Yves Ternon

Enquête sur la négation d'un génocide

Chapitre I
Les documents Naïm-Andonian

Les documents dérobés par Naïm bey à la Sous-direction des déportés d' Alep ont été insérés dans le livre d'Andonian sans tenir compte de leur date de rédaction. Krieger en fit le premier la recension en un « Tableau complet des documents officiels publiés par Aram Andonian » où, d'après la version arménienne, il dénombrait cinquante-deux documents1 . Il signalait par un astérisque les vingt-cinq originaux qu'il avait lui-même consultés à la bibliothèque Nubar. Dadrian fit une analyse plus fournie des matériaux Andonian. Il ordonna chronologiquement les cinquante-deux documents, convertit les dates en nouveau style et, sur des arguments fondés, considéra que tous les documents qu'Andonian avait cru rédigés en janvier et février 1916 (v.s.) l'avaient en fait été en janvier et février 19172. Cette transposition laisse apparaître un vide documentaire de deux mois entre la fin de 1915 et le mois de mars 1916, et surtout un espace de cinq mois d'août 1916 à décembre 1916 sans échange de dépêches, alors que celles-ci réaparaîtraient soudainement au début de 1917, quinze télégrammes en deux mois. Comme par ailleurs cette transposition contredit la numérotation des pièces, comme le contenu des télégrammes semble plus probablement se rattacher au début de 1916, période active de déportation, qu'au début de 1917 où l'extermination des Arméniens est presque consommée, et comme enfin, après le dernier télégramme d'août 1916 qui correspond à l'assassinat des derniers déportés de Deir-ez-Zor, l'activité des services d'Alep aurait dû normalement décroître et n'avait aucune raison de se réveiller en janvier-février 1917, j'ai cru bon de maintenir la datation d'Andonian sans corriger l'année comme l'avait fait Dadrian. Voici donc le texte intégral des documents publiés par Andonian dans l'ordre probable où cette correspondance a été établie avec les corrections de date qui s'imposaient, transposées en nouveau style. En effet, les événements rapportés par les témoins étrangers sont datés en nouveau style. Ces corrections permettent d'établir plus aisément la correspondance entre les textes des fonctionnaires turcs et les pièces d'archive des ministères des Affaires étrangères, en particulier allemand et américain. Figurent également les reproductions des originaux réalisées sur des clichés zincographiques par l'Union arménienne de Manchester. Enfin, nous avons maintenu le texte de la traduction française de l'édition de 1920, traduction littérale de l'arménien certes, mais lourde et maladroite. Le texte original des documents était en osmanli et Andonian l'a d'abord traduit en arménien. Il est difficile de corriger cette traduction française du texte arménien puisque cette correction n'aurait été valable que pour les documents dont on ne possède plus les originaux et où le texte le plus proche des originaux est le texte arménien de l'édition de Boston de 1921. Il est certain qu'un travail s'impose que nous n'avons pas été à même de conduire: la traduction directe en plusieurs langues des clichés zincographiques des originaux rédigés en osmanli et dont nous reproduisons les planches.

 

DOCUMENT N° 1 :

Lettre adressée par le Comité central de l'Ittihad au délégué responsable d'Adana, Djemal bey, le 3 mars 1915.

La seule force capable d'empêcher la vie politique d'lttihad ve Terraki en Turquie est représentée par les Arméniens. Des nouvelles qui, ces temps derniers, arrivent du Caire, il ressort que le Dachnaktsoutioun prépare une attaque décisive contre le Djémièt.

Si nous examinons minutieusement toutes les circonstances historiques du passé, nous verrons que tous les orages manifestés sur le chemin des efforts patriotiques du Djémièt sont les résultats des perturbations semées par les Arméniens.

Le docteur Nazim bey écrit: « Si n'eussent été les Arméniens, je pourrais avec un petit signal d'lttihad ve Terraki mettre toute la Turquie en état de rentrer dans la voie recherchée. »

Le Djémièt a pris la décision de débarrasser la patrie de la convoitise de cette race maudite et de prendre sur ses épaules patriotiques la responsabilité de l'opprobre dont sera marquée l'histoire ottomane.

Le Djémièt incapable d'oublier l'humiliation et les amertumes du passé, plein d'idées de revanche, étant certain de son avenir, a décidé de supprimer tous les Arméniens habitant en Turquie, sans laisser vivant un seul individu, et a donné au gouvernement de larges prérogatives à ce sujet.

Le gouvernement donnera aux gouverneurs et aux commandants des armées les instructions nécessaires relatives à l'organisation des massacres. Tous les délégués d'lttihad ve Terraki, partout où ils sont en fonction, poursuivront la mise en exécution de ce projet. On ne tolérera pas qu'un Arménien puisse obtenir un secours ou une protection.
Les effets abandonnés seront provisoirement confisqués par le gouvernement, de la manière qu'il jugera la meilleure, et seront gardés par lui à la condition d'être plus tard vendus au profit de l'extension de l'organisation du Djémièt et des buts patriotiques.

S'il est nécessaire, demandez des comptes aux commissions formées à ce propos. Si vous apercevez des abus, vous pourrez vous adresser aux préfets comme à nous-mêmes.

fac-similé d'un document Andonian

 

 

DOCUMENT N°2. :

Lettre adressée par le Comité central de l'Ittihad au délégué responsable d'Adana, Djemal bey, le 7 avril 1915.

Assurer, à l'abri de tout empêchement politique et dans une large mesure, la mise en exécution de la sublime intention de supprimer les éléments en question qui depuis des siècles entravent la progression civilisatrice de l'Etat, est le devoir de chacun de nous. pour cela, en disant: " arrivera ce que pourra ", nous devons assumer toutes les responsabilités et appréciant la participation du gouvernement à la guerre générale comme le résultat d'un grand sacrifice, nous devons tâcher de faire aboutir les moyens entrepris aux résultats exigés.

Comme il était dit dans notre lettre du 18 février 1915 [3 mars, n.s., cf. DOCUMENT N° 1], le Djémièt a pris la décision de détruire jusqu'à la racine et d'annihiler désormais les diverses forces qui combattent contre lui depuis des années sur la voie de ses efforts, et pour ce faire il est malheureusement obligé d'avoir recours à des moyens très sanglants. Soyez certain que nous-mêmes nous nous émouvons en songeant à l'horreur de ces moyens; mais le Djémièt, pour assurer son existence éternelle, ne voit pas une autre issue.

