Bulletin d'information de la J.A.C. N°15  — Avril 2004

Au lendemain du génocide, les traités de paix et les Assyro-Chaldéens

Les massacres

Le XXe siècle restera pour le peuple assyro-chaldéen celui de la tragédie. En effet, depuis la chute de Ninive, de Babylone et des royaumes araméens, les Assyro-Chaldéens n'ont jamais été à l'abri des persécutions, qui prirent une tournure dramatique avec ce siècle. Évalués à 750 000 membres en 1914, ils vivaient, à la veille de la première guerre mondiale, au sud et sud-est de la Turquie (Tour Abdin, Mardin, Diyarbakir, Hakkari, Seert), au nord-ouest de l'Iran (Ourmiah et Salamas), en Irak septentrional (Mossoul, Kirkouk, Dehok, Zakho, Arbèle...), dans la Djézireh syrienne et au Caucase (Géorgie et Arménie)..Un tiers de la population vivait dans un espace géographique arabe et deux tiers dans l'aire turco-persane. Lorsque la Turquie entra en guerre en novembre 1914, les Assyro-Chaldéens crurent l'heure de l'affranchissement de la domination ottomane proche. Ils prirent part à la guerre aux côtés des Alliés. D'abord quelques faits historiques méritent d'être signalés. Durant l'hiver 1914-1915, lorsque les Turcs prirent l'offensive contre les Russes sur le front du Caucase, ils envoyèrent une armée renforcée de tribus kurdes dans la province persane de l'Azerbaïdjan à l'est du vilayet de Van, dans les parties occidentales du lac d'Ourmiah, dont la population était composée en majeure partie d'Assyro-Chaldéens. Or les forces russes trop faibles en nombre, qui occupaient la province depuis 1911, se retirèrent vers le nord, le 2 janvier 1915. Alors, les troupes turco-kurdes pénétrèrent jusqu'à Tabriz, tandis que les villages assyro-chaldéens restaient en leur possession de janvier à fin mai 1915. Les Russes furent suivis dans leur retraite par une partie de la population -près de 15000 personnes- qui souffrirent des rigueurs de l'hiver lors de l'exode.

Ceux qui restèrent, se réfugièrent dans la ville d'Ourmiah et subirent toutes sortes d'exactions durant les vingt semaines de l'occupation turco-kurde de la ville. La guerre fut très meurtrière pour les Assyro-Chaldéens. Plusieurs milliers périrent du fait des troupes turques et des irréguliers kurdes. Des massacres eurent lieu. Ce fut un génocide sur l'ensemble du territoire assyro-chaldéen. A ce sujet les documents émanant aussi bien des autorités officielles politiques, civiles et religieuses françaises, britanniques, allemandes et américaines, sont nombreux et éloquents, et reconnaissent les malheurs subis par ce petit peuple. Un exemple : le Blue Book britannique. On ignore que ce Livre Bleu intitulé The treatment of Armenians in the Ottoman Empire, édité sous la direction de l'éminent historien Arnold J. Toynbee, traite aussi des massacres assyro-chaldéens de la Grande Guerre. En effet, sur les 684 pages composant l'édition originale anglaise, 104 sont consacrées aux Assyro-Chaldéens. Et toute la documentation provient de témoins oculaires.

A l'époque, plusieurs appels furent lancés en direction des pays européens. Maints ouvrages furent rédigés en vue de faire connaître ces douloureux événements et d'alerter l'opinion publique mondiale.

Promesses d'autonomie

Au lendemain de la victoire des Alliés, l'Empire Ottoman démantelé, les Assyro-Chaldéens furent remplis d'espoir. Ils se laissèrent persuader que la Grande-Bretagne et la France leur accorderaient un foyer national sur leurs terres ancestrales. Cela était d'autant plus vraisemblable que les Anglais s'étaient engagés à leur accorder soit une entité autonome, soit à faire des arrangements en vue de leur garantir la sécurité d'une existence honorable. Des déclarations furent faites par les autorités britanniques dans ce sens. La France avait tenu des propositions similaires et avait fondé en Syrie un Bataillon assyro-chaldéen. Le Général Gouraud déclarait en 1920, que la France est « d'avance disposée à donner aux Assyro-Chaldéens établis sur le territoire sur lequel elle exerce le mandat leur indépendance et les garanties dues aux minorités. »

