Extraits de
TÉMOIGNAGES DE SURVIVANTS, TÉMOINS OCULAIRES
DU GÉNOCIDE DES ARMÉNIENS,
recueillis par
Verjine Svazlian ethnologue,

Verjine Svazlian a passé sa vie à aller de village en village recueillir les témoignages des rescapés du génocide perpétré par les Ottomans,
non seulement sur les Arméniens, mais aussi sur les Assyro-Chaldéens et les Grecs Pontiques.
traduction française par Louise Kiffer

Récit de:Sirvart Kotchalian née en 1906 à Peylan.
Récit de Karoun Andonian Née en 1910 – Moussa Lér
Récit de Hagop Manoug Krikorian né en 1903 à Sassoun, Dalvorig
Récit de Khatchadour Haroutioun Ghougassian né en 1898 à Bitlis, Havarik
Récit de Peniamine Pislamian né à Moussa Lér en 1903
Récit de Sirvart Antréassian Née en 1908 à Adabazar
Récit de Nevart Chirinian  Née en 1909 à Yévtoguia
Récit de Hagop Pachayan Né en 1907 à Peylan
Récit de Mariam Karatchian Née en 1903 à Atiyaman
Récit de Yéva Manoug Tchoulian Née en 1903 à Zeitoun
Récit de Yetvart Markar Tachdoyan Né en 1907 à Chadakh
Récit de Hagop Mourad Mouradian né en 1903 à Fentek dans le sandjak de Seghért, vilayet de Bitlis.
Récit de Vazken Hovsép Satatian Né en 1907 à Adabazar
Récit de Parouhi Silian Née en 1900 à Nicomedia
Récit de Payloun Bédros Dérdérian ; Né en 1907 à Kharpert, village de Yéghék
Récit d'Aram Keusséyan ; Né en 1908 à Kharpert
Récit de Mouchégh Sarkis Démirdjian
Récit de Bédros Kéchichian Né en 1909 à Darson
Récit de Ghazaros Khrimian, Né en 1911 à Darson

Récit de Soghomon Roupén Yéténiguian Né en 1900 à Mersine
Récit de Haroutioun Dikran Dzoulikian Né en 1896 à Guéssaria
Récit de Mesrob Hagop Minassian Né en 1910 à Samsoun
Récit de Aroussiag Néférian Née en 1906 à Adana
Témoignage de Serpouhie Magarian Née en 1903 à Adana.
Récit de Armig Kalousti Tertchian Née en 1912 à Van
Récit de  Dzaghig Kévork Tchinimian - Née en 1910 à Iktir, Gorghp
Récit de la fille de Nazar - L'Arménien qui a aidé le Turc.
Récit de Barouyr Kévork Khatchadrian - Né en 1908 à Alachguérd, Yéréts
Récit de Hratch Yéghiazar Hovannissian Né en 1915, à Mouch, Village de Havadorig
Récit de Kioulinia Dzérouni Moussoyan Née en 1903, à Kessap, Kalatouran

Récit de Archalouys Tachdjian - Née en 1908 à Malatia
Récit de Yéva Topalian Née en 1909 à Mértin, village de Térig
Récit de Tovmas Haptchian né en 1903 à Moussa Lér, Hoghoun-Olouk
Récit de Makrouhi Halatchian Née en 1900 à Marache
Récit de Robert Khorén Kalonian Né en 1912 à Kharpert
Récit de Sara Berbérian - Née en 1905 à Eski-Shéhir
Récit de Parouhi Tchorékian née en 1900 à Nicomédia
Récit de Kévork Der Sahaguian Né en 1909 à Tiordiol
Récit de Kégham Khatchadrian Né en 1909 à Afyon-Karahissar
Récit de Arsène Svatchian né en 1901 à Guéssaria
Récit de Elizabeth Kavkavian Née en 1900 à Eski-Shéhir
Récit d'Assadour Hovsép Ménétchian Né en 1907 à Afyon Karahissar
Récit de de Loussig Bodourian née en 1909 à Adabazar
Récit de Srpouhi Guiguichian Née en 1909 à Arapkir
Récit de Arpène Mikael Aghadjanian - Née en 1909 à Arapkir
Le récit d'Anouch Topalian - Née en 1915 – Hozghad, Yéylentché
Récit de Garabed Garamanoukian Né en 1907 à Aïntab
Récit de Hagop Tchertchian Né en 1900 à Aïntab
Récit de Bédros Sarkis Safarian Né en 1901 à Moussa Lér
Récit d'Iskouhi Gochgarian née en 1902 à Moussa Lér
Récit de Ardzvig Kaloust Tértchian Née en 1910 à Van
Récit de Katchpérouhi Avédis Chahinian Née en 1908 à Van
Récit de Silva Hovannès Puzantian Née en 1908 à Van
Récit de Nevart Avédis Kévorkian Née en 1910 à Alachguérd
Récit de Samvél Sarkis Artchiguian Né en 1907 à Zeitoun
Récit de Haïganouche Der-Bédrossian Née en 1910 à Yetessia (Edesse)
Récit de Aharon Manguerian Né en 1903 à Hadjen
Récit de Herminé Derdérian Née en septembre 1912 à Yozgat
Récit de Setrag Kaypaguian Né en 1903 à Zeitoun
Récit de Marie Yérgat Née en 1910 à Adabazar
Récit de Annig Mariguian Née en 1892 à TOKAT
Récit de Achod Malakian
Récit de Eliazar Garabédian, né en septembre 1886 à Daron, Sassoun,

Voir aussi

Récit de:Sirvart Kotchalian née en 1906 à Peylan.

Quand nous sommes revenus de Tér Tchor et que nous vivions dans notre maison, les Turcs de Zeitoun ont envahi notre village Atekh de Peylan.
Nos Arméniens se sont réunis et ont décidé de résister. La France aussi nous soutenait. Moi j'avais 9 ou 10 ans. On faisait cuire deux "vétro" (en russe: seaux) de pilaf, on me les donnait à porter, ainsi qu'un sac de pain sur le dos; je ne savais pas ce qu'était la peur, je portais à manger aux fédaïs.

- Fillette, si tu vois un mouchoir blanc au bout d'une longue perche, c'est là que tu devras venir apporter ton chargement.

Le matin, c'était un endroit, à midi un autre endroit, le soir un autre endroit où je devais déposer mon fardeau. Leur nourriture était à mon cou.

La population était rassemblée dans l'église.

Tous les enfants aussi, tout le monde. Il y avait une femme –tordioltsi – qui s'appelait Dikranouhie, son fusil à la main, elle s'est battue pendant trois jours dans l'église, avec son arme elle empêchait les Turcs d'entrer.

Je m'en souviens
 


Récit de Karoun Andonian Née en 1910 – Moussa Lér

J'avais 5 ans quand nous avons été déportés. J'étais petite, mais je me rappelle tout ce que nous avons subi.
Nous avons vécu pendant 4 ans dans les "tchôl" (déserts) arabes. J'avais déjà oublié la langue arménienne, je disais en arabe: "Allah adigoun, khelé aléyna, chekhve khepez adina". C'est-à-dire: un peu de pain, pour l'amour de Dieu, ayez pitié".

Ma mère était servante chez les Arabes. Moi j'étais soi-disant en train de jouer sous la fenêtre de cette maison, mais j'attendais que maman qui pétrissait la pâte m'en lance une boulette en cachette par la fenêtre. Je la mangeais toute crue, car le pain cuit était calculé tout juste, elle ne pouvait pas m'en donner."


Récit de Hagop Manoug Krikorian né en 1903 à Sassoun, Dalvorig

Notre pays était un pays montagneux, il y avait beaucoup de monts et de vallées. Nous gardions des bêtes. Notre village était un petit village. Nous payions des impôts à l'Etat. Nous donnions nos meilleurs morceaux aux Turcs. Le village était en plaine. Il y avait beaucoup de sources.

Nous habitions chez notre père Manoug, avec notre oncle Garo et sa famille. En tout, nous étions 20-25 personnes.

Le village de Dalvorig faisait partie d'une trentaine de villages, qui étaient tous arméniens. Tous les villages n'avaient pas d'école. Moi je n'ai pas été à l'école. Je gardais les bêtes, les moutons. Chaque village avait son église. On venait en pèlerinage dans notre village. A Pâques nous teignions les œufs, nous les cognions, les rouges contre les verts Nous fêtions Vartavar, nous faisions des jeux.

Nous faisions des feux dans les champs. Certains allaient à Alep en pèlerinage. Le chef du village était Abrène. Il faisait des réunions avec les fédaïs. Les Turcs emmenaient nos fils dans l'armée turque. Ils les massacraient.

En 1915, les Arméniens se sont battus contre les Turcs, les fédaïs sont venus se battre. Les troupes turques sont venues nous massacrer. Nous nous sommes enfuis dans les montagnes et les forêts. Les Turcs nous ont tous tués. De notre famille, moi seul ai pu être sauvé. Ils les ont tous tués devant mes yeux. Nous nous sommes enfuis. Nous sommes restés dans un village turc en ruines. Chez un Turc je gardais les moutons. Je coupais les broussailles, je les apportais à mon maître.

Un jour on a appris que des volontaires arméniens arrivaient. En 1917, des gens de la Croix Rouge sont venus, ils nous ont trouvés, ils nous ont emmenés. Ils nous ont amenés à Moush, puis au village de Khenous khozlou. De notre village, nous ne fûmes que deux à être sauvés. Les Arméniens de ce village nous ont cachés. Avec les habitants de Khenous, nous avons pris le chemin de l'émigration; cela a duré des mois jusqu'à notre arrivée à Nakhitchévan, puis Khoy, puis nous sommes arrivés du côté de Kiavara, puis Taralakiaz, ensuite nous sommes arrivés dans le village d'Achnag. A ce moment-là déjà les Turcs étaient chassés. Déjà les Soviets arrivaient.

En 1928, je me suis marié.. J'ai eu huit enfants:
Moushégh, Sirouch, Astrig, Anahid, Haygouch, Bédros, Dikran, Loussia.

Puis j'ai été à la guerre. Je suis arrivé en Hongrie. La guerre a pris fin. J'ai été démobilisé.

"Je suis un vaillant fils de Dalvorig,
Je ne m'incline pas devant le Turc".



Récit de Khatchadour Haroutioun Ghougassian  né en 1898 à Bitlis, Havarik

Ma mère s'appelait Noupar, mon père Haroutioun, ma grand'mère Koto, mes frères : Markar, Miron, Mgrditch.

Nous vivions tous dans une seule maison. Dans notre village, il y avait de 100 à 300 familles arméniennes, et aussi de nombreux Turcs, et Arabes.

Nous semions du blé, de l'orge. Pour la terre, nous étions obligés de donner une taxe de 16 "pout"(?) de blé . Moi, depuis l'âge de 15 ans, je travaillais avec mon père.

Dans notre village, il y avait une église, appelée Sourp Astvadzadzine (Ste Mère de Dieu). Il n'y avait pas d'école au village.

Pour l'eau, nous avions 5 jours pour nous, et 5 jours pour les Turcs. Nous allions chercher l'eau à boire à des sources très fraîches.

Nous avions des moutons, des chèvres, des vaches, des bœufs. Nous avions, nous, de 100 à 150 moutons dans notre ferme. Mon père allait à Bitlis au marché. A chacun, il achetait un troupeau et le ramenait.

Et puis les massacres ont commencé. Il y avait des fédaïs, ils se sont bien battus, mais ils ont été massacrés. Moi j'étais dans le groupe d'Antranig. Nous avions entre les mains des armes allemandes. Antranig n'était pas avec Tro. Antranig voulait passer la frontière, mais on ne l'a pas laissé. Les troupes turques sont arrivées. Nous avons été vaincus. Nous sommes rentrés, il y avait plein de Kurdes dans nos maisons, nous nous sommes battus pour les mettre dehors. Nous avons repris nos maisons, nous avons recommencé à vivre.

Pendant la guerre, j'ai été mobilisé dans l'armée soviétique. Je me suis battu sur les fronts de Gori, Sotchi, Bakou.

Maintenant je vis avec mes trois fils.


Récit de Peniamine Pislamian né à Moussa Lér en 1903

Il m'a dit qu'un jour un Arabe lui a raconté sa vie.

Il a dit, je vais t'avouer la vérité; moi j'étais soldat dans l'armée turque. On nous a envoyé au Musa Dagh, dit Moussa Lér, pour que nous exterminions les Arméniens qui étaient là-haut
dans la montagne. Nous avons encerclé la montagne sur les 3 côtés. Soudain nous avons vu en face de nous un escalier, descendu du ciel. Sur l'escalier, il y avait deux hommes; le sabre à la. main. Les sabres étaient dégoulinants de sang.
En voyant cela, nous avons eu peur et nous sommes retournés, nous nous sommes sauvés.
J'ai eu tellement peur que j'ai été jusque Homs et puis arrivé à Damas. "


Récit de Sirvart Antréassian Née en 1908 à Adabazar

On nous a emmené à pied d'Adabazar à Afyon-Karahissar. Ils nous ont dit: "Kalken !
Tchekhen!" (Marchez – levez-vous !) En deux jours nous sommes arrivés à Konya.

Là-bas, les Arméniens avaient fermé leurs tentes. Nous sommes descendus. Nous sommes entrés en ville.
Moi, ma mère et ma tante étions ensemble. Mon père était soldat dans l'armée turque. Il avait écrit à mon oncle, qui était le Docteur Tiriakian : "délivre le nôtres !". Mon oncle a appris que nous étions à Konya.

Le vendredi, où Enver Pacha allait à la mosquée, mon oncle, qui était un médecin distingué dans l'armée turque, salue les soldats, se met à genoux devant Enver et dit :
"Effendim, je suis venu te supplier. Moi je n'ai ni père ni mère. J'ai deux sœurs qui sont déportées, ordonne qu'elles soient délivrées."
Enver pacha avait beaucoup de respect pour mon oncle. Il donne l'ordre que la famille du docteur Tiriakian retourne chez elle. Le Vali était arménien. Les policiers viennent, ils obéissent aux ordres d'Enver.

Le dimanche, ils nous ont dit: "Vous allez repartir". Ils nous ont mis dans le train pour Adabazar.
Ensuite, les troupes de Kémal ont emmené mon oncle comme soldat de Boursa à Eski-Shéhir.

Quant à nous, en 1921, nous nous sommes sauvés d'Adabazar à Mitilli, en face d'Izmir.

Là j'ai appris la couture. C'était une ville riche, mais il n'y avait pas de travail. Ce furent d'abord les Grecs qui furent délivrés, ensuite les Arméniens. Nous sommes venus en Macédoine en bateau. Et de là en Arménie.


Récit de Nevart Chirinian  Née en 1909 à Yévtoguia

"Avant les massacres nous habitions à Tokat. Nous étions très riches, nous avions de tout.

D'abord ils ont emmenés les hommes. Ils ne les ont pas ramenés. Nous avons appris qu'ils les avaient tous tués.

Moi, j'avais cinq – six ans, quand ils nous ont aussi déportés. Par les montagnes, les collines, on nous a fait aller à pied, j'étais très fatiguée. Nous sommes passés par Kourkouz, Malatia, Piliétchig, nous sommes arrivés jusque Djarablouz. Puis nous sommes arrivés à Alep. Là, les deux enfants de mon oncle sont morts. On nous avait dépouillé de tout. En 1918, après l'armistice, nous sommes venus ici à Constantinople, j'avais déjà 9 ans.

Ici aussi, nous avons eu beaucoup de misères.

Je me suis mariée avec Hrant, un Arménien de Samsoun.

Peu à peu, tout a changé. Aujourd'hui, grâce à Dieu, nous vivons tranquilles.
Mais ce qui s'est passé n'a pas disparu de mon esprit, j'y pense tout le temps.


Récit de Hagop Pachayan Né en 1907 à Peylan

En 1914, j'avais 7 ans, on nous a emmenés dans le désert d'Havran.
Ensuite on nous a ramenés.

Djémal Pacha faisait construire une route de Damas à Jérusalem.

Ils appelaient cette route "Kham yol", c'est-à-dire que c'était une "route désordonnée". Ils y faisaient travailler les Arméniens. Ils ne donnaient pas d'argent, mais de la farine, de l'huile, des autres choses.

Moi j'avais 7 - 8 ans. Moi aussi je travaillais avec les adultes.


Récit de Mariam Karatchian Née en 1903 à Atiyaman

"J'étais petite quand les massacres ont commencé. Tout d'abord, ils ont ramassé les armes des Arméniens. Ils ont envoyé les jeunes dans l'armée turque, et là-bas ils les ont tués. Mon oncle était secrétaire de Talaat, il était leur homme, mais ils l'ont tué. Ma mère est allée avec mon grand-père, pour qu'ils ramènent au moins le cadavre et qu'ils l'enterrent, mais quand mon grand-père a vu le corps de son fils assassiné, il ne l'a pas supporté, il est mort sur le coup. Les soldats turcs voyant cela se sont mis à rire; ils ont dit: "Quelle bonne chose, nous avons économisé une balle".

Ma mère a laissé les corps là, étendus, et s'est sauvée aussitôt. Elle est arrivée à la maison en pleurant et en gémissant. Le jour même, à côté de notre maison en pierre, un obus a éclaté. Mon père est mort. Mon frère, âgé de dix ans, était à côté de lui. En voyant cela, son corps a été immédiatement couvert de cloques. Il est mort lui aussi, en un jour.

