3. - Vilayet de Sivas.

Le villayet de Sivas comptait, sur 1.056.500 habitants, 271.000 chrétiens, dont 170.000 Arméniens, 76.000 Grecs et 25.000 Syriens. La population mahométane ce compose de 2/3 de Turcs sunnites, Turkmènes et Tcherkesses, et, de 1/3 de Kizilbaches chiites. Avant la déportation générale, la situation dans le vilayet de Sivas était semblable à celle de Trébizonde et d'Erzéroum. Des bandes organisées pillaient les villages. Les gendarmes, sous le prétexte du chercherdes armes, pénétraient dans les maisons, pillaient tout, violaient les femmes et torturaient les paysans pour obtenir de l'argent. Tous ceux qui se plaignaient étaient arrêtés. Tous ceux qui étaient aptes au service armé, même ceux qui s'étaient rédimés en payant le « bedel », c'est-à-dire la taxe d'exemption (44 1.t, environ 800 marks par tête), furent recrutés et envoyés comme portefaix ou pour travailler sur les routes, Lorsqu'on apprit que les portefaix périssaient d'épuisement et d'inanition, et que ceux qui travaillaient sur les routes avaient été tués par leurs compagnons musulmans, beaucoup de ceux qui n'avaient pas été incorporés s'enfuirent sur les montagnes, et le gouvernement fit brûler leurs maisons. Dans ce vilayet, comme dans les autres, on procéda au désarmement systématique de la population arménienne, avant d'en venir aux massacres et à la déportation. Le désarmement, dans les villages, eut lieu de la façon suivante : les gendarmes cernaient le village et exigeaient, suivant leur caprice, deux ou trois cents armes à feu. Si le maire et les anciens ne pouvaient en apporter qu'une cinquantaine, aussitôt les notables de la localité étaient emprisonnés et soumis à la bastonnade. Dans la ville de Sivas, on donna cinq heures pour livrer les armes. Trouvait-on ensuite dans les maisons quelque chose qui ressemblait à une arme, on brûlait les maisons et l'on en tuait les habitants. On se mit ensuite à arrêter les notables et les Daschnakzagans. A Sivas, ou arrêta 1200, à Chabin Karahissâr, 50 personnes et, sans aucun interrogatoire, on les exila. Les autorités voulaient, par des perquisitions, mettre la main sur des écrits ou des lettres, avec lesquels on pût établir la preuve de sentiments et de projets quelconques hostiles au gouvernement. Bien qu'on n'eût rien trouvé nulle part les autorités propagèrent le bruit mensonger que des centaines de bombes et des milliers de fusils auraient été trouvés chez les Arméniens, et que les Daschnakzagans avaient voulu faire sauter l'arsenal. Le gouvernement n'avait pas besoin d'en fournir les preuves à la population musulmane si crédule, et obtint le résultat cherché c'est-à-dire l'excitation des Mahométans contre les chrétiens.

Lorsque tous les intellectuels furent arrêtés, vint l'ordre de la déportation générale. Le danger qui menaçait les Arméniens fut exploité par les fonctionnaires pour obtenir de grosses sommes d'argent, sous le prétexte qu'ils avaient le pouvoir d'empêcher les déportations. Les Arméniens de Tokat donnèrent à leur mutessarif 1600 livres turques (environ 20.000 marks) pour échapper à la déportation.

Mersivan.

A Mersivan, les jeunes gens capables de porter les armes avaient été, dès le début de la guerre, appelés sous les armes, comme partout ailleurs, Tous ceux qui étaient aptes au service furent levés par le gouvernement, même ceux qui, parmi les plus riches, avaient déjà payé la taxe d'exonération. Pour les femmes et les enfants, qui restaient sans moyens d'existence, c'était une situation pénible. En beaucoup de cas, les dernières ressources de la famille furent employées à fournir du nécessaire les soldats partants. Comme la population de la  ville était à moitié arménienne, un nombre considérable d'Arméniens, exemptés du service, restèrent en ville.

La population comptait avant la déportation environ 22.000 habitants, dont 12,000 environ étaient Arméniens.

