PROCÈS DU GÉNOCIDE

Dossier :  Négationnisme et nationalisme rampant

Ce qui suit est la traduction d'un article, supposé être une interview du quotidien El Pais de Madrid accordé à Monsieur Halil-Berktay chercheur en histoire. Cet interview ne semble pas avoir, sauf erreur, été publié dans le quotidien espagnol. Nous reprenons donc le texte anglais publié sur ce site.

Sur le nombre de victimes par exemple, il a le culot de renvoyer les Arméniens et les Turcs dos à dos : victimes et bourreaux, tous pareils !

L’historien libéral répond positivement à la première question d’El Pais : s’agit-il d’un génocide ? avant de proposer une position oui et non. Puis très vite, l’intellectuel éclairé s’avère un  nationaliste caché qui ressort sans avoir l’air d’y toucher toutes les accusations, arguments et justifications que nous entendons depuis des décennies. Cet “historien” a décidément une vision à sens unique de la décolonisation des pays balkaniques, de la Grèce et de la Crète (et du Caucase)
Un chantre ambigu de l’AKP et un soutien d’Erdogan, Erdogan presque présenté comme un humaniste épris de réconciliation et de paix. Oubliées les insultes, les menaces à la population arménienne venue chercher un job dans ce pays. Oubliés les Kurdes, et surtout, pas un seul mot de regret sur l’assassinat de Hrant Dink.
 
Pour finir, d’après lui, les résolutions, la lutte contre le négationnisme,  et la reconnaissance des pays tiers ne servent à rien.  Pourquoi alors son ami Erdogan dépense-t-il des fortunes à chaque fois qu’un pays veut le faire ?

Traduction, commentaires, pour Armenews et Imprescriptible : Gilbert Béguian

Coup d'État ou pas, un génocide est un génocide et il a eu lieu.

J'entreprends en ce moment une incursion dans l'histoire à partir d'événements actuels. Le 9 juillet, en liaison peut-être avec une visite du Pape François et la réaction officielle turque qu'elle a provoqué, six questions m'ont été posées, sur les faits et la politique autour de ce qui s'est passé en réalité en 1915, par le quotidien El Pais de Madrid, considéré en général comme le journal au plus fort tirage en Espagne. J'ai proposé mes réponses le 13 juillet, et on m'a dit qu'elles seraient publiées le week-end, c'est à dire les 16-17 juillet. Mais alors survint le coup d'état avorté, et l'attention a été attirée sur autre chose. Un mois s'étant écoulé depuis lors, je prends maintenant la liberté de publier ci-dessous la totalité de mon texte. Une traduction en turc suivra demain.

15.08.2016
Halil-Berktay
Yaşarken ve Okurken


 

1. Pensez-vous que les massacres et déportations de 1915 constituent un " génocide "

Oui, je le pense, et c'est ce que j'ai dit à plusieurs fois dans le passé – dans divers articles, papiers, interviews et discussions entre spécialistes (depuis 2002) trop nombreux pour être comptés.

En 1915, le gouvernement du Comité union et progrès, et plus spécifiquement son triumvirat directeur (ou dictature militaire) d'Enver, Talat et Cemal pacha, ont passé des ordres pour la prise de certaines dispositions cruelles contre les sujets arméniens de l'Empire ottoman, pour l'unique raison qu'ils étaient Arméniens (qu'il fallait dans leur ensemble considérer comme une population suspecte, selon les thèses du turquisme et du darwinisme social nouvellement découverts). Sur cette seule et unique base, ils ont été rassemblés dans les 48 heures de la parution de cette mesure, forcés de laisser tous leurs biens derrière eux, seulement autorisés à emporter un minimum d'argent et d'affaires avec eux, et déportés dans de longs convois, à pied, en direction du désert syrien. Tout ce qu'ils ont abandonné a été rapidement confisqué par l'état.

