« Ce n'est pas au législateur d'affirmer une existence officielle.
Ce n'est pas de sa compétence constitutionnelle. » déclare Robert Badinter.
Maître Philippe Krikorian lui répond

 
 

Robert Badinter

La Deuxième Guerre mondiale aura été une charnière dans la transformation de ces relations, avec l'apparition du crime contre l'humanité. Un crime dont l'imprescriptibilité aura des conséquences judiciaires imprévues. « L'action des victimes, grâce aux archives mises à jour, pour rendre possible des poursuites à la condition de trouver des faits précis du génocide, n'avait pas été prévue en 1964. Ce qui va aboutir à une situation inédite : juger des faits anciens de plus de 30 ans. » D'où l'importance mise à jour de l'historien qui offre le savoir pour comprendre, puis juger.
Curieusement, la cour demandera aux historiens de prêter le serment du témoin. « Pour l'historien, le doute doit être une priorité. Le serment des experts aurait été plus adapté. » Robert Badinter décrit l'effet de zoom monumental porté sur les crimes contre l'humanité durant la période de Vichy, par le biais des grands procès, alors que sa réalité historique est beaucoup plus complexe. « C'est en France que le nombre de survivants juifs est le plus grand, grâce à l'immense réseau de protection discrète et invisible qui a permis aux familles traquées d'échapper à la déportation. Je ne leur dirai jamais assez ma reconnaissance. »

La loi Gayssot viendra ensuite non pas sanctionner des propos racistes ou négationnistes, mais « interdire de remettre en cause de qui a été l'objet du jugement du tribunal de Nuremberg ». L'autorité de la chose jugée s'impose, et le législateur est tenté par des lois reconnaissant le génocide arménien par exemple. « Ce n'est pas au législateur d'affirmer une existence officielle. Ce n'est pas de sa compétence constitutionnelle. » Robert Badinter est catégorique sur ce point : on peut condamner pour incitation à la haine raciale, mais il n'est pas concevable qu'une démocratie dicte une histoire officielle. « Ce n'est pas une mince liberté que défendre les historiens... » Le public l'a compris, qui se lève, tel un seul homme, pour saluer l'abolitionniste admiré.

Maître Philippe Krikorian

Robert BADINTER a manifestement tort quand il prétend qu'il n'appartiendrait pas au législateur d' "affirmer une existence officielle". Cette lecture partisane de la Constitution est d'autant plus regrettable de la part d'un ancien Président du Conseil Constitutionnel.

En effet, ainsi que je l'ai explicité notamment dans l'article publié dans le Recueil Dalloz au mois d'Août 2006, le législateur est parfaitement dans l'exercice de la compétence que lui reconnaît le bloc de constitutionnalité -notamment la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 Août 1789 - pour, non pas faire
l'histoire, mais prendre acte d'un fait historique incontestable ( comme le Génocide Arménien, le Génocide Juif ou l'esclavage ), le qualifier juridiquement de crime contre l'humanité incriminé et réprimé par les articles 211-1 à 213-5 du Code pénal français et ériger sa reconnaissance en véritable norme nationale, comme les lois n°2001-70 et 2001-434 des 29 Janvier et 21 Mai 2001.

Levons ici une ambiguïté: une loi française de reconnaissance d'un crime contre l'humanité qui relève du JUS COGENS et d'un intérêt supérieur de civilisation, n'a pas moins d'autorité ( autorité de chose votée valant erga omnes ) qu'une décision d'une juridiction internationale comme le Tribunal de Nuremberg.

Comme le proclamait justement PORTALIS lors de son discours de présentation du Code Civil, à propos de la loi: "(...) Elle permet ou elle défend; elle ordonne, elle établit, elle corrige, elle punit ou elle récompense. Elle oblige indistinctement tous ceux qui vivent sous son empire; les étrangers même, pendant leur résidence, sont
les sujets casuels des lois de l'Etat. Habiter le territoire, c'est se soumettre à la souveraineté. ( ... )"

En tout état de cause, qu'on s'en réjouisse ou qu'on le déplore - au nom d'une liberté de l'historien qui ne peut être que relative et qui n'est, au demeurant, pas atteinte substantiellement par la loi dès lors que celui-ci remplit sa mission de façon objective - l'incrimination et la répression du négationnisme par la loi pénale est, depuis la décision-cadre de l'Union européenne du 28 Novembre 2008, une obligation pour les Etats-membres qui ont jusqu'au 28
Novembre 2010 prochain pour la transposer dans leur législation interne.

Passé ce délai, la France, spécialement, engagera sa responsabilité extracontractuelle, tant en application de notre droit constitutionnel qu'en vertu du droit de l'Union européenne.

Retrouver le détail de l'argumentation,