Ali Riza nous critique et fait appel à la pitié. Un tel degré de naïveté est de l'imbécillité. Allez à Alep, si vous arrivez à le convaincre vous travaillerez ensemble, mais si ce n'est pas possible, nous trouverons un endroit propice pour faire vibrer les cordes de son coeur. Avant que les entreprises concernant les personnes connues aient donné leurs résultats, il ne serait pas bon de s'occuper des autres. Pour le moment il a été jugé opportun de punir par les moyens légaux les notables seulement, ce qui sera le point de départ pour les opérations futures.
Je vous remets de nouveau à la mémoire la question des effets abandonnés. Elle est très importante. Ne perdez pas de vue son administration, vérifiez toujours les comptes et l'usage que l'on en fait. Faites-nous savoir aussi le jour de votre départ.
P.S. — Nadji bey3 doit y aller aussi ; présentez-le partout. Le changement de préfet n'est pas possible. D'ailleurs vous devez partir de là, donc ce n'est pas nécessaire.

fac-similé d'un document Andonian

 

 

DOCUMENT N°3.

Télégramme adressé par Talaat à la préfecture d'Alep le 16 septembre 1915 et portant le numéro 5024 

Nous vous recommandons de soumettre aussi bien les femmes que les enfants aux ordonnances qui vous ont été antérieurement prescrites, d'appliquer aux mâles des personnes connues et de désigner pour ces fonctions des employés de confiance.
(
Apostille :

Avez-vous vu le commandant de la gendarmerie ? — A. Abdulahad Nouri bey. Le 5 septembre 1915 [18 septembre, n,s.]. Le Préfet, Mustafa Abdulhalik.)

fac-similé d'un document Andonian

DOCUMENT N°4 :

Télégramme adressé par Talaat à la préfecture d'Alep le 22 septembre 1915.

Le droit des Arméniens de vivre et de travailler sur le territoire de la Turquie est totalement aboli ; le gouvernement, assumant toutes les responsabilités à ce sujet, a ordonné de n'en même pas laisser les enfants au berceau. On a vu dans quelques provinces l'exécution de cette ordonnance. Cela étant ainsi, pour des raisons que nous ignorons, on fait des exceptions pour certains individus, lesquels au lieu d'être envoyés dans le lieu de leur exil, sont laissés à Alep, et de ce fait on met le gouvernement devant une nouvelle difficulté. Sans admettre leurs raisons, femmes ou enfants, quels qu'ils soient, même ceux qui sont incapables de se mouvoir, faites- les sortir de là et ne donnez pas prise à la population pour les défendre. La population met par ignorance ses intérêts matériels au-dessus des sentiments patriotiques, et n'est pas à même d'apprécier la grande politique que le gouvernement suit à ce propos. Etant donné que les actes de suppression commis ailleurs indirectement -rigueur, accélération de marche, les tracas de route, les misères -peuvent être assurés là directement, employez-vous y d'arrache-pied, sans perte de temps. Le ministère de la Guerre a informé tous les commandements d'armées que les chefs des stations militaires ne doivent pas s'immiscer dans le déplacement des déportés. Informez les fonctionnaires qui se chargeront de cette affaire que, sans craindre les responsabilités, ils doivent travailler à atteindre le véritable but. Veuillez me communiquer toutes les semaines les résultats de votre activité en rapports chiffrés.

 

DOCUMENT N° 5 :

Télégramme adressé par Talaat à la préfecture d'Alep le 29 septembre 19155.

Il a été précédemment communiqué que le gouvernement, sur l'ordre du Djémièt a décidé d'exterminer entièrement tous les Arméniens habitant en Turquie. Ceux qui s'opposeraient à cet ordre et à cette décision ne pourraient faire partie de la forme gouvernementale. Sans égard pour les femmes, les enfants et les infirmes, quelque tragiques que puissent être les moyens de l'extermination, sans écouter les sentiments de la conscience, il faut mettre fin à leur existence.

fac-similé d'un document Andonian

 

DOCUMENT N° 6 :

Télégramme adressé par Talaat à la préfecture d'Alep le 4 octobre 1915.
(Ce télégramme concerne l'installation à Alep d'un orphelinat recueillant les enfants arméniens.)

Un pareil orphelinat n'est pas nécessaire. Ce n'est pas l'époque de perdre son temps à les nourrir et à allonger leur vie, en cédant aux sentiments. Renvoyez-les et avisez-nous en.

DOCUMENT N° 7 :

Télégramme adressé par Talaat à la préfecture d'Alep le 12 octobre 1915 et portant le numéro 5376.

Nous apprenons que des gens du peuple et des fonctionnaires se marient avec les femmes arméniennes. Interdisant cela sévèrement, je recommande d'importance que les femmes de ce genre, séparées, soient envoyées dans les déserts.
(
Apostille :
Au sous-directeur général des déportés. Le 3 octobre 1915 [
16 octobre, n.s.]. Le préfet, Mustafa Abdulhalik.)

fac-similé d'un document Andonian

 

DOCUMENT N° 8 :

Télégramme adressé par Talaat à la préfecture d'Alep le 16 octobre 1915 et portant le numéro 544.

Le but d'avoir désigné le sandjak de Zor comme lieu d'exil a été expliqué par le télégramme chiffré n° 1843 en date du 2 septembre 1915 [15 septembre, n.s.]. Pour les excès commis en cours de route par la population sur les personnes connues, servant à la réalisation du but poursuivi par le gouvernement, il n'y aura pas de poursuite judiciaire. On en a avisé également les administrations de Zor et d'Ourla.
(
Apostille :

Au sous-directeur des déportés, le 5 octobre [18 octobre, n.s.]. Le préfet, Mustafa Abdulhalik.)

fac-similé d'un document Andonian

 

DOCUMENT N° 9 :

Télégramme adressé par Talaat à la préfecture d'Alep le 25 octobre 1915 et portant le numéro 563.

Préparez et envoyez d'ici une semaine les papiers demandés par l'ordre secret n° 1923 en date du 25 septembre 1915 [8 octobre, n.s.].

