André Mandelstam

La Société des Nations et les Puissances
devant LE PROBLÈME ARMÉNIEN

2) La politique orientale des Soviets et ses relations avec le Kémalisme

Si le rôle du gouvernement des Soviets dans l’avènement même du Kémalisme ne peut être encore déterminé avec précision, aucun doute n’est toutefois possible en ce qui concerne l’appui que le mouvement nationaliste turc, une fois déchaîné, trouva auprès de la Russie rouge.

Dès son triomphe en Russie, la République des Soviets avait inauguré une politique orientale qui visait au soulèvement de tous les peuples orientaux contre l’« Impérialisme » des puissances occidentales : elle était tout particulièrement dirigée contre la domination de l’Angleterre aux Indes[170]. Se rendant bien compte que l’Orient, si arriéré au point de vue économique, ne présentait pas un sol propice pour une propagande purement communiste, le gouvernement de Moscou — ou si l’on veut, celui de la IIIe Internationale — se déclara un ardent partisan du droit de tous les peuples à l’autodétermination.

Son premier acte fut une déclaration du 2/15 novembre 1917 par laquelle le Conseil des Commissaires du Peuple proclama l’égalité et la souveraineté des peuples de Russie et leur droit à disposer d’eux-mêmes jusqu’à séparation et constitution d’un État indépendant[171]. Bientôt après, le 24 novembre 1917, le gouvernement des Soviets publia une proclamation « à tous les travailleurs musulmans de la Russie et de l’Orient », qui garantit aux Musulmans russes l’autonomie de leur vie nationale et culturelle et déclara abolis le traité anglo-russe sur les zones d’influence en Perse ainsi que les traités secrets de la Russie avec les puissances occidentales sur la cession de Constantinople. Cette déclaration annula également le traité sur le partage de la Turquie et l’annexion de l’Arménie. Puis elle ajouta : « Dès que les opérations de guerre seront terminées, les Arméniens auront le droit de décider de leur sort politique ». Et les Soviets la terminaient par un violent appel aux Musulmans, en les incitant à profiter du moment actuel où s’écroulent les bases du vieux monde pour se débarrasser du joug des « rapaces de l’impérialisme européen »[172].

Le 31 octobre 1918, se constitua à Moscou la Ligue pour La libération de l’Orient. Cette Ligue, d’après son programme[173], avait pour but d’unifier toutes les tendances particulières de l’Orient, réveillé pour une nouvelle vie, afin de créer de cette manière un front unique de l’anti-Impérialisme dans l’Asie même, berceau de l’Impérialisme. Et sa tactique devait consister à s’appuyer sur les prolétaires exploités de l’Orient, qu’elle organiserait afin de détruire les régimes despotiques et de créer une Internationale de l’Orient. Elle devait, en même temps, pour éviter l’éclosion d’un Impérialisme asiatique, favoriser la fondation d’États-Unis de l’Asie sur la base de la souveraineté des peuples. L’émancipation nationale devait être accompagnée de l’émancipation sociale, qui paraissait possible malgré l’état économique arriéré de l’Orient.

Les événements ont prouvé que l’idée de l’émancipation des peuples, absolument contraire aux tendances centralistes du Bolchévisme, ne fut pour les Soviets qu’un moyen de réaliser leur propre « Impérialisme communiste »[174]. Mais, au commencement de leur règne, les Soviets étaient bien forcés de se poser en émancipateurs des peuples musulmans de la Russie, aussi bien pour s’assurer leur appui dans la lutte contre les Blancs que pour créer au Bolchévisme le prestige nécessaire auprès des peuples asiatiques. Ils réussirent à atteindre ces deux buts. Au premier Congrès de la IIIe Internationale, qui se tint à Moscou du 2 au 6 mars 1919, les Communistes turcs, tatares, persans, chinois et coréens furent représentés ; et, dans toute l’Asie Centrale, \en Afghanistan, en Perse, en Turquie, une énergique propagande bolchéviste commença qui tâcha d’inculquer aux peuples de ces pays les principes libertaires et égalitaires ainsi que l’idée de la ressemblance des systèmes sociaux de l’Islam et du Bolchévisme.