Il s'en suit, ne serait-ce que pour cela, qu'il s'agit d'un génocide en soi d'après la Convention des Nations-Unies de 1948 – dans la mesure où il s'est agi d'une destruction totale ou partielle d'un peuple, ou d'une communauté (ethno-religieuse). Mais aussi, quand les convois arrivaient à l'est ou au sud-est de l'Anatolie, ils étaient de plus en plus victimes d'attaques "mystérieuses", qui finirent en d'énormes massacres. En réunissant les uns aux autres des éléments de preuve, il est possible de démontrer au-delà de tout doute raisonnable, que les premières de ces attaques étaient organisées par des hommes de main de l'Organisation spéciale du Comité union et progrès, (Teskilat–i Mahsusa), qui avait déjà été déployés à l'intérieur pour organiser des détenus et autres agitateurs en bandes de tueurs, et aussi pour inciter les tribus musulmanes repoussées auparavant du Caucase par l'avancée des troupes tsaristes au massacre de ces autres chrétiens hais.

C'est ainsi que ces massacres primaires ont signalé à tous que les Arméniens n'étaient plus sous la protection du droit (que la chasse était ouverte et que le jeu était ouvert à tous), comme cela se produit en de telles circonstances, les pires éléments de la population musulmane turque, motivés par l'aubaine, la jalousie, l'avidité ou la haine, entreprirent eux aussi, à une échelle plus réduite, leurs pogroms secondaires ou tertiaires locaux. Comme coup de grâce, des groupes de misérables survivants, titubant vers le sud dans le désert, furent encore décimés par la faim, la soif, la maladie ou moururent d'épuisement.

Combien y a-t-il eu de morts dans ce processus? Ii y a un jeu de chiffres atroce et dégoûtant toujours joué par le nationalisme turc, qui essaie de minimiser le bilan des morts à "pas plus" de 250 000, contre le nationalisme arménien qui tend à le pousser à un million ou plus. Le premier, déjà horrible, est probablement trop faible, et le deuxième est très exagéré, (véritablement très proche de la population entière arménienne existant à l'époque). Plus réaliste est le nombre de 600-650 000, qui est plus ou moins celui qu'Encyclopaedia Britannica a toujours indiqué.

Le résultat net a donc été l'extermination presque totale des Arméniens ottomans, ne laissant que peu de survivants en Turquie et une diaspora mondiale beaucoup plus nombreuse. Était-ce un génocide? Bien sûr que c'en était un. Et comme je l'ai indiqué, pas seulement du fait des massacres concernés. En même temps, est-ce que j'aime ce terme de génocide? En particulier, est-ce que j'aime le débat sur ce qui s'est passé en 1915 tendant à le réduire à la question: était-ce ou non un génocide? Répondez clairement, oui ou non? Cette fois, ma réponse est un emphatique "non". Pourquoi? Parce que le mot-g est un terme de juriste plutôt qu'un terme d'historien. Il s'est avéré être défini comme un crime du droit international. Et donc, il est également devenu un mot à la mode, un cliché, un substitut réducteur pour une réelle compréhension historique. Chaque fois qu'il est employé, il crée immédiatement une ambiance de tribunal dans laquelle les preuves historiques et les arguments sont transformés en notes de bas de page d'un dossier juridique, celui du l'accusation ou celui de la défense. Pour finir et surtout, il semble mettre la Turquie et le public turc au banc des accusés, collectivement poursuivis pour crimes contre l'humanité. Au total, au lieu de faciliter le progrès et la libéralisation de la discussion, il tend à le gêner et à le polariser. Il est à présent tout à fait possible de mener un débat raisonné sur ce qui s'est passé en 1915 sans le réduire à génocide-ou-non, posant et répondant à des questions de façon calme et dans le respect du contradictoire. Lorsque le mot-g vient dans la discussion, cependant, la discussion dans sa totalité devient impossible. C'est dommage, pour de larges fractions du public turc, capable d'accepter que la tête du CUP a donné l'ordre et commis des choses terribles sans nécessairement accepter que ce soit un génocide.

