Vahakn Dadrian

Le génocide à la lumière des démentis turcs

V Dadrian

Historien né à Istanbul en 1923, V. Dadrian a été professeur de sociologie de 1970 à 1991 à l'université d'Etat de New York. Eminent spécialiste du génocide arménien, il est l'auteur de nombreuses publications sur le sujet.
Ce texte est la transcription d'une conférence tenue en avril 2001 à Harvard

Le génocide est une méthode pour restructurer un système social par une purification ethnique organisée

Je voudrais traiter la signification du Génocide arménien à la lumière des démentis turcs. Le génocide arménien a plusieurs caractéristiques significatives, par exemple : qu'ils ont été victimes dans leurs propres territoires ancestraux, que la religion était un instrument puissant d'incitation des masses, même si les responsables de ces incitations eussent été eux-mêmes principalement soit athées, soit agnostiques.

Le Génocide arménien est également significatif par le fait qu'il y eut une participation massive, populaire, dans les atrocités. Il est aussi significatif, du fait que, (pour citer l'ambassadeur Morgenthau) « pour économiser les obus et la poudre » les criminels ont délibérément utilisé des instruments émoussés pour prolonger l'agonie des victimes. Il ne faut jamais perdre cela de vue pour expliquer la nature très significative du Génocide arménien : des agonies prolongées dans la mort, à cause de la décision des responsables d'éviter l'usage des balles et d'utiliser plutôt des instruments émoussés.

Et puis, naturellement, le trait principal du Génocide arménien qui mérite une attention précise : le démenti persistant de ce que Toynbee a appelé « le crime gigantesque qui dévasta le Proche Orient en 1915 ».

Ce démenti donne au Génocide arménien une signification extraordinaire, non seulement pour les Arméniens eux-mêmes, mais pour les responsables subséquents apparus à l'horizon depuis la Première Guerre Mondiale.

Car le négationnisme ayant une fonction d'impunité, ceux qui échappent au châtiment deviennent provocants, ils deviennent très effrontés pour rationaliser le crime, et, plus important, ils enhardissent, par voie de contagion politique d'autres responsables potentiels de perpétrations.

En conséquence, le démenti du Génocide arménien exige une attention spéciale car il entrave le problème de la documentation. Les négationnistes sont obligés de soustraire les preuves, voire de les détruire. C'est pourquoi un étudiant du Génocide arménien doit être, par nécessité, non seulement un étudiant, mais aussi un détective.

Les étudiants de l'Holocauste sont assiégés -saturés - de preuves accablantes, grâce à la passion germanique, teutonique, de tout enregistrer. Cette situation est totalement absente dans le cas du Génocide arménien. Spécifiquement, le syndrome du déni a trois éléments majeurs : le déni du crime, le déni de la victime, et même le déni des parties tierce de passer en justice ou de prononcer un jugement à ce sujet.

Permettez-moi donc de souligner brièvement les éléments spécifiques du déni, car devant un crime d'une telle amplitude sur laquelle vous pouvez vous documenter, vous devez vous confronter à ces éléments et les surmonter.

Les Turcs, passés et présents, nient que les Arméniens aient subi des massacres, mais admettent qu'ils ont été soumis à la déportation.(1) Deuxièmement, ils précisent que ce ne sont pas tous les Arméniens de l'Empire Ottoman, mais seulement une partie de la population arménienne, spécifiquement située dans les zones de guerre des provinces orientales, qui a été déportée. Troisièmement, les Arméniens ont amené les autorités à prendre des mesures énergiques, draconiennes, qui se sont terminées en tragédie, mais que la provocation venait du côté arménien.

Il y a ensuite l'argument selon lequel si des atrocités ont été commises, elles ont été réciproques. Des Arméniens ont tué des Turcs ; des Turcs ont tué des Arméniens. Et finalement, je pense que l'aspect le plus accablant du négationnisme turc et qui mérite une confrontation et un déboulonnement spécifiques est l'argument de « guerre civile ».

A cause de la brièveté du temps dont je dispose je ne peux pas traiter des spécificités du négationnisme.

Mais je vais me concentrer brièvement sur l'argument de « guerre civile », car il est persistant et d'une importance suprême. Aujourd'hui même, au cours du dîner, l'une des étudiantes arméniennes de l'école de commerce de Harvard, m'a dit qu'un étudiant turc, tout récemment, lui avait déclaré que le Génocide arménien n'était pas une réalité car ce qui était arrivé était simplement une « guerre civile ».

Ainsi cet argument est diffusé à travers le monde par des agents turcs, par les ambassadeurs turcs, par les consuls turcs ; et quelques étrangers faciles à duper, n'ayant pas d'informations au sujet de ce cas, ont adopté cet argument de « guerre civile ».

Par définition, « guerre civile » signifie l'effondrement de l'autorité centrale et l'apparition subséquente d'un vide. Résultat : les factions se mettent à lutter les unes contre les autres en l'absence d'autorité centrale. Examinons si tel était le cas pendant la Première Guerre Mondiale en ce qui concerne l'Empire Ottoman.