(Apostille :

S'en informer à la sous-direction générale des déportés. Le 23 octobre [5 novembre, n.s.]. Le préfet, Mustafa Abdulhalik.)

 

DOCUMENT N° 10 :

Télégramme adressé par Talaat à la préfecture d'Alep le 18 novembre 1915 et portant le numéro 603.
(Il s'agit en fait d'une circulaire envoyée dans tous les
vilayet . ).

Nous apprenons que les petits des personnes connues déportées des vilayet de Sivas, de Mamouret-ul Aziz, de Diarbékir et d'Erzeroum, étant restés orphelins et sans appui par suite de la mort de leurs parents, sont adoptés ou pris comme domestiques par des familles musulmanes. Nous vous exhortons de rechercher tous les enfants qui se trouvent dans ce cas et de les envoyer au lieu de leur exil ; de plus d'aviser la population à ce sujet par le moyen que vous jugerez propice.

(Apostille :

Concertez-vous avec le directeur de la police. Au sous-directeur f général des déportés, le 7 novembre [20 novembre, n.s.]. Le préfet, Mustafa Abdulhalik.)

fac-similé d'un document Andonian

 

DOCUMENT N° 11 :

Télégramme adressé par Talaat à la préfecture d'Alep le 1er décembre 19157.

Par la démarche que sur l'instruction de son gouvernement l'ambassade américaine fit dernièrement auprès de nous, il apparaît que les consuls américains se procurent des nouvelles par des moyens secrets. Bien qu'il leur fût répondu que la déportation s'effectue d'une manière sûre et confortable, cette affirmation n'étant pas suffisante pour les convaincre, tâchez que lors de la sortie des Arméniens des villes, des bourgs et des centres, des faits pouvant attirer l'attention ne se produisent pas. Au point de vue de la politique actuelle il est d'une importance capitale que des étrangers qui circulent par là soient convaincus que cette déportation ne se fait que dans un but de changement de séjour. Pour ce motif, il est provisoirement important d'étaler pour l'apparence une conduite délicate et de n'appliquer les moyens connus que dans les endroits propices. Je vous recommande à ce propos d'arrêter les personnes qui donnent ces nouvelles ou qui font des enquêtes et de les livrer, sous d'autres prétextes, aux cours martiales.

(Apostilles :

Sans parler du télégramme chiffré, voyez le directeur de la police. Y a-t-il réellement des gens qui enquêtent ? Conformément aux ordres du ministère, que les opérations se fassent ici avec modération. Au sous-directeur général des déportés, le 2l novembre 1915 [4 décembre, n.s.]. Le préfet, Mustafa Abdulhalik.

J'étais sûr de l'existence de semblables personnes et j'avais prié à plusieurs reprises le directeur de la police de les poursuivre, mais ses démarches n'eurent pas de résultat. Si la préfecture lui faisait une énergique recommandation, le résultat pourrait peut-être en être assuré. C'est à vous d'ordonner dans la circonstance. Le 21 novembre 1915 [4 décembre, n.s.]. Le sous-directeur général, Abdulahad Nouri.

Vous devriez écrire aussi aux fonctionnaires préposés à la déportation. Au sous-directeur général, le 22 novembre 1915 [5 décembre, n.s.]. Le préfet, Mustafa Abdulhalik.

Ecrivez, Naïm effendi ! Le 22 novembre 1915 [5 décembre, n.s.]. Il fut écrit. Dossier 741/16.)

fac-similé d'un document Andonian

 

DOCUMENT N° 12 :

Télégramme adressé par Talaat à la préfecture d'Alep le 6 décembre 1915 et portant le numéro 691.

Exterminez par des moyens secrets tout Arménien des provinces orientales que vous pourriez trouver dans vos parages.

 

DOCUMENT N° 13 :

Télégramme adressé par Abdulahad Nouri à la Direction générale de l'installation des tribus et des déportés de Constantinople (c'est- à-dire à son supérieur Choukri bey ) , et portant le numéro 31.

Plus de 400 enfants se trouvent dans l'orphelinat; on les enverra au lieu de leur exil en les plaçant dans les caravanes.

(Ce télégramme se rapporte à celui du 4 octobre 1915, DOCUMENT N° 6.)

 

DOCUMENT N° 14 :

Télégramme adressé par le ministère de l'Intérieur à la préfecture d'Alep en novembre ou décembre 1915 et remis par Abdulahad Nouri huit jours plus tard sans être visé par Mustafa Abdulhalik.

Le but de la déportation des personnes en question est d'assurer le bonheur futur de la patrie. Car n'importe où que l'on pourrait les faire habiter, ils ne renonceront jamais à leurs maudites idées ; il faut tâcher que leur nombre diminue autant que possible.

 

DOCUMENT N° 15 :

Télégramme adressé par Talaat à la préfecture d'Alep le 14 décembre 1915.

Bien qu'il faille montrer un zèle tout particulier pour l'extermination des personnes en question, nous apprenons que ceux-là sont envoyés dans des endroits suspects comme la Syrie et Jérusalem. Une tolérance semblable est une faute impardonnable. Le lieu d'exil des perturbateurs de ce genre est le néant. Je vous recommande d'agir en conséquence.

 

DOCUMENT N° 16 :

Télégramme adressé par Talaat à la préfecture d'Alep le 16 décembre 1915 et portant le numéro 723.

Renvoyez sans délai dans les endroits de leur exil les Arméniens établis antérieurement aux environs d' Alep, et informez-nous à ce sujet.

 

DOCUMENT N° 17 :

Télégramme adressé par Talaat à la préfecture d'Alep le 22 décembre 1915 et portant le numéro 745.

Il n'y a pas d'inconvénient à recevoir les télégrammes de mécontentement et de plaintes adressés aux autorités par les personnes connues relatifs aux actes commis contre eux. Mais ce serait une perte de temps que de s'occuper de l'instruction de ces affaires.
Vous direz aux plaignants de poursuivre leurs droits perdus dans le lieu de leur exil.

(Apostille :

La sous-direction était avisée déjà. Au sous-directeur général des déportés. Le 11 décembre [24 décembre, n.s.]. Le préfet, Mustafa Abdulhalik.)

