Y.Ternon, Mardin 1915 Livre II. Anthologie de récits de la grande Catastrophe.

I. RÉCITS DU SANDJAK DE MARDIN
(référencés SM)

1. Récits de Tell Armen

histoire de georges mansourati, fils d’hanna mansourati

(aménagé d’après Al qouçara, trad. [B], pp. 435-439)

Lorsque les notables du village sont arrêtés, Georges se cache dans le poulailler de sa maison. Mais les soldats le découvrent et le conduisent dans l’église où tous les Arméniens sont rassemblés. Le 1er juillet, les Kurdes pénètrent dans l’église et commencent à exécuter les chrétiens un à un. Georges prend son enfant et va vers le confessionnal pour le protéger. Un Kurde l’aperçoit et le frappe. Il fait semblant d’être mort pendant que son agresseur le déshabille. Les Arméniens qui n’ont pas encore été tués se sont regroupés autour du corps de Georges. Avant d’être exécutées, les victimes poussent des hurlements. Leurs cadavres s’entassent sur Georges qui reste silencieux, son fils dans ses bras. Une jeune fille qui repose sur lui est tuée après avoir refusé d’apostasier. Lorsque, ayant achevé leur travail, les assassins quittent l’église, trois femmes kurdes y entrent. Elles demandent à leurs hommes de leur donner des couteaux pour « fertiliser leurs mains ». Elles examinent les corps, en frappent quelques uns, arrivent à Georges qu’elles frappent à la cuisse sans qu’il bouge. Puis elles partent.

Au coucher du soleil, les soldats entrent à nouveau dans l’église. Ils demandent aux survivants de se montrer car, affirment-ils, le gouvernement a ordonné que le massacre ne dure pas plus de trois heures. Quatre blessés se relèvent et suivent les soldats qui les tuent en dehors de l’église. Georges, lui, ne révèle pas qu’il est toujours vivant. Il reste caché trois jours, puis sort de l’église, retrouve sa tante et sa belle-sœur et rejoint Gulié où il reste quelque temps avant d’aller à Mardin. Un autre Arménien, Mansour Sahar, reste caché plusieurs jours. Puis il s’habille en Kurde et prend la route de Mardin. Il rencontre un groupe de miliciens Al Khamsin qui lui demandent son origine et son domicile. Il parvient à les tromper. Plus tard, lorsqu’il revient chez lui, on ne le reconnaît pas. Il reste caché jusqu’en août, puis s’enfuit dans le Sindjar.

2. Récit de Gulié

[J. Rhétoré, pp. 196-200]

J’ai choisi de reproduire ce texte parce qu’il illustre la façon dont un chroniqueur, à partir de témoignages authentiques, les développe en un récit édifiant – comme on pouvait le voir à l’époque dans les ouvrages de prix destinés aux élèves des écoles chrétiennes – et les aménage en fonction <p.316> de ses propres préjugés – l’entretien avec l’ingénieur allemand est, à ce titre, exemplaire.

« Notons un autre incident des événements de Gulié. Un catholique [syrien catholique] de ce village et ses deux fils, dont le plus jeune pouvait avoir vingt ans, fuyaient dans la campagne lorsqu’ils furent arrêtés par des zaptiés qui les prirent pour des Arméniens et les amenèrent en ville où ils furent mis en prison. Les chefs de la prison leur dirent : “ Faites-vous musulmans ou bien vous mourrez ”. “ Mourir, dit le père, nous ne le voudrions pas, mais pourtant nous ne voulons pas nous faire musulmans ”. Aussitôt on leur arracha leurs habits et ils pensèrent qu’on allait les tuer. “ Courage, dit le plus jeune des fils à son père. Serre les poings de toutes tes forces quand tu souffriras trop. C’est une affaire de cinq minutes au plus. Après cela, notre âme s’envolera au ciel comme un oiseau ”. Les gardiens de la prison les rouèrent de coups de bâtons jusqu’à ce que leurs bras en fussent fatigués. “ Eh bien, dirent-ils ensuite à leurs victimes, la raison est-elle enfin entrée dans vos caboches ? Acceptez-vous d’être musulmans ?” “Non, dit le père. Pour le reste, faites de nous ce que vous voudrez”. Les barbares se contentèrent de prendre leurs habits avec l’argent qu’ils avaient sur eux, mais ils les laissèrent en prison. Après que la porte de la prison se fut refermée sur eux, le plus jeune fils demanda à son père et à son frère : “ Avez-vous souffert beaucoup quand on vous a frappés ?”. Le père se recueillit pour répondre et dit : “C’est étonnant, je m’aperçois maintenant que je n’ai rien senti ”. “ Ni moi non plus, dit le fils aîné ”. “Ni moi, dit à son tour le plus jeune ”. Ils regardent si leurs corps portaient la marque des coups ; il n’y avait rien et ils se sentaient aussi frais de corps que des gens qui ont bien reposé. Ils reconnurent la protection de Dieu et ils l’en bénirent ensemble. On put obtenir leur relâchement et ce sont eux-mêmes qui ont fait le récit de leur histoire à l’évêque syrien, Mgr Tappouni. Dans ces événements, on a vu plusieurs fois des chrétiens préservés par une grâce de Dieu du sentiment de la douleur au milieu des tourments.

