Heinrich Vierbücher

Arménie 1915

Témoignage d'un officier allemand

Introduction

Une amitié de longue date lie ma famille au pasteur Gessarentz et à sa femme. Amitié et confiance maintes fois confirmées au fil des ans.

Le pasteur Gessarentz étant notre plus proche voisin d’origine arménienne, nous nous rendons souvent visite et c’est tout naturellement que nous parlons d’un sujet qui est notre commun souci : le destin du peuple arménien.

Né pratiquement avec le siècle, M. Gessarentz, contrairement aux autres membres de sa famille, a pu échapper au génocide perpétré par les Turcs car il était en 1915 dans un orphelinat allemand. Par contre, il a connu la captivité lorsque les Turcs ont pris Smyrne en 1922 emmenant les jeunes Arméniens qui se trouvaient dans un établissement scolaire américain.

Ayant tenu un journal depuis son adolescence, ce que me racontait M. Gessarentz au cours de nos visites n’était pas le récit déformé, par le temps ou la mémoire, d’événements passés, mais bien des faits précis et concrets.

Outre son séjour dans un orphelinat allemand à Marache puis à Harounié, les études supérieures effectuées outre Rhin après sa libération des geôles turques ont permis à M. Gessarentz de maîtriser la langue de Goethe. Sa bibliothèque est riche en ouvrages édités en Allemagne et il possède en particulier de nombreux livres qu’il a lus, relus, annotés, comparés, livres traitant de l’Arménie et des Arméniens, et surtout du Génocide.

Je profitais aussi de cette documentation, source précieuse entre toutes, car elle provenait d’un pays allié de la Turquie durant la Première Guerre mondiale.

C’est ainsi que j’ai eu connaissance du livre Armenien 1915 de Heinrich Vierbücher. Je me suis permis de suggérer à M. et Mme Gessarentz que la traduction verbale qu’ils m’en faisaient soit transformée en traduction écrite afin qu’un large public ait accès à ce témoignage qui semble digne d’intérêt.

C’est donc le résultat de ce délicat et difficile travail du couple Gessarentz ─ mais surtout de Madame pour la traduction ─ qui est présenté dans cette brochure.

Le lecteur de souche non arménienne pourra s’étonner de ce que soixante-dix ans après un événement ─ certes tragique et capital pour le destin du peuple arménien ─ il se trouve encore des hommes et des femmes qui refusent de considérer cette affaire comme classée alors que l’actualité projette chaque jour sur le devant de la scène son lot d’horreurs, d’injustices, de barbarie dont le dernier en date fait oublier celui de la veille.

Dans un monde où la météo du week-end et l’état des routes et de la circulation sont plus importants que ce qui se passe au Liban (par exemple), quels sont donc ces hommes et ces femmes de tous milieux, de toutes conditions sociales, jeunes ou d’un âge avancé, qui, négligeant quiétude et recherche des plaisirs vantés par les médias, s’acharnent à rappeler à chacun un génocide que les États, tous les États, voudraient enterrer ?

Quels sont donc les mobiles de ces « fanatiques », de ces « illuminés », de ces David sans fronde s’avançant contre des Goliath super-équipés ? Quelle folie pousse ces prophètes à crier dans le tohu-bohu de l’actualité ? On voudrait couvrir leurs voix, les chasser comme on chasse une mouche importune qui vous empêche de somnoler en paix. Mais ils reviennent encore et toujours bourdonner autour de vous, que vous soyez au calme ou en plein travail, en vous ressassant sans cesse : « Les Arméniens ! le Génocide ! Turcs assassins ! Justice, justice, justice pour le peuple arménien ! ».

Qui sont ces fous, d’où sortent-ils, que veulent-ils ? Lorsqu’on veut répondre à ces questions, on constate que ce sont en général et en apparence des gens posés, sensés, raisonnables : ouvriers, cadres, techniciens, ecclésiastiques. Personnes estimées dans leurs activités professionnelles, dans leurs quartiers. Leur seul défaut : parler à temps et à contretemps du génocide perpétré par les Turcs et réclamer justice !