DOCUMENT N° 18 :

Télégramme adressé par Talaat à la préfecture d'Alep le 24 décembre 1915 et portant comme le précédent le numéro 745 (un des deux numéros d'enregistrement est donc nécessairement faux) .

Nous apprenons que quelques correspondants de journaux arméniens, circulant dans vos parages, se sont procuré des photographies et des papiers représentant des faits tragiques et ils les ont confiés au consul américain de votre localité. Faites arrêter et supprimer les personnes dangereuses de ce genres8.

 

DOCUMENT N° 19 :

Télégramme adressé par Talaat à la préfecture d'Alep le 25 décembre 1915 et portant le numéro 830 – ce qui ne correspond pas aux dates d'enregistrement et fait supposer que ce télégramme est postérieur de plus d'un mois .

Recueillez et entretenez seuls des orphelins qui ne pourraient se rappeler les terreurs auxquelles furent soumis leurs parents. Renvoyez les autres avec les caravanes.

(Apostille :

Au sous-directeur des déportés. Le 12 décembre [25 décembre, n.s.]. Le préfet, Mustafa Abdulhalik).

fac-similé d'un document Andonian

 

DOCUMENT N° 20 :

Télégramme adressé par Abdulahad Houri à la direction générale de l'installation des tribus et des déportés de Constantinople le 26 décembre 1915 et portant le numéro 51.

Par le télégramme chiffré du 9 septembre 1915 [v.s.] et par le haut télégramme du 20 novembre 1915 [v.s.] du ministère de l'Intérieur, il avait été ordonné d'arrêter les nommés Hapet Aramian, Karabet Antounian et Arsène Chahbazian. Nous informons que nous étant assurés que ces personnes se trouvaient à Ras el-Aïn, selon l'ordre du ministère, l'opération nécessaire les concernant a été accomplie par les soins d'un fonctionnaire envoyé d'ici, et le fait a été porté à la connaissance du ministère par la préfecture.

fac-similé d'un document Andonian

DOCUMENT N° 21 :

Télégramme adressé par Talaat à la préfecture d'Alep le 30 décembre 1915 en réponse à un télégramme du 15 décembre 1915 et portant le numéro 762.

Avisez les Arméniens qui dans l'intention d'éviter la déportation générale demandent à embrasser l'islamisme qu'ils ne peuvent seulement se faire musulmans que rendus au lieu de leur exil.

 

DOCUMENT N° 22 :

Télégramme adressé par Mustafa Abdulhalik au ministre de l'Intérieur le 5janvier 1916 et faisant allusion aux DOCUMENTS Na 47 et Na 48 (if infra). Le DOCUMENT Na 48 rédigé par Ali Souad bey est joint à ce télégramme.

Du rapport du sous-directeur général des déportés qui dernièrement avait été faire une inspection à Ras el-Aïn, il ressort que les Arméniens envoyés, y ayant été laissés jusqu'à ce jour, s'y sont tout bonnement établis, et que celui qui les défend et les autorise n'est autre que le gouverneur de Der-ez-Zor, Ali Souad bey.

Bien qu'il lui soit maintes et maintes fois écrit que l'entassement des milliers d'Arméniens dans un bourg comme Ras el-Aïn qui a une grande importance locale, et leur non-envoi sous prétexte que " les moyens de transport manquent ", attirerait des responsabilités, il n'y a pas eu de résultat.

L'attachement et la protection que Souad bey leur montre ont pris des proportions étonnantes. On raconte qu'il fait lui-même la toilette de certains enfants qui se trouvent chez lui et qu'il se lamente sur les malheurs de leurs parents. De cette façon, les Arméniens envoyés dans ces parages jouissent d'une vie heureuse et sont reconnaissants à Souad bey.

Mais comme le maintien de cette situation serait la cause du retard involontaire du renvoi des déportés d'Alep, nous nous adressons à Votre Altesse ministérielle pour demander une ordonnance à ce sujet.

 

DOCUMENT N° 23 :

Télégramme adressé par Talaat à la préfecture d'Alep le 8 janvier 1916 et portant le numéro 801.

Il est décidé de renvoyer dans leur lieu d'exil les Arméniens employés en général dans tous les établissements, au chemin de fer comme dans d'autres constructions, et le ministère de la Guerre a informé à ce sujet tous les commandements des armées. Communiquez-moi les résultats.

 

 

DOCUMENT N° 24 :

Télégramme adressé par Talaat à la préjècture d'Alep le 11 janvier 1916 et portant le numéro 809.

Nous apprenons que des officiers étrangers rencontrant le long des chemins des cadavres des personnes connues les photographient. Je vous recommande vivement d'enterrer immédiatement ces cadavres et de ne plus les laisser sur les routes.

(Apostille :

C'est très important, n'est-ce pas, bey ? Au sous-directeur général des déportés, le 2 janvier 1916 [15 janvier, n.s.]. Le préfet, Mustafa Abdulhalik.)

 

 

DOCUMENT N° 25 :

Télégramme adressé par Talaat à la préfecture d'Alep le 17 janvier 1916 et portant le numéro 8209.

Je vous recommande en général d'envoyer dorénavant directement à leur lieu d'exil tous les Arméniens qui viendraient du Nord, sans les faire stationner dans un ville ou un bourg.

 

DOCUMENT N° 26 :

Télégramme adressé par Abdulahad Nouri à la Direction générale de l'installation des tribus et des déportés de Constantinople le 23 janvier 1916 et portant le numéro 5710.

Il a été établi, après enquête, qu'à peine 10 % des Arméniens, soumis à la déportation générale, sont arrivés au lieu de leur destination et que les autres sont morts en route par la famine, les maladies et d'autres causes naturelles semblables. J'espère obtenir le même résultat pour les survivants en les traitant avec rigueur.

fac-similé d'un document Andonian

 

DOCUMENT N° 27 :

Télégramme adressé par Mustafa Abdulhalik au mutessarif d)Aïn- tab -qui était sous sa juridiction -le 24janvier 1916 11.

Nous apprenons que des Arméniens originaires de Sivas et de Kharpout se trouvent dans votre circonscription. Ne leur donnez pas l'occasion de s'y établir, en faisant le nécessaire d'après la manière connue, antérieurement communiquée, faites-nous en savoir le résultat.