La politique libérale des Soviets envers les peuples musulmans de la Russie ne fut cependant pas de longue durée. Après leurs victoires sur les armées blanches, en 1920-1921, les Bolcheviks établirent le régime soviétique dans tous les territoires musulmans de l’ancienne Russie, en l’accompagnant d’exactions et de persécutions suivies de soulèvements et de répressions sanglantes. Ainsi furent constituées les Républiques soviétiques des Tatares du Volga, des Bachkirs, des Kirghises, du Daghestan, des Montagnards du Nord du Caucase, cette dernière morcelée ensuite. Cette soviétisation forcée ne laissa aux peuples musulmans qu’une certaine autonomie régionale et non pas nationale[175], sur laquelle le gouvernement des Soviets établit un contrôle de plus en plus étroit[176].

Mais les contradictions de la politique orientale bolchéviste éclatèrent surtout sur les confins de l’ancien Empire russe voisinant avec le monde musulman extérieur, dans le Turkestan, le Khanat de Khiva, la Boukharie ainsi que dans le Caucase. Dans le Khanat de Khiva, les Soviets réussirent à installer une République soviétique en attisant les luttes intestines entre Uzbeks et Turkmènes. La soviétisation de la Boukharie et du Turkestan fut accompagnée de violences suivies d’insurrections sanglantes des populations musulmanes qui compromirent même — pour quelque temps — le prestige des Soviets dans l’Afghanistan. Cependant, dans les pays musulmans assujettis, les Bolcheviks surent créer des centres puissants pour leur propagande à l’extérieur. Tachkent, capitale du Turkestan, secoué par de continuels mouvements insurrectionnels des populations musulmanes, devint le siège de la célèbre Ecole d’agitation pour l’Orient et l’asile de l’Association révolutionnaire indienne[177].

Dans l’Azerbeïdjan du Caucase, encore plus que dans le Turkestan, les Bolcheviks se trouvèrent en face de l’idée pantouranienne qu’ils entendaient exploiter à leur profit, mais qui se tournait souvent contre eux-mêmes. La République tatare de l’Azerbeïdjan, occupée par les Anglais après l’armistice de Moudros[178], était, malgré cette occupation[179], devenue un État vassal de la Turquie, à laquelle la liait une convention militaire secrète, conclue en 1919. Après la défaite de Dénikine et le départ des Anglais, le gouvernement azerbeïdjanien développa une politique nationaliste prononcée. Cependant les Soviets, qui jouissaient des sympathies des ouvriers russes et arméniens des puits de pétrole, avaient su en même temps, par une habile agitation, disposer en leur faveur une partie de la population musulmane. Aussi réussirent-ils à s’emparer de Bakou le 27 avril 1920 presque sans coup férir. Mais, comme toujours, leur victoire dans l’Azerbeïdjan fut suivie de réquisitions, d’insurrections et de répressions impitoyables[180] ; après quoi les Bolcheviks recommencèrent leur jeu de coquetterie avec le Nationalisme musulman. Pendant l’été de 1920, Enver Pacha fit d’ailleurs un voyage de Berlin à Moscou et y posa les jalons d’une alliance turco-russe[181]. Durant ce même été, Moustapha Kémal et Tchichérine échangèrent, d’autre part, des Notes au sujet de « la lutte commune contre l’Impérialisme étranger qui menace les deux pays »[182]. Au commencement de septembre 1920, eut lieu à Bakou le Congrès des peuples orientaux, où, sur 1891 délégués, on compta 235 délégués turcs. Ce Congrès ne s’occupa guère du sort des peuples musulmans de la Russie, mais il accueillit avec enthousiasme l’appel que lança Zinoview sur la nécessité de déclarer la guerre sainte à l’Impérialisme. Zinoview n’épargna pas toutefois dans ses critiques le gouvernement d’Angora auquel il reprocha le maintien du Sultanat. S’adressant au Congrès, Zinoview dit en effet :

« Ce que fait le gouvernement de Kémal en Turquie n’est pas du Communisme. Vous ne devez pas défendre le pouvoir du Sultan au moment où la dernière heure du pouvoir vient de sonner. Au contraire, vous devez dissiper et détruire toute foi au Sultan, de la même façon que les paysans russes ont détruit la foi au Tsar. Il en sera de même en Turquie et dans tout l’Orient lorsque s’allumera la vraie révolution des terres noires paysannes. Le panislamisme, le moussavatisme de l’« Union et Progrès », d’où ne sort ni union ni progrès, ne sont pas nos tendances ; leur affaire n’est pas celle du Comité internationaliste »[183].

