RHAC II Partie II. Témoignages sur les camps de concentration de Syrie et de Mésopotamie

Témoignages sur Islahiyé, Radjo, Katma et Azaz

6 - AREKNAZ KARAGUEOZIAN

du village d’Ovadjek, vilayet d’Ismit

Azaz*

Quand je suis arrivée à Azaz avec mes cinq enfants, j’étais dans une situation d’extrême dénuement. Un jour, deux Arabes ont demandé deux de mes filles: ma fille aînée a refusé d’y aller et j’ai donné de ma main ma petite fillette de neuf ans. Je sais que celui qui l’a prise était d’Azaz car, après l’avoir emmenée, celle-ci allait et venait auprès de nous.

Quant à ma grande fille, le lendemain soir, tard, quatre jeunes Arabes sont venus, ont presque déchiré la tente et ont enlevé ma fille. Pour ma part, à la suite du kidnapping, j’ai pris mes trois garçons avec moi et nous avons suivi ma fille. Après avoir marché neuf heures, nous sommes arrivés à leur village. Mais nous les suivions en marchant assez loin. Au village, je suis, sans crainte, entrée directement dans la maison [où elle était détenue] et nous y avons passé la nuit. Le lendemain, on m’a proposé de me marier avec un Arabe, mais j’ai refusé et je les ai suppliés de me laisser rester au moins deux jours là-bas, pour que je puisse enterrer mon plus petit qui était gravement malade (il était sur le point de mourir). Toutefois, le monstre qui avait enlevé ma fille alla chercher les gendarmes et emmena mes deux [autres] garçons pour les expédier dans les convois. Quant à moi, je n’ai pas abandonné mon petit qui agonisait et j’ai dit aux garçons que je les rejoindrais dès le lendemain.

C’est ainsi que j’ai été séparée de mes enfants, alors même que j’enterrais mon plus petit. Je suis restée là-bas deux jours encore, affamée et assoiffée. Le troisième jour, j’ai embrassé le visage de ma fille aînée et je m’en suis allée dans la direction prise par mes [deux autres] garçons. En chemin, un homme bienveillant m’a fait montée sur son âne et m’a amenée à Alep. Jusqu’à présent, je n’ai aucune nouvelle de mes enfants. Le nom du village où ma fille aînée habite est Savran, et le nom du monstre Ahmed Parmaksız. Je vous prie de faire les démarches nécessaires pour que mon enfant me soit rendue.

* BNu/Fonds A. Andonian, Matériaux pour l’histoire du génocide,
P.J.1/3, liasse 22, Islahiyé-Radjo-Azaz, f° 15.