Nous sommes restés, maman, mon petit frère de deux ans, et moi.. On nous a emmenés de force à Souroudj. Il n'y avait là ni maison, ni pain, ni eau. Nous avions faim et soif. Les gens avaient tellement faim, qu'ils attendaient que le cheval décharge son crottin, dans lequel ils ramassaient les grains d'avoine pour les manger. Ils mangeaient même du chien et du chat. Je me rappelle, ils ont vu un âne mort, ils se sont précipités, l'ont dépecé et se sont mis à manger les morceaux tout crus.

Ma mère s'est vue obligée de nous laisser sous un arbre. Elle est partie mendier du pain, pour nous l'apporter. Pendant ce temps, un gendarme turc est venu, il a couché mon petit frère face contre terre, il lui a mis une grosse pierre sur le corps, il est monté dessus, et il l'a tellement écrasé, tellement écrasé, que les intestins du pauvre enfant sont sortis de son ventre; il est mort.

Une femme kurde passait par là, elle a vu, elle a eu pitié, elle a dit: "cette petite fille aussi va être tuée comme ça", elle m'a portée et m'a emmenée…

Quand j'ai ouvert les yeux, j'ai vu que j'étais dans une tente noire. Ils m'ont cachée là. Comme beaucoup d'autres enfants, j'avais été jetée au feu, ma jambe était brûlée, il y avait du pus qui sortait. On m'a mis un baume . J'ai été guérie. J'ai été bien traitée. Puis, quand les Américains sont venus chercher les orphelins arméniens, ils m'ont emmenée à l'orphelinat d'Alep.


Récit de Yéva Manoug Tchoulian Née en 1903 à Zeitoun

J'étais petite quand ont eu lieu les massacres et déportations de 1915. Je me rappelle quand nous avons quitté Zeitoun, notre village s'appelait Ayguetsa. Ma mère était une belle femme. Elle avait cinq enfants, mais elle les a tous perdus, ensuite c'est elle qui est morte. Je suis la seule à être restée en vie. Les Turcs sont venus et ils ont fait sortir tous les habitants du village, ils nous fouettaient avec une cravache, pour nous faire avancer. Ils ont attaché les mains de tous les villageois derrière leur dos, et ils nous ont emmenés dans un endroit élevé, et fait entrer dans une espèce de caserne. A l'intérieur, avec des poignards, des haches, ils ont coupé aux uns les mains, à d'autres les pieds, ou les bras. Ils nous ont déshabillés, nous ont mis complètement nus, sans chemise, ni culotte. Derrière nous, il y avait un petit garçon à qui ils avaient coupé le bras, il appelait sa mère, mais sa mère était déjà morte d'un coup de poignard. Cet endroit s'appelait Ter Tchorn. Il faisait très froid, nous étions entassés les uns sur les autres, pour nous réchauffer. Le matin, ils sont venus nous rassembler, ont recommencé à nous massacrer, à nous jeter à l'eau. Il y avait une caverne dans le roc, sous laquelle passait une rivière qu'ils appelaient "khapour". Ils ont encore arraché les bras, les jambes, les pieds, ils ont jeté tout le monde à l'eau, la rivière était pleine, il y avait des gens qui n'étaient pas morts, mais blessés, ils pleuraient, d'autres criaient, on sentait l'odeur du sang, on avait faim. Ensuite, les vivants ont commencé à manger la chair des morts; ceux qui par miracle n'étaient pas morts sont sortis de sous les cadavres, ils étaient sortis du flot de sang, de cette caverne ils avaient trouvé un chemin, ils avaient commencé à marcher. Ceux qui avaient bu cette eau sale avaient le ventre tout gonflé, ils sont morts. Et puis moi, je me suis retrouvée dehors, je me suis mise à marcher. Il n'y avait absolument personne. Tout à coup j'ai vu un berger arabe, je me suis approchée. Il a eu pitié de moi, il m'a donné du lait, je l'ai bu, puis il m'a emmené dans sa tente, il m'a donné à manger, j'ai mangé, j'ai repris un peu mes esprits. Après, il m'a emmenée à Marash. Il m'a remise à l'orphelinat allemand de Marash. C'est là que j'ai étudié. En 1921, il y a eu des troubles, nous sommes venus à Alep. En 1946, nous sommes arrivés en Arménie. Après tout ce que mes yeux ont vu, comment ne suis-je pas devenue aveugle ?


Récit de Yetvart Markar Tachdoyan Né en 1907 à Chadakh

Notre village s'appelait Gadjet dans la région de Chadakh. Les Turcs et les Kurdes sont venus envahir et dominer notre village. Le chef des Kurdes est venu tuer le frère de mon grand-père. Nous avons déménagé à Van où nous avions une maison. Mon père était un bon cuisinier, il travaillait dans un restaurant en Aykiéstan, où on l'appelait "Achdji Markar".
En 1915, lors de la défense de Van, les nôtres avaient résisté, mais quand les soldats russes ont battu en retraite, les nôtres ont été obligés d'émigrer. Tous les alentours étaient incendiés, saccagés remplis de cadavres.
Mon père, ma mère, mes oncles, mes tantes et mes grands-parents, tous ensemble, avec les autres émigrants, nous sommes arrivés à Iktir, puis nous avons traversé le fleuve Araxe. Nous avons habité à Achdarag, où se répandait une épidémie de typhus. En conséquence, toute notre famille fut anéantie, seuls ma mère et moi fûmes épargnés. Nous sommes venus à Erévan, dans la maison de mon cousin Mourad Tachdoyan. Là, ma mère est morte aussi. On m'a envoyé à l'orphelinat Polygone d'Alexandropol.


Récit de Hagop Mourad Mouradian né en 1903 à Fentek dans le sandjak de Seghért, vilayet de Bitlis.

Mon père s'appelait Mourad, mon grand-père Mardiros. Nous étions 3 sœurs et 3 frères, nous habitions dans la province de Seghért, au village de Fentek.

Dans notre village , il y avait de 50 à 60 familles "kourmantchis" c'est-à-dire des Kurdes Chrétiens (Yézidis), qui avaient de bons rapports avec les Arméniens. Ces Kurdes Kourmantchis ne s'entendaient pas avec les Turcs musulmans, mais ils n'ont jamais levé l'épée envers les Arméniens. Ils ne commettaient pas de crimes.

Les villageois de Fentek s'occupaient d'élevage de bêtes et de travaux agricoles, et de vannerie. Il n'y avait pas de marché. De Fentek nous allions faire nos achats à Tchéziré. A Fentek, il n'y avait pas d'école, aucune institution pour étudier. Il y avait seulement un maître venu de Tehér, qui nous enseignait à écrire avec des caractères kurdes.

En 1915, j'avais 12 ans quand les "askiar" (les soldats) turcs sont entrés dans notre village, ils se sont mis à démolir les maisons des Arméniens. Ils ont tué mes deux frères, ils ont enlevé mes trois sœurs.

Ils ont anéanti notre communauté.

Ma mère m'avait confié à de gentils Kourmantchis pour qu'ils me gardent, c'est ainsi que j'ai été sauvé.

J'ai vu de mes propres yeux beaucoup de choses horribles. Les Turcs ont massacré tous les Arméniens. Grâce aux Kourmantchis, quelques habitants ont pu rester en vie, ils arrivaient à subsister en rendant quelques services, ou en mendiant.

Un jour dans la maison de mes gentils Kourmantchis j'ai trouvé un poignard, je l'ai pris pour aller tuer les Turcs. Ils m'ont dit: "Qu'est-ce que tu fais ? C'est eux qui vont te tuer ! Dans ce village, il y avait beaucoup de réfugiés arméniens qui étaient venus, et ils étaient prêts à défendre leur vie.

Puis nous sommes partis au village de Ouasgué. Là aussi il y avait 50 ou 60 familles Kourmantchis qui habitaient.

Là je me suis marié avec une jeune fille qui s'appelait Khalila. Elle était Kourmantchie.

Nous avons eu 2 fils et 3 filles, j'ai donné à mes enfants les noms des martyrs de ma famille: par exemple j'ai donné à mon fils le nom de mon père, à ma fille, le nom de ma mère (il s'est ému, il s'est mis à pleurer , V.S.) J'aurais voulu me venger des Turcs, mais je n'avais aucun moyen.
Ces Turcs-là n'étaient pas des êtres humains.

Quelques années plus tard, inquiets, nous sommes sortis de ce village, nous sommes partis à Istanbul, nous avons été hébergés par des connaissances.

Ensuite nous sommes allés à Tcheziré. Nous nous sommes établis; j'ai ouvert une boutique; j'ai acheté un terrain, j'ai rendu grâce à Dieu d'être resté en vie. Là, il y avait déjà beaucoup de Syriens. Un jour j'ai appris que sur cette terre il y avait une Arménie. En 1966, nous y sommes venus.

Aujourd'hui, j'ai plus de 30 petits-enfants. Ils poursuivent tous leurs études dans des écoles arméniennes. La plupart savent aussi le kurde, puisqu'ils l'ont entendu de leurs grands-parents.

(ce récit a été fait en kurde, car le témoin est un Arménien kurdophone. Il a été traduit en arménien par une interprète Tchenfira Khadiyan – et retraduit en français par Louise Kiffer)


Récit de Vazken Hovsép Satatian Né en 1907 à Adabazar

En 1915, toute la famille a été déportée dans les déserts. Nos deux familles étaient riches. Nos parents ont fait un arrangement avec la propriétaire grecque d'un hôtel pour qu'elle nous cache dans sa cave. C'est ainsi que nous avons été sauvés. Mais le reste a été déporté à Der Zor.

Nous sommes restés dans cette cave pendant plus d'un an. Nous donnions une livre-or par jour. Quand notre or a été épuisé, cette Grecque, par l'intermédiaire de connaissances turques nous fit passer pour des personnes qui lavaient les vêtements militaires turcs. De cette façon, nous avons été sauvés jusque l'armistice de 1918. Nous sommes restés là, puis nous sommes retournés dans notre maison. Il y avait des Turcs qui avaient pris possession de notre maison.

Puis nous avons appris que le frère de mon père, l'évêque Smpat Satatian avait été arrêté le 24 avril 1915 par les Turcs, avec d'autres intellectuels, et qu'ils avaient été déportés dans les déserts. Les Turcs l'avaient emmené, l'avaient obligé à creuser sa fosse de ses propres mains, ils l'avaient tué et jeté dans la fosse.

En 1920, les Grecs sont arrivés, ils ont conquis notre ville, mais en 1922, ils ont renoncé, ils se sont sauvés, et nous aussi nous sommes partis avec eux à Izmir. Là, tous les Chrétiens s'étaient amassés. Dans la principale église, les Arméniens s'étaient rassemblés, environ un millier d'Arméniens. Tous se demandaient si les Turcs allaient pouvoir venir les massacrer.

C'est pourquoi ils ont fait une collecte, ils ont écrit une lettre en français, disant que nous étions menacés d'être massacrés. Un garçon, parlant turc, est allé à l'ambassade de France. L'Ambassadeur, avec le drapeau français, est venu avec sa troupe, il a conduit toute la foule qui était à l'église au port, qui était plein d'Arméniens et de Grecs. Au loin se tenaient des vaisseaux français, italiens, anglais. Des soldats sont sortis des vaisseaux, un par un, pour empêcher les Turcs de nous tuer. Mais les nuits, les Turcs venaient enlever les filles, des cris s'élevaient, du tumulte.
Les vaisseaux allumaient leurs projecteurs pour leur faire peur et les faire fuir.
Nous sommes restés près d'un mois sur le quai, dehors. Finalement, des vaisseaux grecs nous ont conduits en Grèce. Ils ne nous demandaient pas si nous étions Arméniens ou Grecs. Les gens étaient entassés, certains ont été piétinés, chacun voulait sauver sa peau. Nous, en Grèce, avons été très bien accueillis et recueillis.

En 1932, avec le programme de rapatriement, nous sommes venus en Arménie.

En 1949, nous avons été exilés (Aldayski gra?) en tant que Tashnagtsagan. Nous y sommes restés 6 ans. J'ai travaillé comme tailleur. Finalement en 1956, nous avons été innocentés. Nous sommes revenus en Arménie déclarés non coupables.


Récit de Parouhi Silian Née en 1900 à Nicomedia

Je suis née dans le village de Ovadjek

Nous y vivions bien, nous avions des maisons, des terres. A Stamboul les pachas arméniens faisaient de grandes choses; les Turcs avaient peur d'eux, puisque les affaires étaient toutes entre leurs mains.

S'ils avaient voulu, ils auraient pu avoir le pouvoir, c'est pour cela qu'on nous a enlevé de nos maisons et de nos terres, on nous a envoyé sur les routes de l'exil.

Nous sommes restés douze mois dans le désert, sans pain, ni eau, ni maison, sans rien. D'une famille de 9 personnes, je suis la seule à avoir survécu. Ils ont tué ma mère devant mes yeux, ils ont enlevé ma sœur, mon autre sœur était petite, elle est tombée malade, elle est morte; l'autre s'est perdue, nous ne nous sommes pas retrouvées. Ils ont éventré ma belle-sœur enceinte, en disant: l'enfant de cette giavour est-ce une fille ou un garçon ? Voyons ! ils ont fait ça devant nous.

Moi avec 4 autres filles, je me suis sauvée dans les forêts, il y avait une rivière, nous l'avons traversée à la nage. Un Arabe m'a emmené chez lui, il m'a dit: Ma fille, c'est vrai que ce n'est pas dans vos coutumes, mais viens que je te couvre la figure d'encre bleue pour ne pas qu'on te prenne pour une Arménienne. Moi j'ai pleuré, je n'avais pas de linge, pas d'habit. Il m'ont tatoué la figure, ils m'ont coupé mes grosses nattes, ils m'ont tondue. Je faisais les travaux de la maison.

Un jour cet Arabe est venu avec sur son âne un garçon arménien, ils l'ont appelé Abdullah, mais lui m'a dit secrètement que son vrai nom était Avédis. Notre maître lui a donné ses moutons à garder.

Près de la ville de Cham (Damas, ndt) il y avait un camp militaire, ils ont fait savoir que tous ceux qui avaient des enfants Arméniens chez eux devaient les leur remettre. Notre maître ne nous a pas livrés. Une nuit, avec Avédis nous nous sommes sauvés. Nous sommes entrés dans l'orphelinat arménien.

De là on nous a emmenés en Grèce. Nous avons travaillé dans une usine de figues. Puis en 1928 nous sommes venus en Arménie.


Récit de Payloun Bédros Dérdérian ; Né en 1907 à Kharpert, village de Yéghék

Je suis né au village de Yéghék, mon grand-père était le meunier du village (moulin à eau). Les Turcs sont venus, ils l'ont attaché, ils l'ont emmené. Ils emmenaient tout le monde. Ma mère racontait qu'ils avaient donné 41 livres turques d'or jaune au Commandant pour qu'il les délivre. Il avait répondu: "Maintenant je ne peux rien faire, je peux seulement afficher un papier sur votre porte, disant: "ceux-ci sont turquifiés". Ils ne vous toucheront pas."

Cela s'est passé comme ça; ils ne nous ont pas touché. Ma mère tissait de la toile, elle nous gardait, mes deux sœurs et mon frère. A cette époque mon père était en Amérique. Quand il a appris que la situation à Kharpert était mauvaise, il est venu, mais en route les Turcs l'ont tué. C'est ainsi que nous sommes restés orphelins.

En 1921, les Américains sont venus, ils emmenaient les orphelins arméniens en Amérique, ma mère a pensé qu'ils feraient de nous des valets, elle est allée louer des muletiers, elle nous a emmenés à Alep, là nous avons vécu dans le quartier appelé "Goek Meydan" (Place du Ciel).
Puis nous sommes partis en France.

En 1936, nous sommes venus en Arménie avec 1200 Arméniens.


Récit d'Aram Keusséyan ; Né en 1908 à Kharpert

J'avais 7 ans en 1915, quand l'ordre nous a été donné de partir de Kharpert.

Nous sommes partis, bien habillés, comme si nous allions à un mariage.

En route, le pillage a commencé. Non pas en une seule fois, mais tous, les uns après les autres, ils prenaient tout ce qu'ils trouvaient sur nous. A la fin, il ne nous restait plus que notre linge de corps, et même ça, ils le voulaient.

Moi j'étais dans le chariot. Maman me fermait les yeux pour que je ne voie pas les morts sur la route. Puis, maman et mon frère sont restés sur la route, ils ne pouvaient plus marcher. S'ils sont morts ou ce qu'ils sont devenus, je ne le sais pas. Les Turcs arrivaient derrière nous. Ils ramassaient tous les enfants, je ne savaient pas s'ils voulaient nous tuer ou quoi, ou nous adopter. A Der Zor il y avait une fille qui avait sept sœurs, elles avaient toutes été enlevées. Les Arabes nous ont dit en secret: " que ceux qui sont Arméniens ne partent pas" ! Ils nous ont pris, ils nous ont sauvés, ils ont sauvé pas mal d'Arméniens.

