M. O. Dertzakian-Vramian

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Note remise par M. O. Dertzakian-Vramian,
 député arménien de Van,
à S. E. Monsieur le Ministre de l'Intérieur,
à Constantinople

le 13 février 1915.

 

Il est indéniable que les relations entre le gouvernement et la nation arménienne sont devenues anormales au cours des derniers mois. Le gouvernement n'y a fait aucune attention et les efforts déployés, après les tristes événements de Gavache et de Gardjikan, en vue de les «améliorer», ont échoué.

Depuis mon arrivée à Van, j'ai exposé à plusieurs reprises, de vive voix, ainsi que par écrit, aux autorités locales, les mesures qui seraient nécessaires pour améliorer cette situation.

Mes convictions s'étant trouvées confirmées depuis par de nombreux arguments, je prends la liberté d'attirer l'attention du gouvernement central sur les questions suivantes.

Les causes de cette situation anormale sont au nombre de quatre, découlant l'une de l'autre, et s'expliquent l'une par l'autre.

Savoir :

1° Le désarmement des soldats et des gendarmes arméniens.

2° La réapparition d'événements de nature à menacer l'existence de la nation arménienne.

3° La question des déserteurs arméniens.

4° La déclaration de «Djihat», qui explique les désertions d'Arméniens, survenues après la mobilisation générale, désertions qui ont trois raisons, à la fois sociales et religieuses :

a) Les Arméniens au-dessus de vingt-quatre ans ne connaissaient pas le maniement des armes.

b) Ils n'étaient pas habitués aux privations imposées dans l'armée après la déclaration de la guerre.

c) Leurs besoins religieux étaient négligés dans l'armée.

Si on prend en considération, en temps voulu, les causes qui provoquent les désertions, on pourra, par des mesures appropriées, empêcher graduellement ces désertions. Au lieu de cela, la méfiance regrettable du gouvernement vis-à-vis des Arméniens d'une part, et, d'autre part, les événements menaçant l'existence de ceux-ci, donnent une apparence politique mauvaise à la question de la désertion.

Ainsi :

1° Le désarmement des soldats et des gendarmes arméniens, en créant une méfiance politique autour de la nation arménienne, provoqua une tension entre les relations des Arméniens et des Turcs.

2° En désarmant les Arméniens on les a réduits pour ainsi dire au rôle de bêtes de somme, et on a blessé, ainsi, gravement leur amour-propre national.

3° Les Arméniens désarmés ayant été mis sous la surveillance de musulmans armés, ou bien étant obligés de circuler parmi eux, voyaient leur vie exposée à de sérieux dangers. Ainsi, le bruit court avec persistance que des centaines de soldats arméniens ont été noyés, fusillés ou poignardés dans l'armée, surtout aux environs d'Erzeroum et de la frontière persane.

4° Les Arméniens désarmés ont été expulsés de leur pays et déportés dans des localités inconnues.

5° Sous le prétexte de former une milice, des Kurdes et des Turcs, entre seize et soixante ans, ont été armés et nommés agents de police ou gendarmes, et transformés ainsi en un pouvoir exécutifs vis-à-vis des Arméniens.

6° Les dits miliciens ont ravagés les villages arméniens.

Par exemple, les miliciens de Tahar ont commis desviols et des assassinats dans les villages arméniens de Ha-vannès, d'Alaï et d'Enik. Ceux de Bitlis ont pillé les villages de Gardjikan, de Pélou et de Khanik.

La bande de Béchéri-Tchoto, composée de six cents hommes, a ravagé les villages de Malazkert, et, dernièrement, lorsqu'elle se rendait en Perse, ceux situés au nord-est de notre vilayet.

Des bandes musulmanes ont commis plusieurs méfaits dans les villages arméniens d'Erzeroum et des volontaires kurdes dans ceux de la plaine de Mouch. (Ce n'est que sur les observations très énergiques du Consul allemand de Mossoul que ces volontaires ont été invités à cesser leurs ravages.)

D'autres Kurdes ont commis de nombreux viols et assassinats dans douze villages arméniens de Diarbékir.

7° Des brigands connus comme Mehmed-Emin et Moussa-Kassim bey ont été graciés et autorisés à revenir dans leur village ou dans les villages arméniens.

8° Par suite de la désertion de nombreux Kurdes, un grand nombre de villages, surtout dans les montagnes, ont été envahis par des désereteurs kurdes.