 

DOCUMENT N° 28 :

Télégramme adressé par Talaat à la préfecture d'Alep le 28 janvier 191612.

Nous apprenons que dans les orphelinats ouverts en certaines localités, on admet aussi les enfants des personnes connues. Puisque le gouvernement considère nuisible leur existence, c'est agir contre le désir du gouvernement que de nourrir et de prolonger la vie de ces enfants, comme d'avoir pitié d'eux, soit en ne saisissant pas le véritable but poursuivi, soit en le méprisant. Je vous recommande de ne pas admettre ces enfants dans les orphelinats et de ne pas entreprendre de fonder des orphelinats spéciaux pour eux.

 

DOCUMENT N° 29 :

Télégramme adressé par Talaat à la préfecture d'Alep le 29janvier 1916 et portant le numéro 840.

Nous apprenons qu'à partir des environs d'Inûli et d'Aïran jusqu'à Alep, sur toute la longueur des chemins, se trouvent 40 000 à 50 000 Arméniens, pour la plupart des femmes et des enfants. Seront punies de la façon la plus sévère toutes les personnes qui occasionnent une agglomération de miséreux sur ces points si importants pour les envois de troupes. En conséquence, de concert avec le vilayet d'Adana, renvoyez immédiatement ces Arméniens, à pied, dans les lieux de leur exil sans les faire passer par Alep. J'attends avec impatience que d'ici une semaine vous m'en communiquiez le résultat.

 

DOCUMENT N° 30 :

Supplément au télégramme précédent adressé par Talaat à la préfecture d'Alep le même jour.

Ceux des Arméniens laissés à Intili et à Aïran qui travaillent dans les constructions, ne les renvoyez pas jusqu'à l'achèvement de ces travaux. Mais leur cohabitation avec leurs familles n'étant pas autorisée, installez-les provisoirement aux environs d' Alep dans locaux appropriés. Les femmes et les enfants qui restent sans soutiens, renvoyez-les tout de suite conformément au télégramme précédent.

 

DOCUMENT N° 31 :

Télégramme adressé par le mutessarif d'Aïntab à la préfecture d'Alep le 31 janvier 1916, en réponse au télégramme n° 27 que lui ait envoyé Mustafa Abdulhalik.

On a constaté qu'à Roum-Kalé qui relève de notre circonscription, ne se trouvent que 500 personnes originaires des dites provinces. Le kaimakam de Roum-Kalé annonce que ce ne sont, en grande partie, que des femmes et des enfants et qu'ils ont été renvoyés par les gardes kurdes selon la mesure connue communiquée, sans espoir de retour.

Naïm bey résume l'affaire avant de présenter ces deux télégrammes (DOCUMENTS N° 27 et N° 31) : « L'ordre fut donné d'Alep au kaïmakam de Roum-Kalé. Celui-ci réunit des Kurdes, en forma une bande de brigands l'envoya du côté de Samsat pour détruire complètement les caravanes de déportés arméniens venant des routes de Behésni et d'Adiyaman. Les cadavres furent jetés dans Euphrate. D'après les renseignements officiels approximatifs, cette bande kurde tua 14000 Arméniens rien que dans le voisinage de Samsat. »

 

DOCUMENT N° 32 :

Télégramme adressé par Abdulahad Nouri à Mouharrem bey, chef du service de la déportation à Bab le 2février 1916, et portant le numéro 34413.

Vous apprécierez sans doute la confiance que la Préfecture a mise dans votre honorable personne ainsi que l'importance de l'oeuvre qui, basée sur cette confiance, vous a été confiée par notre Administration. Vous ne devez autoriser le séjour d'aucun Arménien L Bab. Seules la sévérité et la célérité que vous montrerez dans l'expulsion des déportés pourront assurer le but que nous pour- suivons. Vous devez néanmoins avoir soin de ne pas laisser de cadavres sur les routes. Faites-moi savoir au plus tôt le maximum de salaire qu'il faut donner aux hommes désignés par vous pour accomplir cette besogne.
Ne vous préoccupez pas des moyens de transport. Les déportés peuvent s'en aller aussi bien à pied.
Les listes de mortalité qui nous ont été envoyées ces jours-ci n'étaient pas satisfaisantes. Elles prouvent que ces personnes vivent là-bas en paix. Le renvoi des déportés ne doit ressembler en rien à un voyage d'agrément. N'attachez aucune importance aux plaintes et aux gémissements. Les instructions nécessaires ont été données par la préfecture également au kaïmakam. Montrez du zèle.

Naïm bey donne quelques renseignements concernant Mouharrem bey :
« Ce Mouharrem bey était l'ancien directeur de la police de Bagdad et le plus sanguinaire des fonctionnaires préposés à l'envoi des déportés. La fonction qui lui était confiée était fort importante et, de peur que la cupidité ne lui dictât quelque tolérance, on lui allouait 150 livres par mois. Cet homme fit de grands convois de déportés. A lui seul il fut la cause de la mort de milliers d'Arméniens qui tombèrent sur les routes. »

 

DOCUMENT N° 33 :

Télégramme adressé par Talaat à la préfecture d'Alep le 5 février 1916 et portant le numéro 853.

A une époque où des milliers d'émigrés musulmans et de veuves de martyrs ont besoin de protection et de nourriture, il n'est pas admissible de faire des frais pour nourrir des enfants des personnes connues, qui à l'avenir ne serviront pas à autre chose qu'à être dangereux. Les renvoyer de la Préfecture avec les caravanes des déportés et envoyer, conformément à notre dernière instruction, à Sivas, ceux qu'on est en train d'entretenir.

(Apostille :

Au sous-directeur général des déportés, le 25 janvier [7 février, n.s.]. Le préfet, Mustafa Abdulhalik.)

fac-similé d'un document Andonian

 

DOCUMENT N° 34 :

Télégramme adressé par Abdulahad Nouri à la Direction générale de l'installation des tribus et des déPortés de Constantinople le 10 février 1916 et portant le numéro 63.

Au moment où les froids continuent avec rigueur, en envoyant à l'endroit désigné les orphelins disponibles, on assurera leur repos éternel. Nous demandons en conséquence l'ordonnance du crédit demandé.