Permettez-moi de décrire brièvement ce qu'ont fait les autorités avant de décréter le Génocide. Premièrement et avant tout, ceci est l'une des conditions fondamentales du Génocide arménien : plusieurs mois avant de mettre en route le Génocide arménien, les autorités ottomanes Jeunes-Turques ont dissous le parlement ottoman. Talaat Pacha, dans ses mémoires subséquentes d'après guerre indique qu'il ne voulait aucune contestation ni discussion dans son propre parlement, comme auraient pu le lui objecter quelques Turcs humanitaires ; il voulait une totale liberté et autorité. Et ceci est une réplique exacte de ce qui est arrivé aux Juifs pendant l'Holocauste. Avant que l'Holocauste ne soit lancé, le Reichstag a été détruit, et toute l'autorité a été transférée au pouvoir exécutif du gouvernement.

En second lieu, les Turcs ont déclaré la loi martiale. Vous savez ce qu'est la loi martiale : le contrôle total des mouvements, la censure, l'isolement des provinces les unes des autres, le contrôle total de la communication, et la menace d'un châtiment militaire rapide et rigoureux. Et ensuite, naturellement, les services secrets ont été mobilisés.

En d'autres termes, les autorités ottomanes avaient non seulement la pleine maîtrise, mais elles avaient également concentré le pouvoir entre leurs mains pour diriger les affaires de l'Empire Ottoman. Mais je pense que la caractéristique la plus significative de la futilité de l'argument « guerre civile » est le fait suivant : le 2 août 1914, trois jours avant que la Première Guerre Mondiale n'éclate, les autorités ottomanes ont décrété la mobilisation générale, en conséquence de quoi tous les Arméniens, citoyens de Turquie, âgés de 20 à 45 ans, furent incorporés dans l'armée ottomane.

Vous pouvez imaginer l'anxiété, les sentiments d'effroi de la population arménienne restante, composée de vieillards, d'enfants et de femmes, conscients des récents massacres de 1909 à Adana, et se rappelant encore les désolants massacres de 1894-96. La population était terrorisée, à l'idée que cet ensemble de vieillards, de femmes et d'enfants oserait même penser à s'affronter à l'armée ottomane, à faire face à des Musulmans parfaitement armés à travers l'empire.

D'où aurait pu venir la logistique ? D'où aurait pu venir l'armement ? Qui prendrait le commandement et la direction de cette population frappée de terreur dont le principal souci était le moyen de survivre à la guerre ?

La frivolité de cet argument de « guerre civile » n'est dépassée que par son absurdité. Et même aujourd'hui, quelques historiens turcs éclairés conseillent à leurs confrères de ne pas utiliser cet argument, car non seulement il est absurde, mais il sape la position turque. Toute application d'une simple logique démolit cet argument.

Permettez-moi maintenant de faire remarquer, si le négationnisme est persistant, s'il est truculent, ce qu'il faut faire pour surmonter le problème au point de vue de la documentation. Toute documentation doit être ajustée aux particularités du problème à résoudre. La documentation du Génocide arménien à la lumière de ce négationnisme persistant exige une méthodologie spécifique. Ce ne peut être une simple documentation. Il faut que ce soit une documentation d'une forme spéciale qui terrasse les dénis.

Et j'appelle ceci, en ma définition, « preuve irrécusable » ce n'est pas une simple preuve qu'il faut, mais une preuve irrécusable.

Quels sont les éléments spécifiques de la preuve irrécusable ? Il y en a quatre :

Premièrement : la preuve doit être fiable. Par là je veux dire que la source doit être plus ou moins sûre. Pour vous donner un exemple : Le consul américain Leslie Davis de Kharpert décrit par écrit les atrocités dans la province de Kharpert ;il a pris pour guide un Turc, et c'est ce Turc musulman qui lui a montré tous les endroits, tous les lieux de ces atrocités, tout en fournissant des détails écrits. Pour moi, ceci est fiable. Je serais sceptique si son guide et informateur avait été un Arménien ; mais là il y a un authentique témoignage turc fourni à un consul américain. Je considère cela comme parfaitement fiable.

Le deuxième élément de ma définition de la preuve irrécusable est ce que j'appelle le « caractère explicite ».Etait-ce une déportation ? Ou était-ce la destruction de la population déportée ? Ma recherche répond catégoriquement que la déportation était une couverture pour atteindre le but visé de la déportation, qui était la destruction de la population déportée.

Le troisième élément de ma définition de la preuve irrécusable est « l'incontestabilité ». Je pense que l'incontestabilité s'applique largement aux documents officiels, et je vais vous expliquer brièvement comment des documents officiels allemands, autrichiens et turcs attachent une signification extraordinaire à la preuve en termes d'incontestabilité.

Et finalement, dans ma définition de la preuve irrécusable, le quatrième élément est « le caractère vérifiable ». Si je mets une note et indique une référence, un document, n'importe qui doit pouvoir aller à la source de ce document, vérifier son existence et son contenu. C'est ce qu'on appelle « le caractère vérifiable ».

Ainsi donc, l'opposition au négationnisme turc exige une évidence irrécusable de ces quatre éléments que je viens de décrire.

Mais la question se pose, étant donné les conditions actuelles, quelles sont les voies par lesquelles une évidence irrécusable peut être située, certifiée et obtenue ? J'utilise pour ce but une méthodologie que j'appelle : « polarité exclusion/inclusion ».

En d'autres termes, j'exclus de ma recherche toute preuve, tout élément qui, d'une façon ou d'une autre, est associé aux ennemis de l'Empire Ottoman durant la Première Guerre Mondiale. Par cette définition, j'évite, si je peux, les documents émanant des archives britanniques, des archives françaises, et des archives russes. Ces trois pays étaient des ennemis de l'Empire Ottoman.

