Le génocide arménien dans les manuels scolaires de 1ère L-ES-S-STMG en France (panel 2011-2012)

© Editions Belin – Bordas – Hachette – Hatier – Magnard – Nathan, 2011 (manuels de 1ère L, ES, S) – Editions Hachette – Hatier – Magnard – Nathan, 2012 (manuels de 1ère STMG)

 Le génocide arménien dans les manuels d’histoire en classe de 1ère L – ES – S – STMG [Sciences et technologies du management et de la gestion] (panel 2011-12)  par Georges Festa

 Corpus utilisé (11 manuels) :

  1. Histoire 1re L, ES, S : Programme 2011. Sous la direction de David Colon. Coordinateur pédagogique : Philippe Masanet. Responsable numérique : Claude Robinot. Auteurs : Paul Airiau, Fabrice d’Almeida, Florent Bonaventure, Vanessa Caru, Aude Chamouard, Laurent Coumel, Emmanuelle Cronier, Nicolas Davieau, Sylvain Dépit, Gilles Ferragu, Louis-Pascal Jacquemond, Stéphanie Leu, Claire Marynower, Simon Perego, Cédric Perrin, Jean-Baptiste Picard, Sophie Pousset, Vanina Profizi, Alexandre Sumpf, David Valence, Émeline Vanthuyne. Paris : Belin, août 2011, 383 p. – ISBN : 978-2-7011-5837-2

  2. Histoire 1re : Programme 2011. Sous la direction de Christine Dalbert. Catherine Barruel, Philippe Cadet, Bruno Cinq, Frédéric Cossart, Christine Dalbert, Laurence Degunst, Gérard Dumont, Manuel Milet-Anselmo, Michel Montagne, Philippe Prudent. Bordas : avril 2011, 407 p. – ISBN : 978-2-04-732817-0

  3. Histoire : Questions pour comprendre le XXe siècle. Premières L – ES – S. Nouveau programme. Sous la direction de Jean-Michel Lambin. Julien Dochez, Chrystelle Grandin-Le Tulzo, Anne-Claire Lefebvre, Sébastien Repaire, Hélène Sadowski-Puel, Marcel Spisser, Robert Steegmann, Jean-Luc Villette, José Ziemniak. Hachette Éducation, 4/2011, 367 p. – Spécimen : A3 1108 0 / 80 1445 8 (13 5549 4)

  4. Histoire 1res L/ES/S : Questions pour comprendre le XXe siècle. Sous la direction de Pascal Zachary. Auteurs : Géraldine Ancel-Géry, Yannick Courseaux, Emmanuelle Iardella-Blanc, Pascale Jousselin-Misery, Sahondra Limane, Emmanuel Mourey, Vesna Ninkovic, Éric Oswald, Étienne Paquin, Sylvie Rachet, Iannis Roder, David Vodisek. Hachette Éducation, 04/2011, 384 p. – Spécimen : A3 1109 0 / 80 1444 1 (13 5551 0)

  5. Histoire 1re : Questions pour comprendre le XXe siècle. Sous la direction de Guillaume Bourel et Marielle Chevallier. Marianne Boucheret, Anne Descamps, Ivan Dufresnoy, Jérémie Ferrer-Bartomeu, Jean Hubac, Bruno Jégou, Baptiste Léon. Hatier, avril 2011, 359 p. – ISBN : 978-2-218-95354-5

  6. Histoire 1re ES, L, S : Questions pour comprendre le XXe siècle. Sous la direction de Hugo Billard. Sylvie Aprile, Hugo Billard, Franck Bodin, Aurore Deglaire, Pascal Desabres, Éric Magne, Charles-François Mathis, Emmanuel Melmoux, David Mitzinmacker, Arnaud Pautet, Aurélie Robin, Bruno Sentier. Coordination multimédia : Jean-Marc Vidal. Avec la collaboration de Stéphane Audoin-Rouzeau. Magnard, avril 2011, 367 p. – Spécimen enseignant : 9 782210 064270