 

A propos de ce télégramme, Naïm bey explique qu'il concernait le transfert des orphelins à Sivas :
« Le transport des orphelins à Sivas, écrit-il dans ses mémoires, avait pour but de les faire tuer. On m'avait également donné des instructions au sujet de leur transfert. Sous la surveillance d'un fonctionnaire spécialement désigné, ces enfants devaient être conduits jusqu'à Eregli d'où ils devaient être transportés à Sivas en voiture. Je devais rester à Eregli. A cette époque la somme consacrée à l'expédition des déportés était finie. On attendait un nouveau crédit qui tarda et l'affaire fut ratée. Sept ou huit mois plus tard, une nouvelle décision ayant été prise, les orphelins furent envoyés à Constantinople. »

 

DOCUMENT N° 35 :

Télégramme adressé par Talaat à la préfecture d'Alep le 15 février 1916 et portant le numéro 860, en réponse au télégramme du 29 janvier 1916 (DOCUMENT Na 29) concernant les familles des Arméniens employés à la construction des chemins de fer d'Intili et Aïran.

Persuadez-les que leurs maris viendront les retrouver plus tard et renvoyez-les au lieu de leur exil.

DOCUMENT N° 36 :

Télégramme adressé par Talaat à la préfecture d'Alep le 16 févrie 1916.

La commission envoyée à Ourfa sous la présidence de Mustaf Naïl effendi, et qui a pour mission de faire des enquêtes sur le idées et les entreprises des personnes connues et se procurer des documents à ce sujet, après y avoir rempli ses obligations doit faire des enquêtes du côté d'Aïntab et de Kilis, relevant de votre département. En conséquence avisez secrètement partout où il faut afin qu'on prenne les meilleures mesures pour faciliter leur tâche et la rendre fructueuse.

 

 

DOCUMENT N° 37 :

Télégramme adressé par Abdulahad Nouri à la Direction générale de l'installation des tribus et des déportés de Constantinople le 1er mars 1916 en réponse à un télégramme du 23 février 1916 et portant le numéro 7614

La personne désignée, arrêtée par la police d'Adana a été amenée ici sous escorte; dirigée d'ici à Mardine, elle a essayé en route de prendre la fuite et a été tuée par les gens de l'escorte ; c'est ce qui ressort du rapport du kaïmakam de Harran (Tel-Abyat).

 

DOCUMENT N° 38 :

Télégramme adressé par Talaat à la préfecture d'Alep le 4 mars 1916.

Les commandements des armées signalent la nécessité d'employer dans le service militaire celles des personnes connues qui ont l'âge du service militaire. Pensant qu'il sera impossible de les envoyer sur les zones de guerre et que par ailleurs, leur séjour dans les villes n'est pas permis, nous autorisons -à la condition que leurs familles soient déportées avec les caravanes -à les employer en dehors des villes à la construction de chemins et autres entreprises. A ce propos, le ministère de la Guerre a envoyé des instructions spéciales aux commandements des armées. Mettez-vous par conséquent d'accord et agissez selon ces instructions.

 

 

DOCUMENT N° 39 :

Télégramme adressé par Abdulahad Nouri à la Direction générale del'installation des tribus et des déportés de Constantinople le 10 mars 191615.

A titre de renseignement j'informe qu'exception faite de ceux qui ont été envoyés en Syrie comme artisans, à peine un quart des Arméniens jusqu'à présent envoyés sont arrivés au lieu de leur exil. Les autres, par suite de causes naturelles, sont morts en route. Toutes les mesures nécessaires sont prises pour renvoyer au plus tôt d'Alep tous ceux qui y restent pour différents motifs.

 

DOCUMENT N° 40 :

Télégramme adressé par Talaat à la préfecture d'Alep le 20 mars 191616.

Prétextant qu'ils seront soignés par l'administration des déportés, sans éveiller les soupçons, prendre et exterminer en masse les enfants des personnes connues ramassés et soignés, sur l'ordre du ministère de la Guerre, par les stations militaires. Nous aviser.

fac-similé d'un document Andonian

 

DOCUMENT N° 41 :

Télégramme adressé par Abdulahad Nouri à la Direction générale de l'installation des tribus et des déportés de Constantinople le 20 mars 1916 en réponse au télégramme chiffré du 16 mars 1916) et portant le numéro 76) c'est-à-dire le même numéro que le DOCUMENT N° 37 (la numérotation est donc erronée) 17.

D'après les rapports reçus, les Arméniens morts jusqu'à ce jour, par différentes causes, sont 35 000 aux environs de Bab et de Meskené, 10000 à Alep (à Karlik), 20000 dans les environs de Dipsi, d'Abou-Rarrar et de Raman, 35 000 à Ras el-Aïn ; en tout 95 000 personnes.

fac-similé d'un document Andonian

 

DOCUMENT N° 42 :

Télégramme adressé par le mutessarif de Deir-ez-Zor, Zéki bey, à la préfecture d'Alep le 13 août 1916.

D'après l'ordre qui m'a été transmis par le ministère, lorsque l'envoi des déportés d'Alep sera réduit, le lieu de résidence des Arméniens qui se trouvent ici doit être changé. Veuillez, par conséquent, me faire savoir jusqu'à quand doit continuer l'envoi des déportés ?

 

Ici se termine la série des télégrammes datés remis par Naïm bey à Andonian. Mais sont également insérés dans le livre d'Andonian neuf documents non datés, non numérotés et parfois anonymes, dont les originaux ne semblent pas avoir été entre les mains d'Andonian. En fait les textes de ces télégrammes sont tous inclus dans les mémoires de Naïm bey (à l'exception du DOCUMENT N" 49). La date de certains peut être déduite du contexte ou rapportée à des télégrammes présentés ci-dessus.

DOCUMENT N° 43 :

Télégramme non signé, provenant probablement du ministère de l'Intérieur et adressé à la préfecture d'Alep18.

Bien qu'une décision antérieure ait été prise pour la suppression de l'élément arménien qui, depuis des siècles, désire saper les fondements solides de l'Etat et qui a pris les apparences d'un important malheur pour le gouvernement, mais les exigences des temps n'offraient point la possibilité de réaliser cette intention sacrée. Maintenant tous les obstacles étant supprimés et le temps de débarrasser la patrie de cet élément dangereux étant arrivé, on vous recommande expressément de ne pas vous laisser aller à des sentiments de pitié en présence de leur état lamentable, et que, en mettant fin à leur existence, vous travailliez de toute votre âme à la suppression du nom arménien en Turquie. Faire attention que les fonctionnaires désignés pour réaliser ce but soient des patriotes et des hommes de confiance.

