Témoignages recueillis par les descendants de rescapés

Nous sommes à la disposition des descendants de rescapés du Génocide,
qui souhaiteraient partager un court résumé des récits de leurs parents.
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Contributions :
Michel Pazoumian - Thierry Arpadjian -  Dzovinar Melkonian - Arsène Kalaidjian

de Michel Pazoumian -

Histoire de mes grands parents et anciens de la famille que j'ai eu le bonheur de pouvoir interviewer il y a 30 ans à Paris, Erevan et New-York.

Pour résumer :

Mon grand père paternel était dans l’armée de Djemal sur le front de Syrie/palestine . Selon nombre d’historiens Djemal n’a pas immédiatement désarmé et massacré ses soldats arméniens. Mon grand-père a eu connaissance des massacres en Anatolie et a donc déserté. Il s’est réfugié 3 ans dans un grenier d’un membre de la famille à Alep, sans sortir. Il a rejoint fin 1918 son épouse restée à Constantinople et qui avait accouchée de mon père en Aout 1915. Etant Dashnak, à l’arrivée de Kemal sur Constantinople en 1922, la famille a fui vers Marseille puis Parsi (Arnouville les Gonesses).

Cette branche familiale a pour origine Talas (banlieue de Kayzere) puis mariage et séjour à Konia avant de rejoindre en 1911 Constantinople.

Coté maternel : originaires du gros bourg de Gurun (entre Kayzere et Malatya), ils avaient heureusement quittés la famille restée au bourg vers 1912 pour rejoindre Constantinople pour des raisons de conflits familiaux. A Constantinople le grand père Vartan , excellent tailleur, apprécié de sa clientèle turque, vivra de son métier . Sa sœur lui écrit à l’été 1915 que toute la famille doit quitter Gurun le lendemain avec toute la population (12000 Habitants) sans connaitre leur destination. Ils seront tous exterminés sans aucun doute. Aucun des frères , sœurs, neveux , cousins etc… n’aura survécu aux déportations. Ma grand-mère nous disait que sa mère et sa sœur ont survécu car la famille turque voisine dans leur bourg de Gurun aimait sa sœur et l’a convaincu de l’épouser pour survivre. Ma grand-mère a donc 2 neveux issus de ce mariage. Les échanges de courrier se sont arrêtés dans les années 60. Il nous faudra retrouver cette branche familiale turquifiée. Le frère de ma grand-mère a disparu à Constantinople vers 1916 sans doute victime de Raffles d’Arméniens Il est sans aucun doute mort.

A l’arrivée de kemal, ses clientes turques ont conseillé au grand père de partir car il était en procès avec une famille turque locale qui se serait sans doute vengée. Ils sont partis par la Bulgarie pour arriver à Paris en 1923.

Je peux aujourd’hui transmettre la mémoire puisque j’ai réalisé l’enquête familiale il y a plus de 30 ans en interviewant les anciens de la famille en France et à l’étranger. La lecture des livres et nouveaux documents me permettent de mieux comprendre l’environnement de cette histoire familiale dans certains de ces détails.

Je suis bien sur toute les manifestations du centenaire en Ile de France ; j’y participe selon mon temps. J’ai acheté au moins 30 nouveaux livres parus depuis janvier. En tant que vice-président du Fonds arméniens et chargé du projet agro pastoral du tavoush en Arménie, je reste très absorbé par ce projet et d’ailleurs je pars demain en mission au tavoush pour 5 jours.

Amitiés à tous.
Michel Pazoumian

L’histoire de mes grands-parents Memparis et Artin Arpadjian .

Mes grands-parents Artin et Memparis ARPADJIAN sont nés tous deux à Césarée en 1900 et 1904 et sont arrivés en bateau à Marseille en 1923.

 Après les massacres des populations Arméniennes au printemps 1915, ma grand-mère a fui avec sa mère et ses 2 sœurs laissant derrière elle son père, pendu par les Jeunes Turcs. A débuté ainsi un très long exode jusqu’en Syrie à Alep, Damas notamment .
Mon grand-père perdit également une partie de sa famille dont un frère choisissant d’émigrer pour son malheur en Urss…  
C’est à Adana que mes grands-parents se marièrent finalement le 22 février 1921.