Nous n'avions plus de force, nous avions tellement marché. Finalement, on nous a autorisé à nous arrêter. Ils ont commencé à demander aux grands : – Tu es Arménien ou Turc ? Ceux qui disaient "je suis arménien", ils les mettaient de côté., et les Turcs de l'autre côté. Les Arméniens, ils les ont tous emmenés au loin, ils les ont tués, ceux qui avaient dit qu'ils étaient turcs ont été sauvés. La nuit , ils nous ont rassemblés, nous les petits dans un endroit comme une colline. Nous étions fatigués, nous nous sommes couchés. Nous nous sommes endormis. Nous étions des enfants innocents, nous ne savions pas, cette colline était un entassement de crânes humains, nous nous en sommes aperçus le matin quand il a fait jour, c'étaient des têtes coupées amoncelées. Dire que toute la nuit nous avions dormi là-dessus, mais nous ne le savions pas.


Récit de Mouchégh Sarkis Démirdjian ; Né en1910 à Arapkir

Mon père s'appelait Sarkis, ma mère Saténig, née Térian. Ils ont eu 3 enfants:  Varsénig,  Mouchégh, Arménouhie. Mon père avait deux frères: l'aîné Garabéd, sa femme Elmas; ils avaient 4 enfants: Khatchadour, Zabél, Avédis, Lévon; tous les 4 mariés, et pères de famille. Le fils cadet: Mardiros, sa femme Maritsa. Ils avaient 4 enfants: Krikor, Aroussiag, Marane, Antranig. Tous mariés, pères de famille.

Mon père et ses deux frères avaient reçu de leur père des habitations, une fabrique de ferronnerie, où ils travaillaient ensemble.

A environ 10 km d'Arapkir, en un lieu appelé Anti, habitait un Agha turc qui les connaissait et les considérait comme de bons artisans; c'est grâce à lui que nous tous n'avons pas été déportés et avons apporté notre aide aux habitants du lieu. Moi j'allais à l'école. A une certaine époque, j'étais même enfant de chœur.

Nous sommes donc restés ainsi à Arapkir jusque 1922. Certains sont morts pendant la guerre, d'autres sont restés. Pour nos trois familles, la vie matérielle s'était améliorée, mais l'animosité envers les Arméniens continuait et devenait plus violente. De sorte qu'en 1922, nous avons décidé d'émigrer. Au bout de 5 – 6 jours de marche, nous sommes arrivés à Alep.  Là, mon père a ouvert une épicerie, ainsi nous assurions notre subsistance. Deux ans plus tard, nous avons déménagé à Beyrouth, d'où, avec un passeport familial, nous sommes allés à Marseille en bateau. Là, un organisme nous a envoyé dans une ville (Grand-Lemps), mon père a trouvé du travail dans une entreprise de tissage. Moi j'allais à l'école. Au bout de six ans, nous sommes allés en famille à Lyon. Mon père a trouvé du travail chez Berliet, une fabrique de camions. Mes sœurs se sont mariées. Moi je suis resté avec mes parents jusqu'à la mort, d'abord de mon père, ensuite de ma mère.

Le frère de ma mère, Terzian Garabed, sa femme Saténig, leurs 3 enfants Krikor, Mardiros Araxie, ainsi que ma tante, la sœur de maman, Siranouche, son mari Mardiros, leurs enfants Garabed, Mariam, et Krikor, ont été déportés en 1915, ils ont tous péri au cours du génocide.


Récit de Bédros Kéchichian Né en 1909 à Darson

Darson se trouve en Cilicie, près d'Adana, près de Mersine, au bord de la Mer Méditerranée.
Avant que la déportation ait commencé, mon père avait un ami turc, qui est venu lui dire: "Cette nuit vous allez être déportés, il faut que tu t'éloignes avec ta famille".
Mon père a suivi le conseil de cet ami turc. Nous nous sommes immédiatement mis en route.
C'est ainsi que nous avons pu être sauvés.


Récit de Ghazaros Khrimian, Né en 1911 à Darson

Mon père était chaudronnier, étameur et aussi armurier. En 1915, il avait déjà été incorporé dans l'armée turque. Un jour, par chance, il est venu nous voir, puis il est reparti.
C'est pourquoi nous n'avons pas été déportés, car nous avons dit que nous avions notre père qui servait dans l'armée turque. Mais nous avons appris qu'il était mort.
En 1921, j'avais neuf ans et demi, quand nous sommes allés au port syrien de Lataquia.
Puis nous sommes allés à Beyrouth. Là ma mère m'a confié à un orphelinat à Mamlouled, où il y avait 110 orphelins comme moi .
Ensuite nous avons été transférés dans un orphelinat américain.
En 1923, par suite de malnutrition, nous avons tous été atteints d'une maladie de la vue (héméralopie, ndt). Et presque tous les orphelins ont attrapé la malaria, beaucoup sont morts.
On nous a distribué du papier et un crayon, pour que ceux qui avaient de la famille leur écrivent, pour qu'ils viennent nous chercher.
C'est après cela que j'ai été transféré à l'orphelinat d'Antélias de Beyrouth.


Récit de Soghomon Roupén Yéténiguian Né en 1900 à Mersine

Je ne souhaite pas à mon ennemi de voir ce que mes yeux ont vu.
Mon cœur s'arrête sur le chemin de Der-Zor, pour que je me remémore tout.
300 à 400 femmes et jeunes filles ont enlevé leurs ceintures; elles se sont attachées les unes derrière les autres, et se sont jetées dans l'Euphrate pour ne pas tomber aux mains des Turcs.
On ne voyait plus l'eau couler, les corps recouvraient le fleuve, ils étaient entassés les uns sur les autres, les chiens étaient devenus enragés à force de dévorer la chair humaine..


Récit de Haroutioun Dikran Dzoulikian Né en 1896 à Guéssaria

"Pendant les massacres organisés dans la ville de Guessaria par le Sultan Abdul Hamid en 1896, mon père, qui devait mourir prématurément, Dikran Dzoulikian (Tchouloukian ou Tchouloukhian), était marié avec ma mère Kioulini Palamoudian.

Ma mère, jeune mariée, était à cette époque, enceinte de six mois de son premier enfant, quand les Turcs sont entrés dans leur maison.
Sous les yeux de ma mère, ils ont tué son mari, mon père, avec une hache. Devant ce spectacle effroyable, ma mère s'est mise à crier et à sangloter, les Turcs pour la faire taire lui ont donné un coup de hache sur la nuque, le sang a giclé, ma mère s'est sauvée, elle est montée sur la lucarne. Dehors les voisines l'appelaient pour qu'elles s'enfuient, elle a sauté de la lucarne, elle a rejoint les voisines, et ensemble elles ont couru vers un endroit plus sûr.
Par manque de soins médicaux, la blessure de sa nuque a saigné pendant trois jours, ensuite grâce à l'aide de ses voisines, elle a reçu des soins, elle a été recousue, la cicatrice de sa blessure lui est restée jusqu'à la fin de sa vie

Trois mois plus tard, je suis né. Les années ont passé. Nous avons vécu à Guessaria jusqu'en 1914, ensuite j'ai été en Egypte aider mes oncles, au Caire.
A Guessaria, ma mère, restée seule, sans aide, a été déportée en 1915, lors de la Grande Catastrophe, elle a été poussée sur les routes de l'exode, elle a subi toutes les privations, et après d'énormes difficultés, elle est arrivée au Caire, où elle a vécu dans notre famille jusqu'à sa mort en 1953.

Le père de ma femme Angèle, Andréas Tékéyan, avait aussi été tué par les Turcs en 1915., alors que sa fille aînée Saténig avait 10 ans, et la cadette Angèle 8 ans. La mère d'Angèle, donc ma belle-mère, Narikioul Mekhtchavakian-Tékéyan, avait eu 11 enfants, mais neuf d'entre eux étaient morts sur les routes de la déportation, seules les deux fillettes étaient restées en vie, leur mère les avait gardées avec elle, ainsi que la petite Marie, âgée de 6 ans, la fille de sa belle-sœur, avec de grandes difficultés et de terribles souffrances. Toutes les quatre avaient vécu le drame du désert de Der Zor.

Narikioul avait trouvé un âne, elle avait fait monter les fillettes sur son dos, et elle-même avait continué à marcher tout en les surveillant. Elle était arrivée en Syrie, dans la ville de Hama., où elle avait travaillé à carder la laine pour subvenir à leurs besoins. Ensuite elle avait envoyé de leurs nouvelles en Egypte à Fayoum où habitaient ses deux beaux-frères Diran et Puzant, qui étaient restés en vie, et grâce à leur aide elle avait pu se rendre en Egypte.

En 1930, au Caire, j'ai rencontré la fille cadette de Narikioul, Angèle. Nous nous sommes mariés. Nous avons eu 3 fils: Dikran, Antranig et Hagop.
En 1963, nous sommes tous venus en Arménie.
 


Récit de Mesrob Hagop Minassian Né en 1910 à Samsoun

En 1914 quand la Guerre Mondiale a commencé les Turcs sont venus ramasser tous les hommes pour les faire entrer dans l'armée turque, mais ensuite nous avons appris qu'en chemin ils les avaient tués à coups de hache. Mon père était parmi eux.

Ensuite ce fut notre tour. Ils sont venus nous déloger tous, les jeunes filles, les femmes, les enfants et nous ont emmenés dans les déserts.
Comme on enlève le chevreau à sa mère, on m'a séparé de ma mère. Ils m'ont enterré dans un trou, mon corps était dans la terre, ils n'avaient laissé que ma tête dehors, en disant: "demain on tuera celui-là", et ils sont partis chercher des jolies filles. Les laides, ou bien ils les tuaient, ou bien ils les enterraient. Ils ouvraient le ventre des femmes enceintes pour savoir si l'enfant était un garçon ou une fille. Ils coupaient les bouts des seins des jeunes filles vierges, et tranchaient les seins des femmes et les posaient sur leurs épaules.

J'ai vu tout cela de mes propres yeux de l'endroit où j'étais enterré. Quand il a fait nuit, ces assassins m'ont laissé ainsi et sont partis. J'avais peur, je me suis mis à pleurer. Un Turc qui passait m'a entendu, il est venu me tirer de là , il m'a sorti et m'a emmené chez lui. Il m'a conduit chez un mollah, ils m'ont circoncis. Ils m'ont exposé au milieu du village pour que les passants me voient, et sachent qu'il y a un musulman de plus. Il y avait là un autre enfant arménien comme moi. Ils l'avaient obligé à changer son nom et sa foi, il était grand, il a refusé. Les Turcs ont dit:"Kiavour ter, vouren" (c'est un guiavour, lapidez-le). Les Turcs rassemblés lui ont jeté tellement de pierres qu'il était couvert de sang. Moi je suis resté avec ce Turc, je gardais ses moutons.
Ma mère, Aréknaz était une belle femme. Elle aussi avait été sauvée par un autre Turc. Un jour mon maître m'a envoyé voir ma mère. J'ai été, il y avait quatre autres femmes qui appartenaient à ce Turc. Ma mère était là aussi, elle faisait des dolmas avec des feuilles de vigne. Ma mère m'a vu, elle ne m'a rien dit, elle ne m'a rien donné, elle a seulement trempé une feuille de vigne dans l'eau et me l'a donnée pour que je la mange. Je suis rentré très triste chez mon maître.
Mon maître m'a emmené chez le Mollah pour que j'apprenne le turc. Le Mollah, en guise de leçon, me disait: "Celui qui tue un guiavour, son âme ira au paradis ". J'avais très peur qu'ils me tuent aussi, mais j'avais été circoncis, ils me considéraient déjà comme un musulman. Mon maître me faisait travailler comme un esclave. Chaque jour il me disait: "Guiavour, chou koyounlar sour, kétir !" (Guiavour va chercher ces moutons et ramène-les) Ils me donnaient les travaux les plus humiliants à faire. Lui s'asseyait pour faire ses besoins et me disait : "guiavour, va chercher une pierre et nettoie-moi le derrière." Un jour que j'avais tardé à apporter la pierre, mon maître s'est mis en colère contre moi et a voulu me lancer une grosse pierre à la tête, mais sa belle-fille l'en a empêché, j'ai été sauvé, il ne m'a pas tué.

Un jour on nous a rassemblés, on nous a emmenés à Constantinople à Kadikugh. Là-bas j'ai été à l'école Aramian; j'y suis resté 3-4 ans. A Bolis, il y avait un bureau spécial, ils aidaient les survivants sans maître, sans personne.

Quand ce fut le moment d'aller en Arménie, nous sommes venus en chantant et en dansant. Mais ici aussi nous avons vu beaucoup de misères, il m'est arrivé beaucoup de malheurs, beaucoup… Mon cœur se serre quand je me rappelle ces événements et je m'étonne : comment ai-je pu rester vivant ?


Récit de Aroussiag Néférian Née en 1906 à Adana

A cette époque j'avais 9 ans.

Ma tante a dit à maman :
"où est-ce que tu emmènes cette enfant, en exil elle va mourir. Puisque des ordres ont été donnés que celles dont les maris servaient dans l'armée turque, leur famille ne serait pas déportée…!"

Mais nous, nous avions déjà vendu tous nos biens.
De sorte que nous sommes restées à Adana, dénuées de tout.

Ensuite, en 1921, quand les Français sont partis, les Turcs sont revenus, ils se sont mis à massacrer les Arméniens et les Grecs.

Nous avons tous laissé nos maisons et nos terres, et nous avons quitté Adana.

Nous sommes parties en Grèce.

En 1946 nous sommes venues en Arménie.


Témoignage de Serpouhie Magarian Née en 1903 à Adana.

J'avais à peine 12 ans quand le gouvernement turc a envoyé environ 3000 soldats à Adana, pour qu'ils organisent la déportation des Arméniens d'Adana. Au début, les soldats turcs avaient peur d'entrer à Adana, car ils avaient peur que les Arméniens se révoltent.

Ils nous ont forcés à aller à pied, marcher et marcher. Affamés, assoiffés, malades, sans forces. Près de Der Zor, il y avait un endroit appelé Meskéné, les Arméniens ont dressé des tentes, ils y sont rentrés pour se reposer un peu. Tous les jours il y avait environ 200 personnes qui mouraient ou étaient mourants. Ils étaient tous enterrés, même ceux qui n'étaient pas encore morts. Un jour, ils ont voulu emmener ma tante et mon grand-père, qui avaient attrapé le typhus. Il y avait une épidémie. Mon père a supplié, insisté pour qu'ils n'emmènent pas sa sœur, il a donné les deux dernières lires d'or jaune qu'il avait…Ma tante avait 13 ans, elle avait une jolie petite fille appelée Aroussiag. Un matin, nous nous sommes levés, et nous avons vu que cette petite fille avait été enlevée. Nous l'avons cherchée en vain.

Enfin, les années ont passé. Nous devions revenir à Adana. Nous marchions, tenant la main de notre père. Nous avons appris que les Arméniennes qui avaient été enlevées avaient été libérées et étaient rassemblées dans une maison. Nous sommes allées voir.
Il y avait parmi elles une forte femme qui s'est approchée en disant: "oncle!" Mon père la regarde, il ne la reconnaît pas. Le gardien arménien qui surveillait, l'empêcha de s'approcher de nous. Cette femme s'est jetée à terre en pleurant et en appelant: "Oncle, Oncle, je suis Aroussiag, tu ne m'as pas reconnue ? Mon père l'a entendue, il s'est approché, mais le gardien ne l'a pas laissé.

-"Oncle, aide-moi !"

Il y avait là un prêtre. Mon père s'est approché de lui et lui a demandé: est-ce qu'il n'y a pas un établissement de bain ici ?
Non, mais moi je vais la faire laver.
Mon père lui a donné de l'argent, pour qu'ils la lavent, nettoient Aroussiag. Ils l'ont lavée, nettoyée et nous l'ont amenée, nous avons bavardé jusqu'au soir.

Le soir, nous devions nous séparer. Nous devions revenir le lendemain tout arranger officiellement. Aroussiag a dit: "Oncle, demande-leur de changer mon lit".
Mon père a aussi arrangé cela.

Or, le mari turc de cette jolie Arménienne, la poursuivait, il est venu jusque Adana, il a trouvé où nous habitions; il a dit: je vous donnerai une forte somme d'argent, mais rendez-moi ma femme.
Ils sont venus discuter avec mon père.

Mon père a demandé du temps pour réfléchir. Il a fait venir la fille de son autre sœur, pour lui demander son avis. Par son intermédiaire, ils ont interrogé Aroussiag. Elle a dit: Non, c'était un homme très bon, il m'a bien traitée, mais je ne veux pas être la femme d'un Turc.
Je suis enceinte, mais j'étranglerai l'enfant.

Et cela s'est passé exactement ainsi. Lors de l'accouchement, elle a réglé le problème de son enfant, et s'est tuée.


Récit de Armig Kalousti Tertchian Née en 1912 à Van

Moi j'étais très petite quand on a été expulsés de Van, j'avais à peine 3 ans. Mon père avait été incorporé dans l'armée turque, mais il s'était sauvé, il avait été trouvé, on l'avais mis en prison, et il s'était aussi sauvé de la prison.

Il était tashnagtsagan. Ils l'avaient torturé, puis tué par balle. De sorte que je ne souviens pas de lui. Mais je me rappelle qu'on m'a mis dans un chariot inconfortable, où il y avait beaucoup de petits enfants entassés les uns sur les autres, mais comme il y avait des planches de bois tout autour, nous sommes arrivés sains et saufs à Erévan. On nous a installés dans une maternelle à Nork près de l'église Sourp Astvadzadzine..

