François Surbezy

Les Affaires d'Arménie et l'Intervention
des Puissance Européennes (de 1894 à 1897)

Du droit des Puissances à l'intervention en faveur des Arméniens

Droit d'intervention pour les puissances européennes dans les affaires de la Turquie. - Confirmation de ce droit aux traités de San Stephano et de Berlin.

La Turquie nous présente l'exception la plus remarquable au principe de la non-intervention que les puissances européennes admettent dans leurs relations internationales. L'intervention dans les affaires intérieures de la Turquie « fait partie, pour ainsi dire, du droit coutumier de l'Europe »1.

Elle se produit tantôt contre la volonté du sultan, tantôt avec son assentiment, quelquefois même sur sa demande, quitte à essayer de s'y soustraire dans la suite s'il prévoit qu'elle pourra avoir des conséquences fâcheuses pour lui. Dans ces conditions, il ne peut guère répudier l'intervention de l'Europe, et celle-ci, de son côté, ne saurait y renoncer sans manquer à tous ses devoirs de justice et d'humanité, puisqu'elle n'a que ce moyen pour défendre les populations chrétiennes opprimées par les Turcs.

La Porte reconnut d'ailleurs formellement ce droit au traité de San Stéphano et, un peu plus tard, au Congrès de Berlin.

Le traité de San Stéphano du 3 mars 1878 mit fin à la guerre entre la Turquie et la Russie ; celle-ci, victorieuse, imposa à la Porte les conditions de la paix. Par l'article 16 de ce traité, la Turquie dut s'engager « à réaliser sans plus de retard les améliorations exigées par les besoins locaux dans les provinces habitées par les Arméniens et à y garantir la sécurité contre les Kurdes et les Circassiens ». Cette disposition autorisait la Russie à un contrôle sur les relations entre la Porte et l'Arménie, et, éventuellement, à une intervention. La Porte lui consentait également d'importantes cessions territoriales.

Le gouvernement anglais fit savoir au gouvernement russe que la situation de l'Empire ottoman, consacrée par les traités européens de 1856 et de 1871, ne pouvait être modifiée que par un traité européen et que, par conséquent, tout traité entre la Russie et la Porte qui modifierait cette situation, devrait avoir l'approbation des grandes puissances européennes. L'Angleterre fit partager cette manière de voir aux gouvernements européens, la Russie ne la contesta pas et le Congrès se réunit à Berlin le 13 juin 1878, sous la présidence du chancelier de l'empire d'Allemagne, le prince de Bismark.

Quelques jours avant, le 4 juin 1878, l'Angleterre avait signé avec la Porte un traité par lequel elle se faisait livrer l'île de Chypre, qui devait lui servir de base d'opérations contre toute tentative d'invasion russe. Il était dit dans ce traité, que les réformes à réaliser en Arménie seraient arrêtées par les deux puissances contractantes.

A Berlin, la Russie fut obligée de renoncer à de nombreux avantages que lui avait accordés le traité de San Stéphano. La stipulation de l'article 16 de ce traité, toute en faveur de la Russie, fut en quelque sorte généralisée au profit des puissances signataires du traité de Berlin : l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie, la France, la Grande-Breta-gne, l'Italie et la Russie.

L'article 61 du traité de Berlin est, en effet, ainsi conçu : « La Sublime Porte s'engage à réaliser, sans plus de retard, les améliorations et les réformes qu'exigent les besoins locaux dans les provinces habitées par les Arméniens, et à garantir leur sécurité contre les Circassiens et les Kurdes. Elle donnera connaissance périodiquement des mesures prises à cet effet aux puissances qui en surveilleront l'application. »Telle est la genèse diplomatique de la question arménienne.

Le droit pour l'Europe d'intervenir dans les affaires d'Arménie est donc indiscutable. Nous allons voir de quelle façon elle l'a exercé dans la question des réformes à introduire dans ces provinces.

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1)
Calvo. Droit international, t. I, p. 314.

LES AFFAIRES D'ARMÉNIE ET L'INTERVENTION DES PUISSANCES EUROPÉENNES (DE 1894 A 1897)

par François SURBEZY (Avocat)

Université de Montpellier – Montane, Sicardi et Valentin successeurs, 1911

Thèse pour le doctorat.

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