Le rapport d'un missionnaire américain du collège de Mersivan disait :

« Les mesures du gouvernement contre la population arménienne, mesures nullement motivées, commencèrent au début de mai par l'arrestation, au milieu de la nuit, et la déportation d'une vingtaine de dirigeants du parti constitutionnel arménien. En juin, le gouvernement se mit à chercher des armes. Quelques Arméniens furent arrêtés, et on leur arracha, au milieu des tortures, l'aveu qu'une grande quantité d'armes se trouvait aux mains des Arméniens. Une seconde perquisition commença. On fit souvent usage de bastonnade, comme aussi de torture par le feu. En certains cas, on leur aurait arraché les yeux. On livra beaucoup de fusils, mais pas tous ; les gens craignaient, s'ils livraient toutes leurs armes, d'être massacrés comme en 1895. Ces armes avaient été, après la proclamation de la Constitution, introduites avec l'autorisation du gouvernement, et ne servaient qu'à la défense personnelle. La torture fut de plus en plus employée, et, sous son influence, prirent naissance les prétendus faits qui furent ensuite colportés. Les souffrances corporelles et la tension des nerfs arrachèrent aux patients des déclarations qui n'étaient nullement fondées. Ceux qui appliquaient la torture devaient dire d'avance aux patients quels renseignements ils attendaient d'eux, et les battaient jusqu'à ce qu'ils obtinssent ce qu'ils voulaient. Le mécanicien du collège américain avait fabriqué une boule de fer pour les jeux gymnastiques. On le battit terriblement pour lui faire déclarer qu'on fabriquait des bombes au collège. On découvrit dans un cimetière arménien quelques bombes, ce qui excita extrêmement la fureur des Turcs ; mais on aurait dû dire aussi que ces bombes y avaient été enterrées au temps d'Abd-ul-Hamid.

Le samedi 26 juin, vers une heure de l'après-midi, des gendarmes parcouraient la ville et rassemblaient tous les Arméniens qu'ils pouvaient trouver, Jeunes ou vieux, pauvres ou riches, infirmes ou bien portants. Dans quelques cas, on pénétra dans les maisons, et ou tira les malades de leur lit. Ils furent enfermés dans les casernes et déportés les jours suivants par groupes de 30 à 150. Ils devaient aller à pied. Beaucoup furent privés de leurs chaussures et de leurs vêtements. Quelques-uns furent ligotés. Le premier groupe atteignit Amasia et envoya de ses nouvelles de différentes localités (On dit que ce fut là une mesure du gouvernement pour tromper ceux qui devaient suivre). De ceux qui partirent après eux on n'eut jamais de nouvelles. Parmi les différents bruits qui couraient, celui qui passait généralement pour vrai, c'était qu'ils avaient été tués. Un bouvier grec raconta qu'il avait vu le tertre sous lequel ils avaient été ensevelis. Un autre individu, qui était en rapports avec le gouvernement, convint que les hommes avaient été tués.

Par le moyen d'un Turc, le collège réussit à faire revenir en toute liberté ceux des professeurs qui avaient été emmenés, et à obtenir un non-lieu en faveur de tous ses professeurs et de ses employés. On paya dans ce but une somme de 275 livre : turques (5000 marks). Le même employé déclara plus tard qu'il croyait pouvoir obtenir la libération durable de tous les employés du collège, si l'on payait 300 autres livres turques. L'argent fut promis ; mais après des pourparlers qui prouvaient qu'une assurance définitive ne serait pas obtenue, on laissa tomber l'affaire.

La directrice du collège américain s'était mise entre temps en relation avec l'ambassadeur des Etats-Unis. Celui-ci essaya d'employer son influence auprès de Talaat bey, Ministre de l'Intérieur, pour qu'au moins les familles des professeurs arméniens du collège et environ cent jeunes filles, leurs élèves, que l'on avait gardées au collège pour les soustraire à la déportation et aux infamies qu'elle comporte avec elle, pussent, rester à Mersivan sous la protection des autorités turques. Talaat bey assura que cette demande serait accordée, et déclara à l'ambassadeur qu'il avait télégraphié à Mersivan que tous ceux qui se trouvaient sous la protection des Américains devaient être épargnés. Malgré cela, les familles des professeurs arméniens et les cent élèves des Américains furent elles-mêmes déportées en dernier lieu.