Dans sa résolution le Congrès déclara que la direction de la lutte pour la liberté des peuples orientaux passait entre les mains du prolétariat communiste. Et un « Conseil de la propagande et de l’action des peuples d’Orient » fut créé avec siège à Bakou[184].

Comme on le voit, le Bolchévisme n’a nullement caché que l’idée de l’auto-disposition des peuples d’Orient était pour lui un moyen, et non pas un but[185]. Un Communiste d’importance comme Boukharine l’a déclaré expressément au 8e Congrès du parti communiste russe. Et l’idéologue principal de la politique bolchéviste d’Orient, Michel Pavlovitch, dans une célèbre brochure intitulée : Les questions de la politique nationaliste et coloniale de la IIIe Internationale, parue en 1920, expliqua clairement que la libération des peuples d’Orient, pour être réelle, devait être accompagnée de la chute des classes capitalistes indigènes : car autrement tous les États libérés commenceraient, sans nul doute, les uns avec les autres, des guerres nationalistes sans merci. Dans le même ordre d’idées, l’Arménie dachnakiste et la Géorgie menchéviste devaient être détruites comme les remparts bourgeois de l’« Impérialisme mondial » et surtout de la « rapace Grande-Bretagne » ; et les puits de pétrole de Bakou devaient être mis tout particulièrement à la disposition des Républiques prolétariennes afin de servir à leur lutte sacrée contre cet Impérialisme.

Quant aux Turcs, Pavlovitch s’est parfaitement rendu compte que la Turquie d’Enver Pacha avait été impérialiste et que celle de Kémal ne saurait être non plus pour les Soviets un fidèle et sûr allié. « L’alliance avec la Turquie de Kémal, dit-il, ne peut avoir qu’un caractère temporaire »[186].