Non pas qu'ils soient dépourvus de toute valeur. Au contraire - particulièrement les archives britanniques - sont pleines d'une documentation authentique, mais du fait qu'elles émanent d'ennemis de l'Empire Ottoman, elles invitent au doute, et elles permettent aux Turcs d'inclure un élément de doute, disant que c'est là de la propagande ennemie.

La même chose s'applique, jusqu'à un certain point, à ce que j'appelle « les compte rendus des survivants arméniens » Là encore, quelques récits de survivants arméniens, datant de la période 1920,30 et 40 comportent un puissant matériel de documentation, qui est de première main, une relation fraîche des suites du Génocide. Non pas ces récents tableaux d'Arméniens âgés de 80 - 90 ans, dont les souvenirs sont vagues, qui tendent à mélanger la réalité avec la fantaisie, l'embellissent, deviennent les otages d'une mémoire sélective etc.

Aucune de ces conditions n'est présente dans cette masse volumineuse de récits de survivants arméniens, qui attend une exploration au moyen de traductions et d'analyses. Un jour, quand il y aura une république arménienne vibrante et viable, avec une académie riche en ressources, de jeunes étudiants arméniens se concentreront davantage sur ce sujet et moins sur les récits des survivants des deux dernières décades.

J'exclus donc également de ma recherche les récits des survivants arméniens, non que j'aie l'intention de diminuer leur valeur, mais pour réfuter aux négationnistes l'argument selon lequel « ce sont des parti pris de victimes ». C'est vrai, plus ou moins souvent, les victimes ont tendance à être partiales. C'est une situation universelle.

Eh bien, que reste-t-il après cette procédure d'exclusion ? Que puis-je inclure, pour produire une évidence irrécusable ? J'ai deux catégories de documentation qui, je crois, remplissent cette condition. L'une d'elles est les archives des alliés de l'Empire Ottoman durant la Première Guerre Mondiale : l'Allemagne impériale, et l'Autriche-Hongrie impériale. Je me suis rendu 18 fois aux archives allemandes à Bonn au cours des 20 dernières années, et j'ai des centaines et des centaines de documents allemands, détaillant par écrit, jour après jour, les atrocités ayant eu lieu à l'intérieur de la Turquie durant la Première Guerre Mondiale, documents provenant de personnalités officielles allemandes : consuls, vice-consuls, officiers militaires etc.La même chose en Autriche-Hongrie.

Il est inconcevable qu'un allié militaire et politique, durant la guerre, essaie et risque de discréditer un autre allié. C'est inconcevable. Au contraire, les officiels allemands et autrichiens prirent soin, longtemps après le début du Génocide, de protéger la réputation de la Turquie. Ils exprimèrent des doutes concernant la vérité au sujet des massacres, jusqu'à ce que cette vérité se lève au-dessus d'eux avec une évidence massive : ce qui avait débuté en juin et juillet n'était pas une initiative ordinaire de déportation massive.

Et si vous lisez et relisez les documents allemands, le seul mot utilisé par les ambassadeurs, les uns après les autres est le mot allemand « ausrottung » qui signifie purement et simplement : « extermination ».

Mais ce qui est plus important, la raison pour laquelle je pense que les documents allemands et autrichiens sont plus que des preuves irrécusables, c'est le fait suivant : ils n'étaient pas destinés à une consommation publique. C'étaient des rapports de guerre réservés à l'usage des supérieurs de ces officiers pour ce qui est appelé « service maison », à usage interne.

Ce fait amplifie immensément la signification de l'authenticité de ces documents, qui n'étaient pas destinés à un usage public : des officiers subalternes informaient leurs supérieurs des faits, c'était la tâche qui leur était assignée, leur devoir, c'est-à-dire rendre compte de ce qui transpirait dans leurs districts.

La seconde catégorie de documents que j'utilise, ce sont les documents turcs authentiques. C'est là un paradoxe : d'une part je dis que les Turcs nient posséder des documents, qu'ils ont détruit leurs documents, ce qui est vrai. Comment peut-on alors expliquer l'existence de documents turcs-ottomans valides ?

Eh bien, le fait est que, si méticuleux soit-on, si soigneux soit-on, pour un crime aux dimensions aussi gigantesques que le Génocide arménien, il est pratiquement impossible de détruire chaque particule de preuve. Presque invariablement quelques documents subsistent. Et ce sont ces documents que je propose et utilise dans ma recherche.

Quelle sorte de documents est-ce ? Il y a trois sous-catégories de documents ottomans subsistant :

Premièrement, cela a été discuté brièvement auparavant par le professeur Bardakjian, les documents du tribunal militaire turc. Quand la Turquie, fin octobre 1918 était prostrée et demandait une suspension des hostilités, les alliés victorieux, France, Grande-Bretagne et Italie, stipulèrent, entre autres, une condition aux autorités turques d'après-guerre.

Ils dirent : « A moins que vous ne poursuiviez et punissiez les auteurs des déportations et massacres d'Arméniens, les conditions menaçant la paix seront très sévères et rigoureuses ». En partie, pour satisfaire les alliés victorieux, les gouvernements turcs successifs d'après-guerre, établirent des cours martiales à Istanbul, Turquie.

Attachée à ces cours martiales, il y avait une commission d'enquête investie de pouvoirs extraordinaires de citations à comparaître, d'arrestations, etc. Aussi, fut-elle appelée « commission d'enquête Mazhar ». Pendant environ sept semaines, cette commission mit à l'abri d'authentiques documents officiels ottomans provenant de nombreuses provinces de la Turquie ottomane.

