RHAC II Partie II. Témoignages sur les camps de concentration de Syrie et de Mésopotamie

Témoignages sur Alep et Marrâ

18 - ARAM ANDONIAN

Au sujet de Yervant Odian*

Le passage de Yervant Odian à Alep provoqua quelques incidents. Il était parvenu à quitter le camp de Sébil et à pénétrer dans la ville. Il avait transformé en quartier général une des tavernes à vin les plus fréquentées, où il n’était pas seul, ayant autour de lui un état-major au complet d’ivrognes.

Il y avait alors à Alep beaucoup de fuyards que la police locale récupérait, groupe par groupe, et renvoyait à Sébil d’où ils étaient expédiés dans les déserts Hauran. Tant que le nombre des fuyards resta important, des déportés isolés comme Odian n’avaient pas de raison de s’inquiéter. Personne ne s’occupait d’eux. Toutefois, quand l’expulsion des groupes fut achevée, l’attention de la police se concentra tout naturellement sur les personnes isolées, qui étaient poursuivies avec la collaboration de nombreux indicateurs arméniens, notamment de trois jeunes gens originaires d’Hadjen — ils étaient encore actifs quelques mois plus tard, quand je suis à mon tour passé à Alep.

Odian fut dénoncé par eux comme étant très dangereux et comme une personnalité déporté sur décision spéciale de Constantinople. Mais il fut impossible de le trouver, car le Baron avait déjà trouvé le moyen d’envoyer par un moyen sûr Odian à Hama, où se trouvait son oncle.

N’ayant aucune information à ce sujet et convaincue qu’Odian était caché dans un coin, mais sachant d’autre part qu’il n’était pas capable de se passer d’ ouzo, la police mit sous surveillance toutes les tavernes connues de la ville, accomplissant par ailleurs des descentes dans certains établissements. Cependant cela fut fait en vain. Bien évidemment, les efforts déployés par les indicateurs arméniens restèrent également sans résultat, quoique durant les recherches visant Odian, ils aient découvert bien d’autres fuyards. Finalement, un avis de recherche fut diffusé contre Odian et un certain «Ajansdji» Agram bey — un journaliste turc qui avait fondé à Alep une agence de presse et publiait des dépêches quotidiennes concernant la guerre, tout en s’occupant de piller les déportés — publia cet avis de recherche dans une de ses dépêches dont de multiples exemplaires furent placardés sur les maisons de différents quartiers d’Alep et sur les murs des bâtiments officiels.

Lorsque je me suis enfui de Meskéné pour Alep, j’en ai vu une encore [visible], jaunie et en partie déchirée, sur le porche de la tour de l’horloge de Bab el-Faradj. Un ami m’avait amené là-bas un jour, en me disant qu’il allait me faire voir quelque chose d’intéressant, et j’ai lu sur place l’avis de recherche dans lequel étaient indiqués en détail des informations de toutes sortes relatives à Odian, y compris que les deux talons de ses chaussures étaient usés et que le bout de sa chaussure gauche était troué. L’avis n’avait également pas omis de rappeler qu’Odian était un grand ivrogne.

[Aram] Andonian

* BNu/Fonds A. Andonian, Matériaux pour l’histoire du génocide, P.J.1/3, liasse 30, Alep, ff. 30-31..