PROCÈS DU GÉNOCIDE

Dossier : Les purges au début de la République Turque par Sait Çetinoğlu

Après que les provinces arabes et balkaniques de l’Empire ottoman se soient séparées et constitués en états, la création d’un Etat turc a mûri sur la scène internationale. Etant donné qu’il n’y a plus d’empire à sauvegarder, les successeurs des unionistes ont les mains libres, ils n’ont plus à se méfier des actions à mener contre les sujets non turcs.

Purges par voie d’échange de population

Arrivé au Traité de Lausanne, la majorité de la population non musulmane avait été chassée de l’Anatolie et le problème de la population arménienne avait été résolu avec le génocide de 1915. Avant la guerre d’indépendance turque, les biens de ces sujets non musulmans avaient déjà été confisqués. “Les notables turcs ont saisi les terres et les commerces abandonnés comme une conséquence directe du départ des Grecs de Turquie et des Arméniens ... Un facteur qui a attiré la bourgeoisie provinciale de l’Anatolie vers la cause nationale était la possibilité que les Grecs et les Arméniens puissent retourner un jour à leurs terres, ateliers et commerces confisqués. Cette peur est l’un des principaux thèmes du Congrès d’Erzurum, et elle sera abordée de manière plus claire lors du congrès de Sivas. Arrivé à la date du 30 janvier 1923 la population grecque anatolienne assujettie à l’échange de population avait déjà beaucoup baissé, et la population arménienne avait été ramenée à moins de 100.000 personnes. Concernant leur religion, la population anatolienne avait à peu près été homogénéisée ! Mais on comprendra plus tard que l’homogénéité religieuse n’était pas suffisante.

Si l’on aborde le sujet du point de vue de la population grecque, “la migration des Grecs de Turquie, a commencé avec la guerre des Balkans en 1912 et a continué de façon permanente à partir de cette date. Leur migration a commencé et atteint son apogée en 1914-1915 avec la politique de turquification des côtes égéennes pour des raisons militaires...Le départ des Grecs qui avaient joué un rôle important dans la vie économique du pays désormais turquifié avait été dans la précipitation. Ces Grecs, avaient laissé derrière eux une grande partie de leur richesse en essayant de fuir une armée victorieuse. (...) Après la guerre, le partage par l’Etat lui-même aux notables ou la tolérance à la saisie de ces terres et de ces biens abandonnés par les notables locaux, peut être considéré comme un outil efficace dans le soutien au nouveau régime ainsi que dans la formation de ses nouveaux cadres. (...)

Pour vous donner une idée des biens abandonnés concernant simplement la ville d’Izmir, dans une interview avec le journal Anatolie datée du 18 Juin 1924, le ministre des finances Hasan Fehmi Bey confirme : “ Les Grecs ont laissé 10 678 propriétés, 2173 magasins, 79 usines, 2 hammams, 1 hôpital ; les Arméniens et les Juifs ont laissé 1.600 propriétés, 2.821 magasins, 89 usines, 2 hammams, 1 hôpital. “L’objectif de la Défense Nationale, était de défendre « les Biens Turcs » issus de l’expropriation des non musulmans. Là où les associations de défense nationale étaient le plus actif, concernaient les contrées où les expropriations avaient eu lieu. Les nouvelles classes de riches étaient prêtes à se battre comme des lions afin de ne pas perdre leurs biens et par crainte de la vengeance des Arméniens et des Grecs si ces derniers retournaient. »

Citons ici l’exemple de « la tempête de ceux qui se sont enrichis sur le dos des arméniens ». Dans les journaux datés du 2 avril 1924 des articles sont publiés au sujet des Arméniens qui sont retournés en Turquie en 1924. « Alors qu’on n’autorise pas les sujets minoritaires qui ont quitté avec un passeport turc à rentrer, comment est-ce que ceux qui quittent le pays avec un passeport étranger peuvent rentrer et récupérer leurs biens ? » y écrivait-on. Ces articles qui ont publiés pendant des mois ont commencé à tourner en une tempête et ont fait tomber des têtes, celles du ministre des affaires intérieures et de nombreux bureaucrates. L’affaire de la tempête de ceux qui se sont enrichis sur le dos des arméniens démontre jusqu’à quel point on est prêt à se battre pour défendre comme des lions les biens confisqués.

