Mihran Amtablian

Nazim Hikmet

un grand de la poésie turque, censuré

Nazim HikmetL'écrivain est né à Salonique en 1902. Fils d'un haut fonctionnaire turc, il part pour Moscou en 1921. Il y rencontre Maïakovski et les futuristes russes qui exerceront une influence considérable. Ecrivain d'avant garde de la littérature turque, mais écrivain "rouge", il est arrêté en 1938 à son retour en Turquie et condamné à vingt huit ans de prison. Il est libéré au terme d'une grève de la faim et de l'action d'un comité de soutien où l'on compte Jean-Paul Sartre et Pablo Picasso. Il reçoit le prix mondial de la paix en 1950. Persécuté en Turquie.

Que le génocide des Arméniens imprègne une partie de la littérature arménienne contemporaine, cela n'étonnera personne. Mais, qu'il affleure aussi dans la littérature turque, voilà un fait qui nous est nouveau. "Info-turk", revue dissidente éditée à Bruxelles, vient de braquer le projecteur sur Nazim Hikmet, le plus grand poète turc du XXème siècle, internationalement connu, ou plutôt attire-t-elle l'attention sur les tribulations récentes qui concernent un passage de son poème « Promenade du Soir ». Dans ce texte, on peut lire les vers suivants :

Les lampes de l'épicier Karabet sont allumées,
Le citoyen arménien n'a jamais pardonné
Que l'on ait égorgé son père
Sur la montagne kurde Mais il t'aime,
Parce que toi non plus tu n'as pas pardonné
A ceux qui ont marqué de cette tache noire
Le front du peuple turc.
Fazıl Say: NAZIM'da bu şiir vardır, Ermeni Bakkal Karabet de dahil.
"Bakkal Karabet'in ışıkları yanmış..."
İşte bu dizeden sonra başlıyor sansür. Genco Erkal'ın seslendirdiği şiirde bu dizeden hemen sonra tam beş dize atlanarak "Mahallenin veremlileri'ne geçilmiş.
İşte sansürlenen dizeler:
"Affetmedi bu Ermeni vatandaş
Kürt dağlaranda babasının kesilmesini .
Fakat seviyor seni,
çünkü sen de affetmedin
Bu karyı sürenleri Türk halkının alnına ."

MEHMET SEBATLI

Dans le cadre de la célébration du 100ème anniversaire de la naissance du poète, le ministère turc de la Culture vient de publier un CD consacré à Nazim Hikmet. Ses textes sont lus par Genco Erkal, célèbre acteur en Turquie, sur une musique interprétée par le pianiste Fazil Say, avec l'orchestre symphonique de la Présidence de la République et le Chour Polyphonique de l'Etat.
Mais, hélas, du texte précité, il ne reste que le premier vers :

« Les lampes de l'épicier Karabet sont allumées ».

Le reste a été amputé, mutilé par la censure d'Etat, pour la vérité d'Etat : la famille de Karabet vit, et a toujours vécu, normalement ; il ne s'est rien passé "sur la montagne kurde". Pour la Turquie, le génocide des Arméniens n'a jamais existé, ce qui justifie à ses yeux toutes les violations, y compris et surtout, la violation de toutes les créations artistiques et intellectuelles, signe des Etats totalitaires et criminels. Les conditions de production de ce CD montrent une fois de plus que les fondements de la Turquie moderne sont criminels. Ce CD et sa brochure sont à verser au dossier des éléments de preuves. Voilà une production qui détruit la mémoire du génocide de 1915. Il détruit la mémoire du peuple turc comme il détruit la poésie de Nazim Hikmet, la poésie populaire du peuple turc. La Turquie moderne continue son automutilation comme l'Empire ottoman l'avait commencée, comme il s'était auto-mutilé en détruisant ses sujets arméniens. Selon le journal l'Humanité, le 15 mars 2002, Nazim Hikmet a été rayé des fichiers de l'état civil turc : il n'a jamais existé en Turquie !
Alors, pourquoi ce CD produit par l'Etat turc ? Pour la façade, pour l'Europe.

Mihran Amtablian

Article publié dans Franc-Arménie numéro 223, juin 2002
sous la signature de Mihran Amtablian

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