Bulletin d'information de la J.A.C. N°15  — Avril 2004

Témoignage de Kérima

Kérima A l'image du Père Jacques Rhétoré, l'abbé assyro-chaldéen Joseph Naayem fut un témoin oculaire des massacres de 1915. Il put recueillir des documents inédits et des témoignages de rescapés. L'ouvrage de Naayem, ancien aumônier des prisonniers de guerre Alliés en Turquie et officier de l'Instruction publique, Les Assyro-Chaldéens et les Arméniens massacrés par les Turcs fut publié par Bloud & Gay en 1920 à Paris. Nous reprenons ici le témoignage de la jeune Kérima qu'il a recueilli. Joseph Naayem présente d'abord la petite fille : « Âgée de 13 ans, cette petite chaldéenne de Séert arrive à Constantinople en 1918 et raconte son histoire à un notable chaldéen de la capitale, Latif bey Tahib, membre de la cour d'appel. Voici des extraits de son témoignage » et relate ses propos : « J'avais au moment des massacres à peine dix ans. Mon père, Djerdjis, était employé à la Dette Publique de Séert (section du sel). Notre famille se composait de ma mère, Hanné, et de mes trois frères, Kérim, l'aîné, âgé de onze ans, et de Youssouf et Latif, ainsi que de mon grand-père, un vieillard, Gorguis.

Quatre ans avant - c 'était à la fin du printemps - notre maison fut un jour assaillie par vingt bandits dans le quartier d'Aïn-Salib. Mon père et mon grand-père, malgré leurs supplications, furent sur le coup massacrés à coups de poignards et ma mère, mes frères et moi fûmes amenés dans un lieu par eux choisi. Après avoir massacré et jeté mes parents dans des fosses hors de la ville, les Kurdes s'emparèrent de moi et me conduisirent au village Zewida avec d'autres jeunes filles chaldéennes de mon âge. Je fus retenue là pendant un an. Des Kurdes, la nuit, me violentèrent. Je devais, sous menace de mort, souffrir leurs méfaits.

Un an après, je retournai à Séert avec une dame musulmane. Elle me fit conduire chez Abdul Férid, l'homme qui avait dévalisé notre maison, croyant qu'il aurait de la compassion pour moi et me donnerait un morceau de pain. Ce fut tout le contraire qui arriva. Abdul Férid me renvoya. Une dame chaldéenne placée comme bonne chez un Turc du nom de Tewfik avec une autre femme chrétienne du nom de Mahboula intercédèrent en ma faveur pour que je sois employée là comme porteuse d'eau ».

Joseph Naayem continue son récit : « Un jour, alors qu'elle porte sa cruche à la fontaine, elle rencontre un soldat, porteur d'eau de l'hôpital de Séert qui l'emmène de force chez lui et abuse d'elle « pendant trois longues années ». Elle subit aussi les caprices et les mauvais traitements de la mère d'Abdullah. « A la fin, la famine commença à désoler la ville ». A l'exception des massacreurs, tels que le grand bandit, Abdul-Riza, député de Séert, tous en éprouvaient les affres. Ce dernier avait emmagasiné une grande partie des objets pillés et volés aux chrétiens. Le porteur d'eau, Abdullah, voyant qu 'il lui était impossible de faire vivre sa famille, dit à sa mère de prendre ses enfants avec elle et d'aller de porte en porte mendier pour subvenir à leur existence. Cette femme prit la résolution de partir pour Constantinople. « Je ne peux raconter ici les souffrances que j'ai endurées pendant mon voyage à Constantinople, soit de la part de Fattoum et de ses enfants, soit par les tortures de la faim ressenties durant les trois mois que dura ce pénible voyage ». Arrivée dans la capitale, Fattoum, ne pouvant la nourrir et apprenant qu 'elle a des parents à Constantinople, la leur remit. Elle arrive chez eux pieds nus, n 'ayant pour tout vêtement qu 'une chemise et un costume de bain.

Extrait de Yves Ternon, « Mardin 1915 » Source originale : Joseph Naayem, « Les Assyro-Chaldéens et les Arméniens massacrés par les Turcs », pp. 89-96

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