  7. Histoire 1re L-ES-S : Nouveau programme. Sous la direction de Sébastien Cote. Joëlle Alazard, Eric Godeau, Jean-Marcel Guigou, Stanislas Jeannesson, Delphine Lécureuil, Catherine Pidutti, Claire Quincy. Nathan, avril 2011, 399 p. – ISBN : 978-209-172813-1

  8. Histoire Géographie Education civique 1re STMG : Nouveau programme. [Coord.] : Cristhine Lécureux et Alain Prost, IA-IPR Histoire et Géographie. Nathalie Beriou, Florence Bocognani-Fayolle, Gérard Chatelet, Joël Dubos, Claire Fredj, Florence Giry, Yves Letertre, Eric Lima, Sylvain Venayre. Hachette Education, avril 2012, 287 p. – ISBN : 978-2-01-181530-9.

  9. Histoire Géographie 1re STMG. Sous la direction de Guillaume Bourel, Marielle Chevallier, Annette Ciattoni, Gérard Rigou. Pascal Baud, Serge Bourgeat, Catherine Bras, Géraldine Djament-Tran, Ivan Dufresnoy, Marie-Reine Haillant, Anne Frémont-Vanacore, Marie-José Eyssette-Louveaux, Antoine Mariani, Florence Smits. Hatier, août 2012, 271 p. – ISBN : 978-2-218-96136-6.

  10. Histoire Géographie Education civique : Programme 2012 - 1re STMG. Sous la coordination de : Laurent Soutenet et Vincent Doumerc. Anne Anglès, Cécile Betermin, Valentine Binet, Guillaume Bouloc, Jean-Max Girault, Pascale Goi, Alain Gruat, Mathieu Lemetais, Laurent Marien, Stéphane Marquez, Hugues Marquis. Magnard, avril 2012, 255 p. – ISBN : 978-2-210-10422-8.

  11. Histoire et Géographie Education civique : Nouveaux programmes 1re STMG. Ouvrage coordonné par Jean-Louis Carnat, IA-IPR, et Eric Godeau. Auteurs : Delphine Acloque, Edith Bomati, Françoise Bouron, Dominique Colonna, Aurélien Delpirou, Ismail Ferhat, Sophie Grimaud-Vella, Alexandra Monot, Emilie Morbois-Viney, Matthieu Osmont, Fabien Simon, Roland Tissot, Joseph Viney, Annie Zwang. Nathan Technique, mai 2012, 319 p. – ISBN : 978-2-09-161989-7.

Suite à nos études sur le génocide arménien dans les manuels d’Histoire en classe de 1ère (panels 2003 et 2007) (1), et dans le sillage de la récente refonte des programmes (2), il convenait de saluer la parution des nouvelles collections proposées aux enseignants et à leurs élèves. Rappelons quelques chiffres : 2 101 600 lycéens, dont 650 800 lycéens professionnels (3). C’est dire l’importance des manuels scolaires dans l’élaboration et la transmission d’une mémoire collective, qui n’a cessé de renouveler ses pratiques didactiques. Les études sur l’enseignement scolaire et le fait génocidaire occupent une place grandissante : équipe ECEGH de recherche en sciences de l’éducation à l’IFE de Lyon, animée par Corinne Bonafoux (4), sites ressource des rectorats d’académies, parution en 2007 de l’important ouvrage Comprendre les génocides du XXe siècle : Comparer -Enseigner, sous la direction de Sophie Ferhadjian et Barbara Lefebvre (5).  

