Leslie A. Davis

Dépêches consulaires de 1915

Copie pour le Département d'Etat,
consulat des Etats-Unis Mamouret-ul-Aziz (Kharpout),
Turquie le 6 septembre 1915

A S. E. Monsieur Henry Morgenthau
Ambassadeur des Etats-Unis
Constantinople

Monsieur l'ambassadeur,

J'ai l'honneur de vous adresser ci-joint un récépissé portant le sceau de l'ambassade pour les communications postales envoyées par ce consulat à l'ambassade par courrier recommandé déposé au bureau de poste de Mamouret-ul-Aziz le 4 juillet sous le numéro de recommandé 912. C'est le 4 juillet que j'ai posté la dépêche du 30 juin dans une enveloppe adressée à l'ambassade et pour laquelle le récépissé remis par ce bureau de poste portait le n° 912.

Il y a un certain mystère qui entoure cette dépêche. Elle se trouvait dans une enveloppe plus petite adressée au consulat général, enveloppe qui était placée dans celle adressée à l'ambassade et qui contenait une dépêche d'acompagnement priant le consulat général de la transmettre à l'ambassade. L'ambassade et le consulat général m'ont informé qu'on n'avait jamais reçu cette dépêche. Or, il est évident que l'enveloppe la contenant a dû être reçue par quelqu'un ayant accès au sceau de l'ambassade.

La dépêche contenait un rapport de quinze pages sur l'expulsion des Arméniens de cette région et, comme ont fréquemment couru des rumeurs selon lesquelles mes lettres à l'ambassade étaient interceptées, je n'ai jamais eu la certitude que mes lettres parviendraient à destination. Il y a eu dans cette affaire un concours de circonstances très particulier. En premier lieu, la demande de l'ambassade dans son télégramme n° 24 du 27 juillet au sujet de la date de ma dernière dépêche m'a tout naturellement porté à croire que quelque chose avait disparu. Je n'ai cependant pas très bien compris cette demande, étant donné que la date de ma dernière dépêche, qui se trouve être le 24 juillet, était trop récente pour fournir une explication, et que je n'avais aucun moyen de savoir à quelle autre date l'ambassade pouvait bien avoir songé. J'ai répondu à la demande de l'ambassade en donnant les dates de toutes les dépêches dont on ne m'avait pas accusé réception à ce moment-là. L'ambassade m'a répondu qu'elle n'avait reçu aucune de mes dépêches postérieures au 29 juin.

Je me suis alors rappelé que le 5 juillet, un employé du bureau de poste de Mamouret-ul-Aziz avait apporté au consulat l'enveloppe contenant ma dépêche du 30 juin qui, ainsi que je l'ai dit ci-dessus, avait été déposée au bureau de poste le 4 juillet contre remise du récépissé de recommandé n° 912, précisant qu'elle n'avait pas été examinée par le vali et qu'elle devait lui être soumise avant de pouvoir être expédiée. Je lui fis remarquer que, bien qu'il ait examiné toutes les autres lettres que j'avais envoyées cachetées, il était permis d'envoyer des lettres cachetées à l'ambassade sans avoir à les montrer au vali. Je me suis ensuite rendu personnellement au bureau de poste pour voir le directeur. Je lui ai demandé pourquoi cette lettre avait dû être montrée au vali, alors qu'il était permis d'envoyer des lettres directement à l'ambassade sous pli cacheté ainsi que je l'avais fait tous les quelques jours depuis un an. Il m'a répondu que les employés avaient commis une erreur et que la lettre était en bon ordre.

Quelques jours après réception du télégramme de l'ambassade du 27 juillet, un fonctionnaire a dit qu'il avait effectivement vu une de mes lettres à l'ambassade et que cette lettre avait été ouverte. Le 9 août, j'ai envoyé mon télégramme n° 26 demandant à nouveau si ma dépêche du 30 juin était parvenue à destination. Au reçu du télégramme de l'ambassade n° 27 du 11 août m'informant que ma dépêche n'avait pas été reçue, j'envoyai mon télégramme n° 28 du 14 août dans lequel je disais avoir été informé que les autorités locales avaient ouvert et lu mes dépêches récentes adressées à l'ambassade. Je télégraphiai également au consulat général en demandant si la dépêche du 30 juin était bien parvenue à destination ; la réponse fut négative. En réponse au télégramme n° 29 de l'ambassade me demandant d'envoyer par câble les numéros et les dates des dépêches récentes, j'envoyai mon télégramme n° 30 du 17 août indiquant les dates d'envoi et les numéros des récépissés du bureau de poste de Mamouret-ul-Aziz. Le premier figurant sur la liste était le récépissé n° 912 du 4 juillet relatif à l'envoi contenant ma dépêche du 30 juin. Puis, lorsque l'ambassade répondit par son télégramme n° 32 me disant qu'elle ne pouvait pas vérifier ma liste d'expéditions, je répondis par mon télégramme n° 34 donnant en clair la date de chaque dépêche avec la date de dépôt à la poste et le numéro du récépissé correspondant.

Le même jour, 23 août, j'écrivis au vali en le priant de faire rechercher la trace de la lettre. Puis le récépissé ci-joint arriva dans une enveloppe de l'ambassade contenant copie de confirmation d'un télégramme. Je n'ai à ce jour reçu aucune réponse du vali et l'ambassade ne m'a rien communiqué de plus sur cette affaire.

Etant donné toutes ces circonstances : le refus de l'employé du bureau de poste d'envoyer une lettre avant qu'elle n'ait été examinée par le vali ; l'assertion d'un fonctionnaire local qui déclare avoir vu à l'ambassade une de mes lettres ouverte (et il insiste encore sur ce point) ; la demande de l'ambassade concernant la date de ma dernière dépêche ; les télégrammes tant de l'ambassade que du consulat général selon lesquels il était naturel de penser que cette lettre avait été interceptée ; et malgré le récépissé ci-inclus portant le sceau de l'ambassade, étant donné tout cela, il est évident que quelque chose est arrivé à cette lettre. Est-il possible qu'elle ne soit pas parvenue à destination et que le sceau de l'ambassade ait été frauduleusement apposé sur le récépissé par quelqu'un ?

J'apprécierais que l'ambassade enquête sur cette affaire et m'informe. Au cas où la dépêche aurait été perdue, je puis en faire une copie et la transmettre à l'ambassade.

J'ai l'honneur d'être, Monsieur l'ambassadeur,
votre très obéissant serviteur,
/signé/
/Leslie A. Davis/
consul

Leslie A. Davis à Kharpout à Henry Morgenthau, ambassade deS Etats-Unis, Constantinople, le 6 septembre 1915, Dec. File No. 867.4016/210b.

Extraits de: Leslie Davis. La province de la mort : archives américaines concernant
le génocide des Arméniens, 1915.
Complexe, 1996.

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