 

DOCUMENTS N° 44 et N° 45 :

Télégrammes adressés par Talaat à la préfecture d'Alep, probablement à la fin de 191519.

Nous apprenons que certains fonctionnaires ont été traduits devant le conseil de guerre avec l'accusation d'avoir agi avec rigueur et violence envers les personnes en question. Bien que le fait ne soit qu'une simple formalité, il est de nature à atténuer le zèle des autres fonctionnaires. Pour ce motif, j'ordonne que de semblables enquêtes n'aient plus lieu à l'avenir. [N° 44]

La prise en considération des plaintes et des procès venant à propos de toutes sortes de questions personnelles des personnes en question, pourrait non seulement retarder leur envoi, mais elle donnerait encore lieu à certaines opérations qui pourraient plus tard donner peut-être naissance à des inconvénients politiques. Pour cette raison, il ne faut pas prendre en considération ces démarches et il faut donner des instructions dans ce sens aux fonctionnaires intéressés. [N° 45]

 

DOCUMENT N° 46 :

Télégramme adressé au kaïmakam de Ras el-Aïn, Youssouf Zia bey, à la fin de 1915.

Activez les renvois. De cette façon, ceux qui ne sont pas en état de mourir tomberont morts à quelques heures de distance de la ville et le district sera ainsi débarrassé aussi bien des vivants que des morts.

 

DOCUMENT N° 47 :

Télégramme adressé par Abdulahad Nouri au mutessarif de Deir- ez-Zor, Ali Souad bey.

Le fait d'avoir laissé des milliers d'Arméniens à Ras el-Aïn est contraire au but sacré du gouvernement. Expulsez-les de là.

 

DOCUMENT N° 48 :

Télégramme contenant la réponse d'Ali Souad bey.

Les moyens de transport manquent pour déporter les populations. Si le but poursuivi est de les faire tuer, je ne puis ni le faire, ni le faire faire.

Cette correspondance fut suivie d'un rapport du vali d'Alep sur Ali Souad bey (cf. DOCUMENT N° 22). Ce rapport étant daté du 5 janvier 1916, ces trois documents ont été adressés de septembre à décembre 1915.

 

DOCUMENT N° 49 :

Télégramme adressé par le procureur général d'Alep au kaïmakam de Bab, Chafi bey.

Très urgent et secret. Ne retenez même pas dans les prisons les Arméniens qui, condamnés ou accusés pour crime, ont été arrêtés par la police; renvoyez-les tout de suite en avant (Deir-ez-Zor).

Cette pièce aurait été entre les mains des déportés venant de Bab et il est possible qu'elle ait été directement recopiée par Andonian20 Elle est la seule pièce du dossier provenant du ministère de la Justice et elle implique donc ce ministère dans les massacres des Arméniens.

 

DOCUMENT N° 50 :

Instruction remise par Abdulahad Nouri à Mouharrem bey par un capitaine de gendarmerie en février 1916 (cf. DOCUMENT N° 32)21.

Les rigueurs employées pour débarrasser le caza de Bab des déportés ne sont soumises à aucune responsabilité.

 

 

DOCUMENT N° 51 :

Télégramme de Talaat sans doute adressé à la préfecture d'Alep.

Il faut punir sous un prétexte quelconque – et en aviser secrètement les fonctionnaires – comme traîtres à la patrie, tous ceux qui assureraient l'existence des Arméniens, élément d'embarras pour la Turquie depuis des siècles, qui cherchent dans ces dernières années à étouffer toute la Turquie dans le sang.

 

DOCUMENT N° 52 :

Télégramme de Enver pacha, ministre de la Guerre et généralissime des armées turques, adressé à tous les commandants militaires le 27 février 1918.

Par suite de la situation présente, l'extermination complète de la race arménienne a été décidée par un iradé impérial. Les opérations suivantes doivent avoir lieu à ce sujet :
1. A part les enfants âgés de 5 ans, tous les bachibozouks [qui ne sont pas militaires], sujets ottomans, habitant dans le pays et portant le nom d' Arméniens, doivent être sortis des villes et tués.
2. Tous les individus servant dans l'armée impériale doivent, sans donner lieu à un incident, être séparés de leur corps d'armée et fusillés en secret à l'abri des yeux indiscrets.
3. Les officiers qui sont dans les armées seront incarcérés dans leurs dépôts jusqu'à ce qu'une nouvelle décision soit prise à leur sujet.
Quarante-huit heures après que ces trois dispositions auront été communiquées au commandement de chaque armée, un nouvel avis sera donné à propos de leur exécution. En conséquence, en dehors des préparatifs indispensables, ne point entreprendre d'autre opération.

Ce document ne figure pas parmi les pièces remises par Naïm bey. Andonian écrit à son propos :

« Un commandant turc, nommé Nechat bey, dans un moment d'ébriété, l'avait montré à Damas à un Arménien de Zeitoun, M. Karapet Djelkaian [...]. C'était au commencement de mars que ce télégramme effroyable arriva à Alep. Quarante-huit heures après, la police prenait des dispositions pour faire évacuer les Arméniens, [...] quand, au lieu de l'ordre de mettre en exécution, arriva le contre-ordre de ne pas l'exécuter. [...] La même chose s'était produite également à Damas. Le contre-ordre ayant tardé d'une demi-journée, on avait fait sortir de force de ses maisons une partie de la population arménienne de la ville, et on l'avait parquée dans les rues avec la brutalité turque qui en dit long, c'est-à-dire à coups de fouet, de gourdin, sans égard pour les vieillards, les femmes, les enfants, ni même pour les malades. Là aussi, après l'arrivée du contre-ordre, on avait donné à l'affaire une tournure de conscription, en mettant à part les hommes qui avaient l'âge du service militaire.