Il est évident qu’en présence de ces déclarations et de la politique centralisatrice et antinationaliste des Soviets dans les pays musulmans de Russie, le gouvernement d’Angora ne pouvait se faire la moindre illusion sur les buts finals de la politique de la IIIe Internationale. Il savait parfaitement que, le cas échéant, il serait « soviétisé », aussi bien que le Turkestan ou l’Azerbeïdjan. Et, de son côté, il ne renonçait aucunement à l’idéal pantouranien. Mais en attendant il trouvait son profit dans la réalisation du but plus immédiat de la politique de Moscou, à savoir la destruction en Asie du pouvoir des Alliés et surtout de l’Angleterre. C’est pourquoi Moustapha Kémal ne pouvait refuser l’alliance des Soviets. Dans la période de 1920 à 1921, il en retira d’ailleurs d’appréciables profits. L’Arménie indépendante, comme nous l’avons indiqué plus haut[187], fut écrasée par une attaque combinée des Bolchévistes, des Turcs et des Tatares, et, tout en tombant sous le régime soviétiste, elle dut céder à la Turquie, par le traité d’Alexandropol du 2 décembre 1920, les deux tiers de son territoire[188]. De même, la soviétisation de la Géorgie fut profitable à Moustapha Kémal. Par le traité solennel russo-géorgien du 7 mai 1920, les Soviets avaient reconnu l’indépendance de la Géorgie. Cela ne les empêcha pas d’envahir le pays en février 1921. Le gouvernement d’Angora intervint dans la lutte aux côtés des Bolcheviks et se vit attribuer en conséquence Ardahan, Artvin et une partie du district de Batoum, tandis que le reste de la Géorgie devenait une République soviétiste[189]. Ainsi, l’entente, qui s’établit entre les pouvoirs kémaliste et bolchéviste pendant la période de 1919 jusqu’aux débuts de 1921, avait été avant tout une collusion. Elle manquait complètement de sincérité[190]. Tout en trouvant leur profit à agiter devant les Alliés le spectre d’une alliance formidable qui pourrait jeter finalement tous les peuples d’Asie sur l’Europe et en recueillant les avantages provisoires de cette attitude, Bolcheviks aussi bien que Kémalistes s’observaient jalousement, chacun étant prêt à profiter du premier signe de faiblesse de son partenaire. C’est le jeu continuel des forces soviétiste et kémaliste, qui tantôt se rapprochaient et tantôt s’éloignaient l’une de l’autre, qui a le plus faussé la politique des gouvernements occidentaux vis-à-vis de la Turquie et de la Russie soviétique. Car ces gouvernements ont eu la vision fallacieuse que l’heure de la séparation définitive du Bolchévisme et du Kémalisme était proche et ils ont tenté des efforts maladroits pour la hâter. Ainsi l’Angleterre s’est lourdement trompée en pensant qu’en nouant des relations commerciales avec les Soviets on les amènerait à renoncer à leur propagande révolutionnaire dans le monde musulman de l’Asie[191]. Et non moins grave paraît avoir été l’erreur de la France qui traita avec le Kémalisme dans l’espoir de le détacher par quelques concessions territoriales de l’alliance avec le Bolchévisme, alors que celui-ci devait trouver conforme à ses visées révolutionnaires de soutenir les Turcs dans leur plan de déloger les Alliés de tous les anciens territoires de l’Empire ottoman. Si le sable mouvant des relations russo-turques de 1919 à 1921 a englouti l’indépendance arménienne, c’est que la politique des Alliés ne put, à temps, se rendre compte ni du degré de la haine commune de l’Occident qui alimentait l’étrange alliance de Moscou et d’Angora, ni de la nécessité de combattre simultanément les deux co-associés au lieu de les ménager successivement ; c’est aussi que cette politique ne sut discerner le rôle qu’aurait pu jouer, dans l’intérêt de la paix mondiale, un État arménien fort, aujourd’hui tampon utile entre le Bolchévisme et le Kémalisme, demain barrière naturelle aux visées dangereuses en Asie d’un partouranisme militant.

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170)

Sur les relations du Bolchévisme avec le monde de l’Islam, comp. Revue du monde musulman, vol. LI et LII (Le Bolchévisme et l’Islam) ; Lothrop Stoddard. The new World of Islam, 1921, surtout p. 273 et suiv. ; Dr Elias Hurwicz, Die Orientpolitik der dritten Internationale, Berlin, 1921 ; le journal Novyi Vostok (Nouvel Orient), paraissant à Moscou, liv. I, 1922 ; René Pinon, L’offensive de l’Asie, dans la Revue des Deux-Mondes du 15 avril 1920 ; Roger Labonne, Les Pays turcs et les Soviets, dans la Revue de Paris du 15 août 1922.

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171)

Le Bolchévisme et l’Islam, t. I, p. 5-6.

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172)

Cette proclamation, publiée par les Isvestia de Moscou du 24 novembre 1917, n° 17, est produite par Hurwicz, op. cit., p. 11-12 et dans Le Bolchévisme et l’Islam, t. I, p. 7-9.

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173)

Reproduit par Hurwicz, op. cit., p. 18-23.

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174)

Hurwicz, op. cit., p. 75. Comp. Le Bolchévisme et l’Islam, t. I, p. 1-45.