Peut-être faudrait-il se souvenir ce que Shakespeare sous entendait (dans Romeo et Juliette)!
Qu'est-ce qu'un nom? Ce que nous appelons une rose,
Portant tout autre nom, sentirait aussi bon.

2. Pourquoi la Turquie refuse-t-elle de regarder son passé?

Ce n'est pas le cas. Elle refusait de le faire dans les années 1980 et 90, mais ce n'est plus vrai. Au moins pas au même point. La négation du passé était basée sur le culte des ancêtres, ou sur l'allégeance à l'unionisme ou l'ataturquisme. Ce qui est arrivé aux Arméniens en 1915 était simplement occulté par le nationalisme turc. C'est ainsi que le sujet est devenu tabou, faisant partie des choses à ne pas mentionner ou discuter. Ça et là, quelques intellectuels, vivant pour la plupart à l'étranger, parlèrent. C'étaient des voix isolées dans le désert.

Les choses commencèrent à changer à partir de 2000. Quelques conférences internationales entre intellectuels turcs (non négationnistes), arméniens et arméno-américains eurent lieu pour la première fois. Elles constituèrent un nouveau départ en ne se perdant pas dans les discussions politiques et les marchandages; on commença un langage de spécialistes et un parcours commun de connaissance fut entrepris. Certains parmi eux franchirent une étape de plus en donnant des interviews aux quotidiens turcs, brisant ainsi le mur du silence. Au début, de telles déclarations provoquaient la colère des milieux nationalistes, mais par la suite, de plus en plus de voix courageuses se faisant entendre, ces réactions se raréfièrent.

En même temps, une nouvelle force issue non pas du centre traditionnel mais de la périphérie politique turque longtemps ostracisée, gagna les élections de 2002, venant au pouvoir et se consolidant tout au long des quatorze années suivantes. L'AKP n'était pas dans la tradition unioniste-kémaliste et ne l'a jamais été. Ses conceptions étaient plus proches d'un islamisme modéré que d'un nationalisme pur et simple. Comme tel, il a cherché à prendre ses distances avec les vieux tabous de l'état nationaliste – sur Chypre, sur la question kurde, et aussi sur la question arménienne. Ce scepticisme relativement éclairé a été favorisé par les efforts émancipateurs des universitaires et intellectuels de la société civile mentionnés plus haut, leur apportant jusqu'à un certain point une protection qu'ils n'avaient pas jusqu'alors. Fondamentalement, de 2002 à 2016, l'AKP ne s'est engagé à l'intérieur dans aucune chasse aux sorcières, ni dans aucune autre pratique de terreur psychologique du genre de celles employées dans le passé sur ceux qui parlaient le langage de la vérité historique (avec ou sans le mot-g) de ce qui s'est passé en 1915. Il a également pris des mesures pour assurer par exemple que toutes les conférences anti-négationnistes à partir de 2005 puissent être tenues. Il a également largement arrêté la fabrication de pseudo-histoire comme la Société d'histoire turque (de laquelle la plupart des écrivaillons membres de la virulente vieille garde anti-arménienne ont été éliminés sans heurts).

Cette dialectique entre les luttes universitaires-intellectuels et une approche de gouvernement plus modéré ont mené à une libéralisation de tous les domaines dans l'espace turc, contribuant, au niveau de la société civile, à un certain degré de normalisation du dialogue qui aurait été impensable vingt ans plus tôt. En politique, cela a amené à passer l'étape de deux messages successifs, absolument sans précédent, de condoléances aux descendants des morts de 1915 envoyés respectivement en 2014 et 2015 par les premiers ministres Erdogan puis Davutoglu. Par ces messages et d'autres, en outre, le gouvernement a officiellement reconnu qu'en elle-même, la déportation de 1915 était illégale et un crime haineux.