Ce brave père que la main de ses geôliers ne put faire mourir fut appelé par Dieu six mois plus tard. Il mourut de sa belle mort et en bon chrétien, mais après avoir été dépouillé de tous les biens qu’il possédait. Son fils aîné était allé à Alep pour gagner par son travail de quoi subvenir aux besoins de ses parents. Chemin faisant, il rencontra un ingénieur allemand qui le connaissait et lui demanda : — Qu’est devenu Gulié ? — Gulié n’existe plus et presque tous ses habitants ont été tués. — Qui a ordonné ce massacre ? — C’est vous, Allemands. — Non, les Allemands voulaient la déportation et non le massacre des chrétiens. — Ainsi, conclut l’homme de Gulié, de votre propre aveu vous reconnaissez que <p.317> les Allemands ont eu la main dans les malheurs des chrétiens et nous, nous restons persuadés que les Allemands étaient d’accord avec les Turcs, même pour leur massacre. L’ingénieur fila son chemin dans son automobile en se disant sans doute : “Nous sommes méprisés par les survivants chrétiens. Il eut peut-être mieux valu n’en pas laisser un seul” ».

3. récits de bénébil et de deir-al-zaafaran

Il apparaît que les autorités ottomanes ont donné l’ordre de ne pas attaquer le monastère, siège du patriarcat, mais que les soldats ont reçu l’autorisation d’y exercer un droit de poursuite des hommes réfugiés, en accord avec le patriarche jacobite, et que le commandant de la troupe, Nouri-el-Ansari, s’enrichit en faisant payer une taxe de séjour aux réfugiés. Pour les habitants de Bénébil et de Kalat Mara, Deir-al-Zaafaran est, à double titre, un sanctuaire, un lieu à la fois sacré et inviolable.

La version du père Rhétoré présente, on l’a vu, les habitants de Bénébil comme des héros qui repoussent les Kurdes. Sans doute fait-il référence à la première journée de résistance des villageois que le frère Simon situe au 17 juin. La version Armalé, pleine de trahisons et de rebondissements et qui s’étale sur plusieurs mois est sans doute plus proche de la vérité.

Version Armalé

[Al qouçara (tr. B), pp. 420-428]

Deir-al-Zaafaran est, depuis le XIIe siècle, le siège du patriarcat jacobite. Lorsque les chrétiens apprennent le départ du premier convoi de notables de Mardin, le 10 juin 1915, 700 habitants des deux villages jacobites de Kalat Mara et de Bénébil montent au couvent avec leurs armes pour se protéger des Kurdes. Au début de juillet, les tribus kurdes Dachi et les Kurdes d’Omryan, de Rechmoul et de Kabalu se rassemblent pour attaquer le couvent. Ils partent avec leurs femmes, leurs enfants, leur bétail. Ils sont conduits par Khalil Ghazala, Ahmed Merzo et Nouri-el-Bitlissi, le chef des réservistes (rédifs) [Nouri-el-Ansari]. Arrivés à Deir-al-Zaafaran, ils demandent qu’on leur ouvre les portes. Abdelahad Yono de Bénébil réunit les chrétiens. Tous sont d’accord pour résister. Ahmed Merzo demande qu’on le fasse monter sur le toit en lui lançant une corde, afin qu’il puisse négocier. Les chrétiens refusent. Furieux, les Kurdes tirent sur le couvent toute la journée du dimanche 4 juillet, sans atteindre personne. Les assiégés répliquent et contraignent les assaillants à se retirer. Ils laissent cependant quelques hommes pour surveiller les lieux. Pendant trois mois, les Kurdes attendent en vain l’occasion de prendre le couvent. Mais le couvent reste encerclé par les soldats <p.318> de Nouri qui fait payer un droit d’entrée dans le couvent et, ensuite, une taxe de séjour [cf. supra, IVe Partie, chap. I, Kalat Mara). En octobre, les habitants de Bénébil rentrent dans leur village, tandis que ceux de Kalat Mara – dont le village a été détruit à la fin juin – fuient vers le Sindjar et le Khabour. Ainsi le couvent de Deir-al-Zaafaran fut épargné, mais les soldats continuèrent à exercer leur droit de poursuite. C’est ainsi que 5 Arméniens qui s’étaient réfugiés dans le couvent pour échapper aux Kurdes sont arrêtés par les soldats qui les avaient repérés. Conduits au nord du couvent, ils sont exécutés. [Suit, dans le livre du père Armalé, le récit du massacre de Kalat Mara, résumé dans le texte du Livre premier, suivi de celui de Bafaoua et de Maserta. Vient ensuite l’histoire de la résistance de Bénébil, différente de celle du père Rhétoré]

