J. Naayem

Les Assyro-chaldéens et les Arméniens
massacrés par les Turcs

Les massacres de Diarbékir

III
La petite Wahida

A la même époque, à Alep, au cours d’une visite à M. Antoine Roumi, j’ai rencontré chez lui <p.166> une fillette chaldéenne de Diarbékir âgée de 12 ans et appelée Wahida. C’était une parente de M me Roumi. Sa mère, survivante des massacres, impuissante à la nourrir, les Turcs ayant pillé sa maison et tué son mari, l’avait envoyée de Diarbékir à Alep. Je lui demandai ce qu’elle avait vu et elle me raconta ce qui suit :

Wahida chaldéene de DiarbékirMon père qui s’appelait Naoum Abid était commissaire municipal. Lors des arrestations il se cacha, de peur d’être tué. La patrouille faisant un jour sa ronde arriva chez nous et, prétextant qu’elle voulait de l’eau-de-vie que nous venions, sous fit ouvrir la porte. Les gendarmes pénétrèrent dans notre demeure, cherchèrent dans tous les coins et recoins et finirent par trouver mon père qu’ils emmenèrent. Ma mère et moi nous nous mîmes à pleurer. Mon père fut jeté en prison. Quelques jours après un sbire vint me dire que mon père voulait me voir. Je m’y rendis aussitôt. Mon malheureux près m’embrassa avec effusion et se mit à pleurer. Il me demanda comment allaient ma mère et mes petits frères Mikhaël et Suléïman et comment ils supportaient leur malheur. Il pleurait plus abondamment encore. Je le consolai. Après être restée près de lui durant trois heures un agent de police vin m’arracher de ses bras. Il m’emmena à l’étage supérieur dans une pièce qui donnait sur celle où se trouvait mon père. Puis par une fenêtre je vis des agents <p.167> de police pénétrer dans la cellule où se trouvait mon père. Les bourreaux armés de gourdins et d’autres se servant de la crosse de leurs fusils frappaient mon père à coups redoublés. Ils lui assénaient des coups sur la tête qui le faisaient crier et sangloter, puis ils le lardaient de coups de poignard. Avec un couteau pointu ils lui crevèrent les yeux, lui tailladèrent le ventre. Je pleurais, je criais, puis, affolée, j’entrouvris la porte et je m’enfuis.

Je me rendis en pleurs à la maison où je racontai à ma mère ce que j’avais vu. Ma mère, prise d’une crise nerveuse, se mit à crier et dans ses crispations elle s’arrachait les cheveux. Mon petit frère courut en pleurant informer tous les parents du triste sort qui avait été réservé à mon père et le deuil commença.

Ma mère pressentant que nous n’allions pas tarder à subir le même sort chercha à fuir. En femme courageuse elle réunit autour d’elle tous ses enfants et c’est en traversant les maisons d’une terrasse à l’autre qu’elle put finalement trouver un gîte sûr. Elle nous sauva ainsi de la mort. Lorsque l’orage fut passer, nous rentrâmes chez nous pour constater que tout le mobilier avait été pillé.

Ne pouvant plus habiter une maison vide, sans argent et sans ressources, ma mère dut <p.168> prendre du service dans des familles turques de Diarbékir pour subvenir à nos besoins. Mais sont travail ne parvenant pas à nous nourrir elle fut obligée d’envoyer une partie de ses enfants chez notre oncle Pétioum, à Alep. <p.169>

  
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J. Naayem, Les Assyro-chaldéens et les Arméniens massacrés par les Turcs.
Documents inédits recueillis par un témoin oculaire, Paris, Bloud § Gay, 1920
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