Plus tard, j'ai poursuivi mes études à la Faculté de Chimie. J'ai réussi tous mes examens et mes thèses et je suis entrée à l'Académie des Sciences d'Arménie. A l'Institut de Chimie, j'avais pour professeurs les professeurs Mentchoyan et Medniguian.

J'ai fait don de toutes mes forces à la science de ma patrie, et j'en ai été récompensée. Mais maintenant, avec ma sœur aînée Ardzvig nous vivons dans des conditions très dures et pénibles. Nous sommes handicapées toutes les deux, pensionnées, seules, et personne pour nous aider. Nous sommes donc toutes les deux des orphelines.


Témoignage de Dzaghig Kévork Tchinimian
Née en 1910 à Iktir, Gorghp

Mon père s'appelait Kévork, ma mère Takouhi, mes oncles Kaloust, Manoug, Khétcho, Sarkis Mnatsagan.

Nous habitions dans une grande propriété, séparément, mais nous nous entendions bien.

En 1915, mon père Kévork avait participé à la guerre à Erzeroum contre les Turcs. Ma mère Takouhi était restée à Goghp avec ses trois enfants. Sur le chemin de la déportation, les Turcs étaient sur les sommets dans les montagnes et nous tiraient dessus. Nous n'avions rien avec nous. Ma mère n'avait que ses enfants. Certains se sont sauvés. Ceux qui sont restés ont été tués.

Ensuite on nous a dit que les Turcs s'étaient retirés. Nous sommes revenus à Iktir. Nous avons passé l'hiver. Beaucoup sont morts. Les enfants de mon oncle sont morts de faim. Les maisons étaient saccagées. Le blé poussait de lui-même, nous ramassions ce blé, nous l'écrasions et le mangions.

Au printemps, ce fut de nouveau la déportation. Ma mère avait attaché le plus jeune enfant autour de sa taille, ma sœur lui tenait une main et moi l'autre.

Ma mère maudissait les Turcs car à cause d'eux mon frère et ma sœur sont morts. Dès qu'on parlait des Turcs, elle disait: "Le Turc a été responsable de l'effondrement de ma famille". Ma mère nous a amenés dans une maison maternelle.

Dans notre famille, il y avait nos cinq oncles, ils avaient tous des enfants. Maintenant il ne reste plus que moi et un petit-fils d'un de mes oncles. Les autres sont tous morts. De trente personnes, il ne reste que nous deux. Nous avons grandi dans cette maison maternelle d'Alexandropol. J'ai été à l'école, j'ai terminé mes études, j'ai travaillé comme institutrice. Pendant la guerre, j'étais directrice d'une école
maternelle.

Mon mari, Chavarch Tchinimian, né en 1907, est arrivé à Berlin dans l'armée soviétique. C'est par miracle qu'il a échappé aux bombardements, il a seulement été blessé.

Notre génération a connu beaucoup de souffrances. La Catastrophe et la déportation, et la guerre anti-fasciste.


Témoignage de mon père, Nazar - L'Arménien qui a aidé le Turc.

Mon père Nazar, à l'époque où il était au bord de la Mer Noire, à Tizé, a dit qu'il y avait là deux quartiers : le Haut Tizé, et le Tizé du Marché. Ceux qui venaient du Haut Tizé étaient sûrement des Arméniens, ceux qui venaient du Tizé du Marché étaient des Grecs. Ceux du Haut étaient appelés "Ardachén" c'est-à-dire "ceux qui rendent le pré heureux".

Mon père, qui avait alors 22 ans, s'était lié d'amitié avec un fonctionnaire de l'administration. Un jour qu'il mangeait et buvait avec cet homme, celui-ci lui offre un cigare. Mon père lui dit : "Moi je ne fume pas cette marque-là. Je ne fume que ma marque habituelle".

Un autre jour, cet homme l'invite chez lui.

Il avait une grande maison dans les jardins. Ils mangent, ils boivent. Mon père voit sur le mur un fusil. Il dit: "Qui sait, avec cette arme, combien d'Arméniens tu as tués !" L'homme se tourne vers lui et dit: "quelle façon de parler tu as ! Rien que pour cette parole je t'aurais esquinté. Non seulement je n'ai tué aucun Arménien, mais j'ai délivré de nombreux Arméniens. Quand les Tchétés d'Antranig sont entrés dans le village de mon père, mon père s'était réfugié chez son voisin arménien. Les Tchétés d'Antranig se sont doutés que mon père (*) était entré dans cette maison, ils sont passés par derrière pour le chercher. L'Arménien a fait coucher mon père dans le lit de sa femme, pour qu'ils n'aient pas de soupçons, il a fait ouvrir la porte par ses gens, et lui s'est caché." "En contrepartie, moi je suis devenu l'ami des Arméniens. J'ai sauvé beaucoup d'Arméniens." Tu vois, toi tu es jeune, tu as commis ta première faute quand tu as dit : moi je ne fume pas ce cigare. Ne fais plus jamais ça. Descends toujours au niveau de ton interlocuteur, pour devenir une personne aimée."

Depuis, mon père s'est toute sa vie rappelé les paroles de ce bon Turc, et il nous les racontait.

(*) C'est le Turc qui parle, quand il dit mon père, (c'est-à-dire le père du Turc).

 


Récit de Barouyr Kévork Khatchadrian - Né en 1908 à Alachguérd, Yéréts

A l'époque de la Grande Catastrophe, j'étais petit, mais je me rappelle que notre famille comprenait mon père, ma mère, mes deux oncles, mes frères Roupén, Khosrov, ma sœur Héghiné. Puisque nous étions petits, les Russes nous ont amenés dans un chariot. En chemin, nous avons vu des villages en flammes, des maisons et des granges enveloppées de fumée. On disait que les Turcs les avaient remplies d'Arméniens et qu'ils les avaient incendiées. Le fleuve Mourad était plein de sang, de tous côtés il y avait des cadavres qui flottaient. Dans les montagnes, les soldats avaient emmené les jeunes filles, les avaient déshabillées et les obligeaient à danser. Nos volontaires les ont vus et se sont précipités sur eux. Ils ont tué les soldats turcs et ont délivré les jeunes filles.
Nos jeunes gens, organisés, nous défendaient, et nous sommes arrivés sains et saufs, sans voir que les Turcs nous poursuivaient et incendiaient tout.
Nous sommes arrivés à Iktir, puis à Etchmiadzine
En 1917, nous sommes restés 3 ans à Elecdane. Puis nous avons appris que nos terres étaient aux mains des Russes. Nous avons été de la gare de Massis à Sarighamich. Il n'y avait pas de place dans le train. Mon père nous a fait monter tous les trois sur le toit du train, c'est ainsi que nous sommes arrivés à Sarighamich. De Sarighamich nous sommes allés à pied à Tchamourlou. Arrivés là, nous avons appris que nos oncles avaient été déportés. Puis nous sommes allés chez nous. Nous avons vu que les Turcs avaient saccagé notre maison.
Les Turcs étaient devenus nos ennemis, et le sont restés. Puisqu'il y a entre nous des montagnes, eux sont Mahométans, et nous Chrétiens.
Aujourd'hui j'ai 90 ans, mais jusqu'à ce jour je me rappelle comment les Turcs nous ont délogés brutalement de nos maisons, de notre village, et nous ont rendus sans domicile. Ils ont volé aux Arméniens leur Arménie Orientale, ils se sont emparés de nos terres, quant aux Arméniens qui habitaient là-bas, ils les ont massacrés.


Récit de Hratch Yéghiazar Hovannissian Né en 1915, à Mouch, Village de Havadorig

Nos ancêtres étaient venus de Zeitoun. Ils s'étaient installés dans la région de Mouch, dans le village de Havadorig. Ils avaient eu souvent des conflits avec les Turcs.

Métoug était l'un de nos anciens. Il était venu de Zeitoun à Sassoun, dans le village d'Aghpi.

Les Sassountsis avaient une coutume, tout le monde devait danser. Métoug, qui était blessé et infirme, commence à danser. Tout le monde s'étonne. Métoug dit: "Mariez-moi". Métoug se marie. Il a eu 4 enfants, des fils.

Les enfants grandissent, et deviennent de beaux et bons enfants. Nos anciens racontaient que Métoug avaient envoyé l'un de ses fils dans la province de Mouch, au village de Pétar. Un autre de ses fils à Havadorig. Tous deux sont restés à Aghpi.

Métoug est devenu riche, il a fait construire une église. Le président du Kolkhoze de Havadorig racontait qu'ils allaient dans cette église, où sur l'autel était sculptée la main de Métoug. On l'appelait Seigneur rassembleur. On dit que cette église existe jusqu'à ce jour.
A Aghpi sont restés les descendants de Métoug. Ils étaient riches.

A Havadorig, mon grand-père, Kréyan Hovannès avait eu 4 fils. En 1915, dans notre maison vivaient 32 personnes. Les Kurdes en ont enfermé 30 dans une grange et ont mis le feu. Seules deux personnes y ont échappé: Yéghiazar et Gajé, le frère et la sœur Khatchadrian.
Mon père s'est marié dans la ville de Mouch. Au moment de l'exode, mon petit frère avait 40 jours. Sur le chemin, ils étaient avec Pétara Akho et Manoug, du groupe de Kévork Tchavouch. Ils étaient tous fatigués; souffrants, l'enfant qu'on portait criait. Les déportés ont dit: "Les Turcs vont nous pourchasser s'ils entendent les cris de cet enfant". Ils ont obligé la mère à abandonner l'enfant et à se sauver avec eux. Ma mère, obligée, dépose l'enfant au bord du chemin. Peu après, ma grand'mère passe dans un chariot, et voit de loin le bébé de son enfant, elle dit au charretier: Krko, est-ce que ce n'est pas le bébé de notre Tamm ? elle fait arrêter le chariot. Krko va chercher le bébé, ma grand'mère dit: C'est bien notre bébé !.

Quand ils sont délivrés, et arrivés en lieu sûr, Pétara Akho rencontre Krko, il l'embrasse et lui dit: cet enfant, tu nous l'a redonné ! Auparavant, l'enfant s'appelait Haroutioun , mais Akho a dit : cet enfant devra s'appeler Farman, c'est-à-dire "ordre" puisque nous avons reçu l'ordre de partir et d'aller ailleurs. Plus tard Farman, pendant la deuxième guerre mondiale a été mobilisé dans l'armée, et a été sacrifié.

Quant à notre déportation, le Général Antranik avait appris que les Turcs avaient attaqué le Pont de Tchoulfa, il ne restait plus que nous pour le défendre. Grâce à l'aide immédiate d'Antranig et d'Akho, nous avons pu passer le pont et être sauvés. Nous sommes allés nous installer dans les environs de Talin. Il y avait là 6 maisons de Turcs et 6 maisons d'Arméniens. Les Arméniens ont démoli les maisons des Turcs et se sont installés dans le quartier du haut, très fertile qu'ils ont appelé "Pazmapért". Plus tard, les Turcs leur ont rapporté les enfants arméniens qui étaient restés chez eux , moyennant paiement. Ma sœur a versé 1 Livre d'or et a racheté son enfant.

Mon père est resté illettré, il ne savait signer que son nom. En 1937, à l'âge de 50 ans, il a été exilé. Nous sommes devenus des misérables du Goulag.


Récit de Kioulinia Dzérouni Moussoyan Née en 1903, à Kessap, Kalatouran

En 1915, nous avons été expulsés de nuit, on nous délogés, nous ne savions pas où on nous emmenait. Tous les pères avaient déjà été requis dans l'armée turque. Sur le chemin de l'exode, mon grand-père était vieux, il marchait difficilement, un gendarme turc est venu, il s'est mis à le battre. Ma mère a dit: "Pourquoi tu le frappes ? Tu ne vois pas qu'il est vieux ? Il ne peut pas marcher … Ce gendarme turc a eu un scrupule, il a été chercher je ne sais d'où, deux chameaux. Moi j'avais deux cousins, il en a fait asseoir un avec moi sur un chameau, l'autre avec ma sœur sur l'autre chameau, et ma mère avec son bébé sur un autre chameau, et mon grand-père avec nous. Nous avons continué notre route, et mon pauvre grand-père est mort de soif. Nous l'avons enterré sous une pierre. En route, il y avait une femme qui ne pouvait plus marcher, elle était fatiguée et avait soif, elle a laissé son bébé sous un arbuste. Ma mère lui a dit: C'est un péché, ne fais pas ça. Elle a répondu: je ne peux plus le porter.

Nous ne sommes pas arrivés jusque Der-Zor.

De ceux qui y entraient vivants, il ne restait plus personne. Là-bas, il y a eu beaucoup de tués. Nous, nous sommes arrivés dans le village de Hamma. Nous nous sommes logés dans la maison d'un Turc. C'étaient de très braves gens.

Mon oncle est tombé malade, il est mort. Le propriétaire est venu, et nous a dit: pourquoi ne nous avez-vous pas appelés cette nuit, nous aurions trouvé un moyen de soigner votre malade, de vous aider.

Ce village était un village turc. Ma sœur et moi, nous allions mendier. Maman nous disait: mon Dieu, faites attention, ne tombez pas aux mains des Turcs, ils enlèvent les filles arméniennes.

C'est pourquoi le prêtre de notre village, Der Bédros Aprahamian, a procédé en une nuit à Hamma au mariage de 30 Arméniennes selon le rite apostolique arménien, pour qu'elles ne tombent pas aux mains des Turcs. Le beau-père de mon oncle demanda à mon oncle d'épouser sa fille, pour qu'elle ne tombe pas entre les mains d'un Turc.

Avant la déportation, la population arménienne de Kessap s'élevait à 6000 habitants. Au retour, il n'en restait plus que 2200, calculez combien ont été sacrifiés.

En 1918, nous sommes venus de Hamma à Jérusalem. C'était l'armistice. En 1919, nous sommes revenus dans nos maisons; nous avons vu que tout était saccagé, incendié, en ruines.

Mais nos Kessaptsis sont des gens courageux, ils se sont mis petit à petit à reconstruire les maisons. Du côté de mon père, ils étaient six frères, ils en ont envoyé un en Amérique pour ne pas qu'il soit incorporé dans l'armée turque. Les cinq autres se sont donné la main et ont restauré nos maisons. Nous sommes restés au Kessap, dans le village de Pachourt.

En 1939, le sandjak a été donné aux Turcs. A cette époque, j'étais jeune mariée.

Ensuite en 1947, nous sommes venus comme un troupeau de moutons en Arménie. Combien de fois avons-nous déménagé à cause des Turcs! Le Turc ne peut pas être aimé. Ne le prends pas pour du basilic, tu ne supporteras pas l'odeur.


Récit de Archalouys Tachdjian - Née en 1908 à Malatia

Quand nous avons été déportés de Malatia, j'étais encore enfant. Les Turcs sont venus, ils sont entrés dans notre maison. Nous étions sur le point de faire cuire le pain, nous avions allumé le "tonir". Ils sont venus nous obliger à sortir de la maison, ils se sont mis à tout déranger dans la maison, à saccager et piller. Ils ont vu qu'il y avait du cuir dans la maison, mon père était bottier. Ils ont dit entre eux: ne tuons pas cet homme, il peut nous être utile.

Ils se sont approchés de moi. Je tenais la main de mon père. L'un d'eux a dit à mon père: 'Donne-moi cette enfant, je vais l'emmener".
Moi j'ai commencé à pleurer et à crier !

"Papa ! Je ne veux pas partir !"

Mon père ne m'a pas donnée.

Ils nous ont emmenés dans un endroit qui s'appelait "Alma Oghlou Pakhtcha", mais ce n'était pas un jardin comme son nom l'indiquait, c'était un champ complètement désertique. Nous nous sommes couchés là la nuit., à la belle étoile.

Le matin, quand le jour s'est levé, ils sont venus nous trier : les Arméniens Chrétiens Apostoliques, d'un côté, les Protestants de l'autre, les Catholiques, de l'autre. Ils n'ont pas déporté les Protestants ni les Catholiques. Seuls, les Chrétiens apostoliques, devaient être déportés comme des moutons. Mais nous, comme les Zaptiyés, au moment du saccage avaient vu que mon père était bottier, et qu'il pouvait leur être utile, ils ont tamponné notre papier, et nous ont renvoyés chez nous. Nous sommes rentrés, et avons survécu.


Récit de Yéva Topalian Née en 1909 à Mértin, village de Térig

Au village de Térig, notre famille était très grande. Mon père était marguillier, il s'occupait de l'église, et il tenait un commerce de tissus avec mes oncles, Ghazar, Mourad, Sevan, Mgrditch; ils étaient riches.

Au moment des massacres, dans le tumulte, ma petite sœur qui avait deux ans de moins que moi, et moi-même, nous avons été perdues, nous sommes restées dans des villages dadjigs.

Un jour notre mère est venue et nous a trouvées, mais nous a dit que notre père était mort, ou plutôt qu'il avait été tué. Avec maman nous sommes revenues à Mértin. Nos maisons avaient été incendiées.

Les Dadjigs avaient déjà enlevé ma sœur aînée âgée de 13 ans, puisque c'était déjà une grande fille.

Je ne sais pas si c'est un péché aux yeux de Dieu, mais ma jeune sœur et moi avons été obligées d'épouser nos deux cousins. Moi j'avais déjà 14 ans, et ma sœur 12 ans. Mais nous nous sommes mariées pour ne pas tomber aux mains des Turcs

Témoignage recueilli par Verjine Svazlian par une kurdophone, dont les paroles ont été traduites en arménien par une proche parente.