En juin, les habitants de Bénébil, apprenant les événements de Kalat Mara et Bafaoua, comprennent qu’ils partageront le sort de leurs voisins chrétiens s’ils restent dans le village. Ils prennent leurs fusils et se dispersent dans les vergers et les vignes, après avoir envoyé leurs femmes et leurs enfants à Deir-al-Zaafaran. à la fin du mois, les Kurdes d’Omryan et de Rechmoul montent, accompagnés, comme à l’accoutumée, de leurs femmes, de leurs enfants, de leur bétail, sur la colline qui domine Bénébil. Les villageois vont trouver les deux soldats ottomans en poste dans le village afin qu’ils demandent à Mardin des renforts pour éloigner les Kurdes qui restent sur la colline, attendant de se lancer sur le village pour tuer et piller. L’un des soldats va à Mardin, mais, comme il tarde à revenir, les villageois envoient des émissaires au chef des Kurdes d’Omryan, Khalil Ghazala, et lui demandent son aide. Khalil, accompagné de son frère, vient à leur secours avec 60 hommes. Les chrétiens les accueillent, leur préparent à manger et leurs offrent des fruits. Le soir, le soldat envoyé à Mardin revient avec 18 soldats qui leur promettent d’éloigner les Kurdes. Mais les gens de Bénébil se méfient et restent la nuit dans leurs vergers pour monter la garde.

Au lever du soleil, les Kurdes descendent dans le village et s’y installent, « tels des criquets, avec leurs ânes, leurs femmes et leurs enfants ». Ils sont plus de 10 000. Ils commencent par ouvrir le feu pour éprouver la résistance des chrétiens. Les villageois ne répliquent pas. Ils attendent de voir comment réagissent les soldats venus de Mardin. En fait, la troupe se joint aux Kurdes pour piller les maisons. Alors, les gens de Bénébil attaquent les Kurdes. Ils tuent trois hommes et deux femmes. Les Kurdes s’enfuient. Les soldats demandent à Khalil pourquoi il défend des infidèles que le gouvernement a demandé de tuer. Fidèle à ses engagements, le chef kurde reste sur sa position. Les soldats fabriquent alors un faux document, portant de fausses signatures de notables musulmans, <p.319> sur lequel est écrit : « Celui qui défend les chrétiens sera tué et ses biens confisqués. Celui qui aide à les tuer sera récompensé par l’état ». Ils font parvenir ce document à Khalil qui change alors de camp, mais explique aux soldats que les gens de Bénébil n’ont peur de personne et que, si on veut les avoir, il faut employer la ruse, les inviter à se rassembler dans l’église, les encercler et les tuer. Metto, le Dachi, va trouver les villageois. Il leur dit que leur ami Khalil propose de leur procurer les moyens de se défendre et de chasser leurs ennemis. Les hommes de Bénébil se méfient et demandent que Khalil vienne lui-même, ce qu’il fait, accompagné de 20 cheikhs kurdes. Les chrétiens se réjouissent et vont cueillir des abricots pour les offrir à leurs hôtes. Pendant ce temps, une partie des villageois restés à Bénébil fuient à Deir-al-Zaafaran. Khalil les interpelle. Furieux qu’ils se méfient, il les insulte et incite les Kurdes à les attaquer. Les autres villageois descendent de leurs abricotiers et s’enfuient à leur tour. Khalil capture Namah, le fils d’Hanna Khatouni, lui prend son fusil et le frappe. Namah parvient à s’enfuir et à rejoindre ses compagnons qui vont au couvent de Deir-al-Zaafaran. Les Kurdes les poursuivent et tuent 12 personnes. Ils tombent sur des bergers chrétiens qui gardent des troupeaux dans les environs du village, s’emparent du bétail et égorgent les jeunes garçons. Seul Farès, le fils de Chemmo, parvient à fuir.