On les croyait pragmatiques, réalistes, voire même matérialistes, et ils étonnent par leur idéal, leur quête inlassable et leur foi de et en la justice et le droit.

Poursuivant la reconquête de leur patrie arrachée, ils n’ont que leur Verbe à opposer au chantage quotidien de l’Argent, du Commerce International, de la situation stratégique. Oui ! ils n’ont que le Verbe contre des forces militaires colossales ; mais ce Verbe dérange.

Leur combat ne se limite pas à des intérêts personnels, mais est universel.

Facile à dire, exagération manifeste penserez-vous peut-être.

Je prendrai, pour étayer mon argument, un fait différent de celui maintes fois avancé de l’holocauste des Juifs et la phrase d’Hitler : « Qui donc parle encore aujourd’hui de l’extermination des Arméniens ? »

En 1964, le Centre d’Études Arméniennes, en quatrième page de couverture de la brochure, Le Deuil National Arménien, rappelait qu’une stèle avait été érigée en l’honneur de Talaat, père du génocide de 1915, et disait :

« AUJOURD’HUI une statue pour Talaat,

DEMAIN un monument pour Hitler, Eichmann et consorts à Berlin… »

Au cours de différentes manifestations, ce même Centre d’Études faisait envoyer des télégrammes au gouverneur turc pour que cesse la glorification du criminel Talaat et que la stèle soit enlevée. Personne n’a alors réagi hors des milieux arméniens, et aujourd’hui, peu à peu, insidieusement, la prophétie se réalise. Oh ! nous n’en sommes pas encore au transfert en grande pompe des cendres d’Eichmann et à l’érection de stèles ou monuments à la gloire des bourreaux nazis des Juifs ! Nous n’en sommes qu’à la négation des chambres à gaz, à la rédaction de thèses obtenant la mention « Très bien » et devenant ouvrages de références imitant en cela encore une fois les multiples publications dont les Turcs inondent les bibliothèques et soutiennent que ce sont les Turcs qui ont subi un génocide !

Nous en sommes au stade d’Hommes d’État au passé douteux qui accèdent aux plus hautes fonctions…

Et paraît-il, ces thèses concernant la non existence de chambres à gaz nazies soulèvent des vagues d’indignation !

Personnellement, je suis indigné par ces vagues d’indignation. Car depuis plus de vingt ans l’opinion publique était prévenue : lorsqu’on n’extirpe pas la cause du mal, il prolifère et sème à tout vent, aujourd’hui pour les Juifs, demain pour d’autres. Oui, c’est un combat universel que mènent les Arméniens.

Et si un jour les persécutions, massacres, génocides, assimilations, pertes d’identité et de mémoire les effacent de la surface de la terre et que disparaissent ces voix qui aujourd’hui crient dans le désert, alors ce seront les pierres du précipice de Kémach, des chemins des convois jusqu’au désert de Deïr-es-Zor qui prendront le relais.

Puis lorsque ces pierres se seront tues, brisées à leur tour par l’injustice et le mal, le temps de grâce et du droit étant achevé, viendra le temps des assassins.

Il sera alors trop tard pour rattraper les occasions perdues et réaliser les solutions adoptées.

Mais il est encore possible de servir la justice, de réparer l’iniquité, de prendre conscience des dangers qui menacent l’Occident.

C’est pour aider à cette prise de conscience, c’est pour vous inciter à combattre le mal à sa racine, que Armenien 1915 a été traduit et mis entre vos mains.

Maintenant, vous savez, vous ne pouvez plus esquiver vos responsabilités. Puissiez-vous les assumer pleinement et lutter pour qu’enfin justice soit rendue au peuple arménien, pour que justice vous soit rendue.

Jacques Nazarian

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