Récit de Tovmas Haptchian né en 1903 à Moussa Lér, Hoghoun-Olouk

J'avais 12 ans à l'époque de la lutte du Moussa Lér; je me rappelle que la foule grimpait en masse sur la montagne. Il y a eu des réunions au village, on disait que nous allions émigrer; il y avait du tumulte dans ces réunions: pourquoi émigrer ? Allons plutôt sur la montagne ! "Allons sur la montagne!" ont-ils dit.

Nous avons laissé nos maisons, nos terres et tout, et nous sommes montés.

Les villages de Hatchi Hapipli – Pitias, étaient perplexes, car le Révérend Père Nokhoutian était contre. Il a persuadé le peuple d'émigrer. Le village de Kapoutié a entièrement quitté les lieux. Seules 17 familles ont escaladé la montagne. En tout, il y eut environ 6000 personnes qui sont montées là-haut.

Sur la montagne, chaque famille s'est fait une chaumière en bois, puisqu'il n'y avait ni tuiles ni pierre. Les jeunes gens ont fabriqué des barricades. Ils ont fait deux assemblées, l'une pour l'administration et la vie civile, l'autre pour l'organisation des forces militaires. Ces organismes étaient formés. Le combat a commencé. La première riposte fut lancée par Sarkis Kapaghian. La lutte continua. L'ennemi vit qu'il y avait une forte opposition. Il recula.

Franz Werfel a présenté avec art le plan turc, et la lutte défensive du peuple arménien, un peuple qui était monté là-haut en connaissance de cause, et qui savait sciemment que la mort l'attendait. Le peuple, avec ses armes, s'abritait.
Il y eut trois principaux fronts. Notre peuple a toujours été victorieux. Ils savaient que nos provisions n'étaient pas considérables, que l'hiver approchait, mais nous avions l'espoir de vaincre, ou qu'un navire européen allié viendrait de la mer. Notre situation avait déjà été signalée.

Il y avait au sommet la Croix Rouge Chrétienne.

Le moment crucial était arrivé. Le premier navire européen qui nous a remarqué était le "Guiché" qui scrutait les rives. Avec leurs longues-vues, ils ont remarqué les étoffes, les gens. Ils sont venus, ils ont envoyé un bateau. Il y en avait parmi nous qui savaient le français, et l'anglais.

L'amiral a donné l'ordre: "qu'ils attendent une semaine !".

La montagne était couverte de brouillard. A dix pas, on ne se voyait pas. Soudain, le brouillard s'est levé, le navire est apparu. On a pris nos draps, on a fait des drapeaux, on les a agités joyeusement en l'air. Les Turcs ont fait un dernier effort pour se précipiter vers nous.
Mais les nôtres les ont repoussés, ils se sont battus héroïquement.
Une semaine plus tard, l'amirauté a encore envoyé quatre autres bateaux. Enfin l'amiral "Tardif de Fournay " est venu lui-même dans le vaisseau "JEANNE D'ARC", il a vu que la situation était très pénible, il fallait de l'aide.

Il a pris sous sa responsabilité personnelle de faire monter à bord toute la communauté, il a laissé seulement la troupe de combat de protection, pour empêcher l'ennemi d'envahir les lieux.

Ils sont allés d'abord à Chypre, se sont présentés aux Anglais. Ceux-ci ont dit: "nous n'avons pas de place". Il y avait une nécessité de désinfection à Port-Saïd. On nous a conduit dans ce centre de désinfection. Les navires nous faisaient parvenir de la nourriture. Nous, habitants de Moussa Lér, sommes restés trois ans et demi à cet endroit. D'après les accords des alliés, le gouvernement d'Egypte nous a protégés.

Nous avions demandé au gouvernement français de nous aider, puisque notre lutte contre les Turcs n'était pas terminée. Nos jeunes gens s'entraînaient sous le drapeau français. Puis des volontaires ont été envoyés pour organiser une formation spéciale. Le Conseil National était d'accord. L'armée d'Orient arménienne a été créée avec des jeunes de 18 à 25 ans, sans exception. Ils ont été inscrits et envoyés à Chypre, qui était le centre militaire général..

Les Arméniens ont vaincu, sous les ordres du Général Allenby, l'armée turco-allemande, ils les ont poursuivis jusque la Cilicie. Et le projet de rendre la Cilicie un foyer arménien fut envisagé.


Récit de Makrouhi Halatchian Née en 1900 à Marache

Quand les gendarmes turcs voyaient qu'ils avaient fini leur travail, ils coupaient les mamelons des jeunes filles et en faisaient des bracelets. Ils coupaient la tête des mariées et les plantaient sur des piquets enfoncés dans la terre. Les femmes restées en vie jetaient les pièces d'or de leur dot dans les puits pour qu'elles ne tombent pas aux mains des Turcs.
- Maman, dit mon petit frère, moi aussi tu vas me jeter dans le puits ?
- Non, mon enfant, je vais t'emmener avec moi.

Puis, elle nous a emmenés, et nous a confiés aux Français. A peine étions-nous assis par terre que les Turcs ont ouvert sur nous l'eau dégoûtante des cabinets, pour qu'elle coule sur nous.


Récit de Robert Khorén Kalonian Né en 1912 à Kharpert

Mon père, le docteur Khorén, était diplômé de la faculté de médecine américaine. Il avait servi dans l'armée turque, comme médecin major et pharmacien. En conséquence, par ses fonctions, il avait circulé dans tous les vilayets, et avec les survivants des déportés arméniens, était arrivé jusque Der-Zor.

Il avait vu comment beaucoup avaient été remis sur pieds pour être tués, beaucoup l'avaient supplié de les aider, dans la mesure de ses possibilités, à les délivrer secrètement de cet enfer.

Il y avait à Kharpert une jolie fille appelée Esther. Les Turcs avaient attrapé sa mère et l'avaient battue pour qu'elle dise où était sa fille. La mère était morte sous les coups, mais elle n'avait pas dit où était sa fille. Il y avait une Arménienne qui avait épousé le Turc qui l'avait enlevée de force. Ce Turc apprit que sa femme voulait se sauver avec les Arméniens, il vient la nuit, prend son poignard et lui tranche la figure d'une oreille à l'autre.

Les Turcs convertissaient les petits enfants, ils disaient "Muhammet rassoul Allah" et les circoncisaient, c'est-à-dire que les enfants étaient circoncis, qu'ils portaient un autre nom, et étaient obligés de parler turc.
Mon grand-père paternel était révérend père. Quand les Turcs sont entrés à Kharpert, ils l'ont tué sur le toit de sa maison. Sa femme, Pampich Almast, était une femme virile, elle a commencé à lutter avec les Turcs, mais ceux-ci ont réussi à l'emmener; avec son fils Khorén, ils les ont turquifiés. Ils appelaient Khorén "khayroulla". Sa mère, Pampich Almast avait caché ses 60 pièces d'or, elle les avait données à son fils pour qu'il étudie et devienne médecin.
Les Turcs respectaient et aimaient beaucoup leur médecin major khayroulla. Ils lui avaient même assigné un garde pour qu'il n'aide pas soudain les Arméniens.

Un jour, les Turcs emmènent mon père jusque Palou, pour sauver un malade. Mon père sort des médicaments de son sac, soigne le malade. On lui donne une vache pour le remercier, mais ils lui disent: "Ne la mène pas dans Palou, que les Arméniens ne te voient pas, car cette vache a été volée aux Arméniens.

Un jour, à Kharpert, une belle jeune fille appelée Sirvart réussit à se sauver de chez les Turcs, elle vient à l'église arménienne. L'un des prêtres de l'église vient avec Sirvart voir mon père le docteur Khorén, pour qu'il aide Sirvart à partir en Amérique, où le père de la jeune fille s'était réfugié. Mais les Turcs l'ont appris, ils ont battu le prêtre, ils ont enlevé la jeune fille. Elle revient voir mon père, elle demande qu'il l'aide. Je ne sais pas comment a pu faire mon père, il a envoyé cette jeune fille à Constantinople, et de là elle est partie en Amérique.
Le "mutur" de Bolis l'apprend, il fait venir mon père et lui dit: Docteur khayroulla, j'ai appris que tu convertissais les jeunes arméniennes musulmanes au christianisme.
Mon père sent que sa situation est en danger.
Il avait déjà envoyé toutes les affaires de sa famille à Alep, par des chemins secrets à travers les montagnes. Il est venu de Bolis la nuit, s'est empressé de nous réunir, et nous nous sommes éloignés de Kharpert. Je me rappelle avec quelle difficulté nous avons traversé la haute montagne appelée "Tév-Pouyn" (cou de chameau), nous sommes arrivés dans une ville fortifiée appelée Dikranakerd, où il y avait de très grosses pastèques. Le fleuve Euphrate traversait la ville. Il était plein de boue et de cadavres. Devant la porte de la ville, un gendarme montait la garde. On nous a inspectés, nous sommes restés dans le khan. Le matin, nous sommes arrivés à Mertin. Nous sommes restés dans la maison d'un prêtre catholique.
Puis nous sommes montés dans un train, et nous avons passé la frontière turque. Nous avons poussé un soupir de soulagement, d'avoir été délivrés des gendarmes turcs. Enfin nous sommes allés à Alep, puis à Beyrouth, ensuite en Egypte, et en 1948 nous sommes venus en Arménie.


Récit de Sara Berbérian - Née en 1905 à Eski-Shéhir

Nous étions une très grande famille. Nous habitions à Eski-Shéhir. A table, nous étions 40 personnes. Maintenant, je suis restée seule. Les malheurs qui nous sont arrivés ne se trouvent même pas dans les contes. On nous a délogés de nos maisons et de nos terres. Ils ont d'abord emmené nos pères à part. Et nous, ils nous ont déportés, à pied. En route nous avions faim et soif, ça n'en finissait pas. Si nous restions un peu en arrière, les zaptiés turcs nous frappaient. Des deux côtés de la route, des morts étaient tombés, nous passions en marchant sur les cadavres, c'était un péché, mais que pouvions-nous faire ? Il n'y avait pas de place pour poser nos pieds, partout le sol était couvert des cadavres de ceux qui étaient passés avant nous. Nos forces ne nous permettaient ni d'avancer, ni de reculer, on nous frappait. Nous avancions un peu, ils nous cognaient encore. C'est ainsi qu'ils nous ont menés à destination.
En route ils nous avaient complètement dévalisés et déshabillés, nous sommes restés tout nus. Ma mère s'est attaché un linge devant elle, pour au moins cacher sa honte. Si on demandait un peu d'eau, ils nous disaient: donne-nous une pièce d'or et nous t'en donnerons. Désespérés, nous avons bu de l'eau boueuse, même de l'urine, nous avons bu tout ce que nous avons trouvé. Comment se fait-il que nous ne soyons pas morts ? Ils tuaient les enfants sous les yeux de leur mère, ils tuaient les mères devant les yeux de leurs enfants. Je m'en souviens comme d'un rêve, mais je m'en souviens bien.
Puis nous sommes passés à Izmir. Ma mère était une femme convenable, finalement elle a trouvé à travailler chez un médecin, elle balayait la salle, elle faisait le ménage, elle faisait les pansements, et elle nous gardait.
Puis nous avons appris que le frère de maman était venu. Ma mère, toute heureuse est partie. Mais c'était son cadavre qu'on avait amené. Ma pauvre maman a encore pris le deuil. Nous étions petits, affamés, assoiffés, pouilleux. Ma mère s'est mise à travailler dans la construction, elle transportait de la terre, elle la portait dans un petit panier, elle nous faisait vivre avec l'argent qu'elle gagnait. Ensuite, nous avons reçu la nouvelle que notre père était arrivé dans notre ville avec les prisonniers. Nous allions à la porte de la prison. Il y avait une petite ouverture, nous lui tendions un petit morceau de pain, il y avait mille mains qui se tendaient, tellement ils avaient faim.
Enfin quand les Grecs sont arrivés, mon père est sorti de prison, il nous a trouvés.
Puis, de Grèce nous sommes arrivés en Arménie. Ici aussi nous avons eu beaucoup de misères, la guerre, la famine, je ne sais pas laquelle dire, laquelle raconter…


Récit de Parouhi Tchorékian née en 1900 à Nicomédia

En 1915, quand on nous a déportés, nous sommes restés 12 mois dans le désert.
Nous étions quatre sœurs, nous nous sommes sauvées. Arrivées au fleuve Khapour, nous l'avons traversé à la nage, et nous avons trouvé refuge chez les Bédouins. Ils nous ont tondu les cheveux car nous avions plein de poux, ils nous ont tatoué la figure avec de l'encre bleue pour que nous ne soyons pas repérées en tant qu' Arméniennes. Ils nous ont donné leurs moutons à garder.

Près de Cham (Damas, ndt) il y avait un camp militaire, d'où l'ordre a été donné: "Que ceux qui ont chez eux des Arménien(ne)s viennent nous les livrer.

Notre Arabe était gentil, il ne nous a pas données. Mais plus tard nous nous sommes sauvées pour entrer à l'orphelinat arménien
De là, nous sommes passées en Grèce. Et de Grèce nous sommes venues en Arménie.


Récit de Kévork Der Sahaguian Né en 1909 à Tiordiol

Le 14 avril 1915, Krikor Zohrab était en train de jouer au tavlou chez Talaat Pacha. En quelques jours, les intellectuels arméniens furent arrêtés. Zohrab ne le croyait pas. Il est allé protester chez Talaat. Celui-ci lui répond froidement: "vos protestations sont vaines".
Mon père avait rencontré Krikor Zohrab à Alep, à l'Hôtel Baron (qui appartenait aux Arméniens). Il avait dit: "Je viens de "Tassabkhané", là-bas ils n'ont pas laissé un seul Arménien vivant. Viens que je te sauve". Mais Zohrab a refusé et a répondu. "Si moi je me sauve, ils tueront tous les Arméniens".

(Lire le récit du meurtre de Zohrab et du député Vartkès dans les sites:(entre autres)

http://www.imprescriptible.fr/ternon/3_chapitre7.htm
http://www.acam-france.org/bibliographie/auteur.php?cle=zohrab-krikor
http://denisdonikian.blog.lemonde.fr/denisdonikian/2005/04/30_krikor_zohra.htm



 

Récit de Kégham Khatchadrian Né en 1909 à Afyon-Karahissar

En 1915 on a été déportés, on a été à pieds d'Afion-Karahissar à Konya.
Puis nous somme allés à Izmir.
Je me rappelle le désastre d'Izmir en 1922. Ils jetaient de l'eau bouillante sur les Arméniens, pour qu'ils meurent. Ceux qui avaient beaucoup d'argent disaient aux "ghaïerghtchis" : (bateliers) "Prends cet or, emmène-moi auprès des bateaux français ou anglais". Les Turcs prenaient l'argent avec de fausses promesses, ils les faisaient monter dans un bateau, ils les conduisaient un peu plus loin, ensuite ils renversaient le bateau pour que les Arméniens se noient et n'atteignent pas les cuirassiers venus les délivrer.


Récit de Arsène Svatchian né en 1901 à Guéssaria

On a emmené mon père comme soldat.
Nous, en tant que famille et enfants de soldat, on nous a exilés dans des villages. On nous a enfermés dans une moquée, soi-disant qu'on allait nous emmener à l'école, mais ils ont tué tous les adultes, et nous, nous avons été circoncis et turquifiés. Or, mon père, je ne sais comment, s'est échappé de l'armée, il nous a trouvés, il nous a sauvés et nous a emmenés. Mais sur la route de Sivas, ils l'ont tué. De notre famille, 12 personnes ont été pendues.
Je ne sais pas quel âge avait mon frère, ma sœur avait deux ans, c'est moi qui l'ai élevée.
Ensuite des Arméniens sont venus, ils nous ont emmenés. Ils étaient de Chabin-Karahissar. Nous avions peur de quiconque s'approchait de nous. Effrayés, nous criions :"Nous sommes Turcs !"
Ces jeunes gens de Chabin-Karahissar nous ont démasqués. Ils ont dit: "Ils sont arméniens". Ils nous ont emmenés à l'orphelinat de Guessaria. Ensuite à Izmir.
Nous étions en tout 400 personnes. Il y avait quatre riches Arméniens qui s'étaient chargés de nous. Un jour, le général Antranig est venu nous voir. Il nous a interrogés. Il a vu qu'on faisait à manger pour 400 personnes, il a pris une cuillère en bois, il a dit: "attends, je vais y goûter". Il a vu que c'était meilleur qu'à la maison, il était content. Il s'est tourné vers nous et a dit: "mes enfants, mangez bien, conduisez-vous bien, grandissez, délivrez l'Arménie !"
En 1922, lors du désastre d'Izmir, ils ont tué mon oncle. Ils ont jeté tout le monde à la mer.
Nous, nous étions au Collège américain. On nous a tous conduits à l'Ile de Corfou. Là-bas j'ai appris le métier de cordonnier. Et puis, la cuisinière de l'orphelinat, la "Mayrig" m'a adopté, elle m'a emmené chez elle. J'ai épousé sa petite-fille Méliné. Enfin, nous nous sommes installés en Grèce, mais là aussi ça a mal tourné et nous sommes venus en Arménie.