De la province d'Ankara seulement, furent acquis 42 documents qui contenaient une correspondance entre deux commandants militaires. L'un des deux, le colonel Recayi était le commandant du corps de la 5ème armée stationnée à Ankara ; et l'autre, le colonel Sahabeddin, le commandant de la 15ème division de Kayseri. La correspondance concernait principalement les comptes réguliers du travail d'extermination des Arméniens de la province.

Je vous donne un exemple : le commandant militaire de Bogazleyan, un district de la province d'Ankara envoie un télégramme chiffré à son supérieur à Ankara, le colonel Recayi. Il dit : « Aujourd'hui nous avons expédié tant d'Arméniens à leur destination » . En turc : Müretteblerine Sevk.

Le colonel Recayi, faisant semblant de ne pas comprendre répond par télégramme : « que voulez-vous dire par « expédié à leur destination » ? la réponse arrive en moins d'une heure : « ils ont été tués » (katledildiler).

Et ainsi, la cour martiale a mis en sûreté des douzaines de tels documents rien que dans la province d'Ankara, et ils ont été introduits dans les procès de la cour martiale.

Aujourd'hui, des gens comme Justin McCarthy et quelques autres essaient de rabaisser et de discréditer les cours martiales, les appelant « les cours kangourous ». Pourquoi ne sont-elles pas des cours kangourous ? Pour la simple raison , principalement, que les persécuteurs ottomans ont triché pour déconsidérer les témoignages des survivants arméniens de façon à rendre leurs verdicts aussi solides que possible.

La masse de témoignages oraux n'a pas été prise en compte pour cette raison. C'est également ce qui s'est passé à Nuremberg. A Istanbul, de même qu'à Nuremberg, tous les verdicts ont été prononcés non pas d'après les affirmations des témoins mais d'après des documents officiels et authentiques de provenance militaire du temps de guerre.

Pourquoi ces documents sont-ils authentifiés et comment ? Par une stipulation de la cour martiale, avant qu'un document n'y soit introduit pour être montré, les officiels du Ministère de l'Intérieur ottoman étaient priés de les authentifier. Et après que cela fût fait, l'en-tête du document était tamponné : « Conforme à l'original » (aslena Muafekder).

Voici donc votre cour martiale. Tous des documents de guerre, qui n'ont rien à voir avec la politique d'après guerre, comme l'insinuent des gens comme Justin McCarthy. C'est l'évidence du tribunal militaire.

La seconde catégorie de documents officiels turcs se compose des débats parlementaires. Pendant environ sept semaines - octobre, novembre, décembre 1918 - dans les deux chambres du parlement ottoman -

Le sénat et la chambre des députés - des débats ont eu lieu au sujet de la déportation et des massacres des Arméniens. Plusieurs députés vinrent avouer , avouer le crime de massacres contre les Arméniens.

Et je vous donne trois exemples de ces aveux écrasants, face à ceux qui persistent encore à nier le Génocide arménien. Ce sont des déclarations officielles du parlement ottoman d'après guerre, par des députés et des sénateurs ottomans.

Le 19 octobre 1918, le premier jour de l'ouverture du sénat ottoman, le président du sénat, Ahmed Riza, lui-même un ex-chef Jeune-Turc, fit cette déclaration. Il dit : « Nous, Turcs, avons sauvagement massacré les Arméniens ». Il a employé le mot turc Vashiyane. C'est le président du sénat ottoman, qui admet non seulement le meurtre des Arméniens mais emploie l'adjectif « féroce, sauvage ».

Deux jours plus tard, un vétéran et général en retraite de l'armée ottomane l'interpella, disant : « Comment osez-vous mentionner seulement les atrocités turques et ignorer les atrocités arméniennes envers les turcs ? »

Ahmed Riza donna une réponse qui est un indice pour caractériser le Génocide arménien en tant que fait historique. Il dit : « Oui, nous avons su que des Arméniens décidés à se venger avaient tué quelques Turcs. C'étaient des gens qui avaient remarqué que leurs parents avaient disparu, ils étaient vindicatifs et ils tuèrent. Mais les Arméniens n'ont pas été tués en masse par des individus turcs ; ils ont été tués massivement par la police officielle du gouvernement central de l'Empire Ottoman ».

Il employa le mot turc « rezmi » qui signifie « officiel ». En d'autres termes, les Arméniens étaient anéantis par décision des autorités centrales. Ceci est un fait significatif.

Le 21 novembre 1918, dans le même sénat, la plus remarquable révélation fut faite par un autre sénateur, Réshid Akif. Cet homme était un homme d'état ottoman, et ce jour-là, il fit la déclaration suivante , il dit : « J'étais membre du premier gouvernement ottoman d'après guerre, et un jour dans mon bureau, j'ai découvert deux sortes de documents. L'un était un ordre officiel du ministre de l'Intérieur Talaat ordonnant la déportation des Arméniens dans lequel - et les Turcs utilisent maintenant ces télégrammes secrets - dans lequel Talaat dit à ses subordonnés « Protégez les convois de déportés arméniens. Donnez-leur des olives et du pain » etc.etc.

