Nous avons laissé la communauté arménienne au début du XIXe siècle, alors qu'elle partage avec les autres communautés chrétiennes un sort qui a encore peu évolué depuis le XVe siècle. Après 1815, les signes de la renaissance se multiplient, quoique toujours plus lentement pour les Arméniens, mais, parallèlement, la situation se modifie et de nouveaux problèmes apparaissent. Pour s'en tenir à une estimation simplifiée, la communauté arménienne, quoique toujours la même et vivant toujours dans ces mêmes terres où sur la carte du monde s'est inscrit depuis si longtemps son indéracinable patriotisme de race montagnarde, se trouve maintenant, sans même tenir compte des colonies qui se sont déjà formées un peu partout, coupée en quatre unités qui sont autant de foyers.

 

L'une constitue l'Arménie russe. Car, dans ces années-là, l'événement important, c'est le traité de Turkmentchaï qui, mettant fin en 1828 à une nouvelle guerre entre la Perse et la Russie, permet à celle-ci de s'annexer les provinces d'Erivan et de Nakhitchevan — c'est-à-dire une partie de l'Arménie historique. Les Arméniens de Perse, et ceux de Turquie, ont apporté une aide militaire à la Russie dans ce conflit, en formant des bataillons de volontaires ; et pour eux, arracher cette région à un Empire musulman despotique pour la faire passer sous le contrôle d'un Empire chrétien et relativement civilisé sinon libéral (du moins l'est-il alors infiniment plus que ses voisins), c'est faire un premier pas vers la liberté et l'indépendance générale du peuple arménien. De plus, le traité permet une forte émigration de retour, d'abord à partir de la Perse puis, pendant un certain temps, de la Turquie, vers un foyer arménien qui peut servir de catalyseur et de dernier recours contre l'oppression. Et en 1836, le gouvernement de Nicolas Ier promulgue une loi fondamentale (Pologénié) qui reconnaît les prérogatives de l'Eglise arménienne et du Catholicos d'Etchmiadzine. Autour de son chef spirituel, la communauté d'Arménie russe organise donc un réseau d'écoles et de séminaires sous le contrôle du Synode qui a la charge d'administrer tous ses biens, sous le contrôle aussi du gouvernement. L'Arménie a ainsi retrouvé un point de ralliement...

 

En Arménie turque, où se trouvent les trois autres foyers, Anatolie, Cilicie et bien sûr Constantinople, la capitale, rien n'a changé vraiment ; et c'est maintenant que s'esquisse une évolution que concrétise l'insistance renouvelée sur la question des réformes, bien qu'il ne s'agisse encore, pour les Arméniens qui sont restés sous le contrôle du Sultan, que d'espérer et d'obtenir le calme de l'existence quotidienne.

 

 

 

 

   

Imprescriptible,
base documentaire
sur le génocide arménien

  © Jean-Marie Carzou
Arménie 1915, un génocide exemplaire
, Flammarion, Paris 1975

édition de poche, Marabout, 1978