Après que quelques groupes d'Arméniens eurent été déportés, des crieurs publics parcoururent les rues de la ville pour annoncer que tous les Arméniens de sexe mâle, entre 15 et 70 ans, auraient à se présenter aux casernes. La proclamation disait en outre que le refus de soumission entraînerait la mort des récalcitrants et l'incendie de leurs maisons. Les prêtres arméniens allèrent de maison en maison et conseillèrent aux gens de se conformer aux ordres des autorités. Ceux qui se présentèrent furent déportés on divers groupes, et la conséquence fut que, au bout de quelques jours, tous les hommes arméniens eurent été éloignés de la ville.

Le 3 ou le 4 juillet, un ordre fut donné pour que les femmes et les enfants se tinssent prêts à partir le mercredi suivant 7 juillet. On communiqua aux gens que le gouvernement mettrait à la disposition de chaque famille un char à boufs, et qu'ils pourraient emporter avec eux des vivres pour un jour, quelques piastres (1 piastre vaut 15 pfennigs), et un petit paquet de vêtements. Les gens se préparaient à exécuter ces ordres, en vendant dans les rues leurs mobiliers autant qu'ils le pouvaient. On vendait les objets à moins de 10% de leur prix ordinaire ; et les Turcs des villages voisins remplissaient les rues, attirés par le désir de faire de bonnes affaires. En quelques endroits, les Turcs s'emparèrent de force de quelques objets, mais le gouvernement punissait de pareils cas, quand il les découvrait.

Le 5 juillet, avant que l'ordre d'expulser les femmes fût exécuté, l'un des missionnaires alla protester auprès du gouvernement, au nom de l'humanité, contre l'exécution d'un tel ordre. On lui répondit que l'ordre n'émanait pas des autorités locales, mais qu'on avait reçu de plus haut l'ordre de ne laisser aucun Arménien dans la ville. Le commandant promit cependant de différer jusqu'au dernier moment de toucher au collège et permit à tous ceux qui étaient en relations avec les établissements américains de se rendre dans les dépendances du collège. Ceux-ci le firent, et ainsi 300 Arméniens furent logés dans les bâtiments du Collège.

La population devait se tenir prête à partir le mercredi ; mais déjà le mardi à 3 heures et demie du matin, les chars à boeufs parurent devant les maisons du premier district, et on commanda aux gens de partir aussitôt. Quelques-uns furent tirés de leurs lits sans être habillés suffisamment. Toutes la matinée, les chariots à boufs sortaient en craquant de 1a ville, charges de femmes et d'enfants et de quelques rares hommes échappés à la première déportation. Les femmes et les jeunes filles portaient le voile à la turque, pour ne pas exposer leurs visages aux regards des bouviers et des gendarmes, gens grossiers qui avaient été amenés d'autres régions à Mersivan. Souvent les maris et les frères de ces femmes se trouvaient à l'armée et combattaient pour le gouvernement turc.

La panique en ville était terrible. Les gens sentaient que le gouvernement était résolu à exterminer la race arménienne, et se sentaient absolument impuissants à résister. Ils étaient sûrs que les hommes seraient tués et les femmes enlevées. Beaucoup de criminels avaient été relâchés des prisons et les montagnes autour de Mersivan étaient remplies de brigands. On craignait que les enfants et les femmes ne fussent emmenés à une certaine distance de la ville et laissés à la merci de ces bandits. Quoi qu'il en soit, il y a des cas, que l'on peut prouver, où des jeunes filles arméniennes attrayantes furent enlevées par des fonctionnaires turcs de Mersivan. Un musulman racontait qu'un gendarme lui avait offert de lui vendre deux jeunes filles pour un médjidieh (3,60 mark), Les femmes croyaient qu'elles auraient à souffrir pire que la mort, et beaucoup portaient du poison dans leur poche pour s'en servir au besoin. Beaucoup portaient avec eux des pioches et des pelles, pour pouvoir ensevelir ceux qui mourraient en route comme il fallait s'y attendre.

Durant ce règne de la terreur, l'on proclama qu'il était facile d'échapper à la déportation, et que quiconque embrasserait l'Islam pourrait rester paisiblement chez lui. Les bureaux des employés qui enregistraient les requêtes étaient remplis de gens qui demandaient à passer à l'Islam. Beaucoup le faisaient à cause de leurs femmes et de leurs enfants, en croyant que c'était une question de temps, et que le retour leur serait plus tard possible.