Récit de Elizabeth Kavkavian Née en 1900 à Eski-Shéhir

De Tchaïghalan on nous a déportés vers Ras-ul-Aïn. Ma mère transportait de l'eau pour les Turcs. En échange, ils lui donnaient un morceau de pain, et elle me l'apportait et me le donnait à manger, pour que je ne meure pas de faim. Ma mère m'avait habillée de frusques de garçon, puisqu'ils enlevaient les filles. Moi je me levais en cachette, je ramassais les mégots de cigarettes pour mon oncle. La majorité des Arméniens ont été enfermés dans des silos, ils ont été recouverts de chaux, incendiés et brûlés.
Les Turcs avaient des massues en bois épineux avec lesquelles ils tapaient sur la tête et tuaient les déportés. Notre Marguerite, s'était trouvée parmi les cadavres, elle s'était levée, elle avait vu qu'il n'y avait plus personne, elle s'était sauvée et elle nous a retrouvées.
Des Arméniennes s'étaient cachées dans des buissons. Le bébé de l'une d'entre elles s'est mis à pleurer. La mère a dit: " cet enfant va être cause de notre mort à toutes ". Elle l'a serré contre elle pour qu'il arrête de pleurer, il est mort comme ça. Beaucoup se sont jetées dans l'Euphrate. Je me rappelle, cette eau était très profonde. Elles se sont noyées et sont mortes dans l'Euphrate. La sœur de ma mère, ma grand'mère, ses belles-sœurs, se sont jetées à l'eau pour ne pas tomber aux mains des Turcs. Les Turcs nous ont beaucoup fait souffrir. Ils mettaient des plaques de fer sur le feu, jusqu'à ce qu'elles rougissent, et nous obligeaient à marcher dessus, nos talons brûlaient, et la plante des pieds. Ou alors ils clouaient un fer à cheval sous les pieds ; ils torturaient à mort. Nous étions très pitoyables. La plante de mes pieds était couverte de plaies. Nous n'avions rien à manger. J'ai pensé à vendre mes chaussures pour acheter du pain. Un garçon turc m'a acheté mes chaussures. Cette nuit-là, ma petite sœur de trois ans, qui était restée si longtemps sans manger, a mangé du pain, elle a enflé, elle est morte. Nous l'avons enterrée sous un arbre. Mais la nuit, des chacals affamés étaient venus, ils avaient déterré notre charmante Haïgouche, et l'avaient dévorée.
Nous sommes allées jusque Ras-ul-Aïn, après Alep. Ils voulaient nous expédier, (sevkiet) c'est-à-dire nous massacrer, mais un ordre est arrivé: "Ceux qui ont un membre de leur famille dans l'armée turque, vont être délivrés, et épargnés". C'est ainsi que nous sommes restés en vie.


Récit d'Assadour Hovsép Ménétchian Né en 1907 à Afyon Karahissar

En 1914, mon père a été incorporé dans l'armée turque. Il n'est jamais revenu. Nous habitions dans un quartier turc. Ma mère, autrefois avait allaité l'enfant de notre voisine turque d'en face. Quand les massacres de 1915 allaient commencer, cette voisine est venue et a dit à maman: "Laissez votre porte ouverte et venez chez nous".
Maman nous a rassemblés et nous sommes partis dans la maison de la voisine turque.
La nuit, à deux heures du matin, les Turcs sont venus. Ils ont frappé à la porte. Notre voisine turque s'est levée et a dit: "Ici il y a un haut fonctionnaire turc qui habite".
Ils l'ont crue et sont partis.
Dans notre rue, il y avait une famille d'épiciers arméniens. Les Turcs ont tué le père, la mère et leur fils. Et ils ont violé leur fille. Mais notre gentille voisine turque a eu pitié de cette fille, elle l'a fait entrer, elle l'a gardée avec nous.
C'est pour dire que parmi les Turcs il y a aussi de braves gens.



Récit de de Loussig Bodourian née en 1909 à Adabazar

Moi j'étais très petite mais je m'en souviens comme dans un brouillard. Nous vivions à Adabazar quand ils sont venus nous déporter. Ils nous ont emmenés à pied jusque Konya, puis à Karapounar, et de là à Eski-Shéhir. En route, ils ont massacré tous les Arméniens; et mon oncle Harout, qui s'était sauvé de l'armée turque, ils l'ont mis, devant nos yeux, sur des branches de sapin, et ils y ont mis le feu. La graisse de son corps s'écoulait comme de la résine.
Ma mère a composé un chant pour son frère.
Elle chantait tout en pleurant:

"Tchamdan sakiz akiyor,
Harout bana bakiyor.
Bakma Harout, kardashim,
Djiyérimi yakeyor

Du sapin la résine s'égoutte;
Harout me regarde.
Ne me regarde pas Harout mon frère
Mon âme brûle.


Récit de Srpouhi Guiguichian Née en 1909 à Arapkir

Quand on nous a emmenés à Der-Zor, moi j'étais petite, mais je m'en souviens, il n'y avait pas de pain, ni rien à manger, il n'y avait pas d'eau à boire, il n'y avait que des pierres et du désert. Nous avons marché, et marché. Nous sommes arrivés péniblement dans un village. Des Arabes nous ont apporté de l'eau, ils nous l'ont versée goutte à goutte dans la bouche. Et aussi du raisin, grain par grain. Ensuite les Arabes nous ont distribués entre eux. Ils ont donné ma mère à un homme invalide. Ma mère était blessée au bras, le pus s'écoulait comme de l'eau, mais nuit et jour elle travaillait pour cet homme, puisqu'elle était nourrie. Un jour, le voisin de cet homme est venu et a dit: "ta servante est blessée au bras". L'homme a eu pitié, il a apporté dans un récipient une bande de coton enduite d'un onguent. Au bout de quelques jours la plaie fut guérie.
Ensuite ce voisin a dit à maman : "il y a dans notre entourage une Arménienne, tu veux faire sa connaissance ?"
Maman l'a rencontrée, et a vu que c'était la sœur de mon père. La nuit, elles m'ont prise avec elles et nous nous sommes sauvées. Nous sommes allées à Ourfa.
Là, ma mère et ma tante ont travaillé dans une usine. Puis nous sommes allées à Malatya, nous sommes descendues dans le quartier arménien. Nous avons rencontré une femme d'Arapkir, de notre quartier. Elle a dit: "Ah Bon Dieu ! ton fils est ici, il a un signe sur la figure."
- Et les autres ? a dit maman
- Les autres sont morts , a dit la femme.
Ma mère a porté cet enfant sur son dos. Nous sommes venues, mais lui aussi est tombé malade, il est mort en route. Nous étions six enfants, il n'est resté que moi
Ma mère chantait toujours en pleurant…


Récit de Arpène Mikael Aghadjanian - Née en 1909 à Arapkir

Moi j'étais une enfant. Ma mère était malade. J'avais deux oncles. Ma sœur était mariée. Les Turcs sont venus. Ils ont ôté ma mère de son siège de paralytique. Ils ont déporté toute la population du quartier.
Ils ont aussi emmené les deux frères de maman. Maman est restée couchée par terre. Elle était malade, elle ne pouvait pas bouger. Je restais auprès d'elle.
Une gentille femme est venue, elle a porté maman, elle l'a emmenée, et moi je les suivais.
Nous sommes restées deux ans parmi les Turcs. Ils ont pillé tout ce que nous avions.
Qui a souffert ce que nous avons enduré ?


Le récit d'Anouch Topalian - Née en 1915 – Hozghad, Yéylentché

Ils ont emmenés les hommes en groupes dans l'église arménienne. Ils l'ont remplie. Ils les ont tous tués. Ils les ont jeté les autres à l'eau.
Nous sommes de Hozghad, du village de Yéylentché. J'avais cinq ans.
Je me rappelle, j'étais à côté de maman.
Nous sommes restées dans notre vieille maison, puisque mon père était parti soldat dans l'armée turque.


Récit de Garabed Garamanoukian Né en 1907 à Aïntab

Avant les massacres de 1915, les Turcs et les Arméniens vivaient ensemble calmement et en paix, ensuite les Allemands sont venus, ils voulaient créer une ligne de chemin de fer de Berlin à Bagdad. Le Conseiller du Sultan était Artin Amira. Il lui a dit: Mon Padishah, longue vie à toi, tu commets une erreur. Ne les laisse pas faire. On dit que les Allemands se sont fâchés, ce serait la cause du début des massacres des Arméniens. Ce fut le prétexte des massacres. A Marache, ils ont rassemblé les Arméniens, pour soi-disant les mettre dans l'armée turque, mais en route ils les ont tués. Ensuite ils ont violé leurs femmes, ils les tuaient, ils les jetaient dans les déserts. Les femmes les suppliaient de ne pas les tuer. Je me rappelle, les zaptiyés disaient: "Korkuma, kizilarim, petchaklarimiz dokdorlardan muhayénélidir, hitch duymasiniz" (n'aie pas peur mon agneau, nos couteaux ont été inspectés par les docteurs, vous ne sentirez rien). Ils m'ont aussi crevé les yeux pendant les massacres, j'étais encore un enfant.

(Ce récit ma été raconté par Garabed Garamanoukian. Pendant la Grande Catastrophe, les Turcs lui avaient arraché les deux yeux. Or sa mémoire avait enregistré les images indicibles qu'il avait vues. Mais le survivant fait une confusion lorsqu'il dit qu'en 1915 le Ministre du Sultan était Artin Amira. Car Haroutioun (Artin) Bezdjian (1771-1834) avait été le Conseiller du Sultan Mahmoud II (1808-1839)


Récit de Hagop Tchertchian Né en 1900 à Aïntab

Notre famille vivait en Cilicie dans le quartier appelé "hrômgla" qui signifie "le quartier grec". C'était là que Nércès Chenorhali avait fait sa repentance.

J'avais 15 ans quand je subis la déportation.

J'aurais préféré être aveugle pour ne pas avoir vu ces scènes effroyables. Nous sommes arrivés à pied jusque Homs, Hamma. En chemin, les Turcs ont rassemblé les hommes et jeunes gens, soi-disant pour les faire entrer dans l'armée turque. Or ils les ont emmenés pour construire la voie de chemin de fer Berlin-Bagdad.

Ils travaillaient comme des bêtes, à coups de fouet et de cravache, affamés, assoiffés.

Quant aux femmes et aux enfants, les mains et les pieds liés, ils étaient en rang au bord de l'Euphrate pour être tués.
L'un de ces déportés, appelé Artin Démir (fer , en turc) a réussi à briser les chaînes de ses mains, il s'est jeté à l'eau, il a nagé sous l'eau, est arrivé jusque Pérétchig et a demandé qu'on fasse venir sa femme et son enfant au bord de l'eau pour qu'il les délivre aussi. Mais les Turcs ont tué Artin par balles.

On disait que la patronne arménienne de l'Hôtel Baron avait eu des conversations secrètes avec Djémal Pacha, pour que les Arméniens ne soient pas envoyés à Der-Zor, mais à Homs- Hamma pour qu'au moins ils restent en vie.
Djémal Pacha aurait dit: "Les Arméniens vont écrire mon nom en lettres d'or". Et Démal Pacha en effet a donné aux Arméniens le conseil de changer leurs noms, en noms turcs, pour rester en vie.

Le plus grand criminel de ce massacre était Talaat.

Soghomon Tehlirian et Lévon Shant sont partis à sa recherche. Mais il s'était sauvé à Berlin. Ils l'ont poursuivi. Talaat changeait d'habit tous les jours pour ne pas être reconnu, mais un jour au coin d'une rue, Tehlirian a crié: "Talaat !" , celui-ci s'est retourné et Soghomon a appuyé sur la gachette.


Récit de Bédros Sarkis Safarian Né en 1901 à Moussa Lér
Village de Hadji Hapipli


Mon père avait été emmené dans l'armée turque,
Mais il s'était sauvé. Les routes ont été barrées.
Nous n'avons pas pu monter à Moussa Lér.
Nous étions 20 maisonnées de notre village.
Nous avons été déportés. Il y avait un gendarme turc, il a giflé mon père. "Allez !"…Ils nous ont conduits comme un troupeau de moutons. Nous avons passé le fleuve Oronte (Vorondès). C'était la nuit, ils nous ont laissés nous reposer. Une femme a mis là un enfant au monde. Le matin, nous nous sommes remis à marcher. Nous sommes passés par la ville d'Antioche. (Andiok). Elle a été construite 300 ans avant J.C. Quand nous sommes sortis d'Antioche, ma sœur a été enlevée. Ils nous ont pillés.
Nous sommes arrivés à Hamma. Sous le soleil brûlant, sur les pierres chaudes, ils ont dit: "vous allez rester là". Les gens, ruisselant de sueur, ont dressé les tentes, sont rentrés dedans. Le soleil nous cuisait. Affamés, assoiffés, fatigués, malades, on a tout souffert. Un homme criait pour un morceau de pain, les Turcs l'ont attrapé, ils l'ont jeté tout vivant dans une fosse.
Mon père nous a emmenés en ville. Il a loué une maison pour nous abriter. Mais là aussi, un crieur public est venu annoncer que tous ceux qui logeraient des Arméniens seraient aussi déportés. Allez ! ils ont amené des chameaux et cette fois nous ont emmenés à Homs.
De notre famille, beaucoup sont morts.
De Stamboul, Talaat a donné l'ordre à Djémal, qui était gouverneur de la province de Damas, de ne pas laisser un seul chien dans les rues, c'est-à-dire supprimer tous les Arméniens. Mais Djémal a été rusé, il a fait tuer les chiens des rues et a dit aux Arméniens: "changez vos noms, faites comme si vous étiez devenus turcs." C'est ainsi que nous avons été sauvés, moi qui m'appelais Apraham, je suis devenu Ibrahim, ma mère Fatma et ma sœur Aïcha.


Récit d'Iskouhi Gochgarian née en 1902 à Moussa Lér

Quand Talaat est venu dans notre village de Hoghoun Olouk, il a annoncé que nous devions partir. A ce moment-là j'étais à la fontaine chercher de l'eau. Je suis rentrée à la maison en pleurant. J'ai vu que tout le monde était alarmé. Les marmites étaient pleines, les repas étaient prêts, il fallait les laisser et monter dans la montagne.
Sur la montagne, les hommes ont combattu.
Ils ont beaucoup lutté. Les balles passaient et repassaient au-dessus de nos têtes. Nous, nous sommes restés en vie.
Un jour l'un de nos hommes était en train d'indiquer à un Turc le chemin des positions de ceux de Tamlatchek, nos jeunes lui ont coupé la langue, frappé l'oreille avec une hache, ils l'ont couvert de pierres, ça a fait un tas, on peut le voir jusqu'à ce jour sur la montagne. Ils ont bien fait. Pourquoi allait-il montrer notre chemin à l'ennemi ? Les Turcs avaient déjà attrapé une vingtaine d'Arméniens, ils avaient circoncis leurs enfants. Des milliers de Turcs se sont précipités sur nous. Nous ne nous sommes pas rendus. Ensuite nous avons dressé nos taies blanches en l'air et à côté nous avons allumé des feux. D'ailleurs nous avions décidé de nous jeter dans la mer du haut des rocs et des rochers.
Mon frère s'est mis à pleurer: " – Maman, n'y allons pas, ils vont nous jeter à la mer !"
Huit jours plus tard, des vaisseaux français sont venus, ils se sont arrêtés en face de nous. Les Français dans des petits bateaux ont fait la navette, ils nous ont emmenés dans les grands vaisseaux. Nous avons tout laissé dans la montagne. Nous n'avons sauvé que notre vie. Mon père, le Patriarche Bolissian, gardait les routes, nous sommes descendus au bord de l'eau. Esaïe Haghoupian, qui était notre parrain, est entré le dernier dans le bateau. Quand tout le monde a été embarqué, le capitaine a regardé avec sa longue-vue et a dit que notre place là-haut était remplie de Turcs.
C'est ainsi que nous sommes partis à Port Saïd. Mais quatre ans plus tard nous sommes retournés à Moussa Lér.
En 1939, les Turcs sont revenus. Cette fois, nous sommes partis à Anjar.
En 1946, nous sommes venus en Arménie, pour être délivrés des Turcs. Nous avons été établis à Massis.


Récit de Ardzvig Kaloust Tértchian Née en 1910 à Van

Notre maison était dans la rue "Khatchpoghan", il y avait deux étages.
Elle était entourée de buissons de roses.
Nous vivions calmement. Nos voisins étaient les Khantchian, Ararktsian, Tertsaguian.
Lors de la 1ère guerre, mon père s'était sauvé de l'armée turque. Ils l'avaient trouvé et l'avaient emprisonné. Il s'était échappé aussi de la prison. Les Turcs le recherchaient, car il était aussi Tashnagtsagan. Lors de sa fuite, au moment où il s'approchait de la maison et allait sauter le mur, un Turc l'a remarqué et a tiré dessus. De sorte que je n'avais déjà plus de père.
Au moment de la déportation, nous étions 8 personnes. La route a été très pénible, tout le monde était fatigué. Nous avions faim et soif.
Nous devions laisser sur le chemin ceux qui mouraient et nous devions continuer à marcher car les Turcs nous harcelaient. L'armée russe voulait s'emparer de nous. Nous avons été séparés. Nous sommes restés sans maîtres.
Les enfants orphelins ont été ramassés.
Ma sœur Armig et moi avons été mises dans un chariot fermé. On nous a conduites d'abord à Iktir, puis à Anibemza, ensuite à Erevan. Notre maison d'enfants se trouvait près de l'église Sourp Astvadzadzine de Nork. La directrice était Mademoiselle Azniv. Cette maison d'enfants était celle d'Amergom.