En classe de 1ère L-ES-S, le génocide arménien est abordé dans le cadre du thème 2 « La guerre au XXème siècle », lui-même réparti en deux sections « Guerres mondiales et espoirs de paix », « De la guerre froide à de nouvelles conflictualités ». Soit un volume horaire de 16-17 heures d’enseignement sur un total de 57-62 heures (5 thèmes d’étude) (6). En classe de 1ère STMG, il s’agit du thème 2 « Guerres et paix, 1914-1945 », comportant deux volets « L'Europe, un espace marqué par deux conflits mondiaux » et un sujet d’étude au choix (l’Italie sous Mussolini, la figure de Jean Moulin, de la SDN à l’ONU). Soit un volume horaire de 10-12 heures, correspondant à un tiers du programme d’histoire prévu (30-36 heures) (7)

Dans le cadre de cet article introductif, nécessairement bref, nous nous limiterons à lister les documents et les questions posées aux élèves :

   
Histoire 1ère L-ES-S (Belin) – chapitre 3 « La Première Guerre mondiale », leçon 1 « Une guerre totale », document 3 « Le génocide arménien en 1915 » :
encadré de 16 lignes (témoignage de Nvart Mahokian, 1920, cité par Annick Asso, Le Cantique des larmes, La Table Ronde, 2005) – le commentaire de présentation rappelle que sur les 2,2 millions d’Arméniens vivant dans l’empire ottoman avant-guerre, « beaucoup revendiquent l’indépendance. En 1915, le gouvernement nationaliste turc profite de la guerre pour les accuser de complicité avec l’ennemi russe. Il massacre 1,5 million d’entre eux. » 2 questions sont posées à l’élève : « Quels éléments montrent que le génocide est organisé par le gouvernement turc ? » - « Quelles sont les méthodes employées pour exterminer les Arméniens ? » (p. 65).

-  Histoire 1ère (Bordas) – partie 2 « La guerre au XXème siècle », chapitre 4 « La Première Guerre mondiale : l’expérience combattante dans une guerre totale », cours 2 « Des civils de plus en plus impliqués dans la guerre » (p. 88-89) :

une demie page consacrée au « premier génocide du XXe siècle » explique notamment que « les Arméniens, déjà victimes de violences au XIXe siècle, sont considérés comme des traîtres par le gouvernement turc » et conclut : «  On peut estimer le nombre des victimes à un chiffre compris entre 650 000 et 800 000. » (p. 88). 4 documents iconographiques sont proposés à l’étude : « Exécution d’Arméniens par des Turcs en 1915 » (pendaison publique et soldats en armes, sans préciser le lieu), avec pour question : « Quels aspects du génocide arménien ce document montre-t-il ? ») ; « carte de Talaat Pacha », occupant un tiers de la page 89 : pourcentage d’Arméniens dans la population après les déportations (‘selon le projet de Talaat Pacha’, est-il précisé en note), mouvements de déportations des Arméniens, zones de massacres de masse et région de camps de concentration (source citée : l'historien turc contemporain Fuat Dündar) ; photographie de femmes polonaises travaillant sur le front russo-germanique en 1915 ; extrait du rapport du consul allemand d’Alep en 1915, accompagné de deux questions : « Quelles sont les victimes les plus nombreuses ? », « Quelles sont les méthodes d’extermination ? ». A l’attention des élèves, une frise chronologique introductive (1914-1917) lie en mars 1915 le débarquement dans les Dardanelles et le début du génocide arménien (p. 78).

-    Histoire 1ère L-ES-S (collection Jean-Michel Lambin, Hachette) – thème 2 « La guerre au XXème siècle », chapitre 3 « 1914-1918 : l’expérience combattante dans une guerre totale », étude « Les civils dans la guerre » (p. 78-79) :

3 documents présents : une photographie « Massacre d’enfants arméniens par les Turcs en 1915 » (source : Getty images / Armin T. Wegner), témoignage d’un soldat arménien (cité par S. Audoin-Rouzeau et A. Becker, 14-18. Retrouver la Guerre, Folio 2000), extrait d’un rapport du consul américain d’Alep, Jesse B. Jackson, 5 juin 1915. 2 questions sont posées à l’élève : « Par qui les Arméniens sont-ils massacrés ? En quoi ce génocide « illustre »-t-il l’expression « guerre totale » ?  Concernant le bilan du chapitre, l’élève doit montrer « que la guerre de 1914-1918 est une guerre totale, aussi bien pour les militaires que pour les civils » (p. 79).