La déportation dura deux semaines environ, avec des interruptions. Sur les 12.000 Arméniens de Mersivan, il n'y resta qu'environ 200. Même ceux qui s'offrirent pour embrasser l'Islam furent ensuite déportés. Jusqu'au moment où j'écris ces lignes, aucune nouvelle sûre n'est parvenue d'aucun des transports. Un bouvier grec racontait que, dans un petit village à quelques heures de Mersivan, les quelques hommes furent séparés des femmes, battus, enchaînés et envoyés plus loin en un convoi à part. Un bouvier turc raconte qu'il a vu en route la caravane. Ces gens étaient tellement couverts de poussière et de saleté qu'on pouvait à peine reconnaître les traits de leur visage.

Même si la vie des expulsés devait être protégée, on peut se demander combien parmi eux seraient capables de supporter les fatigues d'un tel voyage, franchissant des collines brûlantes, à travers la poussière, sans abri contre le soleil, avec une nourriture insuffisante et peu d'eau, dans la crainte continuelle de la mort ou d'un sort encore pire.

La plupart des Arméniens du district de Mersivan étaient complètement désespérés ; certains disaient que c'était pire qu'un massacre ; personne ne savait ce qui arriverait, mais tous sentaient que c'était la fin. Même les prêtres et les chefs ne pouvaient trouver aucun mot de consolation et d'espoir. Beaucoup doutaient de l'existence de Dieu. Sous la tension aiguë des nerfs, beaucoup perdirent la raison, quelques-uns pour toujours. Il yeut aussi des exemples du plus grand héroïsme et de la plus grande foi, et quelques-uns entreprirent le voyage tranquillement et courageusement, avec ces paroles d'adieu : « Priez pour nous ; nous ne nous reverrons plus en ce monde ; mais nous nous reverrons quand même un jour ! »

Tel est le récit du missionnaire américain.

Parmi les familles qui, converties à l'Islam, purent rester à Mersivan, on nomme les familles Danielian, Kam-besian, Keschichian, Vardeserian, Salian, Vahan Bogossian, Kelkelian, Jereinian, Mikaëlian, HadjekGuendjian. La dernière s'appelle maintenant Kendji-Zadé-Kémal.

A Amasia, après la déportation, le quartier arménien, le bazar, les églises arménienne et grecque, furent incendiés par les Turcs.

Tous les Arméniens de Guémérek (entre Kaïsarieh et Sivas) furent déportés, mais ils ne parvinrent pas à Sivas. Les hommes et les jeunes gens furent tués, les femmes et les enfants partagés entre des officiers turcs.

Un épisode de la déportation de Guémérek, qui est relaté par les infirmières de la Croix-Rouge allemande, mérite d'être rappelé :

« Après le départ des hommes, les plus vieilles femmes obtinrent la permission d'aller où elles voudraient, mais trente des plus jolies jeunes femmes et jeunes filles furent rassemblées et on leur dit : « Vous deviendrez musulmanes ou vous mourrez ». - « nous mourrons ! » fut leur fière réponse. Là-dessus, on télégraphia au vali de Sivas, qui donna l'ordre de distribuer ces vaillantes jeunes confesseurs de la foi parmi les musulmans. »

Le rapport des soeurs allemandes conclut par les paroles suivantes : « De la frontière russe jusqu'à l'ouest de Sivas, le pays est maintenant à peu près complètement vide d'Arméniens. Ce n'est qu'une triste consolation que la Turquie, par l'assassinat de ses meilleurs sujets, se soit ruinée elle-même. Les Turcs eux-mêmes voient venir avec joie le jour où une puissance étrangère prendra les rênes entre ses mains et fera justice. Les méfaits commis ne sont nullement approuvés par le peuple turc, mais bien par les Turcs soi-disant cultivés.