Récit de Katchpérouhi Avédis Chahinian Née en 1908 à Van

Notre pays Van était très bien. Nous vivions dans la rue Tcharl, c'était une belle rue, l'eau jaillissait des deux bouts de la rue et se déversait dans les deux bassins.
J'avais 4 oncles, les frères de mon père, qui vivaient séparément.
Nous avions beaucoup de bêtes.
Mon père était armurier.
Nous étions 12 personnes dans notre famille.
Ma mère était couturière. Elle avait deux filles. Moi j'ai vécu toute mon enfance dans des rêves, jusqu'à notre sortie de Van.
Mon père Avédis était un homme tranquille. Quand il a appris que les Turcs allaient venir, ils nous a rassemblés et nous sommes partis avant les massacres. Mon père était armé, il a fait monter maman sur un cheval, il nous a mis, ma sœur et moi dans un sac à deux poches, et hop, nous nous sommes mis en route. Il y avait aussi avec nous la famille de mon oncle et ma grand'mère.
En route nous entendions déjà les canonnades des Turcs. Nous nous abritions sous les rochers. Moi j'avais peur, je pleurais. Mon oncle m'a trouvée, il m'a donné à manger. Le convoi de déportés arrivait derrière nous. Dans les rochers, il y avait des gens couchés. Je croyais qu'ils étaient vivants. Mais pas du tout ! ils avaient été tués, il n'y avait personne pour les enterrer. Les canonniers arrivaient. J'ai vu le prêtre tombé par terre, il était mort. Il avait laissé ses affaires sous les rochers. Ma mère lui a retiré ses vêtements ecclésiastiques, elle les a remis à l'église Boghos-Bedros d'Erevan. Mon oncle est mort en route.
Les Anglais et les Américains nous ont aidés. Ils nous ont bien nourris, vêtus, lavés et éduqués.
Ensuite les Turcs se sont précipités sur Erevan. Mon père a rassemblé 25 hommes, il les a armés et ils se sont défendus contre les Turcs. Il était commandant, il avait participé à la bataille de Sartarabad. A peine rentré à cheval à la maison, il a été appelé pour aller combattre contre les Turcs.
De 1932 à 1937, mon père, en tant que nationaliste, a été emprisonné. Toutes ses balles et ses munitions, il les avait enterrées. Mon pauvre papa, ils l'ont arrêté, ils l'ont envoyé à Tachkent, et là-bas il est mort. Ils ont dit qu'il était mort de faim.


Récit de Silva Hovannès Puzantian
Née en 1908 à Van


Notre famille était une famille cultivée de Van. Des Français étaient venus à Van pour faire connaître leur langue. Mon grand-père leur avait réservé une chambre dans notre maison pour qu'ils se consacrent à leur enseignement. Et cette école s'appelait l'Ecole Puzantian. Nous avions une très grande bibliothèque, qui s'enrichissait continuellement de livres imprimés à l'étranger. Dans notre maison, il y avait aussi une chambre réservée à Khrimian Hayrig, qui, lorsqu'il rentrait de ses tournées, venait s'y reposer.
Mon père était un homme très gentil. Il participait souvent aux réunions de partis, il parlait librement, beaucoup lui disaient: "Hovann tu as une bouche d'or".
A Van il y a eu de l'agitation pendant longtemps. Les Turcs sont venus et ont fait des enquêtes dans la ville et les environs au sujet des Arméniens.
Un jour l'ordre est arrivé que nous devions partir. Les Turcs ont envahi la paisible population arménienne de Van et des environs. Les Vanétsis ont été obligés de partir à pied. A ce moment-là, mes parents m'ont perdue. Les soldats russes m'ont trouvée, ils m'ont gardée. Soudain mon parrain m'a vue et reconnue, il m'a saisie, il m'a mis sur son cheval et nous sommes partis.
Les Turcs ont enlevé ma sœur Sirvart. C'était une très jolie fille et gracieuse. Elle jouait le rôle de Séta dans la pièce "Les Dieux Anciens" de Shant.
Les Turcs massacraient ceux qu'ils rencontraient. Ils coupaient les mains des hommes, les pieds, ils leur plantaient des clous au front, ils leur arrachaient les yeux, ils massacraient les enfants sous les yeux de leurs parents, ou les parents devant les yeux de leurs enfants, et ils prenaient plaisir à voir tout cela. Leur but était de massacrer les Arméniens jusqu'au dernier. Un million et demi d'Arméniens ont été sacrifiés.
Nous sommes arrivés à Iktir, complètement dénués de tout, puisque nous avions été pillés. Nous avions faim et soif. Puis nous sommes passés par le fleuve Araxe. La plupart de ceux de ma famille étaient âgés, ils ne pouvaient pas marcher, c'est pourquoi ils étaient restés à Van, et ont été massacrés.
L'épidémie de typhus aussi a causé beaucoup de victimes parmi nous. La faim, la maladie, un état d'épouvante…
Mais nous avons tout supporté et affronté héroïquement.


Récit de Nevart Avédis Kévorkian née en 1910 à Alachguérd

Nous vivions paisiblement à Alachguérd.
Un jour, en 1915, les Turcs ont envahi notre village. Ils ont attrapé les hommes du village, ils les ont enchaînés de force, ils les ont poussés et les ont enfermés dans les étables auxquelles ils ont mis le feu.
Notre parentèle comptait 22 personnes, mais notre famille se composait de 5 personnes: mon père, ma mère, moi et mes deux sœurs.
Mon oncle, ses enfants et petits-enfants, mes tantes, leurs petits-enfants, ainsi que mes parents ont été enfermés dans une étable et incendiés.
Nous, les trois sœurs, sommes restées orphelines, sans maître ni protecteur.
Sur le dur chemin de la déportation, nous marchions avec difficulté sur les cadavres suppliciés, massacrés. Enfin, nous sommes arrivées à Iktir. Puis à Oktempérian (devenu Armavir) , dans le village d'Evtchilar, qui était au bord de l'Araz. Le lendemain matin, l'épidémie de typhus s'est répandue parmi les déportés.
Beaucoup sont morts là-bas. Ma sœur m'a gardée. Nous sommes allées au village de Tchanfita de l'Oktempérian. De tout notre village, ma sœur et moi étions les seules survivantes.
Le Turc nous a massacrés, tués, rendus orphelins, sans maison, sans terre, sans proches parents, moi je ressens la nostalgie de mes parents. Je ne revois mes parents que dans mes rêves.

Mon mari Roupen avait une très grande famille, qui a entièrement été massacrée par les Turcs. Le Turc nous a fait beaucoup de mal. Dieu ne leur pardonnera pas ce qu'ils ont fait.


Récit de Samvél Sarkis Artchiguian Né en 1907 à Zeitoun

Les pachas Talaat, Djemal et Enver avaient organisé le meurtre de tous les Arméniens par poignards. Moi j'avais sept ans. Nous avons été délogés de Zeitoun. Le gouvernement ottoman a déporté les Arméniens, sans chaussures, sans pain, à Marache.
Un Grec m'a ramassé, il m'a gardé.
Il m'a emmené à Cham (Damas). Là-bas j'ai vécu dans l'église chrétienne grecque pendant 6 ans.
Les Arabes de Cham se sont mis à démolir les immeubles de Mertch. A Cham il y avait beaucoup d'Arabes libanais, ils ont tous été tués, ainsi que les femmes enceintes. Il n'est pas resté un seul jeune homme, ils sont tous partis soldats.
C'était un gouvernement criminel, persécuteur et pilleur. Ils nous ont saccagés,
expatriés, nous avons été disséminés aux quatre coins du globe.


Récit de Haïganouche Der-Bédrossian Née en 1910 à Yetessia (Edesse)

Nous avons été délogés au motif de "seferberlik" (mobilisation). Nous étions trois frères et trois sœurs. Mon père était forgeron :
Nércès Démirdjian. Il l'ont gardé, disant que c'était un artisan. Il y avait aussi un maréchal ferrant Nalpant, qui ferrait les chevaux, et un autre qui était rétameur, il travaillait l'étain.
Ils nous ont emmenés dans un local, ça ressemblait à un palais de justice. Ils ont changé nos noms, ils nous ont transformés en Turcs, mon père est devenu Ahmed, mes frères devenus Khalil, Iprahim, Mahmet, ma mère Fatma,, ma grand sœur Tchakia, la cadette Eminé, et moi on m'a nommée Pahiya. Nous sommes venus nous installer dans le quartier turc.
Les Turcs sont venus, demander ma grande sœur, mais nous ne l'avons pas donnée; mon père a dit : nous l'avons donnée au fils de Nalpant. Car il ne voulait pas qu'elle fasse partie des Turcs.
Les Turcs faisaient le ramadan, nous devions jeûner pendant toute la journée, ils venaient inspecter notre langue pour voir si elle était blanche, si non ils nous punissaient.
Quand les Anglais sont arrivés, nous sommes redevenus Arméniens. Mon père est allé chercher des orphelins, garçons et filles, il les a ramenés à la maison.


Récit de Aharon Manguerian Né en 1903 à Hadjen

Quand on a été emmenés en déportation, nous avons beaucoup souffert en route. Pendant des jours, des semaines, affamés, assoiffés, sous le soleil, on nous faisait marcher. Un jour au bord de l'Euphrate, des Allemands sont venus. Ils mangeaient.
Nous étions déjà arrivés à Racca. Nous étions pieds nus, nous les regardions, nous faisions le signe de croix pour qu'ils aient pitié de nous. Or nous avons vu que les aliments qui leur restaient dans leur boîte, ils les ont jetés à l'eau. Plusieurs garçons d'entre nous se sont jetés à l'eau, deux se sont noyés.
L'eau de l'Euphrate contenait du sang, on ne pouvait même pas la boire, les cadavres flottaient à la surface, et nous, nous allions au fond pour boire de l'eau propre.
Ceux qui ne pouvaient plus marcher, qui s'asseyaient ou qui se couchaient par terre, en disant : "de l'eau, de l'eau !" mouraient.
De tous côtés, étaient répandus des cadavres desséchés.
Nous avons vu la tragédie de Der Zor. Quand nous nous avons combattu à Hadjen, nous voulions nous venger de Der Zor *.
Il y avait un pacha turc de 80 ans, il avait pris pour femme une petite fille qui avait perdu ses parents. Nous sommes allés délivrer cette enfant.
Kémal a voulu supprimer le nom de Hadjen Il a brûlé Hadjen, la plupart des Hadjentsis ont été brûlés vifs. Mais nous ne sommes pas morts. Ensuite j'ai été en Grèce, puis nous sommes venus en Arménie. Maintenant, dans NorHadjen, il y a notre monument, et le musée.
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* Il s'agit de l'autodéfense en 1920, du combat héroïque de huit mois de Hadjen, auquel il a participé.


Herminé Derdérian Née en septembre 1912 à Yozgat

Toute ma famille a été tuée au couteau.
Ma belle-mère pleurait trois fois par jour, car ses fils avaient été tués à coups de couteaux. Ma belle-mère était de Césarée, elle s'était mariée à Yozgat. Les Turcs lui avaient dit:
"Donne-nous ce garçon d'un an et demi. Elle avait dit: je ne le donne pas. Elle ne l'avait pas donné. Elle tremblait pour cet enfant: elle disait : "je ne vis que pour toi".
Ma belle-mère était très soigneuse. Tous les vendredis, nous faisions le ménage à fond
C'était une bonne mère. Un jour elle me dit:
"Herminé, ne t'épuise pas, tu es enceinte.
Une nuit j'ai vu la Sainte Vierge en rêve, elle me dit: Herminé, Dieu va te donner un petit saint Hagopig, un garçon du nom de Hagop du Christ. Et j'ai vu aussi briller trois étoiles.
Cela signifie que la naissance va être difficile, mais elle réussira. Mon père martyr n'a pas eu de tombe, et j'allais avoir un garçon qui porte son nom. J'ai fait un vœu, j'ai dit: " Mère de Dieu, Christ et saint Hagop
(Saint Jacques) En échange de nos martyrs, mon père, mon oncle paternel et mon oncle maternel, Dieu va me donner un Hagop".
La Sainte Vierge m'a dit: si Dieu n'exauce pas ton vœu, lequel exaucera-t-il ? J'ai raconté aussi mon rêve à ma mère.
Le jour de Noël, dans les douleurs, et avec l'aide de la Mère de Dieu, j'ai été délivrée.
Le docteur est venu, il a dit: ce sera un très bon garçon.
Mon enfant a grandi. Il était enfant de chœur à l'église.
Je me rappelle mon enfance. J'avais 4 ou 5 ans. Tous les hommes et garçons de ma famille ont été emmenés à KESKIN , près d'Ankara. Ils ont voulu tuer mon père, pour être maîtres de ma mère. Ma mère était la belle fille du prêtre. Le prêtre était très pieux , on disait que pendant la messe, ses pieds se soulevaient de terre. Il s'appelait Krikor Der-Krikorian et il a été enterré à l'église Marténi de Keskin. Après sa mort, on dit qu'une lumière a brillé sur son tombeau pendant trois jours. La belle-fille du Papaz (prêtre) était riche et très belle, couverte de bijoux d'or et d'argent. Un caporal turc est venu dans notre village et a dit à ma mère: ô belle-fille du prêtre, tu es malheureuse, viens avec moi, je vais te libérer.
Ma mère ne voulait pas partir. Elle dit: "Je ne veux ni toi, ni ton or". Elle refuse.
Ce caporal envoie 11 voleurs, cambrioler tous nos biens. Ils tuent sur les genoux de mon frère ses trois jeunes enfants. Ensuite ils trouvent l'or et l'argent, ils prennent tout et s'en vont. Dans quelle douleur et quels pleurs nous sommes descendus en ville ! Ma mère allait à pied, portant ma petite sœur de 40 jours. Nous sommes restés un an dans un village appelé "Saghtchal". Ma grand'mère, Yérétsguine (l'épouse du prêtre) priait. Nous avons été délivrés de cet endroit. Nous sommes sortis, et nous sommes rentrés chez nous. Ma mère pleurait sans cesse. Elle me racontait ce qu'elle avait vu, et pleurait, pleurait. J'étais petite, mais j'avais du chagrin en voyant l'état de maman. Je me demandais ce que je pourrais bien faire; soudain j'ai eu une idée, je me suis dit: puisqu'il y a un Dieu, je vais prier pour que maman arrête de pleurer et que Dieu nous protège. Peu après, l'église de l'école maternelle a été ouverte. Ma maîtresse, appelée Kioulli, était une jolie jeune fille. Elle m'a dit, "je vais t'apprendre des prières, mais je n'ai pas de livre, ma mère au moment des massacres, dans sa frayeur, a tout brûlé." A l'école, nous étions tous des orphelins, nous n'avions pas de livre, mais grâce à la maîtresse, qui connaissait par cœur "havadkov khostevanim yév yerguir bakanim" j'ai appris ces prières par cœur.
Une salle pleine d'orphelins. Un jour, je suis sortie de l'école heureuse, j'avais appris des prières. Nous orphelins, sans père, sans argent, sans parentèle, j'ai dit: "J'ai appris une prière !"
Ma mère avait trouvé un peu de boulghour, elle l'avait fait cuire (pilaf) dans un cocotte rose. Mon frère et ma sœur étaient petits, ma mère avait 22 ans. J'ai dit: "Ce plat ne peut pas être mangé sans prière". Mon frère et ma sœur n'ont pas bronché, ils n'ont pas dit: j'ai faim. Je me suis tournée vers le mur, ma mère avait étalé une carpette par terre, je me suis mise à genoux, j'ai commencé ma prière:
"Havado khosdovanim" (avec foi je m'engage) . Ensuite nous avons mangé ce pilaf. Puis j'ai prié : "Park i partsouns" (Gloire à Dieu) et "Der Voghormia" (Dieu aie pitié) Je prie la Mère de Dieu de nous aider. Puisqu'il n'y a ni à manger, ni père, ni frère. Maintenant j'oublie tout, mais les prières de mon enfance, je m'en souviens.
Dieu nous a aidés, mais tous sont morts. Ils sont morts jeunes, jeunes !
Je dis aux autres: "Vous, vous commémorez seulement le 24 avril, mais eux sont en deuil 365 jours par an. Ils sont morts pour vous. Pourquoi ne parlez-vous pas arménien, pourquoi n'êtes-vous pas autour de votre église ?"