On ne peut donc pas ramener à un simple refus de faire face au passé. En même temps, il est également vrai que le gouvernement a arrêté de s'interdire d'employer le mot génocide. En d'autres termes, c'est un progrès considérable, même au sein de l'establishment, en termes de revisite du passé et de confrontation avec ce passé – et non toutefois, la 'reconnaissance du génocide' pure et simple demandée par l'Arménie, la Diaspora arménienne et la plupart du monde extérieur. MA perception est qu'il ne s'agit plus d'une question d'histoire mais de diplomatie. C'est probablement l'objet de vos questions 4,5 et 6 ci-dessous. Cela peut-être que le gouvernement turc ne sait pas ce qui se passerait s'il devait aller plus loin s'il devait continuer et dire oui, c'était un génocide. Que ferait l'Arménie ou que demanderait-elle? Demandera-t-il des compensations matérielles ou même des terres? C'est ce que les Dachnags, les radicaux nationalistes arméniens n'ont pas cessé de dire. Trois R, comme ils disent, Reconnaissance, Réparations, Restitution (des terres), Il est certain qu'aucun gouvernement turc n'est en capacité de concéder le dernier. Il est très probable, cependant, qu'avant de passer une quelconque nouvelle étape, il demanderait à l'Arménie de montrer son jeu. Inversement, aussi longtemps que l'Arménie tient ses cartes serrées sur la poitrine, reconnaître le génocide comme génocide devra attendre. Qu'on me permette cependant d'insister, il ne s'agit pas de ma part d'une indication pour un autre axe de défense ou une critique de la politique de la Turquie. J'essaie simplement d'être aussi neutre et factuel que possible. Il ne s'agit de rien de plus qu'une réflexion d'un simple individu avisé.

3. La reconnaissance est-elle une obligation juridique?

Franchement, je ne comprends pas la question. Comment peut-il y avoir une obligation légale (en Turquie) de reconnaître le Génocide des Arméniens? Si tel était le cas, la question aurait été réglée depuis longtemps. Ou alors demandez-vous s'il y a une disposition légale qui interdirait de le reconnaître? Tel n'est pas le cas non plus. En d'autres termes, il n'y a jamais rien eu dans le droit turc interdisant l'anti-négationnisme., les discussions historiques fécondes sur ce qui s'est passé en 1915. En particulier avant 2002 et même après 2002 (même si le gouvernement a cessé ensuite), il y a eu une énorme quantité des pressions, des menaces, des chantages, et d'autres formes de terreur psychologique, informelles et extra légales, auxquelles des gens comme moi et sur moi-même avons été confrontés. Mais non, il n'y a pas eu de poursuites judiciaires (sauf si vous vous lanciez dans le racisme inversé qui consiste à dire des choses comme " tous les Turcs sont des criminels et des assassins " – ce qui est quelque peu diffamatoire envers l'identité turque et pourrait servir à des inculpations sur les dispositions d'un article distinct, non spécifique à 915). J'ai moi-même par exemple constamment parlé de 1915 depuis 2000 (avec et sans le mot-g), mais aucune charge n'a jamais été retenue contre moi. Il est tout aussi vrai, bien sûr, qu'indépendamment de toute prudence politique consciente mais simplement du fait de ma formation d'historien, j'ai toujours été prudent sur le terrain de l'histoire, m'interdisant de recourir à des accusations gratuites contre 'tous les Turcs', (ou de même 'tous les Grecs', ou 'tous les Allemands', ou 'tous les Espagnols' ou 'tous les Arméniens').

4. La Turquie croit-elle qu'il pourrait y avoir des revendications territoriales infondées (en plus de la question des réparations aux descendants) par l'Arménie en arrière-plan de la reconnaissance du génocide?