 Entre temps, mon grand-père Artin s’était engagé comme « Volontaire Arménien » dans l’armée Française le 17 septembre 1918 comme l’attestent ses faits d’armes sur les fronts de Syrie et de Guiliguia (Cilicie). Il sera libéré de son engagement  militaires le 13 avril 1920 .

C’est finalement de  Constantinople  ou nait leur fille Varsenik qu’ils embarquèrent vers la France et plus précisément Marseille.
Comme leurs  compatriotes désormais apatrides, ils seront  accueillis au titre d’étranger bénéficiaire du droit d’asile (passeport Nanssen)
Après un très court passage au camp Oddo, ils rejoignirent finalement Martigues berceau Provençal de notre famille avec la naissance de 2 autres enfants Agop et mon regretté père Hayko.

Tous ont perpétué fidèlement le souvenir de leur patrie perdue grâce la communauté , la musique , la langue mais ont aussi mis un point d’honneur à réussir leur intégration par leur travail et leur sociabilité .

Artin ne ménagea pas sa peine pour nourrir sa famille multipliant les travaux les plus difficiles réservés aux immigrés  et puis finalement le sens du commerce l’incita à se lancer dans le commerce ambulant le 12 janvier 1932 (Son fils , mon père reprendra plus tard le commerce familial pendant plus de 40 ans sur les marchés de Provence)

 Le 20 mars 1937, ils effectuèrent les démarches en vue de réclamer… la qualité de Français comme on le disait à l’époque. Ils furent  finalement naturalisés Français le 13 janvier 1950

Artin nous a quitté en 1964 et Memparis en 1987 et avec eux la mémoire visuelle et charnelle et du génocide des Arméniens non reconnu à ce jour

Comment celle-ci est-elle abordée au sein de votre famille ? Comment l’a-t-elle marquée ?

Aujourd’hui après la disparition de mes grands-parents, de mon père et de mes oncle et tante, la mémoire du Génocide, sa transmission orale appartient à la mémoire .
Il reste des photos et documents historiques de valeur que j’ai confiés comme beaucoup d’autres Français d’origine Arménienne à l’association Aram, un témoignage oral de mon père et des voyages en Arménie dont récemment avec mon fils ainé.    
Et pour ma part, un voyage en Arménie Historique ou chaque mur, chaque rivière , chaque inscription rappelle nos ancêtres
Notre histoire, elle est toujours abordée avec un sentiment mêlé d’horreur face aux récits du génocide, d’envie d’oublier et de farouche volonté de re construire une avenir à la famille et aujourd’hui à l’Arménie.

Participerez-vous aux commémorations de ce centenaire ?

Bien sûr , comme tous les ans j’assisterai aux aux cérémonies d’anniversaire du Génocide en particulier au grand rassemblement qui se déroule à Marseille  .
Il est important que ce défilé puisse s’achever devant le consulat de Turquie pour faire comprendre encore et encore que le Négationnisme de l’Etat Turc est une posture intenable et conduit ce pays dans une impasse politique, géopolitique et culturelle.
Le chantage économique et géostratégique de ce pays ne compensera pas la mise au ban des pays européens notamment
Cette année est évidemment encore plus symbolique puisque c’est le centenaire de cette funeste date du 24 avril .
Dans ce contexte, la richesse et la multiplication des évènements commémorant le génocide a été exceptionnelle en terme de débats, d’expositions, de témoignages et de mémoire

Thierry Arpadjian - 07/04/2015

De Dzovinar Melkonian -
 (06.04.2015)

Lorsque maman me racontait son enfance, elle revenait quelquefois sur ce terrible épisode que fut le génocide des Arméniens et dont "maman Koarig" sa belle-mère, rescapée, en avait été l'une des innombrables victimes.

"Je suis née à Konia en 1899 ou 1900. Je me nomme Koarig Sinanian. Nous étions trois enfants : ma sœur aînée 18 ans, moi 16 ans et notre petit frère Lévon 12 ans à l'époque de la grande catastrophe **(medz yeghern).

Mes parents tissaient des tapis à la maison pour le compte d'un commanditaire et si nous en vivions chichement, notre sort n'était pas malheureux.

