RHAC II Partie 3. Autres témoignages sur les déportation et les camps de concentration
de Syrie et de Mésopotamie (1915-1916)

6 - MGR ANGELO MARIA DOLCI

Note pour son excellence
le ministre des Affaires étrangères [ottoman]*

5 juin 1916

Toute la presse, européenne et américaine, après avoir mis au grand jour l’anéantissement de la race arménienne, s’élève avec indignation contre le Saint-Siège et contre l’Auguste personne de Sa Sainteté le Pape qui, dès le début de cette persécution contre les chrétiens de Syrie et surtout du Liban, n’a pas protesté,par un acte public et officiel, devant le monde civilisé.

La même presse expose dans ses colonnes de journaux les tristes détails des massacres de tant de chrétiens, de nombreux prêtres et d’une quarantaine d’évêques arméniens, dont cinq catholiques; elle s’indigne aussi contre ce refus fait par les autorités d’envoyer aux survivants un prêtre pour les secours religieux, refusés même aux mourants, et elle se plaint amèrement des procédés du gouvernement ottoman contre ses sujets chrétiens de la Syrie et du Liban, de la déportation de plusieurs évêques, de nombreux fidèles et de la fermeture des églises.

Commentant ensuite les dispositions du gouvernement du Liban qui a obligé les prêtres, les religieux et les religieuses du rite latin et sujets ottomans à quitter leur habit et à renoncer à leur rite, puis les a dispersés après les avoir chassés de leurs couvents et avoir confisqué leurs biens, la même presse fait ressortir que le gouvernement de Sa Majesté impériale le Sultan, en ne contenant pas l’autorité du vali par des ordres catégoriques, montre clairement le but qu’il poursuit systématiquement, à savoir l’anéantissement du culte chrétien, pour former une nation ottomane sur une base exclusivement musulmane.

J’ai des instructions de mes supérieurs de soumettre à la haute intelligence de son excellence le ministre des Affaires étrangères et à son esprit éclairé d’homme d’ état, la pénible et douloureuse situation que la continuation de cette persécution contre les chrétiens de la Syrie et du Liban créerait au Saint-Siège devant l’opinion publique qui ne cesse de réclamer énergiquement une protestation officielle devant le monde civilisé, allant même jusqu’à l’accuser de manquer à ses devoirs sacrés en ne défendant pas la vie et les intérêts de la chrétienté.

Que son excellence veuille bien me permettre de lui faire remarquer respectueusement que ces procédés des autorités des vilayets de Syrie et surtout du gouverneur du Liban, en cherchant à éteindre le culte catholique, soulèvent des cris d’indignation dans le monde entier, et qu’en même temps ils sont contraires aux véritables intérêts de l’Empire ottoman qui, surtout dans cette guerre et après l’abrogation des capitulations, devait s’empresser de témoigner au monde que le culte chrétien n’a pas besoin de la protection des Puissances étrangères, que son protecteur naturel est le gouvernement ottoman.

* Archivio segreto Vaticano, Delegatione Apost. di Turchia, Mgr Angelo Maria Dolci, fasc. «Persecuzionee massacri contri gli Armeni», vol. V, 93, non fioloté.