il envahit le pays avec le concours de la Russie. Le peuple arménien resta sans patrie, sans protection contre les agressions, comme au temps de la guerre.

Pour imposer sa volonté à 1’« Entente », le très rusé Kémal Pacha réussit à susciter la jalousie des Grandes Puissances entre elles. En possession des puits de pétrole de Mossoul, il avait les atouts en main. Et à cause du pétrole, les Arméniens furent spoliés de leur avenir.

Kémal était même si fort qu’il expulsa en 1922 et dans des conditions barbares, la totalité de la population grecque, soit un million et demi d’hommes. Il a même déchiré le traité de Sèvres et imposé à Lausanne en 1923 une paix qui lui apporta le pardon général de toutes ses barbaries.

Le pétrole est un jus très spécial !

Que fit la Société des Nations ? Trois fois de suite, et à l’unanimité, elle prit la décision suivante : le Conseil Suprême devra se soucier d’« assurer l’avenir des Arméniens et surtout de leur accorder un foyer national ». À Lausanne, tout cela était déjà oublié. Lord Curzon désignait le sort des Arméniens comme « un des plus grands scandales du monde ». Ceci laissa indifférents les Turcs. Ils se refusèrent à tout engagement. Dans le traité de Lausanne, on ne mentionna même pas d’un seul mot le foyer national arménien. Un représentant de 1’« Entente » remarqua à ce sujet : « Il a été suggéré d’en laisser la solution au bon vouloir de la Turquie. » Cela signifiait pour les Arméniens l’anéantissement de tous leurs espoirs.

Si la Société des Nations a totalement échoué quelque part, c’est bien dans cette question arménienne. Même la tentative de faire un emprunt en faveur de la petite république armé­ ;nienne sur le territoire russe fut vouée à l’échec, emprunt qui devait donner les moyens nécessaires à l’institution de colonies de peuplement et la création d’emplois.

Lorsqu’en 1924, MacDonald était premier ministre anglais, les chefs de l’opposition, Asquith et Baldwin, lui écrivirent une lettre émouvante sur l’obligation de la Grande-Bretagne d’aider l’Arménie.

MacDonald fut battu. Après lui Baldwin a gouverné pendant quatre ans. Qu’a-t-il fait pour les Arméniens ? Rien !

En 1915, les Turcs n’ont pas uniquement massacré les Arméniens, ils les ont aussi volés. Rien que la valeur en espèces de la fortune dérobée s’élève à plusieurs millions de marks-or. En 1916, les Turcs envoyèrent 100 millions de marks-or de cet argent volé à Berlin comme dépôt-or pour leurs devises. Lors de l’Armistice, ce montant fut confisqué par 1’« Entente ». Pourquoi ne le rend-on pas au peuple spolié ?

La Société des Nations demande au noble Nansen d’entreprendre un voyage d’études à travers l’Arménie. Nansen s’y rend, mais à contre-cœur, parce qu’il part les mains vides, dépendant uniquement de l’aide privée. Il examine les conditions de vie dans la petite république russo-arménienne, il contrôle les possibilités d’accueil du pauvre état pour les nombreux réfugiés errant ça et là dans le monde. Nansen propose un emprunt de la Société des Nations.

Que fait la Société des Nations ? Stresemann a des paroles élogieuses pour le grand zèle de Nansen ! Chamberlain (le ministre des affaires étrangères de Baldwin) est presque ému aux larmes en apprenant le dur sort des Arméniens, mais il n’a pas d’instructions et ne veut pas éveiller de faux espoirs…

Aussi l’appel impétueux du poète Armin T. Wegner adressé à Wilson en janvier 1919 est bientôt oublié.

Ainsi sont-ils ceux qui appellent leur club « Société des Nations ». Si dans les grandes questions (désarmement !) on accomplit des choses remarquables, il ne reste pas de temps pour résoudre les petits problèmes.

Et la vie ou la mort d’un petit peuple est une bagatelle si ce peuple a commis la sottise de ne pas posséder des mines d’or et des champs de pétrole.

Dans son livre « Le peuple trahi », Nansen dit :

« Vous les politiciens, vous les hommes d’état, puissiez vous cesser de prononcer des paroles grandiloquentes que vous ne tenez pas, mais par lesquelles vous enlevez aux hommes leur dernière étincelle de foi en ce qu’il y a ‒ pourtant ‒ de sacré dans l’histoire d’un peuple ! »

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