Arrivés aux portes de Deir-al-Zaafaran, les villageois constatent que les soldats empêchent leurs femmes d’entrer dans le couvent. Ils escaladent les murs, s’emparent des clefs, ouvrent les portes et font entrer les femmes. Nouri-el-Bitlissi réussit à s’emparer de trois villageois, Youssef Barouki, Ibrahim Youssfi, et Georgos Brro, qu’il envoie à Diarbékir où ils sont exécutés. Ayant mis les femmes à l’abri dans le couvent, 70 hommes sortent de Deir-al-Zaafaran et retournent se cacher dans des grottes autour de Bénébil. La nuit, ils cherchent des légumes et des fruits pour se nourrir. Ils échappent aux Kurdes qui les traquent à maintes reprises, puis retournent à Deir-al-Zaafaran, où ils demandent à l’évêque Elias de Deir-al-Zaafaran de les accueillir. Celui-ci va trouver Nouri-el-Bitlissi et lui verse trente cinq livres pour qu’il leur permette d’entrer. C’est ainsi que les habitants de Bénébil restent trois mois, de juillet à octobre 1915, dans le couvent, chacun payant une mensualité à Nouri.

Puis Nouri est démis de ses fonctions et remplacé par Ibrahim. Celui-ci propose aux jacobites de Bénébil de se convertir à l’islam. Ils refusent. Alors Ibrahim fait entrer dans le couvent 20 soldats qui ligotent les hommes de Bénébil et les font sortir du couvent. Il demande à Farham, un chef dachi qui occupe Kalat Mara, de lui envoyer des hommes pour tuer les gens de Bénébil. Avant qu’ils arrivent, les hommes de Bénébil <p.320> sont conduits à Mardin où les fonctionnaires du gouvernement les envoient dans les villages pour effectuer les récoltes. Certains sont tués, d’autres rentrent à Bénébil et se cachent dans les montagnes jusqu’à la fin de la guerre.

Récit du pasteur Garabèd Ladho,

un survivant des massacres de 1895

[ Andrus, art. cit., p. 100]

Le pasteur donne une version différente des événements, mais, comme il avait donné aux villageois des conseils et que ceux-ci ne l’avaient pas suivi, il traduit sans doute son amertume en tirant une conclusion hâtive.

« J’ai vu les Kurdes arriver pour attaquer le village et j’ai donné l’alarme. C’était à l’aube. Les villageois se rassemblèrent et se placèrent sous ma direction, car je connaissais les tactiques des Kurdes, ayant longtemps vécu parmi eux. Je me mets à la tête des villageois et, soudainement, nous chargeons et dispersons les Kurdes, ce qui accorde aux habitants un répit pour rassembler ce qu’ils peuvent et envoyer leurs familles et eux-mêmes à Deir-al-Zaafaran et Mardin. [« La plupart des familles protestantes vont à Mardin et se rassemblent dans notre chapelle et dans les salles de classe au-dessus d’elle », note le révérend Andrus] Je conseille alors aux hommes qui dirigent le village et qui sont restés à Bénébil, de ne pas accepter l’invitation des soldats envoyés protéger le village : ceux-ci leur proposent de partager leur repas. Je ne leur fais pas confiance. Ils ne les ont pas aidés à chasser les Kurdes. Ils ne suivent pas mes conseils. Je quitte Bénébil, emportant quelques biens. J’avais auparavant envoyé ma femme et mes enfants à Mardin, en prévision des troubles. Les villageois me confièrent qu’ils préparaient de la nourriture pour les soldats et qu’ils la partageraient avec eux. Quand les soldats eurent fini de manger, ils se tournèrent vers leurs hôtes et les tuèrent. Apprenant cela, les Kurdes revinrent et aidèrent les soldats à piller le village ».

4. la famille abrat de nisibe

[Al qouçara [tr. B], p. 415]

Le 4 juin 1915, Razo se rend chez Girgès Abrat et lui ordonne de l’accompagner chez le procureur. Girgès est arrêté et transféré le 6 juin à Mardin où il rejoint les prisonniers déportés et tués le 11 juin. Ses fils, Abdelkarim et Habib, se réfugient à Dahdouchieh, chez le cheikh Ibrahim qui se porte garant de leur sécurité et de celle de leur famille. Le 13 juin, Abdelkarim est néanmoins arrêté et conduit en prison à Nisibe. à minuit, il est convoqué par l’officier qui commande la prison et fusillé. On trouve sur lui une lettre qu’il a reçue de son frère, Djerdji, et où figure cette <p.321> phrase : « Dis à Noumana el-Ghannam qu’il porte le colis de poires au Sindjar ». Abdelkarim est conduit chez le procureur qui lui demande ce que signifie « les poires » et l’accuse de correspondre avec le cheikh du Sindjar qui est un ennemi de l’état. Abdelkarim répond que les poires sont chez lui et que l’on peut aller vérifier. Le procureur le renvoie en prison.