-    Histoire 1ère L-ES-S (collection Pascal Zachary, Hachette) – thème 2 « La guerre au XXème siècle », chapitre 3 « La Première Guerre mondiale : l’expérience combattante dans une guerre totale », leçon 2 « L’impact d’une « guerre totale » sur l’expérience combattante » (p. 86-87) :

Un sobre rappel conclusif du paragraphe 3 « Les civils à l’épreuve des violences » : « Enfin, la Grande Guerre comporte aussi des violences contre des peuples entiers (génocide arménien en 1915). » (p. 86). Notons toutefois dans la fiche de révision prévue « Les dates clés », la mention : « 25 avril-juin 1915 : génocide des Arméniens (plus de 800 000 morts) » (p. 90). De même, une frise chronologique mentionne le 24 avril 1915, marquant le début des déportations et du génocide d’Arméniens dans l’empire ottoman (p. 73).

-     Histoire 1ère (Hatier) – thème 2 « La guerre au XXème siècle » - leçon 2 « Une guerre totale » (p. 90-91) :

Le premier paragraphe « Les civils plongés dans la guerre totale » rappelle que «  la lutte contre l’ennemi se déplace parfois à l’intérieur des frontières nationales » : « En 1915, le pouvoir ottoman décide de la déportation de centaines de milliers d’Arméniens, accusés de pactiser avec l’ennemi russe. Le premier génocide du XXème siècle fait 1,5 million de morts. » (p. 90). Complété par la mention « 1915-1916 : Génocide arménien » dans l’encadré « Dates-clés » (id.). 3 documents  illustrent l’étude suivante « Les civils dans la guerre », dont l’extrait d’un rapport de Martin Niepage, directeur de l’école allemande d’Alep, au consul d’Allemagne, septembre 1915 (cité par Annick Asso , Le Cantique des larmes, La Table ronde, 2005), et la photographie de « cadavres d’Arméniens ayant succombé aux déportations en masse organisées par le pouvoir ottoman (1915) » (cliché sans précision de lieu, relatif en réalité aux massacres du 30 octobre 1895 à Erzeroum). 2 questions sont posées à l’élève : « De quel type de violence les civils sont-ils victimes ? », « A quel sort les civils arméniens sont-ils soumis dans l’Empire ottoman ? » (encadré,, p. 92). Une frise chronologique de la Première Guerre mondiale figure de même dans ce manuel, mentionnant en rouge le génocide arménien (1915-1916) (p. 83).

-    Histoire 1re ES, L, S (Magnard) – partie II « La guerre au XXème siècle », chapitre 3 « Guerres mondiales et espoirs de paix » :

Suite à la mention du génocide des Arméniens en 1915 dans la frise chronologique 1914-1948 (p. 67), le cours 1 « Combattre pendant la Première Guerre mondiale » (p. 70-77) répond à la question « Comment l’expérience des combats modifie-t-elle les hommes ? » et précise dans son paragraphe consacré à la violence des combats : « En 1915, 1,2 million d’Arméniens sont déportés et massacrés par le pouvoir ottoman, dans ce qui sera qualifié ensuite de génocide. » (p. 70) L’encadré annexe « Vocabulaire » ajoute la définition du mot génocide : « Destruction d’une nation ou d’un groupe ethnique de façon coordonnée, systématique et planifiée. » (id.). Sans préciser cependant le contexte ottoman…

-    Histoire 1re L-ES-S (Nathan) – partie 2 « La guerre au XXème siècle », chapitre 3 « Les guerres mondiales au XXème siècle » : 

