Le génocide arménien dans les Archives allemandes

Ambassade impériale d'Allemagne

Péra, le 7 juillet 1915

 

Jusqu'à il y a environ deux semaines, l'expulsion et la déportation de la population arménienne se cantonnaient aux provinces proches de la zone est des opérations et à quelques secteurs de la province d'Adana. Depuis lors, la Porte a décidé d'étendre cette mesure aux provinces de Trébizonde, Mamouret-ul-Aziz et Sivas, et en a commencé l'application bien que, pour l'instant, ces régions ne soient pas menacées par l'invasion ennemie.

Cette décision, et les conditions dans lesquelles s'effectue la déportation, montrent bien que le gouvernement poursuit très réellement le but d'exterminer la race arménienne dans l'Empire ottoman.

A ce sujet, je me permets de compléter mes précédents rapports par les informations suivantes :

Le 26 juin, ainsi que le rapporte le consul impérial de Trébizonde, les Arméniens de cette ville ont reçu l'ordre de quitter les lieux dans un délai de cinq jours, tous leurs biens devant rester sous la garde des autorités. Une seule exception a été faite, pour les malades. Puis d'autres autorisations ont été accordées, aux veuves, aux orphelins, aux vieillards et aux enfants de moins de cinq ans, puis aux malades et aux Arméniens catholiques. Mais, aux dernières nouvelles, les autorités sont revenues sur la plupart des exceptions, et seuls ont le droit de rester les enfants et les personnes qui ne peuvent être transportées, ces dernières étant placées dans des hôpitaux. Dans le seul vilayet de Trébizonde, cette mesure touche au total 30 000 personnes environ, qui vont être expédiées en Mésopotamie, via Erzindjan. Il y a tout lieu de craindre qu'un tel déplacement de foule vers une destination éloignée de plusieurs centaines de kilomètres, avec des moyens de transport très insuffisants, et à travers des contrées où l'on ne peut trouver ni gîte ni nourriture et qui sont contaminées par des maladies épidémiques, comme le typhus exanthématique, par exemple, fasse de nombreuses victimes, surtout chez les femmes et les enfants. En outre, la route que suivent les déportés traverse les districts kurdes de Dersim, et le vali de Trébizonde a déclaré tout net au consul qui, sur nos instructions, lui faisait des observations à ce sujet, qu'il ne pouvait garantir la sécurité du convoi que jusqu'à Erzindjan. A partir de là, on les laisse en proie à la sauvagerie des Kurdes et autres bandits de grand chemin. Par exemple, les Arméniens chassés de la plaine d'Erzeroum ont été attaqués sur la route de Kharpout ; les hommes et les enfants ont été massacrés, les femmes enlevées. Le consul impérial d'Erzeroum estime à 3 000 les Arméniens qui ont péri à cette occasion.

A Trébizonde, les Arméniens se sont convertis en masse à l'islam pour se soustraire à la menace de la déportation et sauver leur vie et leurs biens.

Indépendamment du préjudice auquel s'expose l'état turc -en dépossédant et en exterminant une fraction laborieuse et intelligente de la population (les Kurdes et les Turcs qui succèdent aux Arméniens sont bien loin, pour l'instant, de pouvoir les remplacer), cette situation lèse très sensiblement nos intérêts commerciaux et les intérêts des organismes de bienfaisance allemands établis dans ces régions.

En outre, la Porte méconnaît l'effet que toutes ces mesures arbitraires, comme, par exemple, les exécutions en masse qui ont lieu ici même et à l'intérieur du pays, produisent sur l'opinion publique étrangère et les conséquences que tout cela aura par la suite sur la façon dont sera traitée la question arménienne au moment des négociations de paix.

C'est pourquoi j'ai cru bon de faire remarquer à la Porte que nous n'approuvons les déportations de population que dans la mesure où elles s'imposent pour des raisons d'ordre militaire et où elles mettent le pays à l'abri des insurrections, et que, quoi qu'il en soit, l'application de ces mesures ne doit en aucun cas exposer les déportés à des pillages ou à des massacres. Pour donner à ces remarques le poids nécessaire, je les ai résumées par écrit sous forme d'un mémorandum que j'ai remis personnellement au grand vizir le 4 juillet. J'ai également fait transmettre des copies de ce mémorandum aux ministères des Affaires étrangères et de l'Intérieur.

 

Wangenheim

à Son Excellence le Chancelier impérial Monsieur von Bethmann Hollweg

Source : J. Lepsius, Archives du génocide des Arméniens, Fayard, 1986.

Archives allemandes sur Internet : http://armenocide.net

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