Le seul endroit du vilayet de Sivas où il y ait eu une résistance de la part de la population arménienne, ce fut Chabin-Karahissar, Cette localité est située au nord de la route d'Erzingian à Sivas, sur les pentes de la chaîne des montages pontiques qui séparent le vilayet de Trébizonde de ceux d'Erzéroum et de Sivas. Les habitants de Chabin Karahissar étaient tenus pour braves. Tous les villages des environs de Chabin-Karahissar avaient été désarmés au milieu du mois d'avril. Le village de Pourk, au sud-ouest de Chabin-Karahissar, avait été déjà détruit et ses habitants massacrés. Dans la première moitié de juin, le gouvernement commença à faire aussi des arrestations à Chabin-Karahissar. Les nouvelles des boucheries de la vallée de Kémagh, et du sort des déportés qui avaient passé par Erzingian, étaient parvenues jusqu'à Chabin-Karahissar. Lorsque le gouvernement voulut pendre les Daschnakzagans déjà arrêtés et que la déportation fut ordonnée, la population arménienne de Chabin-Karahissar fit une démonstration pour protester contre le sort qui la menaçait. Là-dessus, la ville fut cernée par des soldats turrs venus d'Erzingian. Quelques centaines d'Arméniens s'enfuirent sur les rochers escarpés de la citadelle, sur laquelle setrouve un ancien château de l'époque byzantine, et s'y barricadèrent, jusqu'à ce que, le 3 juillet, le château fut exposé au feu des canons turcs. Les défenseurs furent tués. Quelque-uns s'enfuirent dans les montagnes. Ensuite tous les hommes de la ville, de 18 à 55 ans, furent emmenés, sous prétexte de levée militaire ; et le reste de la population, femmes et enfants, fut déporté de la même façon que dans tout le vilayet. Dans les environs aussi, tous les villages chrétiens - parmi lesquels dix villages grecs - furent réduits en cendres, et les habitants en partie massacrés et en partie déportés.

Zileh.

Sur Zileh, au sud d'Amasia, on raconte l'épisode suivant :

Un soldat arménien, qui avait été blessé et qui revenait du front dans son pays, Zileh, racontait qu'il avait vu de ses yeux les Turcs ferrer l'évêque de Sivas, comme un cheval, avant de l'envoyer en exil. Le vali aurait en plaisantant donné le motif de cette torture, en disant qu'on ne pouvait vraiment pas laisser un évêque aller nu-pieds (1).

Quand ce soldat arménien vint dans son pays à Zileh, les autorités étaient en train de déporter les Arméniens. Les hommes furent, liés ensemble, conduits en groupes sur les montagnes en face de la ville, et tués là. On laissa les femmes et les enfants camper plusieurs jours sans nourriture en pleins champs, jusqu'à ce qu'ils se pliassent, croyait-on, à accepter l'Islam. Comme ils s'y refusaient tous, on perça de baïonnettes les mères sous les yeux de leurs enfants. Puis on vendit les enfants. La ville comptait environ 5.000 habitants arméniens. Le soldat et son frère réussirent, en se faisant inscrire comme mahométans, à se faire renvoyer à l'armée.

(1) Cette histoire a été racontée du côté turc, mais en sens inverse : la torture aurait été infligée par les Arméniens à un caïmacam turc. Le trait d'esprit cynique du vali nous garantit que la version ci-dessus est la vraie.

La Ville de Sivas.

A Sivas, après l'arrestation de tous les Arméniens influents, 8 ou 10 furent pendus. Ensuite les personnes arrêtées furent conduites à Yozgad. La déportation générale eut lieu en plusieurs fois. Lorsque le missionnaire américain Partridge quitta Sivas, les 2/3 de la population avaient déjà été déportés, et 500 maisons mises sous scellés. Chaque famille obtenait un chariot à bouf pour le voyage.

Les médecins arméniens qui avaient, depuis le début de la guerre, sept mois durant soigné des malades atteints du typhus furent jetés en prison. On rapporte de source américaine un cas particulier : une femme arménienne, dont le mari avait soigné pendant des mois, à l'hôpital américain, les soldats blessés, fut atteinte du typhus et portée à l'hôpital. Sa vieille mère, âgée de 60 à 70 ans, se leva du lit où la retenait la maladie, pour prendre soin des sept enfants de sa fille, dont le plus âgé avait à peine 12 ans. Quelques jours avant la déportation, le mari de la malade fut mis en prison, et sans s'être rendu coupable en rien, envoyé en exil. Quand le quartier où cette famille habitait dut partir, la femme atteinte du typhus quitta l'hôpital et se fit mettre sur un chariot à boeufs pour partir avec ses enfants.

Lorsque les deux infirmières de la Croix Rouge allemande arrivèrent à Sivas, le 28 juin, toute la population arménienne avait déjà été déportée, et elles entendirent dire que tous avaient été tués.