9° Des régiments Hamidiés ont été campés dans les villages arméniens, et y ont commis de nombreux méfaits. (En particulier à Hassan-Tamran, à Azorik, à Satmanis, à Boghas-Kessen, à Hazaré, à Menden et à Kortzot). L'achiret de Sadom bey a ravagé Kutchuk-Keuï.

10° Les Arméniens de Bachkalé et ceux des villages des environs ont été massacrés. (Ceci a été confirmé malgré les démentis officiels.)

Telles sont les causes qui amènent les Arméniens à étudier la question de défendre leur honneur, leurs vies et leurs biens, tandis que le gouvernement a fait connaître officiellement sa méfiance envers eux en les mettant dans une situation critique envers leurs voisins armés et à demi-sauvages.

étant donné que cette défense de l'honneur, de la vie, et des biens, est un droit naturel et sacré, le gouvernement

poursuit une politique néfaste en gardant les Arméniens désarmés sous les drapeaux. Non seulement, en effet, la patrie ne profite pas du service de ceux-ci, mais en les gardant, le gouvernement expose leurs familles sans défense à de réels dangers, car elles sont constamment à la merci des caprices sanguinaires de ses voisins armés et à demi-sauvages.

Il est évident qu'il serait injuste d'employer le terme de désertion pour les Arméniens à qui ont a repris leurs armes - qui, pour un soldat, équivalent à la vie - et du moment que les musulmans, eux-mêmes, désertent en dépit de la déclaration de «Djihat».

Etant donné les raisons politiques, religieuses et sociales exposées ci-dessus, qui ont provoqué les désertions d'Arméniens ;

vu que les foyers arméniens sont privés de leurs soutiens au milieu des dangers dont nous avons signalé le prélude dans les vilayets de Van, de Bitlis, d'Erzeroum et de Diarbékir ;

attendu que le maintien de milliers d'Arméniens, sans armes, sous les drapeaux, ne rend aucun service à la patrie ; vu les fâcheuses conséquences que ce fait a pour l'agriculture abandonnée ;

attendu que le pays sera exposé à un danger social, peut-être à un soulèvement, tant que la question de la désertion ne sera pas résolue, étant donné que le déserteur poursuivi par la loi et la famine, cherchera naturellement le salut et les moyens de vivre dans une rébellion ;

je prends la liberté d'attirer l'attention la plus sérieuse du gouvernement sur les propositions que voici :

1° Ne maintenir sous les armes que les Arméniens âgés de vingt-et-un à vingt-cinq ans, qui ont déjà été exercés dans l'armée.

2° Garder les Arméniens dans le rayon de leur pays et dans la gendarmerie jusqu'au rétablissement complet de la confiance réciproque entre le gouvernement et les Arméniens.3° Percevoir une taxe d'exonération modérée et seulement pour la durée de la guerre actuelle sur les Arméniens au-dessus de vingt-quatre ans (non exercés).

4° Punir, suivant les dispositions les plus sévères de la loi, les meurtriers de Bachkalé, d'Akhorik et de Khouzérik.

5° Mettre en vigueur, le plus tôt possible, les règlements des gardes-villages admis sous Tahsin bey.

6° Permettre aux Arméniens le port d'armes jusqu'au désarmement des Kurdes mi-sauvages.

7° N'octroyer aucune fonction de la force publique aux miliciens et ne pas les autoriser à séjourner dans les villages arméniens et ne les armer qu'à leur arrivée au quartier général.

8° Indemniser les sinistrés arméniens.

9° Rechercher et restituer les biens des églises arméniennes pillées.

10° Rendre à leurs familles les jeunes filles et les femmes enlevées, et rendre au sein de leur église les Arméniens convertis par force et par crainte à l'islamisme.

Mes propositions sus-mentionnées ont pour but de mettre fin à la situation anormale actuelle, d'assurer aux Arméniens leur existence, et de rétablir leur confiance envers le gouvernement, car les mesures très sévères prises sans nécessité par les autorités locales rappellent les temps des années 1312-1313 (1895-1896).

Je m'empresse donc de vous prier d'accueillir favorablement et de faire approuver par Iradé* Impérial et Viziriel, les revendications minimes de la nation arménienne.

On pourrait, à cet effet, convoquer les patriarches arméniens à Constantinople.

Van, le 13 février 1915

Traduction de Offase bey, Drogman anglais

Décret (nde).

Reproduit d'après le livre d'Henry Barby, Au pays de l'épouvante, l'Arménie martyre
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