Heinrich Vierbücher

Arménie 1915

Témoignage d'un officier allemand

La furie fait rage

Un missionnaire américain du collège de Mersivan (vilayet de Sivas) fait le rapport suivant :

« Début juin, les autorités ont torturé quelques Arméniens pour les forcer à avouer la possession de quantités d’armes. Ces aveux furent obtenus par la bastonnade, le fer et d’autres tortures, puis répandus pour pousser à l’extrême la fureur de la population turque.

« Les hommes de Mersivan de toutes conditions et de tous âges, y compris des malades tirés des lits, furent brutalement rassemblés, dépouillés de leurs chaussures puis emmenés, pieds-nus, par groupes de 30 à 150 sur le chemin de la déportation. En cours de route, ils furent tous massacrés. Puis ce fut le tour des femmes et des enfants, autorisés à emporter des vivres pour un jour. Même les instituteurs et les élèves devaient prendre le chemin de la mort bien que, sur la requête du directeur d’école arménien, Enver Pacha leur eut accordé le droit de rester.

« Sur les 12 000 habitants arméniens de la ville, quelques centaines seulement ont échappé aux massacres.

« Un soldat arménien blessé, s’en revenant du front vers son village natal Zileh, dit avoir vu comment on ferra la plante des pieds de l’évêque de Sivas. Le gouverneur avait motivé cette torture par ces paroles : “C’est un évêque ! On ne peut quand même pas le laisser aller pieds nus !”

« Les hommes de Zileh furent attachés les uns aux autres, emmenés hors de la ville et abattus. Les femmes sommées de passer à l’Islam. Comme elles refusèrent, elles furent poignardées devant leurs enfants.

« Les instituteurs de l’école américaine de Kharpout furent atrocement torturés avant leur exécution. En prison, on arracha les cheveux et la barbe des professeurs Tenekedjian et Budjiganian pour les forcer à faire des aveux et on les suspendit nuit et jour par les mains. Un autre professeur perdit la raison lorsqu’il fut obligé de regarder comment on battait à mort quelques Arméniens.

« Le gouverneur prit lui-même part à la torture du professeur Luledjian. Il le battit si longtemps qu’il en fut fatigué, puis il dit : “Que celui qui aime sa religion et son peuple continue à frapper”.

« À Diarbekir, on procéda de la même manière qu’à Trébizonde. D’abord vingt-six notables, dont le prêtre Alpiar, furent tués en prison, la jeune femme du prêtre violée par dix gendarmes et torturée presque à mort. Après on chargea 674 hommes sur des radeaux pour les jeter dans l’Euphrate au cours du trajet. Ceux d’entre eux qui essayaient de se sauver à ta nage furent fusillés par les gendarmes. Cinq prêtres furent déshabillés, badigeonnés de goudron et promenés par les rues de Diarbekir.

« Un sous-officier se vanta d’avoir fusillé, avec la collaboration de cinq gendarmes, 700 Arméniens sans arme sur la route de Diarbekir à Ourfa. Le préfet de Lidscheh, s’étant refusé de faire exécuter les Arméniens, sur un ordre du gouverneur transmis oralement, fut destitué et assassiné sur le chemin de Diarbekir.

« Sur les 3 000 hommes de la région de Sassoun transportés à Kharpout, tous, à l’exception de trois, furent abattus. »

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