Si, là encore, une frise chronologique (1914-1945) mentionne en mai 1915 « Début du génocide arménien » (p. 83), deux études « Les civils, victimes de guerre » (p. 97-98) et « Les violences de guerre » (p. 94-95) renvoient directement au génocide arménien. Définition du génocide rappelée dans un encadré Vocabulaire – « Destruction physique, intentionnelle, systématique et programmée d’un groupe ou d’une partie d’un groupe en raison de ses origines ethniques ou religieuses » (p. 93), extrait d’une lettre de Leslie A. Davis, consul des Etats-Unis, à l’ambassadeur Henry Morgenthau, du 30 juin 1915 (document 5, p. 93). Document à propos duquel 4 questions sont posées à l’élève : « Quelle est la source du document ? », « Quels sont les motifs qui permettent la répression des Arméniens dans l’Empire ottoman ? », « Quelles sont les mesures prises par les Ottomans contre les Arméniens ? », « Montrez qu’il s’agit d’un génocide. » (id.). Le commentaire présentant l’extrait de la lettre évoque le « déplacement de tous les Arméniens installés dans les provinces orientales frontalières de la Russie, accusés de sympathies pro-russes. Cette déportation se transforme en véritable génocide. » (p. 93)…

L’encadré Vocabulaire du cours suivant (« Les violences de guerre ») reprend la définition du génocide (p. 94), tandis que la section consacrée aux « civils, nouvelles victimes de la guerre » consacre un paragraphe au génocide des Arméniens « minorité chrétienne de l’Empire ottoman », « considérés comme des ennemis de l’intérieur » : « Ils sont déjà victimes de massacres à la fin du XIXe siècle, mais les difficultés militaires de l’Empire précipitent leur élimination : soupçonnés de soutenir les Russes et rendus responsables de la situation militaire, le pouvoir ottoman les accuse de compromettre l’issue de la guerre. » (p. 95). Le texte rappelle qu’ « après que les élites de cette minorité ont été arrêtées et mises à mort, une vaste déportation est organisée par le pouvoir : les marches forcées font périr les plus faibles. Egalement victimes d’assassinats et de noyades de masse, ce sont plus d’un million d’Arméniens qui trouvèrent la mort au cours de ce qu’il faut bien appeler un génocide. » (p. 95). Commentaires accompagnés d’une photographie d’une fosse commune en 1915 [source : Gamma Rapho/CRDA-R. Gaillarde] [en réalité : charniers près d’Erzeroum, en 1896], intitulée « Le génocide arménien (1915-1916). Dans l’encadré « Vérifiez vos connaissances », une question est posée à l’élève : « Comment la guerre a-t-elle précipité le génocide des Arméniens ? » (p. 95).

Les 4 manuels d’Histoire-Géographie 1ère STMG, que nous avons retenus pour cette rapide présentation, tranchent par leur mise en perspective novatrice.

Le manuel Hachette consacre un paragraphe au génocide arménien : référence à la « question arménienne dans l’Empire ottoman », arrivée au pouvoir du mouvement nationaliste « Jeune-Turc » en 1913, lequel « les perçoit comme un obstacle à sa politique de redéfinition de l’Etat sur une base ethnique et religieuse » : « Pendant la guerre, les autorités turques les rendent responsables des échecs militaires. » (p. 62). La chronologie est précisée : frise des dates clés de la Première Guerre mondiale avec un chiffrage d’un million de victimes (p. 59), début des évacuations dès mars 1915, rappel de l’élimination des élites militaires et politiques, extrait d’un article du Petit Journal, daté du 11 décembre 1915 (p. 63), mais surtout rappel de la position de l’ONU : « Les Nations Unies désignent en 1973 ces massacres comme le premier génocide du siècle : environ les deux tiers de la communauté trouve la mort. » (p. 62). Le manuel d’Histoire Géographie Education civique 1ère ST2S, publié en avril 2012 chez le même éditeur et dû aux mêmes auteurs, reprend ces développements.