Mais parallèlement, un ordre non officiel parvenait de Constantinople, n'émanant d'aucune agence gouvernementale, mais de ce que les sociologues appellent « autorité non officielle » en l'occurrence le Comité central du parti Ittihad, nommément le C U P. Il dit : « cet ordre était simple. Aussitôt que les convois arméniens quitteront leurs villages, leurs villes et leurs cités, procédez à l'exécution de la mission. » et Akif Pacha ajouta que la mission de ces criminels était d'attaquer les convois et de massacrer la population. Ceci est le témoignage d'Akif Pacha, un homme d'Etat ottoman distingué et de haut rang.

Enfin, laissez-moi vous donner un exemple de plus de témoignage officiel turc au Parlement. Le 11 décembre 1918, le député de la province de Trabizon, Hafez Mehmed, avocat de profession, fit cette déclaration ; il dit : « Moi, Hafez Mehmed, j'ai personnellement vu de mes propres yeux dans la cité portuaire de Ordu sur la Mer Noire, comment, une nuit, des femmes et des enfants arméniens ont été amenés et embarqués dans des péniches, dirigés vers la haute mer, noyés là-bas de nuit, et puis les péniches sont revenues vides. »

Des opérations de noyade massive ont eu lieu dans les différentes cités portuaires du littoral de la Mer Noire, et voilà un député turc qui l'admet au Parlement ottoman. C'étaient les débats parlementaires. Puis vient naturellement la Cinquième Commission d'Enquête, Beshinci shube Tahkikat Komisyonu, qui est très significative, car le Parlement voulait une investigation législative, indépendante de l'enquête judiciaire, qui avait lieu à la cour martiale. Ils créèrent donc leur propre commission d'enquête, ce qui eut pour résultat de faire entrer tous les membres des cabinets du temps de guerre en vue d'enquêter sur les témoignages oraux officiels.

Au cours de ces auditions, de remarquables aveux furent faits. L'un d'entre eux provenait de Said Halim Pacha, le grand vizir du temps de guerre, qui correspond à la position de Premier Ministre. Il dit : « Le gouvernement turc, mon cabinet, n'avons donné des ordres que pour la déportation, mais l'ordre de déportation fut transformé en opérations de tuerie, pour lesquelles nous n'avons jamais été d'accord. »

Said Halim Pacha, le Premier Ministre de Turquie, déclarant que l'ordre de déportation avait été transformé en ordre de tuerie par des organisations douteuses, mentionna l'Organisation Spéciale, Teshkilte Mahsusa.

Ensuite, le ministre de la justice du temps de guerre, Ibrahim, fit une révélation aussi remarquable.

Il dit : « J'ai été incité par le Ministre de la Guerre Enver à relâcher les criminels des prisons de l'Empire Ottoman, pour un devoir patriotique ».

Il dit : « Je l'ai avisé que la Constitution ottomane, la loi ottomane, interdit que les détenus soient incorporés en tant que soldats. J'ai été instamment prié, et un nombre important d'entre eux a été relâché (mühim bin yeküna balig) » Ils ont été utilisés pour le devoir de massacrer les Arméniens. Tous ces témoignages ne sont que des exemples de la litanie des autres confessions faites durant ces auditions. Voilà donc un corpus d'évidence documentaire, recueilli des transcriptions de la cour martiale, des débats parlementaires, de la commission d'enquête ; et surtout, des documents turcs authentifiés.

Brièvement, au sujet des documents allemands, chaque ambassadeur allemand - ils étaient quatre :

Wangenheim, Hohenlohe, Metternich et Bernstorff - tous ont informé régulièrement Berlin que la minorité chrétienne dans l'Empire ottoman, sous le couvert de déportation, était en voie d'extermination dans les conditions les plus féroces.

Des douzaines et des douzaines de tels documents émanant des ambassadeurs allemands sont aujourd'hui déposés dans les archives allemandes. Il en est de même pour les archives autrichiennes.

Ayant maintenant ces deux catégories de documents - allemands et autrichiens d'une part, turcs d'autre part, - je considère cet ensemble éminemment qualifié pour mes critères d'évidence irrécusable. Sur ces bases, je voudrais reconstruire brièvement le Génocide arménien, car d'une façon générale, les auteurs de ces crimes ne se portent pas volontaires pour fournir des rapports sur la façon dont ils ont procédé. Il nous faut reconstruire sur la base des preuves acquises, c'est-à-dire, comme je l'ai dit, irrécusables.

Sur cette base, il y a quatre déterminants du Génocide arménien qui exigent une attention spéciale pour la recherche et l'étude.

Premièrement, la préméditation. Deuxièmement : l'intention génocidaire - Troisièmement : l'organisation du génocide - Quatrièmement : l'exécution du génocide.

Permettez-moi de décrire cela.

Préméditation. Dans tous les systèmes de justice criminelle, les sanctions les plus sévères sont réservées aux crimes prémédités. Puisque la préméditation a lieu avant la mise en oeuvre, la personne devrait être consciente des conséquences. C'est la preuve significative que le Génocide n'était PAS, et j'insiste sur ce mot, une aberration de la Première Guerre Mondiale.

Même Benjamin Whitaker, membre britannique de la Sous-Commission des Droits de l'Homme aux Nations Unies, reconnaissant le génocide arménien au nom de cette sous-commission, afin d'apaiser les Turcs et de ménager la fierté turque, dit : « Oh, les Turcs ont perdu leur sang-froid, c'était la situation de guerre . » En d'autres termes, le Génocide était un crime passionnel. Je crains que Benjamin Whitaker ne soit tout à fait dans l'erreur. Il est amplement évident que le Génocide arménien a été un crime prémédité, et j'aimerais ajouter ici, très brièvement, quelques preuves documentaires.

