Heinrich Vierbücher

Arménie 1915

Témoignage d'un officier allemand

Pasteur Naumann

Par le traité de Berlin de 1878, la Turquie s’engageait solennellement à pratiquer une réforme intérieure et surtout à créer des garanties pour la vie des minorités chrétiennes. Car, à la suite de plusieurs massacres, il s’était constitué un front unique contre le gouvernement d’Abdul Hamid.

La Turquie signait tout, et ne tenait rien. Et ceci était entièrement approuvé par Monsieur Naumann.

Bien qu’entre temps de nouvelles tueries aient eu lieu, il écrivait en 1898 :

« Par l’intervention des Russes et des Anglais au congrès de Berlin d’il y a vingt ans, des réformes concernant les Arméniens ont été décidées. Le point essentiel à nos yeux consiste dans le pourcentage élevé d’Arméniens dans le gouvernement d’état, ce qui est une provocation subversive aux yeux des Turcs. Si cette exigence est mise en pratique, les Arméniens deviendront logiquement anti-turcs, même si aujourd’hui ils sont encore de braves citoyens du sultan, somnolents et payants. Pour cela, la Sublime Porte ne pouvait faire que des promesses devant l’Europe unie, des promesses qui, selon Bismarck, dureraient tant que durerait inchangée la situation dans laquelle elles avaient été faites. »


Comme on le voit, pour Monsieur le Pasteur, les conceptions turques comptaient plus que la vie menacée de centaines de milliers d’hommes, plus aussi que le droit international.

C’est donc ainsi que la morale du « chiffon de papier » fut déjà enseignée il y a trente ans.

Et maintenant, nous voulons laisser la parole au Naumann de 1898 dans l’exposé suivant qui est une partie intéressante de son éthique politique :

« Le récit des supplices présenté par Lepsius dépasse tout ce que nous connaissons jusque-là. Qu’est-ce qui nous empêche d’arrêter l’action du Turc et de dire : ’À bas, misérable !’. Ce qui nous empêche est le fait qu’il puisse répondre : ’Moi aussi je combats pour ma vie !’. Malgré les griefs contre la barbarie sanglante islamique, nous croyons au bien-fondé des Turcs, car la question arménienne et le massacre des Arméniens sont en première ligne une question de politique inter-turque. Et un vieux grand état ne peut pas se laisser achever sans une dernière tentative sanglante ».

C’est pendant son voyage au Saint-Sépulcre que ce Monsieur a écrit ces paroles « chrétiennes » ! Il savait que le jour de Noël 1895 mille deux cents Arméniens avaient été brûlés vif dans la cathédrale d’Urfa. Continuons d’entendre les points de vue de ce politicien mondial :


« Il nous faut savoir que notre politique en Orient est établie pour longtemps, car nous appartenons au groupe des protecteurs de la Turquie : notre propre pouvoir d’état contribuera à freiner les éventuels succès chrétiens et humanitaires tendant à améliorer les conditions de vie des Arméniens. Les chrétiens anglais se comportent autrement. Lorsque leurs efforts religieux ont du succès, leur pays a la possibilité de faire pression sur la Turquie. Pourquoi n’avons-nous pas cette méthode ? Ne serait-ce pas plus beau et plus noble pour nous aussi de saper les Turcs ? Celui qui défend les droits des opprimés doit nécessairement agir ainsi. Alors, pourquoi ne pas défendre la liberté, le progrès, la justice en Arménie ? Que nous importe le vieil état pourri turc ? Ici entrent en compte des considérations qui dépassent la question arménienne. Il s’agit de savoir pourquoi l’Allemagne dans son état actuel de puissance ne peut mener une politique à l’anglaise. Les Anglais peuvent soutenir les Arméniens parce qu’ils sont aussi capables d’intervenir par la force, tandis que nous devons encore développer notre puissance. Il est de notre devoir de reconnaître et d’attendre le moment propice et d’accomplir de cette manière une partie de la volonté de Dieu. »


Accomplir la volonté de Dieu consiste donc pour cet homme de Dieu à penser ainsi : « Des centaines de milliers d’hommes seront massacrés. Il faut s’en indigner – par devoir. Les assassinés sont des chrétiens. Bien sûr on devrait être triste et en vouloir aux meurtriers. Car pareil meurtre – ce n’est pas très beau ! Et puis, on est quand même un brave chrétien, mais c’est conforme à la volonté expresse de Dieu que la banque allemande finance le chemin de fer de Bagdad. Dieu est suffisamment intelligent pour reconnaître que l’état turc est un tas d’ordures, mais avec la vocation spéciale d’être le champ d’action des missions militaires allemandes. Les Turcs accomplissent la volonté de Dieu en étant des crapules, des bourreaux, des barbares ignorants, tandis que les Allemands comprennent la volonté de la Providence en devenant poètes, penseurs, généraux, pasteurs et sociaux-démocrates. D’où la conclusion à tirer : la Turquie n’a pas à se désagréger aujourd’hui, car demain elle doit revenir aux Allemands. Et si d’ici-là quelques centaines de milliers d’hommes innocents doivent être assassinés, dommage ! dommage !, mais cela est sans doute compris dans la volonté de Dieu. »

Métaphysique, tu es devenue la prostituée du pouvoir !

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