Oui, je le pense. Comme j'ai déjà essayé de l'indiquer dans le dernier paragraphe de ma réponse à la question 2, si cela n'est pas une forte croyance, cela est au moins considéré comme une possibilité distincte et par conséquent comme la source d'une certaine anxiété. Permettez-moi de répéter ce que j'ai dit plus haut…

Il se peut que le gouvernement turc ne sache pas ce qui pourrait se passer s'il devait avancer et dire oui, c'est un génocide. Que ferait ou demanderait alors l'Arménie? Demandera-t-elle des réparations matérielles, ou même peut-être des terres? C'est ce que les Dachnags, en tant qu'Arméniens nationalistes, ont dit constamment. Les trois R, comme ils les présentent, Reconnaissance, Réparations, Restitution (des terres). Le dernier est certainement quelque chose qu'aucun gouvernement turc ne concèdera un jour. Il est par conséquent probable qu'avant de franchir une étape quelle qu'elle soit, ils voudront que l'Arménie dévoile son jeu. Inversement, aussi longtemps que les Arméniens serrent leurs cartes sur leur poitrine, reconnaître le génocide comme un génocide devra attendre. Permettez-moi cependant d'insister, cela n'est pas considéré comme un second volet de défense ou une critique de la politique turque sur ce point: je m'efforce simplement d'être aussi neutre et factuel que possible. Cela n'est absolument rien d'autre que l'impression raisonnée d'un individu.

5. La Turquie devrait-elle payer des compensations aux descendants des Arméniens citoyens de l'empire ottoman? Ou à l'état arménien ?

Il s'agit là de questions de droit et politiques que franchement, j'ai toujours refusé de suivre, et par conséquent, aussi des questions à propos desquelles je ne sais pas grand-chose. Comme historien, mon premier souci a toujours été la vérité historique, et par conséquent la liberté absolue et non négociable de parler et d'écrire sur ce point, de discuter ce point, de publier sur ce point tout aussi normalement que sur la gravitation ou l'évolution biologique. C'est là quelque chose qui est dû à moi-même, à ma profession et à mes concitoyens. Quelles qu'en soient les conséquences. Et permettez-moi de souligner que l'une quelconque de ces conséquences ne se déduira pas automatiquement, d'une façon douce et linéaire, des découvertes et conclusions d'historiens. Au lieu de cela, elles seront le produit de la politique, de la diplomatie, voire de rapports de force entre les états ou nations tels qu'ils existeront à ce moment-là. C'est un jeu, non pas pour les historiens, mais pour les avocats et les politiciens

6. Le problème de la négation du Génocide des Arméniens a un gros impact sur les relations diplomatiques de la Turquie. Cela étant, pourquoi la Turquie refuse-t-elle de revisiter son passé ?

J'ai déjà dit que la situation ne peut plus être décrite comme " un refus de revisiter le passé " (voir la Question 2 ci-dessus). Je m'en tiendrai donc au problème du génocide beaucoup dans une définition beaucoup plus étroite.

Dans un pays, tout ne peut pas être décidé de façon externe, à l'intérieur de la sphère diplomatique internationale. Le poids domestique de la société en question compte lui aussi, sa masse et son inertie; la société a sa propre dynamique, et il peut être difficile de la contourner. Rien ne peut simplement être tiré d'une comparaison des avantages et des inconvénients. Le passé peut être un énorme poids mort à porter sur son dos. Il y a les questions d'idéologie, avec les rivalités politiques qui peuvent en découler qu'il convient de considérer.

