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Affaire CDCA : la responsabilité des hébergeurs en haut de l’affiche

16 novembre 2006

La Cour d’appel de Paris a considéré, comme les premiers juges, que la responsabilité de l’hébergeur ne pouvait être retenue sur les fondements de la loi du 1er août 2000 et de la loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004.

En l’espèce, le Consul général de Turquie à Paris avait publié sur le site internet du Consulat des documents relatifs au génocide arménien. Le Comité de défense de la cause arménienne décidait d’assigner tout d’abord le Consul général de Turquie pour « propagande négationniste » puis l’hébergeur du site pour ne pas avoir retiré le contenu litigieux ou en rendre l’accès impossible.

Le Tribunal de grande instance de Paris, dans un jugement du 15 novembre 2004, s’était prononcé sur l’appréciation du caractère illicite de la négation du génocide arménien diffusée sur le site internet du Consulat.

Pour déterminer si la négation du génocide arménien présente un caractère illicite, le tribunal avait examiné les différents textes nationaux et internationaux ou décisions invoqués par le Comité de défense de la cause arménienne. Il avait relevé que la négation du génocide arménien ne constituant ni une violation de la loi pénale ni un manquement délibéré à une disposition de droit positif explicite et dénué d’ambiguïté. Le caractère manifestement illicite de celle-ci n’avait pu être retenu. En conséquence, il avait estimé que l’hébergeur n’avait commis aucune faute en n’agissant pas promptement, dès lors qu’il avait été saisi par le Comité de défense de la cause arménienne, pour retirer ces documents ou en rendre l’accès impossible.

La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 8 novembre 2006, a confirmé le jugement du Tribunal de grande instance de Paris.

Elle a tout d’abord examiné les faits litigieux au regard des deux régimes de responsabilité successivement applicables à la société France-Télécom Services en sa qualité d’hébergeur c’est-à-dire le régime prévu par la loi du 1er août 2000 modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication et celui de la loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004.

La loi du 1er août 2000 prévoyait que l’hébergeur ne peut être tenu pénalement ou civilement responsable du fait du contenu de ces services que si, ayant été saisi par une autorité judiciaire, il n’a pas agi promptement pour empêcher l’accès à ce contenu. La cour d’appel a relevé qu’en l’espèce, aucune autorité judiciaire n’ayant été saisie, la responsabilité de l’hébergeur ne pouvait être recherchée sur le fondement de la loi du 1er août 2000.

Ensuite, elle a examiné les dispositions de la loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004.

Elle a en premier lieu estimé que l’hébergeur n’avait pas initialement connaissance du caractère illicite des données litigieuses, celles-ci ayant été diffusées par le Consulat général de Turquie.

En deuxième lieu, elle a considéré que la mise en demeure adressée par le CDCA à la société France-Télécom Services ne respectait pas la procédure de notification posée par l’article 6, I-5, de la loi du 21 juin 2004, et plus précisément ne contenait pas la copie de la correspondance adressée à l’auteur ou à l’éditeur des informations ou activités litigieuses demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification, ou la justification de ce que l’auteur ou l’éditeur n’a pu être contacté.

En conséquence, elle a estimé que la société France-Télécom Services n’avait pas l’obligation de supprimer l’accès aux contenus litigieux.

En dernier lieu, elle a relevé, au regard de la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel du 10 juin 2004, que la mise en demeure ne pouvait « conduire l’hébergeur à considérer les données litigieuses comme manifestement illicites, étant observé que le CDCA lui-même n’a pas choisi de saisir le juge des référés compétent pour faire cesser un trouble manifestement illicite, mais le juge du fond ». La réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel précise en effet que le régime de responsabilité prévu par l’article 6, I, 2 et 3 de la loi du 21 juin 2004 « ne saurait avoir pour effet d’engager la responsabilité d’un hébergeur qui n’a pas retiré une information dénoncée comme illicite par un tiers si celle-ci ne présente pas manifestement un tel caractère ou si son retrait n’a pas été ordonné par un juge ».

En outre, elle a relevé que l’hébergeur, à la suite de la mise en demeure, avait intérrogé l’OCLCTIC, demandé au procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Nanterre sa position sur les contenus litigieux et sollicité un professeur de droit aux fins d’expertise juridique. Il avait informé, à la suite de l’assignation, le CDCA de ce que l’illicéité manifeste ne lui paraissait pas caractérisée et qu’elle se conformerait à la décision de la juridiction. La cour d’appel, au vu de ces constatations, a estimé que l’hébergeur n’avait pas à « assumer la charge et la responsabilité d’une analyse juridique qui ne reposait pas sur le droit positif et / ou sur des données tangibles issues des textes ou de solutions déjà rendues ».

La cour d’appel a considéré que « la nature des droits dont se prévalent aujourd’hui les membres de l’association, qui s’estiment victimes du refus de la reconnaissance du génocide arménien, n’entre pas dans le champ des droits protégés par le principe de la dignité humaine ».

La cour d’appel a déclaré irrecevable la demande formée par le CDCA de condamner l’accès aux propos jugés illicites et d’en ordonner la suppression, la partie à l’encontre de laquelle cette demande est dirigée n’ayant pas été précisée.

Relevons qu’une proposition de loi complétant la loi n° 2001-70 du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien a été déposée à l’Assemblée Nationale le 12 avril 2006. Elle a été adoptée en première lecture par celle-ci le 12 octobre 2006. Cette proposition de loi tend à insérer dans la loi de 2001 précitée un délit de négation du génocide arménien punissable d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

Les thématiques de l'article

  • Libertés fondamentales
  • Liberté d’expression
  • Intermédiaires techniques

Lien(s) utile(s)

Dossier « loi pour la confiance dans l’économie numérique »
http://www.foruminternet.org/public… [http://www.foruminternet.org/publications/lire.phtml?id=734]
publié le 15/06/2004

CONSEIL CONSTITUTIONNEL, n° 2004-496 DC, 10 juin 2004
http://www.foruminternet.org/docume… [http://www.foruminternet.org/documents/jurisprudence/lire.phtml?id=735]
loi pour la confiance dans l’économie numérique

LOI n° 2004-575 du 21 juin 2004
loi pour la confiance dans l’économie numérique

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de Paris, 17e Chambre, 15 novembre 2004
http://www.foruminternet.org/docume… [http://www.foruminternet.org/documents/jurisprudence/lire.phtml?id=827]

COUR D’APPEL de Paris, 11e chambre, 8 novembre 2006
http://www.foruminternet.org/docume… [http://www.foruminternet.org/documents/jurisprudence/lire.phtml?id=1114] _