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175)

« Le pouvoir des Soviets, dit l’organe des Soviets pour la propagande dans l’armée, le Soldat Rouge (18 décembre 1921), ne reconnaît point l’autonomie nationale ; par contre, il favorise entièrement le désir des peuples do posséder une autonomie régionale. Par autonomie régionale, les Soviets entendent accorder le droit à l’autonomie au monde des travailleurs d’une région, d’une province, d’un pays, quelle que soit leur nationalité. Il ne saurait donc être question d’accorder l’autonomie à une nationalité au détriment d’une autre. Le pouvoir des Soviets ne saurait favoriser un mouvement nationaliste quelconque dans les formes qui se sont manifestées au Caucase, en Ukraine, dans la République des Tatares, etc. Ces formes essentiellement bourgeoises n’ont d’autre but que de réduire à l’esclavage les classes laborieuses indigènes » (Le Bolchévisme et l’Islam, t. I, p. 14). — Comp. Pilenco, La Fédération soviétique, dans la Revue gén. de droit intern. public, 2e série, t. V, p. 223.

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176)

Le lien entre les Républiques autonomes et le Pouvoir central est assuré par le Commissariat des Nationalités de la République de Russie dont les transformations successives depuis 1918 à 1922 reflètent fidèlement le retour des Soviets à la centralisation administrative. Ce Commissariat a depuis 1920 des représentants près les Comités exécutifs centraux des Régions et Républiques autonomes « dans le but de généraliser l’expérience acquise sur la politique nationale de toutes les Républiques autonomes et pour surveiller l’exécution des décrets rendus par le Pouvoir fédéral central de la République soviétique de Russie » (décret du 16 décembre 1920). Ces représentants du Pouvoir central sont devenus, en vertu du décret du 8 juin 1922, en même temps, les « Conseillers de la République soviétique de Russie auprès des Républiques sœurs » (Le Bolchévisme et l’Islam, t. I, p. 15 et 41).

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177)

Dans le Turkestan, dès la Révolution russe de mars 1917, le Soviet des députés ouvriers et soldats russes entra en conflit avec les éléments musulmans. L’antagonisme s’accrut avec l’avènement des Bolcheviks au pouvoir, et en 1918, peu après la proclamation de l’autonomie du pays, la ville de Kokand, siège du gouvernement autonome, fut prise, pillée et incendiée par les troupes soviétistes. Un gouvernement soviétique fut installé à Tachkent et doté d’un Comité exécutif et d’un Conseil de Commissaires du Peuple ; mais le effectif y fut bientôt concentré dans les mains d’une « Commission pour les affaires du Turkestan », dont les membres sont nommés par le gouvernement de Moscou et dont le Président a le droit de veto sur toutes les affaires émanant du Comité exécutif ou du Conseil des Commissaires (Le Bolchévisme et l’Islam, t. I, p. 233-243). Le régime bolchéviste a cependant provoqué un profond mouvement insurrectionnel dans le pays, celui des basmatchi, bandes guerroyant avec les troupes rouges. Cette lutte qui dévaste le Turkestan n’est pas encore terminée.

Dans le Khanat de Khiva (ou Khorezm), la propagande bolchéviste se fit sentir dès que les Bolcheviks se furent installés dans le Turkestan. En juin 1919, les Révolutionnaires Khiviens, aidés des Communistes russes, proclamèrent la République du Khorezm et conclurent avec elle un traité d’alliance le 13 septembre 1920. L’article 1er de ce traité porte : Partant du principe proclamé par la Russie soviétique sur le droit des peuples à s’administrer eux-mêmes et sur le refus de continuer la politique coloniale des anciens gouvernements de Russie qui exploitaient et oppressaient l’ancien Khanat de Khiva et son peuple, le gouvernement soviétique de Russie reconnaît sans restriction l’autonomie et l’indépendance complètes de la République soviétique du peuple de Khorezmie avec toutes les obligations qui en découlent. Au nom des principes qui animent les travailleurs de Russie, le gouvernement de Moscou renonce pour toujours à tous les droits que s’étaient octroyés les anciens gouvernements russes dans la République du Khorezm (Le Bolchévisme et l’Islam t. I, p. 203-216). Ce traité n’empêcha pas l’intervention continuelle des Soviets dans les affaires du Khorezm (sur les intrigues des Bolcheviks exploitant les rivalités entre les deux races du pays — les Uzbeks et les Turkmènes, V. l’article de M. Tchokayew, dans le n° du 5 Mars 1924 des "Dernières Nouvelles" russes de Paris).