Le Vice Maréchal Pomiankowski, attaché militaire autrichien au Quartier Général ottoman pendant la Première Guerre Mondiale - et il a été de service en Turquie pendant dix ans, de 1908 à 1918 - raconte que durant son service au Quartier Général ottoman, des officiers et des intellectuels turcs lui ont dit plus d'une fois que nombre d'entre eux considéraient les anciens sultans comme déficients en ce qui concernait leur façon de traiter les Chrétiens et les minorités non-musulmanes, lui disant que ces sultans auraient dû obliger les individus non-musulmans à embrasser l'Islam, et en cas d'insuccès, les exterminer.

Ils lui dirent : il y a maintenant une précieuse occasion de rectifier les erreurs des sultans d'autrefois et de leurs successeurs. Pomiankowski conclut : le traitement d'extermination des Arméniens pendant la guerre a été en fait une fonction de reconnaissance des erreurs des anciens sultans et que les Arméniens et les Grecs auraient dû être forcés d'embrasser l'Islam ou sinon être détruits.

Je pense que le document le plus dévastateur sur la préméditation vient du colonel allemand Stange. Il était le seul officier allemand de haut rang responsable d'un détachement d'une organisation spéciale. La plupart de ceux dont il avait la charge étaient des détenus libérés des prisons. Le 23 août 1915, le colonel Stange prépara un long rapport, 16 pages aux dimensions réglementaires, dont j'ai une copie intégrale, en allemand original.

Il dit qu'il a le regret de l'informer - il s'adresse au maréchal Liman von Sanders, le chef de la Mission militaire allemande en Turquie - que « le gouvernement turc est en train de tromper notre gouvernement à Berlin sur le cas des Arméniens. » Et dans ce très long document Stage déclare explicitement que la décision d'exterminer les Arméniens pendant la guerre avait été prise longtemps avant la déclaration de la guerre. En sa langue allemande originale : « Einen lang gehegten Plan » . Voilà exactement ce qu'il dit en allemand.

Puis naturellement, la preuve la plus dévastatrice de la préméditation vient des procès de la cour martiale turque. Dans l'acte d'accusation du tribunal militaire turc, qui est publié dans le journal légal du parlement ottoman, Takvim-i Vekyi, numéro 3540 page 8, voici ce qui est écrit dans l'acte d'accusation : « Il est évident que l'un des architectes du génocide arménien, le docteur Nazem, avait prévenu le gouverneur d'Alep, Jelal, du fait que les mesures anti-arméniennes n'étaient pas le résultat d'une décision prise impulsivement, mais le produit de « profondes et longues délibérations » (ariz ve amik düsünülerek). En réponse, le gouverneur Jelal dit aux autorités ottomanes : « je peux déporter les Arméniens, mais je ne peux pas les faire massacrer ! Je ne peux pas souiller mes mains dans le sang d'un peuple innocent » Il a été relevé de son poste et assigné dans la province de Konya, où, comme il continuait à protéger les Arméniens, il ne resta que quelques mois.

Et finalement, dans plusieurs verdicts du Tribunal Militaire Turc, à Yozgad , Trabizon, Erzincan, le mot arabe de préméditation est expressément utilisé, soit : ta'ammüden. Dans le verdict de Bayburt, la cour déclara encore que la destruction des Arméniens était le résultat d'une délibération antérieure.

Quand on consulte les documents autrichiens, allemands, on voit encore et encore qu'ils disent que le traitement des Arméniens pendant la guerre avait pour but « la solution finale de la question arménienne ».

Dans huit mois environ, le journal le plus remarquable du monde, qui est le journal pour les Turcologues, Osmanologues et autres spécialistes du Moyen Orient, le Journal International des Etudes du Moyen Orient, va publier un important article dans lequel je précise et explique toutes ces choses. Les documents allemands et autrichiens répètent vraiment, encore et encore, que la destruction des Arméniens n'avait rien à voir avec la conduite des Arméniens pendant la guerre, et qu'elle était destinée à résoudre finalement une fois pour toutes la prolongation et l'énervement, pour les Turcs, de la question arménienne, c'est-à-dire, en fait, l'extermination des Arméniens.

Considérons maintenant l'intention génocidaire. Dans la définition des Nations Unies, pour qu'un meurtre massif soit qualifié de génocide, il doit y avoir une intention de détruire, partiellement ou totalement, la population victime. L'intention génocidaire est expliquée, encore et encore, par pratiquement tous les verdicts des cours militaires ottomanes. En particulier, le verdict de Yozgad déclarait que la déportation était une couverture pour détruire la population déportée, ajoutant que « il ne peut y avoir aucun doute ni hésitation à ce sujet » (süphe ve tereddüt berakmadegindan). En résumé, l'intention génocidaire est explicite dans les documents turcs, allemands et d'Autriche-Hongrie.

Organisation du génocide. Le troisième élément. Là encore, la cour martiale ottomane avait une catégorie spécifique de suites de procès réservée non pas aux officiels du gouvernement mais aux fonctionnaires du parti Jeune-Turc Ittihad. Cela, en un sens, n'a aucun précédent, dans les annales de la justice légale, que des officiels gouvernementaux ne soient pas engagés, mais des gens que les sociologues appellent l'autorité officieuse, nommément les fonctionnaires du parti qui dominent le gouvernement. Ce problème de l'autorité officieuse dans le génocide est le moins étudié et par suite son aspect le plus négligé.

