Djébel-Moussa. — Un deuxième rapport sur les réfugiés à Port-Saïd par Mr. Thomas K. Meguerditchian ancien drogman du consulat britannique à Diarbékir.

Vous avez certainement appris que le 14/27 septembre, 5 cuirassés (4 Français et un Anglais) ont amené à Port-Saïd 4.200 Arméniens des six villages de Sélefké, qui ont été abrités au « Lazaret » au bord du canal dé Suez. Je suis heureux de vous annoncer que le gouvernement anglo-égyptien a bien voulu abriter et nourrir ces réfugiés jusqu'au jour où ils pourront retourner dans leur patrie.

Un petit groupe de braves de Sélefké, à peine 5-600 combattants, ont résisté 55 jours entiers au capitaine Rifaat Bey et à la force qui se trouvait sous ses ordres. — 3.000 soldats « Nizam » et plus de 4.000 « Bachi-bozouk », (Arabes et Turcs), jusqu'à ce que le cuirassé « Guichen » aperçût le drapeau représentant une croix que ces héros avaient hissé sur le Mont Djébel-Moussa ; ce cuirassé, avec 4 autres, est allé à leur secours et les a sauvés. Ces braves n'avaient que 150 fusils « Gras » et environ 400 fusils à pierre et de chasse. 60 d'entre eux étaient de bons tireurs qui tuaient un à un tous les artilleurs, réduisant au silence leurs canons, de sorte que Rifaat Bey s'est écrié : « Ces braves Guiavours visent à travers le trou de l'aiguille » et il prit la fuite. Les combattants arméniens de Sélefké ont eu 17 tués et 1 a blessés, mais ils ont tué à l'ennemi 50 fois plus.

Parmi les réfugiés, il y a à peine 1.000 hommes, le reste ce sont des femmes, des filles, des enfants et des nourrissons. Les jeunes garçons et les jeunes filles au-dessous de 14 ans qui peuvent aller à l'école sont au nombre de 800 ; il y a également 3 instituteurs et 3 institutrices, 5 prêtres et le pasteur de Zéïtoun, le Rév. Dikran Andréassian. Il y a eu des accouchements sur le mont « Djébel-Moussa », dans les cuirassés et à Port-Saïd. Tous ces réfugiés ont besoin de vêtements, car ils n'ont pu sauver que leur femme, leurs enfants et leurs armes.

La Croix-Rouge arménienne, dernièrement formée au Caire, s'est mise à soigner les blessés et les malades dès le troisième jour de l'arrivée de ces réfugiés à Port-Saïd. Le Directeur de « l'Intelligence Office », sur l'ordre de Sir Maxwell, a autorisé officiellement le « Armenian Red Cross » à travailler à Port-Saïd dans le « Refugees' Camp ». Présentement, nous avons environ 70 malades ; tous les blessés sont en voie de guérison. Toute la colonie arménienne d'Egypte a recueilli, avec une activité exemplaire, des vêtements, des chaussures, du savon, des peignes, etc., au nom de la Croix-Rouge arménienne et les a expédiés aux réfugiés.

Je suis allé voir S. E. Yacoub Artin Pacha pour le prier que l'Union Générale Arménienne se charge de procurer des vêtements aux réfugiés et s'occuper surtout de la question de leur instruction, ce qui constitua l'un de leurs besoins le plus urgent. Son Excellence m'a promis de faire le nécessaire.

Je suis content de vous annoncer que les réfugiés sont heureux d'être à Port-Saïd. Cependant on dit que, environ 400 braves ont proposé, même ils ont supplié qu'on les renvoie en Turquie pour porter secours à leurs compatriotes réfugiés dans les montagnes.

Il est regrettable que dans les centres arméniens, comme à Zéïtoun, à Hadjine, à Kessab1 etc, les Arméniens se soient rendus au gouvernement tyrannique turc sur l'ordre et sur l'instance de S. S. le Catholicos de Sis ; tous ces Arméniens ont été déportés dans les déserts situés entre Alep, Deïr-el-Zor et Mossoul. Ces déportés ont enduré des tortures et des souffrances inouïes pendant leur voyage ; les femmes et les filles ont subi des outrages sauvages. On dit que la route est couverte de cadavres non enterrés d'hommes, de femmes et d'enfants ; d'ailleurs les réfugiés arrivés à Port-Saïd les ont vus de leurs propres yeux. Et c'est à la suite de tout cela que les habitants des 6 villages de Sélefké ont décidé de se retirer dans les montagnes et de se défendre.

Depuis le mois de mai, je n'ai aucune nouvelle de Kharpout et de Diarbékir ; mais les nouvelles que j'ai puisées d'autres sources sont très inquiétantes.

Les premières nouvelles reçues pour Marach, Aïntab et Kiliss étaient bonnes ; mais les dernières nouvelles, arrivées de source certaine, sont également inquiétantes. On dit qu'il y a eu massacre à Marach, et les survivants, avec les habitants arméniens d'Aïntab et de Kiliss, ont été entièrement déportés dans les déserts méridionaux de la province d'Alep. Nous apprenons également que la population arménienne de Mersine et d'Adana et des villages avoisinants a été déportée.
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1) Voir Doc. 69