 

Le manuel Hatier consacre une page entière au génocide arménien dans sa série de Documents intitulée « Des sociétés plongées dans la guerre » : chronologie du génocide arménien, qui débute en mars 1878 et s’achève en septembre 1915 ; photographie d’une « marche de la mort » des Arméniens en Turquie (légendée : « Déportation de familles arméniennes vers Alep, 1915 ») ; extrait d’un rapport de Martin Niepage, en septembre 1915, repris de l’ouvrage d’Annick Asso, Le Cantique des larmes (cf. supra). A la lumière de ces documents, 3 questions sont posées à l’élève : « Qu’est-ce qui amène le gouvernement turc à prendre la décision de détruire les Arméniens en 1915 ? S’agit-il du premier massacre ? Quelles sont les modalités du génocide en 1915 ? » (p. 63). Le chiffre d’1,5 million de morts est cité dans le cours suivant « Des sociétés plongées dans la guerre », voisinant avec un diagramme des pertes militaires de la Grande Guerre, où figure la Turquie, et un encadré des notions à retenir, dont celle de génocide : « Mot forgé en 1944 pour définir la pratique de l’extermination systématique de nations ou de groupes ethniques. » (p. 67).

 

Le manuel Magnard rappelle les 7 notions essentielles à maîtriser en introduction au thème 2 « Guerres et paix, 1914-1945 », dont celle de génocide (p. 47), et consacre trois lignes au génocide arménien dans sa leçon 2 « La Première Guerre mondiale, une guerre totale » (p. 56-57) : inclusion dans le développement sur la violence extrême et les crimes de guerre, chiffre avancé d’1 300 000 « victimes d’un des premiers génocides », photographie d’un charnier à Alep en 1915 (source : Bettmann/Corbis), dont la légende rappelle les « massacres planifiés par les autorités » (p. 57). Deux questions sont posées à l’élève : « Localisez l’Empire ottoman (carte p. 50). », « Sur qui le massacre s’exerce-t-il ? » (id.). 

 

Le manuel Nathan propose de même une frise chronologique 1915-1945, laquelle se distingue en débutant par la mention du génocide arménien (p. 64), et consacre deux paragraphes au génocide arménien (1915-1916) dans son cours sur « Les violences de la Première Guerre mondiale » (p. 72-73), rappelant : « En janvier 1915, la défaite de l’armée ottomane contre les Russes sert de prétexte pour accuser les Arméniens, nombreux dans l’empire ottoman, de trahison. » Appelant les « conditions épouvantables » des déportations, le manuel chiffre les victimes arméniennes à 1 500 000, « soit les deux tiers de la population arménienne de l’Empire ottoman » (p. 73). Une photographie de 1915 « Le génocide arménien », représentant un groupe de cadavres et quatre témoins, sans mention du lieu, accompagne le texte. L’élève est amené à s’interroger : « Quel type de violence est ici présenté ? » (id.). La définition du génocide, présente dans cette même page (encadré « Notion »), rappelle le nom de Raphaël Lemkin. Surtout, ce manuel est le seul à évoquer l’actualité du négationnisme : « L’absence de reconnaissance du génocide arménien par la Turquie reste une source de fortes tensions dans les relations entre les deux pays. » (p. 73). A noter que ces mêmes développements sont repris dans le manuel d’Histoire et Géographie Education civique de 1ère ST2S (Nouveaux programmes), publiés en avril 2012 chez le même éditeur et conçu par la même équipe rédactionnelle (p. 58, 66-67)

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Le panel 2011-2012 (filières 1ère L-ES-S-STMG) conforte ainsi les avancées des précédentes refontes éditoriales, tout en maintenant des zones d’interrogation. Force est de noter le décalage entre la définition, souvent rappelée, du fait génocidaire, impliquant une analyse, même sommaire, des enjeux du nationalisme turc ottoman, à la lumière des travaux exemplaires d'un Taner Akçam et la brutalisassions, appuyée au plan iconographique, du premier conflit mondial. « Donner à la fois de la chair et du sens à la leçon d’histoire » (8) : le génocide arménien, paradigme de la guerre au XXème siècle ou question citoyenne, toujours actuelle ?

