Heinrich Vierbücher

Arménie 1915

Témoignage d'un officier allemand

Des chefs trahis !

Les terribles coups du destin endurés par le peuple arménien sous Abdul Hamid eurent pour conséquence la formation du parti populaire arménien « Dachnagtsagan » à tendances nettement démocratiques. Ainsi le peuple disposait au moins d’un organe par lequel il pouvait rendre compte au monde des atrocités qu’on lui faisait subir. Les chefs de ce parti ont collaboré fraternellement avec les « Jeunes-Turcs », car le programme des « Jeunes-Turcs » avec ses exigences de changement démocratique du pays et d’égalité des différents peuples dans la proportion de leur puissance numérique correspondait parfaitement aux aspirations arméniennes. Les chefs des « JeunesTurcs » et des Arméniens étaient liés d’amitié étroite. Les arrivistes pauvres avaient été soutenus à tous points de vue par les chefs arméniens cultivés et généralement aisés. Et lorsqu’en 1909 les chefs « Jeunes-Turcs » étaient traqués par les agents d’Abdul Hamid, ce sont les chefs des « Dachnagtsagan » qui les ont cachés au péril de leur propre vie. Les chefs arméniens étaient les alliés naturels des hommes qui prétendaient mettre fin à un passé sanglant. Lorsque la révolution eut réussi, les masses populaires parcoururent les rues d’Istanbul sous la conduite du clergé islamique et arménien et dans une église arménienne eut lieu une célébration émouvante en mémoire des victimes communes. Il semblait qu’une ère de tolérance et d’un commun labeur allait commencer.


Si aujourd’hui on jette un regard rétrospectif sur ces événements, les chefs arméniens apparaissent comme les victimes de leur fidélité et de leur confiance à un groupe d’hommes qui allait bien montrer son visage réel. On arriva même à surmonter la frayeur paralysante des tueries de la région d’Adana où des hommes avaient été déchirés en morceaux et leur chair jetée aux chiens, où des centaines d’hommes réfugiés dans une église avaient été brûlés vifs et d’autres pourchassés dans un cimetière comme du gibier et abattus au-dessus des tombes.

Face à ces atrocités, les « Jeunes-Turcs » se montraient d’une indifférence glaciale. Ils ne semblaient craindre que la mauvaise impression produite à l’étranger, tandis que le crime lui-même leur paraissait presque bienvenu.

En l’an 1911, les Arméniens durent céder dix sièges au parlement. Les spoliés avalèrent leur rage. Que devaient-ils faire ? Ils continuaient à espérer, témoignaient toujours leur loyauté au nouveau régime, surtout dans la guerre des Balkans, quand l’état craquait dans toutes ses jointures. Lorsqu’en 1914 la Turquie entrait dans la guerre mondiale, le parti arménien adhérait chaleureusement à la défense de la « Patrie » turque.

On espérait quoi ? on espérait qu’au moins ce que l’on avait vécu en commun de beau dans le combat contre le sultan sanguinaire ne passerait pas sans laisser de traces chez ceux qui avaient maintenant le pouvoir. On comptait sur l’opinion mondiale, on comptait sur le progrès mondial. On ne pensait pas qu’un gouvernement puisse être assez borné pour ne pas s’apercevoir qu’il appauvrirait le pays en supprimant la partie la plus active du peuple. Mais le gouvernement « JeunesTurcs » avait fait ses propres calculs. Et il agissait en conséquence. En 1915 il fit assassiner froidement les amis qui lui avaient sauvé la vie en 1909 !

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