L’action du Bolchévisme sur la Boukharie fut également dirigée de Tachkent, capitale du Turkestan. Les Bolcheviks commencèrent par prêter leur assistance au parti révolutionnaire « Jeune-boukhare ». Au commencement de l’année 1918, le gouvernement bolchéviste de Tachkent envoya des troupes contre le gouvernement de l’Emir, mais ne réussit qu’à provoquer un massacre des Russes et des Jeunes-boukhares et, par crainte d’un soulèvement général dans tout le Turkestan, dut conclure la paix avec l’Emir, reconnaissant l’indépendance de la Boukharie (25 mars 1918). Ce n’est que le 2 septembre 1920 que les troupes des Soviets aidés des Révolutionnaires boukhares s’emparaient de Boukhara. L’Emir se réfugia dans l’Afghanistan, et un premier Congrès des Soviets boukhares se réunit. Mais, de fait, le pays, occupé par des troupes soviétiques, perdit toute indépendance. Le second Congrès des Soviets boukhares, qui se réunit le 25 septembre 1921, élabora bien une Constitution et organisa un gouvernement. Mais ce simulacre n’empêcha pas des révoltes continuelles des populations boukhares contre le gouvernement soviétique. Ce n’est qu’en 1922, après la défaite d’Enver Pacha, qui s’était mis à la tête des insurgés, que cette insurrection sembla réprimée (Le Bolchévisme et l’Islam, t. I, p. 217-232).

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178)

Comp. ci-dessus, p. 55-56.

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179)

Sur l’attitude des Anglais à Bakou nettement favorable aux Tatares, comp. La Chesnais, Les Peuples de la Transcaucasie, p. 114 et suiv.

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180)

Hurwicz, op. cit., p. 30-31.

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181)

Omer Kiazim, Angora cl Berlin, p. 161 ; Hurwicz, op. cil., p. 31.

 ↑
182)

Le Bolchévisme et l’Islam, t. II, p. 195.

 ↑
183)

Le Bolchévisme et l’Islam, t. I, p. 118-121.

 ↑
184)

Hurwicz, op. cit., p. 32-3II.

 ↑
185)

Cette auto-disposition, remarque avec raison M. Hurwicz, ne peut être considérée, dans les profondeurs de l’âme communiste, que comme un mal inévitable, comme le moindre entre deux maux, tout au plus comme moyen pour arriver au but (Hurwicz, op. cit., p. 74).

 ↑
186)

Hurwicz, op. cit., p. 44 et suiv., particulièrement p. 70.

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187)

V. ci-dessus, p. 90-91. ( Chapitre 7)

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188)

Sur la terreur bolchéviste en Arménie pendant les premiers temps de l’établissement du régime soviétiste, V. Hurwicz, op. cit., p. 37. Le partage de l’Arménie entre la Turquie et les Soviets fut confirmé par le traité turco-russe de Moscou du 16 mars 1921, qui mit toutefois la province de Nakhitchevan, d’abord cédée à la Turquie, sous le protectorat de l’Azerbeïdjan soviétisé.

 ↑
189)

Hurwicz, op. cit., p. 39-41. Le traité de Kars du 13 octobre 1921, entre Moscou, Angora et les Républiques soviétisées caucasiennes, enregistra l’assentiment forcé de ces dernières aux spoliations dont elles furent l’objet.

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190)

Hurwicz, op. cit., p. 80 dit fort bien que l’amitié russo-turque paraît une alliance très spéciale, dans laquelle chaque allié tâche d’autant plus d’exploiter l’autre pour ses propres buts, que ce double jeu est parfaitement mis à nu des deux côtés.

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191)

Rappelons que, déjà dans son discours du 7 juin 1920 à la Chambre des communes, M. Lloyd George préconisa l’entrée en relations commerciales avec la Russie des Soviets. L’accord commercial entre l’Angleterre et les Soviets fut signé le 16 mars 1921.

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Mandelstam, André. La Société des Nations et les Puissances devant
le problème arménien
, Paris, Pédone, 1926 ; rééd. Imprimerie Hamaskaïne, 1970.
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