A Paris, devant la conférence de la Paix (1919)

Lors des négociations de paix qui se sont déroulées à Paris en 1919, plusieurs délégations assyro-chaldéennes s'adressèrent aux Alliés. Six mémorandums furent remis au secrétariat de la Conférence, et cinq délégations y étaient présentes, lesquelles réclamaient sans exception, un État assyro-chaldéen. Celle conduite par Saïd A.Namik et Rustem Nedjib, venus de Turquie, était soutenue par le patriarche chaldéen Joseph Emmanuel II Thomas, qui viendra en Europe en 1919 faire entendre le message de son peuple. C'était la délégation la plus active et son mémorandum retint l'attention des négociateurs et des diplomates. Ses représentants seront reçus par le président de la République française, Paul Deschanel, en 1920. Leurs revendications visaient à la constitution d'un État assyro-chaldéen autonome en Mésopotamie. Les différentes délégations nourrissaient de grandes prétentions mais avaient des désaccords notoires, notamment en matière politique. Elles divergeaient sur la puissance tutélaire et sur un éventuel mandat exercé par la SDN. Certains, les catholiques, étaient favorables, à un mandat français sous la tutelle de la SDN, alors que les Assyriens "nestoriens" et les protestants caressaient des projets dans le sillage britannique et américain.

Les 19-25 avril 1920, la Conférence de la Paix se réunit à San Remo. C'est là que furent arrêtés sous leur forme définitive, les conditions du traité de paix avec la Turquie. A cette Conférence de nombreux accords conclus entre les puissances alliées (France, Grande Bretagne...) sur le partage du Proche-Orient, sont remis à jour à la lumière des rapports de force. Un mémorandum relatif à un accord au sujet des pétroles fut signé à San Remo, le 24 avril 1920, entre la France et la Grande Bretagne, sous les auspices de la SDN. En vertu de cet accord, le vilayet de Mossoul est attribué à l'Irak sous mandat britannique. En contrepartie, le gouvernement britannique s'engageait à accorder au gouvernement français, ou à ceux qu'il désignera, une part de 25% des prix courants du marché, dans la production nette d'huile brute.

Le traité de Sèvres (10 août 1920) : un mince espoir

Le 10 août 1920, le traité de Sèvres fut signé entre les puissances victorieuses et la Turquie. Dans cette consécration du démembrement de l'Empire ottoman, quel fut le sort réservé aux Assyro-Chaldéens?

Il est dit que le plan futur devra « comporter des garanties complètes pour la protection des Assyro-Chaldéens et autres minorités ethniques ou religieuses » à l'intérieur d'un Kurdistan autonome.

Mais ce traité n'a jamais été appliqué et fut remplacé par celui de Lausanne.

Le traité de Lausanne (24 juillet 1923) : la fin des illusions

Trois ans après le traité de Sèvres, le traité de Lausanne a annihilé l'autonomie politique des Assyro-Chaldéens et des autres minorités ethniques. Ce traité met fin au dossier assyro-chaldéen comme peuple. Une délégation assyro-chaldéenne présenta au nom du "Conseil national assyro-chaldéen" des réclamations spécifiques à la Conférence de Lausanne, en décembre 1922 et janvier 1923. Trois notes seront adressées à la Conférence et leurs délégués viendront à Lausanne plaider la cause de leur peuple, mais en vain.

Conclusion

De la Conférence de la paix (1919) au traité de Lausanne (1923), en passant par le traité de Sèvres (1920), les pays européens et notamment la France, ont accueilli et traité avec sympathie les revendications assyro-chaldéennes. Mais des impératifs économiques et géopolitiques viendront l'emporter sur les considérations humanitaires. Reconnaître aujourd'hui le génocide assyro-chaldéen de 1915, n'est-ce pas rendre justice à un peuple vivant, mais indûment oublié, qui a pourtant grandement contribué à la civilisation mondiale.

Joseph Yacoub

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