 Notes

1. Georges Festa : « Le génocide arménien dans les manuels scolaires (classe de 1ère L-ES) – panel 2003 », paru en 2006 in http://www.yevrobatsi.org, rééd. in http://armeniantrends.blogspot.fr/2009/02/enseigner-teaching.html ; « Arménie et Arméniens dans les manuels d’Histoire en classe de Première », in Actes du Colloque Arménie : de l'abîme aux constructions d'identité, Cerisy-la-Salle, août 2007 – Paris : L’Harmattan, 2009

2.  Bulletin officiel spécial n° 9 du 30 septembre 2010 (nouveaux programmes d’enseignement commun d’histoire et de géographie de la classe de première de la voie générale), https://eduscol.education.fr/pid23208-cid56538/ressources-pour-la-classe-de-premiere.html ; Bulletin officiel du 1er mars 2012 (programme d’histoire-géographie et éducation civique en première ST2S [série Sciences et technologies de la santé et du social] et STMG [série Sciences et technologies du management et de la gestion], http://www.education.gouv.fr/cid59466/au-bo-du-1er-mars-2012-programme-d-histoire-geographie-et-education-civique-en-premiere-st2s-et-stmg.html.

3.   Source : Ministère de l’Education nationale, http://www.education.gouv.fr/cid195/les-chiffres-cles.html#Les_%C3%A9l%C3%A8ves

4.   Institut Français de l’Education (Lyon), équipe ECEGH - http://ecehg.inrp.fr/ECEHG/

5.   Bréal, collection DIV, 2007, 320 p. – ISBN-13 : 978-2749507224.

6.   http://www.education.gouv.fr/cid53319/mene1019675a.html

7.   http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=59167

8.Ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative, DGESCO – IGEN, Ressources pour le lycée général et technologique, http://cache.media.eduscol.education.fr/file/lycee/69/6/LyceeGT_Ressources_Hist_1_01_Demarches_184696.pdf

 [Enseignant, Georges Festa a récemment publié une traduction de Black Dog of Fate de Peter Balakian (Le Chien noir du destin, Genève : MetisPresses, 2011) et a co-dirigé avec Denis Donikian le colloque Arménie : de l’abîme aux constructions d’identité, organisé au Centre Culturel International de Cerisy-la-Salle en août 2007 (Paris : L’Harmattan, 2009). Ouvrage à paraître : Micheline Aharonian-Marcom, Le Garçon qui rêvait le jour, traduit de l’américain (2013).]

 
Note de l'Éditeur -

Ces manuels d'Histoire en classe de 1ère, conçus par des équipes d'enseignants et supervisés par l'Inspection de tutelle disciplinaire (Histoire et Géographie), continuent de faire état, ne fût-ce que pour en faire mention, de la thèse rebattue - et invalidée - des Arméniens soupçonnés d'être complices de la Russie sur le front oriental - comme si, en parlant du génocide des Juifs, certaines thèses nazies étaient encore reprises.

Par ailleurs, mis à part un manuel qui se réfère à l'historien Fuat Dündar, pas un ne se réfère aux travaux centraux de Taner Akçam !

En fait, le génocide arménien continue d'être classé dans les dommages collatéraux du premier conflit mondial (violences sur les populations civiles).

Du fait du négationnisme officiel de la Turquie, de l'absence de lieux de mémoire comparables aux camps nazis, et de courants négationnistes subsistant au sein de la communauté des chercheurs ici ou là, il semble que les insuffisances de ces manuels puissent aisément s'expliquer.

Cela dit, le fait génocidaire est bel et bien reconnu, repéré au plan chronologique pour les élèves, mais reste marginal comparé au traitement réservé au génocide juif.

Notons encore l'iconographie parfois décevante (erreurs, absence de datation ou de localisation) et les chiffres allant de 650 000 à 1,5 million de victimes, selon les manuels.

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