Heinrich Vierbücher

Arménie 1915

Témoignage d'un officier allemand

La croix tombale

Qui connaît le destin du peuple roué et crucifié pendant la Première Guerre mondiale ?

Savez-vous que le point culminant de la folie furieuse de l’homme-démon, ayant fait rage durant cinquante mois, ne s’est pas trouvé dans les champs labourés de cratères de Vaux et de Douaumont, mais dans les gorges étroites de l’Arménie ? Elle a culminé là dans le drame de Golgotha, défiant en horreur, même les plus puissantes représentations dramatiques de Grünewald, Goïja, Breughel.


Durant ce « Grand temps », le sommet, d’où la colombe de Noé s’était envolée pour rapporter la nouvelle de la vie renaissante, a été enveloppé par l’ombre de l’oiseau de mort. Vers lui montaient le cri d’un peuple mourant et l’odeur infecte de corps humains en décomposition.

Pour les futurs poètes et historiens, l’Ararat apparaîtra comme l’autel aux abords duquel notre époque de folie barbare a organisé un sacrifice tel que tous les crimes perpétrés par Tamerlan, Torquemada, Ivan et ceux commis devant le Moloch de Tyr ou devant les dieux des Aztèques semblent insignifiants.

Entre Érzingian et Sivas se trouve le défilé de Kémach.

C’est là, qu’au mois de juin 1915, des dizaines de milliers de femmes et d’enfants furent précipités vivants dans l’abîme, depuis des hauteurs vertigineuses, et cela, après avoir enduré d’indicibles souffrances. On devrait nommer cette gorge : « Le défilé de Dante ». Elle est devenue l’entonnoir de damnation, que Dante décrit dans son « Enfer ».

Les hommes érigent parfois des monuments aux combattants, mais plus souvent d’ailleurs, à la gloire du crime qu’en mémoire des victimes.

Kémach, ce lieu d’Arménie, cette plaie honteuse, devrait devenir l’endroit du souvenir pour toute l’humanité qui reconnaîtrait son ignominie, son devoir de réparation, car c’est là qu’eut lieu le plus odieux des massacres.

La volonté d’effacer cette honte et la répulsion de ceux qui haïssent la guerre, devraient s’unir pour demander aux hommes de faire des pèlerinages à Kémach-Boghazi.

Là, les pèlerins devraient sans cesse revivre ce qui se passa en 1915, tendre l’oreille vers le profond charnier entre les rochers pour recueillir l’écho de ces événements inconcevables mais pourtant réels, et ce, pour armer chaque fibre de leur cœur de la volonté de combattre toute corruption des âmes qui rend possible pareils crimes. Ce petit livre se donne pour but de montrer, en quelques pages, l’image de la plus grande persécution de chrétiens de l’histoire. Tâche qui ne peut être que partiellement menée à bien…

Que cette brochure soit considérée comme une contribution à la représentation de la bestialité dans laquelle nous nous trouvions nous-mêmes et que nous devons haïr si nous voulons conserver la faculté d’aimer. Qu’elle soit comme une modeste croix tombale sur l’énorme fosse commune de l’Arménie.

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