Comment et sous quelle influence ce contre-ordre fut donné ? A mon arrivée en Europe, je voulus éclaircir avant tout cette question importante. Il me semble que les Allemands interdirent ce nouveau massacre. Comme toujours, cette fois-ci encore, ils ont eu connaissance du projet des Turcs quand les provocations mentionnées ci-dessus furent publiées dans les journaux turcs. Les interpellations faites dans le Reichstag par les députés socialistes, en particulier Liebknecht et Ledebour, sur les massacres arméniens, dont la responsabilité était attribuée surtout aux Allemands, forcèrent le gouvernement à détourner les Turcs de ce nouveau crime, dont la responsabilité serait sans doute tombée sur lui, ce qui aurait ébranlé un peu plus sa situation diplomatique déjà croulante devant le monde civilisé22. »

Cette citation du livre d'Andonian est très révélatrice de la mentalité de l'époque où l'on généralisait volontiers les comportements. Comment ce journaliste au langage direct et sans nuances aurait-il pu inventer un personnage, Naïm bey, fabriquer de faux documents dans un style aussi alambiqué, manier avec virtuosité la cryptographie et commettre des erreurs élémentaires de datation ? La réponse à cette question est dans la similitude entre les documents Andonian et les documents officiels recueillis par la commission Mazhar .

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1)
KRI.[1], pp. 237-239
2)
Ibid.
3)
Il s'agit d'Omer Naji, membre du Comité central de l'Ittihad depuis 1910 et ami du docteur Nazim et de Behaeddine Chakir Naji fut envoyé en Mésopotamie au début de la guerre pour soulever la population arabe contre l' Angleterre Il mourut du typhus en 1916.
4)
Les télégrammes adressés par Talaat étaient codés puis déchiffrés C'est donc le texte déchiffré qui est reproduit avec l'apostille de la main d' Abdulhalik
5)
Sur la planche de reproduction figurent à la fois le code tel que l'a reçu l'administration des postes à Alep et le déchiffrement effectué par le fonctionnaire de la préfecture qui disposait du code.
6)
Comme le doc. n° 3, celui-ci porte ainsi que les trois suivants l'apostille et la signature d'Abdulhalik.
7)
Ce télégramme porte non seulement deux apostilles d'Abdulhalik mais une autre d' Abdulahad Nouri.
8)
Il est exact, précise Andonian, que les Arméniens fournirent des renseignements concernant les massacres au consul américain à Alep, Jackson. L'un de ces Arméniens était Aram Gulian qui parlait couramment anglais. Quant aux photographies, elles avaient été prises par Matéos Eretzian, secrétaire de la Prélature arménienne d'Alep. Plusieurs personnes furent arrêtées sous l'inculpation d'avoir fourni des renseignements au consul Jackson Elles disparurent sans laisser de traces (A. ANDONIAN, op. cit., p. 103)
9)
Ici commence la série (doc n° 25 à 42) des télégrammes datés par Andonian de janvier et février 1916 et que Dadrian considère rédigés en janvier, février et mars 1917.
10)
Ce télégramme serait daté du 10 janvier [1]332, ce qui correspond en effet au 23 janvier 1917 Il faut plutôt admettre une erreur de datation pour ce télégramme comme pour le suivant sur l'année qui aurait dû être [1]331 Cette erreur est soulignée par S. OREL, S. YUCA, op cit, p.63.
11)
Cf. infra la réponse : doc n° 31.
12)
Andonian le date par erreur du 15 janvier 1915 (vs).
13)
Andonian date ce télégramme de 1916 et. dans les mémoires de Naim bey, quelques lignes avant, de 1917 En fait, dans son rapport du 9 février 1916, le consul Rössler explique que les déportés ont dû quitter Bab pour Deir-ez-Zor (Archives du génocide des Arméniens, Paris, Fayard, 1986, p. 198) Cette date est donc la plus probable, bien que la numérotation ne corresponde pas
14)
Andanian date ce télégramme du 17 février (v.s.). Rappelons que l'année 1916 est une année bissextile.
15)
Cf. infra, Chapitre 6 consacré à Djemal pacha.
16)
De même que pour le doc n° 5, les planches reproduisent un télégramme chiffré transmis codé par l'administration des postes d'Alep et déchiffré secondairement par un fonctionnaire de la préfecture.
17)
A la page 124 de la version française du livre d'Andonian est reproduit un télégramme chiffré d'Abdulahad Nouri Dadrian (DAD[1]) cite la même référence pour les doc n° 20 et n° 41 Andonian précise qu'il s'agit du doc n° 41. En effet, ce télégramme est codé par Abdulahad Nouri ce qui s'explique aisément Naim bey aurait transmis ce cryptogramme à Constantinople où il aurait été déchiffré mais il était capable de le déchiffrer lui-même et on peut supposer qu'il remit à Andonian avec ce document codé le déchiffrement.
18)
Selon Naïm ce télégramme aurait été rédigé au moment où Djelal était encore vali d'Alep. c'est-à-dire avant septembre 1915. Il est reproduit ici avec ses fautes de syntaxe...
19)
Le doc. n° 17 prouve que la Sous-direction des déportés était déjà avisée
20)
Après l'armistice de Moudros, l'ancien directeur des Postes et Télégrammes de Hadjin, Evikhanian, affirma à Andonian qu'il se trouvait à cette époque à Bab et que c'est lui-même qui communiqua ce télégramme aux déportés de la localité afin qu'ils soient avertis de leur sort et qu'ils cherchent à s'enfuir.
21)
Le kaïmakam de Bab, Chafi bey, se rendit ensuite à Alep où il rencontra Abdulahad Nouri. Ce dernier se déplaça à Bab avec Eyoub Sabri bey; il fit expulser 17500 déportés en mettant le feu aux tentes en en tirant sur eux (A. ANDONIAN, op. cit., p. 74)
22)
Ibid., pp. 157-159.
Ternon, Yves. Enquête sur la négation d'un génocide, Marseille, Parenthèses, 1989
Description : 229 p. couv. ill. 24 cm
ISBN : 2-86364-052-6
72, cours Julien 13006 Marseille (France)
ed.parentheses@wanadoo.fr
editions parenthèses

© Editions Parenthèses. Reproduction interdite sauf pour usage personnel.

Nous remercions Yves Ternon et les éditions Parenthèsed de nous avoir autorisés à reproduire ce livre

 
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