Le génocide arménien dans les Archives allemandes

Ambassade impériale d'Allemagne

Thérapia, le 30 juin 1916

 

J'ai discuté avec Talaat Bey et Halil Bey de la déportation des Arméniens travaillant dans le secteur de l'Amanus. Je leur ai fait remarquer qu'en prenant cette mesure qui porte préjudice à la conduite des opérations militaires, le gouvernement turc donne l'impression de faire lui-même tout ce qu'il peut pour perdre la guerre.

Ce comportement est instructif à bien des égards. Des gens comme Talaat et Enver savent fort bien qu'en perturbant la construction et l'exploitation de la ligne de chemin de fer dans la région de l'Amanus, le gouvernement compromet du même coup l'issue de la guerre. Mais personne ici n'est plus en mesure de mater l'hydre du Comité ni de juguler le chauvinisme et le fanatisme. Le Comité exige que les Arméniens soient exterminés jusqu'au dernier et le gouvernement doit céder. Mais le Comité ne se limite pas à l'organisation du parti gouvernemental dans la capitale. Il est présent dans tous les vilayets. Du vali au kaïmakam, chaque fonctionnaire se voit adjoindre un membre du Comité chargé de l'assister ou de le surveiller. La déportation des Arméniens a repris partout. Mais les loups affamés du Comité n'ont plus grand-chose à attendre de ces malheureux, si ce n'est l'assouvissement de leur soif frénétique de persécution. Leurs terres sont confisquées depuis longtemps et leurs biens ont été liquidés par une soi-disant commission : si, par exemple, un Arménien possédait une maison évaluée à 100 livres turques, elle était adjugée à un Turc, ami ou membre du Comité, pour environ 2 livres. Il n'y a donc plus grand-chose à attendre du côté des Arméniens. Aussi la meute guette-t-elle dès maintenant avec impatience le moment où la Grèce, poussée par l'Entente, se déclarera contre la Turquie ou ses alliés. Il y aura alors des massacres encore plus sanglants que ceux des Arméniens. Les victimes sont plus nombreuses et le butin plus tentant. L'hellénisme fait partie intégrante de la culture turque. Il sera détruit, tout comme l'élément arménien, si des influences étrangères ne s'y opposent pas. Turquifier veut dire chasser ou tuer, faire disparaître tout ce qui n'est pas turc et s'approprier par la force les biens d'autrui. Cela, et brailler des slogans révolutionnaires français : voilà en quoi consiste pour l'instant la glorieuse renaissance de la Turquie. Des hommes comme Talaat, qui désirent sincèrent faire progresser la Turquie, même s'il pense avant tout, lui aussi, à la conquête du pouvoir, sont obligés de se rallier à l'hydre du Comité.

Metternich

à Son Excellence le Chancelier impérial, Monsieur von Bethmann Hollweg.

Source : J. Lepsius, Archives du génocide des Arméniens, Fayard, 1986.

Archives allemandes sur Internet : http://armenocide.net

Nous écrire Haut de page Accueil XHTML valide CSS valide