Le gouvernement turc également ne veut pas que les exilés reviennent, et c’est pourquoi on distribue des communiqués où l’on menace ceux qui sont rentrés : « Parmi ceux qui sont rentrés, ceux qui veulent quitter le pays peuvent le faire dans un délai d’un mois, autrement nous ne serons pas responsables de ce qui leur adviendra ». Et à ceux qui réclament la restitution de leurs biens et qui obtiennent la confirmation par voie judiciaire que ces biens leur appartiennent, on leur répondait que “le ministère des affaires intérieures a donné l’ordre de ne pas rendre ces biens“, ou alors on envoyait des tueurs à gages sur ceux qui insistaient. Ainsi par différents moyens de pression la plupart des survivants du génocide se sont vus obligés de quitter une fois de plus leurs terres et se sont dispersés dans d’autres pays. Sarkis Çerkezyan nous raconte de façon suivante ce que son père a vécu à l’époque : « L’avocat lui avait fait comprendre la réalité de la situation en lui disant : M. Çerkezyan il ne faut surtout pas que vous réclamiez quoi que ce soit, si vous affirmez que c’est votre bien vous serez pendu à votre tour, la potence est là ». Ceux qui veulent sauver leur vie, se voient contraints de laisser leurs biens et de reconstruire leur avenir dans d’autres pays.

“La République était comme la résurgence de l’Empire Ottoman qui distribuait les terres à ses hommes de confiance et de cette façon, elle se plaçait au dessus des lois ... Les ressources financières acquises pendant les guerres précédant l’établissement de la République, l’a renforcé. Lorsque la population non musulmane a été mise hors jeu, leurs propriétés et leurs statuts ont constitué les ressources du nouveau régime qui pouvaient désormais être distribués au peuple. Cette distribution, a accéléré la création d’une bourgeoisie locale, et elle a subordonné cette classe aux ordres de l’Etat(...)

On comprend l’étendue des pillages par les correspondances entre le premier ministre Rauf Orbay et Ismet Inonu lors de la Conférence de Lausanne ; ceux-là même qui se voyaient comme les “vrais fils de la patrie“ étaient dans un concours de pillage des biens des Grecs anatoliens. Dans un télégramme daté du 2 décembre 1923 envoyé par Rauf Orbay à Ismet Pacha, il est écrit « qu’après avoir placé les sans-abris dans l’ouest de l’Anatolie on peut encore héberger soixante mille ménages ». Environ un mois et demi après, dans un télégramme daté du 20 Janvier 1923, Ismet Pacha demande au Premier ministre Rauf Orbay si on peut toujours héberger ces ménages. La réponse datée du 23 Janvier 1923 du Premier ministre Rauf Orbay est significative « aujourd’hui, on pourra facilement placer vingt mille ménages » dit-il. Cela signifie que dans un laps de temps aussi court qu’un mois et demi les deux tiers des maisons des Grecs qui ont été contraints à quitte le pays ont été saisies ou attribuées(...)

Le quotidien Türk İli faisait une classification de ceux qui s’étaient installés dans les propriétés abandonnées d’un quartier huppé de la ville d’Izmir. Selon le journal étaient installés “des fonctionnaires dans 44 des propriétés abandonnées par les Grecs, des notables dans les 27 propriétés, des opportunistes se donnant des airs de notables dans 14, des immigrés arrivés suite à l’échange de population dans les 52... Et dans les meilleures 13 propriétés, des députés qui recevaient 3000 à 4000 livres par an (18). Ahmet Emin Yalman tient les propos suivants : “La principale cause pour que les ambitions de pillage étaient devenues aussi généralisées était que, des politiciens vivaient des pillages(...).

L’ampleur de ces pillages n’avait pas pu empêcher l’existence d’une poignée d’entrepreneurs et de capitale non-musulmans. La liquidation de ces entreprises et de cette capitale non musulmans était désormais devenue l’une des principales politiques de la République(...)

Il y avait cependant des non musulmans qui n’ont pas été assujettis à cette politique d’échange. Ces derniers avaient apporté leur assistance à la guerre d’indépendance turque. “En 1921 à Söke, il a été donné la permission de rester en Turquie par ordre du gouvernement daté du 17 Décembre 1924 à Constantin Dimitri qui avait protégé la population turque et fait de l’espionnage en faveur de la Turquie. (...)

Traduction de Vilma Kouyoumdjian pour Armenews