Van après la retraite turque : lettre de Herr Spörri de la mission allemande à Van, publiée dans le journal allemand « Sonnenaufgang » en octobre 1915.

C'est là que se trouve en face de nous le village d'Artamit paré de ses délicieux jardins ; mais quel aspect offre le village ! La plus grande partie n'en est plus qu'un amas de ruines. Nous causâmes là avec trois orphelines, nos anciennes protégées, qui subirent de terribles épreuves pendant les récents événements. Nous traversâmes à cheval la montagne d'Artamit. Même en temps de paix on traverse ce défilé le cœur en émoi parce que les Kurdes y exercent leurs brigandages. Maintenant le danger est plus grand encore.

Notre regard parcourut la magnifique vallée de Haïotz-Tzor. C'est là, en face de nous que s'étend le village d'Antanantz complètement détruit à présent, comme tout le reste. C'est là que nous donnâmes asile aux habitants d'Antanantz qui avait réussi à s'échapper. Plus loin, dans le fond du magnifique paysage, se trouve Vosdan. A première vue, on pourrait se croire, dans un paradis, mais pendant ces derniers jours ce fut aussi un enfer. Quels fleuves de sang doivent y avoir coulé. C'était une des principales places fortes des Kurdes armés. Nous arrivâmes au pied delà montagne à Ankegh. Là aussi il y avait beaucoup de maisons détruites. Nous y trouvâmes une jeune femme qui après bien des années de veuvage s'était remariée à un habitant du village. La vie lui souriait, et maintenant son mari aussi avait été massacré. Cent trente personnes dit-on ont été ainsi égorgées. C'est là que nous fixâmes notre camp en face des ruinés noircies. Tout droit devant nous se dressait un « amrotz » une espèce de tour bâtie en blocs de composts de fumier comprimé, — un spectacle assez commun dans ces régions. On nous dit que les Kurdes y avaient brûlé les corps des arméniens massacrés. Epouvantable chose ! Et cependant cela vaut mieux que d'abandonner les corps des victimes, ainsi qu'on le fit en d'autres endroits, sans les enterrer pendant un temps indéfini, en les laissant dévorer par les chiens et empoisonner l'atmosphère. Là nous fûmes rejoints par quelques soldats ; c'étaient des volontaires arméniens qui étaient venus de Russie et qui combattaient maintenant à côté des Russes pour la libération de leur Haïasdan. Ils arrivaient des alentours de Bitlis où un violent combat avait lieu ; ils avaient ramené quelques malades dans la ville et se proposaient de s'y reposer quelque peu. Nous nous rendîmes ensuite à cheval à Tène, où des personnes que nous connaissions vinrent du village à notre rencontre et nous racontèrent ce qui s'y était passé. Là encore, les lieux de notre activité, l'Ecole et l'Eglise, étaient en ruines, ainsi que nombre de maisons d'habitation. L'homme qui nous logeait, était aussi parmi les morts ; sa veuve est encore toute abattue. On assure que cent cinquante personnes ont été assassinées. On nous dit qu'il y avait un grand nombre d'orphelins dans le village, nous demandant si nous serions disposés à nous en charger de nouveau ? Nous ne pouvions pas leur donner une réponse précise. Tandis que nous chevauchions sur les montagnes, l'air vivifiant nous fit beaucoup de bien et nous en remerciâmes Dieu, car peu à peu nous en étions venus à avoir grandement besoin de nous remonter. Nous avions du haut des montagnes une vue splendide, mais partout dans les villages on ne voyait que des maisons noircies et ruinées.

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