Jusqu'à ce terrible jour où des soldats, faisant irruption avec fracas dans notre maison, nous en ont brutalement fait sortir. Leur visage était barbouillé de sang, celui des victimes déjà exécutées, un sang qu'ils exhibaient tel un trophée de leurs immondes besognes. Ils ont tué mes parents distribuant leurs coups aveuglément de telle sorte que leurs corps, en s'abattant sur nous - mon petit frère et moi - furent le rempart qui nous cacha aux yeux des barbares. Nous disparûmes sous leur corps mais j'eus le temps de voir avec épouvante celui de ma soeur aînée tranché en deux, à la taille. Lorsqu'ils s'éloignèrent, leurs macabres besognes accomplies, mon frère et moi émergeâmes de dessous les cadavres nos pauvres parents.

Nous avons erré par les rues et, quand nous aperçûmes la cohorte des Arméniens qui fuyaient en emportant ce qu'ils pouvaient, nous nous joignîmes à eux. Ce que fut notre existence sur ce chemin de l'exil, Deir ez Zor, en Syrie, est impossible à décrire. La faim, la soif, l'effroi, l'humiliation, une inhumaine fatigue, furent notre quotidien. La constitution de mon petit frère n'y résista pas et il mourut.

Des images horribles me hantaient : j'avais vu ces barbares s'emparer de très petits enfants et les trancher comme des volailles puis suspendre leurs membres menus avec des "mandal"* à une corde à linge ! Et puis, tuer, tuer, tuer de façon atroce, encore et encore !

Je fus sauvée de ce cauchemar par une tribu nomade arabe qui se déplaçait à dos de chameau. Le maître de la tribu me prit pour épouse et me marqua comme telle avec des tatouages sur le visage que je portai, toute ma vie, car rien ne put les effacer, avec honte...

Un jour pourtant, alors que j'étais venue vendre au marché le sel que récoltait ma tribu, des membres de la Croix Rouge arménienne qui écumaient tous les lieux à la recherche d'orphelins, me virent et m'emmenèrent avec eux jusqu'à un orphelinat établi en Syrie. C'est là que des bourgeois arméniens venus de Bulgarie me prirent pour servante ; C'est ainsi que je les accompagnai lors de
leur retour dans leur pays.

Une autre servante qui venait laver le linge de la maisonnée me vit et me présenta son fils, Avédis, père d'une petite fille de 5 ans. Je l'épousai et un an plus tard, nous partîmes pour la France où nos cinq enfants virent le jour. "

Aujourd'hui Koarig n'est plus. En épousant Avédis, elle avait aussi pris en charge l'avenir d'une petite fille en quête de maman : ma mère, qui recueillit les douloureux souvenirs de Koarig dont elle m'a fait le récit.

** Medz yeghern : grande catastrophe (Plus tard Raphaêl Lemkin créa le terme "génocide" pour traduire la destruction intentionnelle d'un peuple)
* Mandal : mot turc désignant une pince à linge.

...d'Arsène Kalaidjian -

Mon père, Avediss KALAIDJIAN est né à Sivas (Turquie) en juillet 1906 ; fils de Haïrabed KALAIDJIAN et de Asniv TAHARDJIAN.
Il avait 9 ans en 1915 ; dans un convoi de déportation, sa mère se sachant mourante, l'a poussé dans les bras d'un paysan turc ; auparavant, son frère, plus âgé, avait été emmené par un soldat puis abattu.
Mon père disait le plus grand bien de ce paysan turc qui l'a élevé quelque temps puis envoyé dans un orphelinat arménien à Ghazir, proche banlieue adjacente à Jounié, au Liban.

Ma mère, fille de Bédros DADIAN et de Makrouhi TERZIAN, est née à Samsun en 1909 est recueillie par l'American East Relief et envoyée dans un orphelinat US à Corinthe.
Elle vient en France en 1927, comme beaucoup de ses condisciples elle est accueillies au bons soins de l'Ecole Tebrotzasser.

Mon père, après s'être engagé dans l'armée Française au Liban (à l'époque sous mandat français), entre en France par ses propres moyens et y rencontre ma mère.