Et puis, finalement, l'exécution du Génocide arménien. Je pense que vous voyez ici un événement qui n'a pas son pareil dans l'histoire de l'humanité. Les deux auteurs principaux - les architectes du Génocide arménien, le docteur Nazem et le docteur Sakir - lors de leurs consultations avec leurs collègues du Comité central, déclarèrent avec insistance et abondance de paroles que « le sultan Abdul Hamid avait accompli une tâche inachevée ; nous ne pouvons pas nous satisfaire de résultats partiels, en conséquence, afin d'être complets, énergiques et définitifs quant à la destruction des Arméniens, nous avons besoin de criminels. Nous devons être impitoyables envers les femmes et les enfants. »

Et donc, ils persuadèrent leurs collègues de relâcher des prisons de l'Empire Ottoman les criminels les plus sanguinaires. Pour cette catégorie de criminels certains auteurs emploient le mot kanle katil. Que firent-ils ? Ils envoyèrent dans chaque prison des équipes de trois membres : un membre du service de la guerre, un membre du service intérieur, et ce qui est le plus significatif le troisième membre était un physiologiste dont la tâche consistait à sélectionner les criminels paraissant les plus sauvages en vue d'une conduite impitoyable dans le massacre. Ces équipes allaient donc de prison en prison, et sélectionnaient les détenus des différentes prisons de l'Empire ottoman.

Et à ce sujet je désire faire référence à un document très important de la cour martiale, déjà mentionné ; il s'agit du témoignage écrit du Commandant en Chef de la Troisième Armée, Vehib Pacha.

Quand le Génocide fut complètement achevé dans les provinces orientales à la fin de 1915, le Haut Commandement turc nomma le général Vehib commandant de la troisième armée. Son prédécesseur, le général Mahmud Kamil avait été installé là sous la pression des trois architectes du Génocide : les docteurs Nazem, Sakir et le grand prêtre du CUP, Ziya Gökalp. Le ministre de la guerre, Enver, en février 1915, avait au départ, nommé à la troisième armée le général Vehib qui ainsi se trouva supplanté.

Pourquoi la troisième armée est-elle si importante ? Parce que la juridiction de la Troisième Armée embrassait les six principales « provinces arméniennes » : Van, Bitlis, Erzurum, Diyarbekir, Sivas et Kharpert. Et Trabizon fut rattachée à la juridiction de cette armée.

Le général Mahmud Kamil, qui partageait entièrement l'idéologie de ces trois hommes, fit un travail complet. Totalement identifié à ces trois hommes, il supervisa la destruction de toute la population mâle arménienne et la déportation qui s'ensuivit des Arméniens restant dans les six provinces. Puis il démissionna et vint à Istanbul en février 1916 en tant que sous-secrétaire du Ministère de la Guerre.

Et la cour martiale demanda à Vehib de préparer une déclaration sous serment de ce qu'il avait vu en tant que commandant de la Troisième Armée. Le 5 décembre 1918, Vehib prépara cette déclaration en 12 pages, dont j'ai une copie. Dans cette déclaration, il dit que « quand j'arrivai à mon poste à Erzincan, je vis que la population arménienne avait disparu, aucune trace des Arméniens dans toute la région . J'ai soupçonné immédiatement qu'un crime majeur avait été commis , mais étant un officier militaire, je ne pouvais pas enquêter par curiosité. J'attendais une occasion, et cette occasion se présenta ».

Voici ce qui arriva en 1916. Les directeurs de la construction du chemin de fer de Bagdad avaient besoin de travailleurs supplémentaires. Ils demandèrent à Vehib de transférer de Sivas à Adana un bataillon de travail de 2500 soldats arméniens qui étaient encore en vie. Il envoya donc un ordre de transfert, et dans les 48 heures ces 2500 soldats arméniens disparurent. Il y eut des interrogatoires, et Vehib répondit : « je les ai envoyés ». Il fit donc une enquête, et il établit que le gouverneur de Sivas, Muammer, avait donné des ordres verbalement au commandant de la gendarmerie en charge de ces 2500 Arméniens, de les exterminer. Cela s'était passé de la façon la plus féroce, ces 2500 soldats arméniens du bataillon de travail avaient les mains liées coupées à coups de haches, d'épées, etc., brutalement massacrés, et quelques-uns d'entre eux , jetés du haut des rochers dans des ravins, avaient simplement disparu.

Donc, Vehib dit qu'il y avait là une occasion d'investigation. Il installa une cour martiale et fit pendre les deux principaux auteurs du massacre de ces 2500 Arméniens. Dans sa déclaration, le général Vehib donne une description détaillée de la façon dont le Génocide arménien s'est déroulé. Il dit que le Dr. Sakir, l'un des principaux architectes du Génocide arménien est allé de province en province dans son automobile privée et a donné verbalement des ordres aux gens. Vehib décrit ensuite la libération de prison des criminels les plus brutes et les plus féroces (Ipten ve kazekdan kurtulmush yaranene) Voilà exactement ce qu'il dit dans sa langue. Et ensuite il décrit une scène d'atrocité qui résume la quintessence du Génocide Arménien.

Il dit qu'il est allé de Mush à la province de Bitlis, puis il est allé à Tchurig, un petit village arménien à 5 km au nord de Mush. Et là il décrit ce qu'il a vu : « Dans toutes les maisons en bois de ce village, les femmes et les enfants arméniens avaient été rassemblés et brûlés vifs ». Et il dit : « j'ai vu leurs restes carbonisés ». Ensuite il utilise ce langage à la fin de sa déclaration. Il dit : « dans toute l'histoire de l'Islam vous ne pouvez trouver aucun équivalent d'une telle férocité et sauvagerie ». C'est un commandant de l'armée turque qui parle, un Ittihadiste lui-même.