Setrag Kaypaguian Né en 1903 à Zeitoun

Quand on nous a emmenés en déportation, j'avais 12 ans, de sorte que je me souviens assez bien. On nous a délogés de Zeitoun.
Toutes nos maisons, nos celliers, nos caves remplies, nos vignes, nos arbres avec leurs fruits, on a tout laissé. Nous nous sommes mis en route en pleurant et gémissant. On nous a d'abord poussés vers Konya, et de là on nous a emmenés dans le désert de Der-Zor. Là c'était un méli-mélo, recherches de papa-maman, un chien n'aurait pas reconnu ses maîtres, des morts les uns après les autres, la maladie, la faim, la misère, on ne sait plus lequel des maux raconter.
Un jour, un Arabe m'a vu, sans doute avait-il eu pitié de moi, il m'a emmené chez lui, il a fait de moi son enfant. Je suis devenu chamelier. J'étais pieds nus, les cheveux longs; il n'y avait pas d'eau pour se laver. Quand le chameau urinait, je mettais ma tête sous lui pour la laver.
Quand j'avais mal quelque part sur mon corps, mon père arabe me disait: "le diable
(tchéytan) est entré là" et il m'appliquait une braise brûlante sur la peau pour faire sortir le diable. Je croyais mourir de douleur, je sentais l'odeur de la chair brûlée, mais ils m'avaient attaché les mains et les pieds.
Il y a encore sur mon corps 20 ou 25 cicatrices de ces brûlures.
Une tribu arabe voisine a envahi nos tentes ; ils ont tout pillé, ils ont enlevé les femmes, ils ont tué les hommes. Ces nouveaux maîtres, avec les chameaux et les femmes, m'ont pris et emmené aussi. Nous sommes arrivés jusqu'au nord de l'Irak, à Mossoul, près de l'ancienne Ninive historique, par où passait la ligne de chemin de fer Bagdad-Berlin. Moi, je me suis sauvé en douce de chez ces Arabes, j'ai été au marché, j'ai trouvé des Arméniens. Un homme très gentil m'a emmené dans sa boutique, je travaillais avec lui.
Plus tard je me suis marié, j'ai fondé une famille. Nous sommes venus en Arménie.


Marie Yérgat Née en 1910 à Adabazar

Mihran Khalfa, mon oncle, était un gradé de l'armée turque.
Il était médecin à Ankara dans l'armée turque. Il avait été mobilisé depuis 6 mois, lorsqu'on est venu nous déloger. Tout le monde devait laisser toutes ses affaires, sa maison et sa terre, et s'en aller de chez soi.
Moi j'étais petite, mais je me rappelle très bien. Ma mère s'écriait : "Mon Dieu, mon Dieu ! quelles belles choses nous avions dans notre maison, des vases de cristal, de grands miroirs précieux accrochés aux murs, et beaucoup d'autres objets, elle était furieuse, elle les brisait en disant: "Je ne veux pas que ça reste aux Turcs, il vaut mieux les casser". Moi j'ai pris mes jouets, je les ai mis dans une boîte en fer blanc, et maman a mis par dessus un peu de nourriture. Maman a été les ranger dans un chariot. Nous étions à peine assis dans le chariot et commencions à rouler, que le chariot s'est renversé, ma grand'mère est tombée de la place où elle était assise, et s'est cassé le bras sur les pierres de la route poussiéreuse.
Il n'y avait ni médecin, ni remède. On nous a conduit dans cet état à Eski Shéhir. On nous y a arrêté dans un khan. A côté, il y avait aussi un khan aussi sombre et sale que le nôtre, aussi rempli de déportés que le nôtre, c'étaient des intellectuels de Constantinople. Ils avaient des cols blancs, des cravates, ils étaient bien habillés, mais leurs habits étaient déjà déchirés.
Nous entendions toutes les nuit leurs cris, lamentations et leurs supplications, car les zaptiyés turcs et des gendarmes les frappaient fort.
Au bout de quelques jours, ils les ont tous emmenés. On a appris qu'ils avaient été tués après avoir été torturés.
Nous n'avons pas été dans les camps, car mon oncle était médecin dans l'armée turque. Nous sommes restés là-bas. Ma mère pleurait beaucoup en pensant à son frère qui risquait sa vie. Ma mère aimait l'art. Au moment de partir de la maison, elle n'avait pas oublié d'emporter avec elle son cher violon. Dans ces jours d'affliction, ma mère prenait son violon et se mettait à jouer des airs tristes, tout en pleurant.
Dans ce khan, il n'y avait ni tables ni chaises. Ma mère, à genoux, dessinait. Je me rappelle du jour où elle a dessiné un lion qui tenait dans sa gueule un petit agneau.. Elle pensait à son jeune frère, innocent, qui avait été sacrifié dans l'armée turque.
Un autre jour, les zaptiyés sont revenus nous emmener. Cette fois-là, ils voulaient nous mener du côté de Bagdad, mais ma mère a encore une fois discuté, elle a montré les certificats, nous avons encore été sauvés grâce à la situation de mon oncle.
Après l'armistice, nous avons été conduits en bateau jusque Constantinople. De là, nous sommes allés en Egypte. Et d'Egypte, nous sommes venus en Arménie en 1947. Ici, j'ai commencé à travailler comme couturière, puis comme enseignante de travaux de couture. Mes ouvrages étaient très appréciés, ils ont été exposés dans de nombreuses expositions, en Arménie et à l'étranger. J'ai organisé beaucoup de fêtes, où mes travaux étaient exposés. Mon rêve est que mes portraits, mes fleurs, mes vêtements traditionnels arméniens soient réunis dans un album.


Annig Mariguian Née en 1892 à TOKAT

Jusqu'en 1915, nous vivions à Tokat.
Nous avions des maisons, des terrains, des vignobles, des arbres fruitiers, des forêts.
Mais les Turcs sont venus, ils nous ont délogés.
Ils ont d'abord rassemblé les hommes, ils les ont emmenés et les ont tués. Tout ce que nous avions, ils sont venus, ils s'en sont emparé. Moi, avec trois jeunes enfants, j'ai été tiraillée jusque dans les déserts de Der-Zor. Affamés, assoiffés, sous le soleil brûlant. Chaque jour des centaines de malades mouraient Et nous, ils nous emmenaient par groupes dans les collines et nous tuaient à coups de balta (hache, en turc). Ils ont aussi emmené ma sœur avec ses deux enfants, ils les ont tués et les ont jetés dans une fosse. Mais ma sœur était seulement blessée, sous les corps de ses enfants et des autres cadavres; elle a rampé, rampé, elle est venue nous retrouver. Nous ne savions pas si nous devions nous réjouir de son retour ou pleurer la perte de ses deux enfants.
Nous avons vécu pendant trois ans avec ma sœur et mes enfants dans une grotte de Der-Zor, pour qu'au moins ils ne prennent pas mes trois enfants.
Dieu merci, j'avais emporté avec moi des aiguilles et du fil, je faisais de la couture pour les femmes des zaptiyés turcs, je cousais des habits, pour survivre. Et puis, et puis j'ai donné des articles que j'avais faits à un Arabe, il nous a emmenés dans son chariot. Jusque Constantinople.
De Bolis, dans des vaisseaux anglais, nous sommes allés en Egypte.
En 1947, nous sommes venus en Arménie.
Mais en 1949, ils nous ont exilés à Altaïsk.
(Selon les directives staliniennes, ils envoyaient les citoyens indésirables travailler dans ces régions glaciales).


Témoignage de Achod Malakian
"Je suis né le 15 octobre 1920 dans un village proche de Constantinople. Il nous a fallu partir, car les massacres, commencés en 1915, se poursuivaient au moment de ma naissance et ont duré jusqu'en 1923. L'une de mes tantes est devenue folle de douleur quand les Turcs ont noyé ses enfants devant elle, en les plaçant dans des paniers, qu'ils faisaient couler au milieu de la rivière. C'était général. Partout nous étions en butte aux massacres. Le sang coulait dans les ruisseaux. A ce moment-là mon père a décidé de fuir. Nous nous sommes évadés en Grèce où je suis arrivé à l'âge de 2 ans. Mon père était armateur et il a dû laisser tout ce qu'il possédait derrière lui. Après avoir passé deux ans en Grèce, mes parents ont décidé de se rendre au Mexique. En cours de traversée, ma mère a eu un mal de mer très très fort. Peu après le départ, elle avait vu qu'on jetait une morte à la mer. Alors elle a dit à mon père: " je sens que je vais mourir, je ne veux pas être enterrée comme cela, arrêtons-nous à la première escale" La première escale était Marseille et nous y sommes restés 26 ans de 1924 à 1950. Au deuxième jour de notre arrivée, mon père est donc allé chercher du travail à la raffinerie de sucre de Saint-Louis, à Marseille, et on lui a donné un job de nuit, c'est-à-dire qu'il prenait son travail à 9 heures du soir, par 45-50°, et dans les sous-sols il fermait et ouvrait les robinets de sucre chaud, lui, le bourgeois de Constantinople…"


Eliazar Garabédian, né en septembre 1886 à Daron, Sassoun , raconte :
En 1908, le Hürriyet,(la liberté) accorda la liberté à tous les prisonniers politiques, en conséquence, l’Arménien, le Turc, le Kurde, tous devaient avoir les mêmes droits. Les « Jeunes Turcs », conformément au pacte fraternel avec le parti « Tashnagtsagan » mettaient fin au combat du Front de Libération arménien, tous les peuples habitant en Turquie, unissant leurs forces devaient, emplis d’un esprit patriotique, défendre fidèlement l’Empire ottoman, les frontières qu’il avait créées et le nouveau gouvernement ayant établi des lois d’avant-garde. Par un décret spécial, les Fedays furent invités à Mouch. La troupe des Haïdouks se rendit sans armes sous la direction de Roupen. Partout retentissaient des cris d’allégresse. Selon la loi de « liberté » avaient pris fin le statut d’infériorité des Arméniens, les coups, les insultes, les saccages, les pillages et le mépris. Quiconque se conduisait de cette façon s’exposait aux sanctions les plus sévères, même à la pendaison. Les deux peuples éprouvaient la même totale confiance. Les Arméniens avaient reçu le droit de s’exprimer librement, de choisir et d’élire leurs représentants. Dans la vie de ces Arméniens occidentaux, c’était une renaissance. Le Parlement nouvellement élu, lors de sa première séance, établit une série de lois, parmi lesquelles l’admission des Arméniens dans les rangs de l’armée ottomane.

Le Sultan Hamid était encore sultan de Turquie lorsque le 31 mars 1909, en Cilicie, 30000 Arméniens furent massacrés. Le 9 avril, le sultan Hamid fut détrôné et son frère aîné Muhamet Rechad monta sur le trône. Un nouveau gouvernement fut placé à la tête du pays, composé d’Enver, de Talaat, Kemal Nazim, qui considérèrent comme nulles les lois promulguées par le sultan Hamid et créèrent les forces armées « bachibouzouks ». Paix, Egalité, Fraternité, ce rêve séculaire du peuple arménien était devenu réalité. Les comités centraux des deux partis arméniens Hentchag – Tachnag eurent alors des relations très proches et amicales. De part et d’autre, les dirigeants se réunissaient tous les jours à propos de la Constitution et prononçaient de beaux discours patriotiques. Les dirigeants turcs et arméniens s’invitaient mutuellement à des repas, des réjouissances, des visites des rues, des villes et des institutions arméniennes. Les Arméniens bénéficiaient de nombreuses autorisations, il s’occupaient même d’affaires judiciaires, de contestations complexes. Le Révérand Mihran annonça la nouvelle de la Première Guerre Mondiale. Le 3 août eut lieu l’éclipse de soleil.

Le parent d’Enver Pacha, Servet Pacha était venu chercher tout ce dont l’armée avait besoin, et cela avec des méthodes effrayantes et cruelles. Vis à vis des Arméniens qui vivaient sous domination turque, la haine commença à devenir plus profonde. La fureur ne se limitait pas aux troupes volontaires arméniennes qui s’étaient jointes à l’armée russe et qui combattaient contre les Turcs.

Dans le but d’attiser davantage la rage des Turcs contre les Arméniens, le gouvernement publia une nouvelle affaire encore plus troublante, affirmant que les soldats arméniens et les spahis servant dans l’armée, profitant d’une occasion favorable lors des combats, abandonnaient le front, s’enfuyaient, passaient du côté russe, trahissaient, transmettaient des secrets, tournaient casaque et se battaient contre les Turcs. Ainsi s’accumulèrent les vieilles rancunes et désirs de vengeance. La Turquie, délimitée et dirigée par Talaat et Enver, décida, par l’épée et le feu, de briser et déraciner du pays la population arménienne qui avait toujours été soumise et l’avait fait prospérer. Il fut ordonné de désarmer les Arméniens qui servaient dans l’armée turque, et de les réunir dans des bataillons non-combattants. Les soldats de tous les corps d’armée durent rendre leurs fusils et sortir des rangs, pour construire des routes, transporter des fardeaux , former des groupes de travail et accomplir des tâches cruelles dans le froid de l’hiver.
A partir du jour du début de la guerre, l’attitude du gouvernement turc envers les Arméniens fut hostile et désespérante. Il considérait les Arméniens comme des ennemis. . Et dans le village de Koms, les coups de feu des fugitifs du moulin à eau dans l’incendie duquel 13 gendarmes avaient trouvé la mort, allaient peser lourd sur le sort des Arméniens.

La nuit du 20 février, 80 représentants de 15 villages étaient invités à se réunir dans le monastère apostolique Sourp Arakel pour réfléchir aux préparatifs de leur autodéfense. Les habitants de Sassoun avaient 1500 fusils. Le 22 février, on entendit des coups de feu dans le monastère apostolique.

Le 13 mars, le Cheik Hazret était au marché de Mouch, puis auprès de Servet Pacha et Hadji Moussapeg.
Il siégea avec les dirigeants Jeunes-Turcs pour se concerter, et ils décidèrent de massacrer les Arméniens.

Le 7 avril, entre le gouvernement turc et les Arméniens, ont commencé les luttes inégales à Van.
Ahmed Pacha fut tué par des Fédays au cours des combats près de la chapelle de la Sainte Vierge du monastère Sourp Arakel. Le Mutasserif de Sassoun, Servet Pacha, dans son discours prononcé sur la tombe d’Ahmed Pacha, déclara : « Ahmed, mon enfant, repose en paix, moi je jure sur ta tombe qu’autant d’Arméniens doivent être tués que tu as de cheveux sur la tête ». Ce furent les dernières paroles et le dernier serment sortis du fond du cœur du Mutesserif Pacha plein d’impatience et de désir de vengeance. Il n’allait jamais oublier ce saint serment qu’il allait réaliser dans un proche avenir.

Le 22 avril 1915, les Kurdes se précipitèrent sur les Alivans arméniens de Sassoun et, brisant tout, près de mille homme armés de Sametz, de Mouser, de Bakran, sous le commandement d’Avtul Aziz, entreprirent leur expédition sur les 20 villages de Psank.

Ils commencèrent à tuer sauvagement et à piller les Arméniens. Ceux-ci, désarmés, après avoir essayé brièvement de résister, et ne pouvant supporter une telle force, laissèrent tout ce qu’ils avaient pour sauver leur vie. Femmes et enfants s’enfuirent dans les montagnes. Les Kurdes se précipitèrent, mirent le feu et saccagèrent tout le village. Une partie des villageois, 150 hommes, femmes et enfants, n’ayant pas trouvé moyen de se sauver, entrèrent dans le monastère Komats sous la protection du Père Stépan Vartabed et du propriétaire du troupeau du village Aghtché, et s’y réfugièrent.

Avtul Aziz, ayant compris que les Arméniens étaient là, s’approcha avec ses Kurdes, entoura le monastère et continua la lutte interminable. Les Kurdes n’arrivaient pas à entrer dans l’enceinte du monastère, mais par contre ils réussirent à couper l’eau des canalisations qui débouchaient à l’extérieur, pour obliger les Arméniens à se rendre.

Pendant presque quinze jours, les Arméniens furent privés d’eau et furent plongés dans un grand désespoir. A cette occasion, une femme kurde, du nom de Sossé, connue à Aghtché, ayant appris qu’on avait coupé l’eau aux Arméniens assiégés, est allée la nuit en secret et a ouvert les vannes de la conduite qui aboutissait au monastère. Cet événement imprévu causa une grande surprise chez les Arméniens et fit régner une immense joie. Jusqu’au matin, ils remplirent d’eau tous les seaux et récipients.

A l’aube, les Kurdes s’aperçurent de l’ouverture, et la refermèrent. Les Arméniens, assiégés, coupés de toute communication avec l’extérieur, luttèrent et se défendirent pendant un mois ; mais à la fin, quand ils s’aperçurent que la situation empirait, et qu’il n’y avait plus aucun espoir d’être délivrés, avec l’aide du révérend Père et d’un jeune homme nommé Aghtchen Sahag, réussirent à sortir du monastère par un passage secret purent ainsi faire parvenir une lettre à Antog, dans laquelle ils décrivaient leur pénible situation et priaient les habitants soit de leur venir en aide le plus vite possible, soit de leur donner des conseils d’insoumission. Roupen répondit par courrier qu’il ne pouvait pas les aider mais qu’il n’y avait désormais plus de raison de rester là, par conséquent, si vous trouvez moyen de sortir immédiatement du monastère, venez vous joindre à nous.

Après avoir été assiégés pendant 30 jours, les Arméniens, une nuit, franchirent l’enceinte et tous ensemble s’enfuirent vers les rochers de Dalvorig et de là au mont Antog.

Les Kurdes se battaient entre eux pour s’emparer des biens et du bétail des Arméniens. Ils luttaient pour tuer les Arméniens et arriver avant les autres pour piller leurs biens.

A partir du 2 mai, les « Achirats » de Khiyan et de Patkan, dans le village de Parka, sous la direction du Mutur l’Agha Souleyman le Borgne, se précipitèrent tous les jours sur les villages de Dalvorig dans le but de s’emparer de l’Antog, de faire fuir les Arméniens qui s’y étaient réfugiés, et enlever le butin. Mais ayant subi des pertes, ils ne purent s’en approcher…


Source : http://www.cilicia.com/armo_book_testimony-testimony.html