D. Hacyan

Courrier reçu de D. Hacyan, universitaire

Le 12 décembre 2003, chez Gibert, il y avait une belle pile du livre d'Alexis Govciyan sur la reconnaissance par la France du génocide des Arméniens, bien mise en évidence au bord du rayon auprès de livres sur la Palestine, Israël etc. Mais sur le côté (donc un peu moins visible), il y avait deux livres sur la Turquie. Je n'ai eu le temps d'en regarder qu'un, celui dont l'auteur m'était connu de nom. Il s'agit de Jean-Paul Roux, Histoire des Turcs, Fayard 1984, réédité en 2000, avec RIEN sur le génocide. Rien pour 1895-1896, le mot “massacres” pour la période de la première guerre (p. 378) et une référence à “une vaste diaspora, active, douée, virulente” (p. 379). Ce monsieur est un turcophile ardent et un négationniste par omission, ce qui est la version la plus soft mais non la moins efficace de la chose. Il est crispant que le livre d'Alexis Govciyan “appelle” les livres sur les Turcs juste à côté, comme si, une fois de plus, il fallait proposer les deux “versions” de l'histoire par souci d'équité (entre bourreaux et victimes). Sur le site Bibliothèque de Clio, qui a enfin publié un article d'Yves Ternon, on trouve encore aujourd'hui des textes de ce Jean-Paul Roux, qui m'avaient inspiré le courrier suivant en 2002. Le responsable de Clio (pour rappel, c'est la muse de l'Histoire, ce nom traduit donc une prétention de rigueur scientifique) n'a pas compris ma réaction: 1) Clio publiait aussi des articles sur l'Arménie (ses sites archéologiques, etc.), sous entendu l'équilibre était ainsi respecté, il n'y avait aucune raison de se plaindre 2) les auteurs étaient seuls responsables de ce qui était publié (ce monsieur aurait-il publié un texte d'un révisionniste de la Shoah en s'en lavant les mains, ou un livre d'Histoire des Allemands oubliant l'extermination des Juifs et des Tsiganes, sous prétexte qu'il offrait aussi des articles sur les beautés d'Israël? Non bien sûr, et heureusement). Bref, on peut se faire une idée soi-même en allant lire les articles en question sur le site de Clio ( en passant par les liens de celui d'Yves Ternon ), car ils y sont toujours.

 

Lettre aux éditions CLIO

C'est avec intérêt que j'ai lu l'article apparemment érudit intitulé “les Turcs” et celui sur Istanbul de Jean-Paul Roux que vous présentez. La fin du premier en particulier arracherait des larmes : il semble qu'il ne tienne qu'à un miracle que ces pauvres Turcs aient survécu “après tant de vicissitudes”. Heureusement, souligne l'auteur, “ils ont eu des enfants”. Pas un mot, lorsqu'il parle des “trois derniers siècles”, de ceux qui n'ont pas survécu, parce qu'ils n'ont pas eu d'enfants, ayant été exterminés en masse avant d'avoir eu le temps de grandir. Pas un mot pour expliquer pourquoi, de 2 100 000 Arméniens en 1915, on est passé aujourd'hui à 60 000. Ah oui, ils sont tous partis “volontairement” vers leur Créateur, en laissant – volontairement – leurs biens et leurs cadavres derrière eux... Et où sont passés les Juifs, si heureux dans la société tolérante qu'il décrit? Dans le texte sur Istanbul, rédigé avec une émotion touchante, pas un mot des quartiers arméniens vidés, ou de la communauté juive. Entre sa visite il y a 50 ans et sa visite récente, tout cela a disparu, pourquoi? Il nous parle sans donner la moindre explication du “départ des Grecs” , qui étaient pourtant là depuis l'antiquité. Un joli nom, par exemple, pour les massacres de Smyrne. Et il évoque l'arrivée massive des Kurdes d'Anatolie (en touristes, sans doute?). Surtout ne pas dire que ces familles kurdes déracinées ont été arrachées à plus de 3000 villages détruits ces dernières années par l'armée turque, que les gosses, au lieu d'aller à l'école, mendient et sniffent des solvants à longueur de journée, et ont des lésions cérébrales irréversibles. Peu importe, d'ailleurs, qu'ils meurent jeunes, puisqu'ils n'ont pas d'avenir. Surtout ne pas dire non plus que les Janissaires étaient des petits chrétiens kidnappés puis transformés en fauves avant d'être lâchés sur leurs propres familles. Une vision aussi sélective des choses ne lui procure-t-elle aucun avantage? Ces articles que Clio a mis en ligne sont de véritables insultes à des millions de gens persécutés, exterminés, torturés dans le passé et encore actuellement. Pour ma part, j'ai un immense respect et une infinie estime pour tous les Turcs qui luttent pour le respect des droits de l'homme, et celui de l'Histoire. Aucun pour les “spécialistes” européens qui bien au chaud et à l'abri dans des pays démocratiques, font le jeu d'un gouvernement étranger qui ne l'est pas. Reste que s'agissant là d'un domaine que je connais, je suis en mesure de détecter les “omissions” volontaires. Si c'est avec la même objectivité que sont rédigés les articles des autres chercheurs, mieux vaut s'abstenir de les lire. Et si c'est cela, la culture chez Clio, je préfère lire Marie-Claire, dont les articles de fond sont souvent excellents.

D. Hacyan, universitaire. (mai 2002)

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