Malgré tous les progrès faits depuis 2000, il reste un problème continu d'intensité et de durabilité du nationalisme turc. Il trouve ses racines de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème, lorsque virtuellement tout le monde se mettait en avant et s'efforçait d'avoir sa part du démembrement de l'homme malade de l'Europe. Les nouveaux nationalismes dans les Balkans ont énormément persécuté et nettoyé ethniquement leurs populations turques musulmanes, causant un exode massif depuis l'Europe du sud (ou de Crimée, ou du Caucase) vers l'Anatolie. Les Grandes Puissances protégeaient principalement leurs citoyens chrétiens contre "l'autre, le Musulman". Cette perte d'un empire fut un profond traumatisme, contrent lequel le nationalisme naissant développa son propre sentiment victimaire (qui mena à la sorte de vindicte meurtrière qui perpétra le Génocide des Arméniens). Ce sentiment d'être éternellement discriminé par l'Occident s'est continué jusqu'à aujourd'hui. Il a été encore plus renforcé par les réactions explicitement islamophobes que l'AKP a subies. " Ils ne nous accepterons jamais comme égaux à eux, ils ne nous prendrons jamais dans l'UE, ils ont ce mépris eurocentrique, orientaliste à l'égard de nous, musulmans, qui ne les quittera jamais ". On ne fait qu'entendre cela tout le temps. Face au défi particulier de reconnaissance du Génocide des Arméniens, des larges sections du public turc ainsi que l'AKP demandent constamment: Pourquoi nous? Et pourquoi nous seulement? Est-ce qu'on demande à toutes les nations d'expier pour leur passé avec autant de rigueur? Ou est-ce seulement la Turquie? Entre temps, que dire de ce qu' " ils " nous ont fait en premier? Si nous reconnaissons le Génocide des Arméniens, est-ce qu'eux aussi, au moins reconnaîtront-ils le sort tragique des Turcs musulmans de Crète, de Grèce, de Bulgarie et de Serbie? Qui parle pour le Turc? Avons-nous un ami dans le monde? (Je pourrais ajouter quel pourcentage de la population russe veut reconnaître le massacre de la Forêt de Katyn, et soutient l'idée de s'excuser formellement auprès de la Pologne pour cela? Combien d'Israéliens expriment pour condamner et s'opposer politiquement à ce qui a été fait aux Palestiniens depuis 1948. Ou, pardonnez mon ignorance, mais l'Église en Espagne a-t-elle pleinement assumé son rôle au cours de la Guerre Civile ou pour son soutien par la suite de la dictature de Franco?

Je ne mentionne nullement tout cela pour relativiser le Génocide des Arméniens en le comparant à d'autres pêchés, ou pour le justifier (comme certains nationalistes aiment cruellement le faire) en insinuant que c'était une vengeance justifiée et/ou un acte d'auto-défense anti-impérialiste – mais uniquement pour relever qu'ici, en réalité, il y a une vrai soif de compensation psychologique que le reste du monde ferait bien de considérer; s'il ne le fait pas, c'est parce qu'il ne peut pas se mettre à la place des Turcs. Face à tout le chantage beaucoup plus nationaliste qu'il a déjà subi venant du CHP ataturkiste ou de l'opposition fasciste du MHP, même avec les meilleures intentions, le gouvernement du parti majoritaire AKP ne peut se permettre d'ignorer cette attente.

Ajoutez à cela les anxiétés envers les demandes d'indemnisations ou de terres que j'ai précédemment citées. Ajoutez en plus à la perception officielle, tandis que l'AKP déménageait, prenant des risques, et faisant divers gestes dans les messages du gouvernement en 2014-2015, en même temps que d'autres changements qu'il a tranquillement faits, même pas appréciés à moitié, ils ont tous été ignorés. Que l'Arménie et/ou les Arméniens aient refusés de serrer la main qui leur était tendue. Qu'au lieu de cela, ils ont pu prendre cela pour un signe de faiblesse, préférant fouetter un cheval tombé dans la rivière.

Une fois de plus, je ne dis pas tout cela pour défendre ou pour excuser des éléments survivants du négationnisme [en français dans le texte en anglais] présents dans la diplomatie turque. Au lieu de cela, j'essaie de rédiger mes observations.

Mais alors, tout cela serait-il le début d'une compréhension des raisons pour lesquelles il n'est plus aussi sûr que la reconnaissance du génocide par des tiers, sous forme de résolutions ou autres pressions externes, ait une quelconque efficacité?