La mère d’Abdelkarim va trouver le maire de Nisibe, Ibrahim, pour lui demander la raison de l’arrestation de son fils. Celui-ci répond que ses fils font partie d’une « société rédemptionniste » et qu’ils seront condamnés. Il lui apprend que Monseigneur Maloyan a été tué. Madame Abrat rentre chez elle bouleversée, mais ne révèle pas à ses fils ce qu’elle vient d’apprendre. Le lundi 14 juin, les syriens catholiques et les jacobites emprisonnés sont libérés. L’état les a graciés. Abdelkarim est relâché. Il s’enfuit aussitôt vers le Sindjar avec son frère Bassel. Le lieutenant Kadour, qui a dirigé l’extermination des chrétiens de plusieurs villages autour de Nisibe, va trouver Farida Abrat. Il lui propose de la prendre chez lui avec ses belles-filles et de les protéger, à condition qu’elles se convertissent à l’islam. Elle refuse. Le soir, les femmes et enfants chrétiens sont arrêtés et conduits à l’église Saint-Jacques. Les soldats séparent ensuite les enfants qu’ils enferment dans la maison d’un musulman. Les femmes sont emmenées à Kharab Kaourat et égorgées. Leurs assassins prennent leurs vêtements et rentrent en ville s’emparer des enfants qu’ils emmènent en dehors de Nisibe. Ils les ligotent avec des cordes et lancent sur eux des bêtes de somme qui les écrasent. Deux garçons de la famille Abrat sont épargnés grâce à l’intervention de Mohamed cheikh. Celui-ci va voir Kadour et lui demande de lui remettre les deux garçons qu’il détient. Il les fait monter sur son cheval et les conduit au Sindjar pour les rendre à leurs deux oncles qui y sont toujours réfugiés.

5. destruction des villages autour de nisibe

[Al qouçara, p. 419]

Après avoir tué les chrétiens de Nisibe les 14 et 15 juin 1915 [les dates diffèrent de celle de Simon qui fixe au 16 août le massacre de Nisibe], les Jeunes-Turcs organisent un comité chargé d’exterminer les chrétiens des villages voisins. En effet, le versant sud du plateau du Tur Abdin, entre Nisibe et Djezireh, est occupé par de nombreux villages jacobites. La présidence du comité est confiée à Refik ibn Nizam, à Kadour bey et à Suleiman Najar. Le comité envoie des messages aux cheikhs kurdes pour qu’ils tuent les chrétiens. Ibrahim agha Khazma fait sortir les chrétiens de son village et les égorge tous. Ahmed Seif, le maître de Siha, rassemble les chrétiens de tous les villages environnants et les tue lui-même. L’agha de Dakour, Mohamed Abbas, fait appel au lieutenant Kadour qui <p.322> lui envoie des soldats tuer les chrétiens. Ali Issa, le maître de Heloua, tue les chrétiens de son village, sur les conseils de Kadour. Puis il s’empare de leurs biens car, dans ce village, habitaient de riches familles, comme celle d’Ilio Bouda.

Kadour va avec ses hommes de village en village. Il est rejoint par les aghas des autres villages. Ils exterminent les chrétiens de Mahraké, Kerki, Chamo, Khaïtlé. Dans d’autres villages, les chefs musulmans refusent de participer au massacre et aident même les chrétiens à fuir. Ainsi, le cheikh Suleïman de Kerchiran donne liberté aux chrétiens de son village de fuir. De même, les chrétiens de Sroujieh, de Karibia et d’autres villages s’enfuient. Mohamed cheikh aide plusieurs chrétiens à fuir chez son ami, le cheikh Hammo Chero, le maître du Sindjar. Il interdit à ses hommes de toucher aux chrétiens et refuse tout présent. Un jour, on lui propose d’acheter une bague à bas prix. Apprenant qu’elle avait été volée à un chrétien, il refuse afin de ne pas jouir d’un bien enlevé à son propriétaire légitime. <p.323>

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