Puis il termine sa déclaration en disant : « La justice divine peut être retardée, mais elle ne sera pas exclue » (adaleti Allahiyede imhal var ihmal yoktur. »

En conclusion, qu'avons-nous appris de tout cela ? Je pense que la seule caractéristique la plus importante du Génocide arménien, spécialement en comparaison avec l'Holocauste - et j'espère que vous voyez un parallèle frappant manifeste - est ceci : ce ne furent PAS les organes réguliers de l'Etat Ottoman, mais un parti, une organisation secrète, le Parti des Jeunes-Turcs Ittihadistes qui fut responsable du Génocide arménien, du commencement à la fin : conception, préméditation, décision, organisation, application - tout a été fait en premier, sinon exclusivement, par les officiels ayant des postes de confiance du parti Ittihad Jeune-Turc, exactement comme les Nazis en Allemagne pendant la Seconde Guerre Mondiale.

Vous le savez, le Troisième Reich était divisé en Gaus, provinces, et les représentants de haut rang du parti , appelés Gauleiters, en étaient responsables. De même, au sommet, l'Agence de Sécurité Nationale Nazie, le Sichereitshauptamt du Reich - RSHA en abrégé - fut l'instrument principal de l'holocauste, avec les SS et la Gestapo. Toutes ces actions ont été accomplies par les fanatiques du parti. Une organisation similaire a fonctionné dans l'exécution du Génocide arménien. Là nous voyons les fonctionnaires du parti au travail. Il y avait trois catégories : les secrétaires responsables, les délégués, et troisièmement les inspecteurs, par ordre de rang.

Et maintenant je vais vous donner un exemple de la façon dont ces gens du parti bravèrent les officiels gouvernementaux réguliers et outrepassèrent leurs pouvoirs dans le système d'Etat de l'Empire Ottoman. A Trabizon, quand le décret de déportation fut proclamé, l'archiprêtre grec et quelques Arméniens payèrent le gouverneur de cette province pour que les femmes enceintes, les enfants et les vieillards soient temporairement exemptés de déportation. Le Gouverneur Général Cemal Azmi accepta.

Cependant, dès que le représentant du parti Jeune-Turc Yenibahtchéli Nail, apprit la décision du gouverneur, il mit immédiatement son veto à la décision du gouverneur et dit que tous les Arméniens, sans exception seraient soumis à la déportation .

La même chose se passa à Erzurum. Le gouverneur général Tahsin était un homme relativement bienveillant. Il voulut exclure les malades et les femmes enceintes. Le délégué de la région d'Erzurum, Filibeli Hilmi, apprenant cet arrangement, y mit immédiatement son veto et tous les Arméniens furent soumis à la déportation.

En d'autres termes, je voudrais vous faire bien comprendre qu'afin de saisir les points essentiels du Génocide Arménien, nous devons nous concentrer sur l'état des opérations d'une machinerie de parti hautement organisée.

Les étudiants de l'Holocauste - et même quelques étudiants arméniens - continuent de dire que le Génocide est un crime d'Etat. Je vous soumets mon avis, fondé sur les faits de l'expérience arménienne et de mes recherches sur l'Holocauste : je dirais que le Génocide n'est pas tellement un crime d'Etat, mais en premier lieu le crime d'un parti politique, monolithique et de conspiration, qui s'est arrangé pour éliminer toute l'opposition, qui a réussi à obtenir la maîtrise totale des organes de l'Etat, qui impose à l'Etat son agenda secret régulier du parti, subvertit les fonctions de l'Etat par ses méthodes, et finalement criminalise l'Etat.

Oui, vraiment, le genocide est le résultat de la criminalisation de l'Etat par un parti politique secret, monolithique, aux menées hautement conspiratrices. Et si vous voulez réellement comprendre le Génocide arménien, reléguez l'étude de l'Etat Ottoman comme une question subsidiaire à l'étude du parti Jeune-Turc Ittihad, et concentrez-vous sur ses « agendas » dissimulés concernant les nationalités non-musulmanes de l'Empire.

Et finalement, ayant eu une formation en mathématiques et sociologie, je me demande toujours : quelle conclusion majeure pouvons-nous en tirer ?

Les gens disent qu'il y avait une intense hostilité, un nationalisme et un fanatisme turcs, etc.C'est vrai, mais pas tout à fait. A mon avis, et comme dans le cas de l'Holocauste, le Génocide, au delà de ces facteurs, émerge ici comme un moyen pour arriver à ses fins. C'est donc fonctionnel. Une société hétérogène, la Turquie, l'Empire Ottoman multi-ethnique, est transformée par des moyens violents, meurtriers, en une société plus ou moins homogène.

Les slogans « Germany judenrein » (l'Allemagne sans les Juifs) et « La Turquie aux Turcs » sont emblématiques de ces génocides dirigés vers un but. Par conséquent, ma conclusion est qu'en fin de compte, le génocide est une méthode pour restructurer un système social par une purification ethnique organisée.

Conférence tenu à Harvard le 24 avril 2001

Version originale : http://ermeni.org/english/vdadrian_harvard.htm

Traduction : Louise Kiffer

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