Trébizonde et Erzeroum. - Dépêche envoyée par le correspondant du « Times » de Londres à Bucarest, datée de Bucarest le 18 mai et publiée le 22 mai 1916.

Il nous a été possible, depuis l'entrée des troupes russes à Trébizonde, de soulever le voile mystérieux qui a caché jusqu'à présent le sort de la population arménienne dans ce port prospère. Les troupes, à leur arrivée, trouvèrent toutes les maisons arméniennes pillées, et la plupart d’entr’elles en ruines. Les portes, les fenêtres, les volets et toutes les boiseries avaient été enlevées, sans que les autorités soient intervenues.

La déportation des Arméniens, qui commença en juin, fut mise à exécution, ici comme ailleurs, suivant les instructions reçues de Constantinople. Les familles les plus en vue étaient les premières à souffrir. Environ 3001 de ces familles reçurent l'ordre de se préparer à émigrer. Elles achetèrent de nombreux chariots pour emmener leurs biens, mais quatre jours après leur départ, tous ces chariots furent ramenés en ville. Les émigrés avaient été massacrés et leurs biens pillés.

D'autres groupes, comprenant chacun plusieurs centaines de familles, suivirent. Cette manière de procéder fut poursuivie quelque temps, mais éventuellement de nouvelles méthodes furent adoptées. La police pénétrait dans les maisons arméniennes qui existaient encore, en expulsait de force ceux qui les occupaient, les chassait dans les rues et fermait les maisons. Toute la population arménienne de Trébizonde, s'élevant à 10.000 personnes environ fut ainsi exterminée. On espère toutefois que quelques centaines de personnes seront parvenues à se cacher dans les villages avoisinants.

A Erzeroum, où la population arménienne était beaucoup plus considérable (on l'estimait à 35.000 personnes), le même procédé fut appliqué. On inaugura cette façon de procéder, qui commença vers le milieu du mois de mai, par l'arrestation et l'emprisonnement de 400 jeunes Arméniens.

De nombreuses familles, après avoir été expulsées de leurs maisons, étaient obligées d'attendre plusieurs jours dans les rues, avant qu'on leur fasse subir le sort qui leur était réservé. A l'entrée de la ville, la caravane d'exilés rencontrait des agents percepteurs d'impôts, qui exigeaient qu'on leur payât les arriérés, bien que ces infortunés eussent dû abandonner tous leurs biens derrière eux. Seuls quelques artisans dont on avait besoin pour les travaux de l'armée, furent autorisés à demeurer dans la ville. Vers le commencement du mois d'août, toute la population arménienne avait disparu d'Erzeroum ; il ne restait plus que l'Evêque, mais le 5 août, deux officiers de police apparurent sur le seuil de sa porte et lui communiquèrent l'ordre de départ. L'Evêque avait prit quelques mesures pour s'assurer des chevaux pour le transport de ses effets, mais on les lui avait volés ; il essaya de s'en procurer d'autres, mais on l'informa au dernier moment qu'il n'avait pas l'autorisation de prendre avec lui quoi que ce soit. Il fut alors emmené à une destination inconnue.

Des officiers allemands stationnaient dans la ville et le Consul allemand approuva ces actes ouvertement.

Parmi le butin des Turcs se trouvaient plusieurs jeunes filles arméniennes et une part de ce vivant butin fut donnée aux Allemands.

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1) Y compris Meguerditch Zarmanian, entrepreneur au service de l'armée ottomane. — Renseignement donné à l'auteur par des réfugiés arméniens en Roumanie.